Il n’y avait sans doute pas pire endroit que les gentlemen’s clubs, mais bien sûr, Blakemore était le genre de personne qui les fréquentait. Comme si les hommes riches et privilégiés de ce pays nécessitaient encore plus d’hermétisme. Comme si leur manoir ne suffisait pas. Enfin… peut-être lorsqu’il serait mariée à une femme qu’il déteste, il en comprendrait l’intérêt. Pour l’instant, ce n’était rien de plus qu’un repère machiste joliment décoré. Malgré le profond dégoût de Tyrgan pour les gentlemen’s clubs, il devait essayer d’y entrer, car ce n’est pas un discours à la Chambre des Lords qui ferait bouger les choses, mais des actions concrètes et une alliance avec le Dragon.
Le Dragon… songea Tyrgan alors qu’il marchait en direction d’Hounslow. Quel surnom stupide et prétentieux. La première fois qu’il avait entendu le surnom du juge Blakemore, il y a quelques années, il avait d’abord cru que l’homme voulait souligner quelques origines galloises. En fait, en apercevant un jour la quantité phénoménale de fumée que cet homme recrachait à chaque bouffée de cigarette, l’analogie au dragon prenait tout son sens. Considérant que l’animal qui se trouvait sur le sceau des Campbell était un sanglier, il espérait au moins ne pas se faire rôtir sur place en le rencontrant. Jamais Tyrgan n’avait eu affaire personnellement au juge Blakemore, mais sa réputation le précédait. Contrairement à ce cher Lord Evans, Blakemore ne ferait sans doute même pas l’effort de la politesse.
Franchement, Tyrgan ménageait ses attentes, mais il essayerait tout de même.
Une fois devant le fameux club, Tyrgan y entra pour être accueilli par le collègue de la Chambre qui l’avait invité à le rejoindre au club. Apparement, Tyrgan n’aurait jamais pu y entrer seul, et surtout sans invitation; le club était réservé à une très petite partie de la population anglaise, ce que Tyrgan, avec son accent des Highlands, n’était clairement pas. Outre le fait qu’il soit légèrement insultant pour un duc qu’un baron doive se porter garant de lui, Tyrgan trouvait particulièrement offensant le refus de laisser entrer tout écossais, quelle que soit leur importance ou leur rang, sans invitation. Tant qu’à faire, autant poser une pancarte «Ni chiens, ni écossais» devant l’immeuble…
Quoi qu’il en soit, il remercia son collègue, et trouva finalement Blakemore dans l’une des pièces du club, assis près d’une fenêtre, le nez dans son journal.
Votre Honneur, le salua-t-il, d’un ton neutre.
Tyrgan prit place devant lui, sans plus de cérémonie. Il n’allait tout de même pas lui demander la permission… Le duc balaya la pièce du regard, dubitatif.
Dites-moi, Lord Blakemore, pourquoi fréquentez-vous ce genre d’endroit? Votre domaine d’Holkham Hall possède plusieurs acres de terre et est sans doute plus grand que mon château. Le trop plein de marbre vous fait mal aux yeux?
Il allait sans doute regretter ce face à face. Caleb, aussi étonnant que cela puisse paraître, avait accepté la requête du Duc Campbell qui demandait à le voir. Il semblait chercher à trouver des alliés, des gens qui pourraient l'aider dans sa croisade contre le gouvernement. Son petit discours n'était clairement pas passé inaperçu. Encore moins aux yeux de l'Ordre et de l'un de ses représentants. Le Juge l'avait trouvé bien naïfs, des idées digne de l'époque dans laquelle ils se trouvaient. Il n'y avait rien dans les demandes du Duc qui pouvait réellement être faisable. Pourtant... pourtant, il était prêt à l'avoir en face de lui et l'écoutait. Peut-être aussi, parce qu'il ne ratait jamais une occasion d'avoir quelques informations en plus contre ses adversaires. Et puis Timothy, lui en avait un peu parlé et il le suivait de loin. N'aimant guère voir un Ecossais venir donner son avis sur comment le gouvernement Anglais s'occupait du pays.
Pour montrer qu'il serait le maître de la conversation et pas l'inverse, il avait accepté de le rencontrer dans un endroit plus intime, où ils seraient tranquilles et sans que des oreilles indiscrètes ne viennent entendre leur conversation. Son club était l'endroit parfait. Sans compter qu'il lui faudrait montrer patte blanche, en trouvant quelqu'un pour l'introduire. Bien entendu, Blakemore n'allait pas lui facilité la tâche et cela démontrerait à quel point Tyrgan avait besoin de lui parler. Finalement, le rendez-vous avez été pris, il n'y avait plus qu'à...
Installé à sa place habituelle, son journal dans les mains, les lunettes sur le nez, fumant en se moquant bien des interdits, car au moins ici, il n'y en avait pas, il attendait donc l'Ecossais qui ne devrait plus tarder. Ce dernier apparu alors dans son champs de vision et il ne prit pas la peine de tout de suite arrêter sa lecture. Si ce jeune homme cherchait des appuis, il s'y prenait très mal dès le départ. Au lieu de se montrer aimable et au moins un peu craintif, il entrait directement en confrontation avec son aîné, en se permettant quelques piques verbales dignes de ses origines barbares... Ses doigts venaient alors délicatement plier le papier, pour poser le journal sur la table basse à ses côtés, dans des gestes précis et lents.
- J'aime la sobriété des lieux. Sans avoir l'air d'être plus démonté que cela par les paroles de son interlocuteur. Mais si vous tenez tellement à visiter notre domaine, Lord Campbell, n'hésitez pas à contacter mon épouse, elle sera ra-vie d'avoir un indigène à sa table, tellement... exotique. Le fixant d'un air presque neutre, mais le petit sourire en coin qui pointait à ses lèvres, pouvait démontrer toute la mesquinerie dont il était capable, face à un jeune effronté. Ses mains s'entrecroisaient sous son menton, tenant le cigare entre deux doigts. J'espère, pourtant, que vous ne me faites pas perdre mon temps pour des futilités.... votre Grâce... d'un ton qui pouvait être reconnu comme du dédain sérieux face à ce titre qu'il estimait bien trop noble pour ce que représentait celui qui le portait.
Comment ça il avait en horreur les Ecossais? Pas du tout....
Ah… la sobriété des lieux. Si Blakemore considérait sobre un endroit possédant des chambres privés, des masseuses et un hammam, il devait avoir un train de vie plutôt luxueux. Tyrgan hocha la tête, feignant sans subtilité d’être d’accord avec lui, sarcastique. Quant à se faire traiter d’indigène, cela le prit par surprise, il devait avouer. Indigène?
S’il voulait dire par «indigène» que les pictes et les celtes étaient arrivés sur l’île bien avant les anglo-saxons, il n’avait pas tord! Évidemment, quelque chose lui disait que Blakemore n’avait pas voulu lui faire un petit cours d’histoire impromptu. Quelque chose comme le sourire mesquin que l’homme affichait, par exemple…
Loin de moi l’idée de vous faire perdre votre temps précieux, votre Honneur, pour le peu qu’il vous en reste, répliqua-t-il en désignant sa cigarette. Quand à votre femme, vous lui présenterez mes excuses, mais si j’avais envie de visiter une vieille ruine, j’irais d’abord en Écosse…
Quant à savoir s’il parlait de Mrs. Blakemore ou d’Holkham Hall, Tyrgan laissa volontairement la question en suspens...
Je crois que faire semblant de vous apprécier aurait été une perte de temps pour moi, et insultant pour vous. Vous n’aimez pas les Écossais en général et je n’aime pas la noblesse Anglaise. La raison pour laquelle vous tenez à l’Écosse n’est pas pour son délicieux haggis ou la douce mélodie de la cornemuse, mais uniquement pour nos ressources, et le seul espoir d’une Écosse indépendante est par un référendum, ce sur quoi je n’ai aucun pouvoir.
Le parlement écossais interdisait fermement à tout détenteur d’un titre de noblesse de se présenter aux élections. Dommage, mais tant pis. Pour le reste, depuis le Brexit, l’Écosse souffrait grandement, et pas qu’à cause du whisky. Le pétrole extrait de la mer du nord et des Orcades avait peut-être été autrefois un bénéfice intéressant, puisque ce dernier était distribué à travers l’Union. Mais plus maintenant; trop cher sans doute. Sans parler qu’à chaque année, les puits de pétrole s’épuisaient tranquillement, mais sûrement. Dans tous les cas, Tyrgan ne pouvait concevoir pourquoi les Anglais auraient envie de garder l’Écosse, si ce n’est pour ça.
Le seul pouvoir que je possède réside dans mon siège à la Chambre des Lords. Un pouvoir très limité aujourd’hui, mais qui était un véritable contrepoids à la Chambre des Communes. Étant donné ce qui s’y passe en ce moment — où ce qui ne s’y passe pas peut-être — je me demande s’il n’y aurait pas lieu d’avoir une réforme à ce sujet.
Tyrgan croisa les jambes, et joignit ses mains sur ses genoux, sans quitter le juge des yeux.
Vous connaissez sans doute mon opinion sur le Brexit. Je ne connais pas la vôtre, mais si un duc Écossais est pour vous un exotisme, je me demande ce que peut-être quelqu’un qui n’est pas né ici… Donc sans doute ce côté-là du Brexit vous plait-il, mais je ne peux pas croire qu’un homme de votre qualité puisse être d’accord avec les décisions que le gouvernement a pris ses dernières années, ou même, durant ces derniers mois.
Blakemore avait beau être un connard, il était intelligent. Peut-être endossait-il cette politique dégueulasse de jeter tous les «étrangers» dehors, mais il était impossible qu’il ne voit pas toutes les autres lois stupides, à commencer par la prohibition.
Si Caleb aimait cet endroit, c'était surtout pour la paix qu'il y trouvait. Personne pour le déranger, personne pour l'aborder alors qu'il n'avait rien demandé. Bien servi, par des gens professionnels, qui savaient être discrets, qui n'écoutaient pas ce qu'ils ne devaient pas et un lieu de rencontre loin des regards curieux. Bref, ce club était tout ce dont notre noble avait besoin, pour se ressourcer. Que le jeune écossais face à lui ne le comprenne pas, ne l'étonnait pas et ne le peinait pas du tout. Il ne lui demandait pas de le comprendre, il s'en moquait même éperdument. Qu'il soit d'accord avec sa façon de vire ou pas, ne changerait rien à ce qu'ils allaient se dire tous les deux. Bien entendu qu'il le cherchait, qu'il ne le ménageait pas, mais son interlocuteur ne se démontait pas aussi facilement. Il avait de la répartie. C'était, mine de rien, un bon point pour lui. S'il balbutiait déjà maintenant, il aurait pu partir directement, car le comte n'aurait pas plus daigné perdre plus son temps en sa compagnie.
Il l'attaquait sur son âge et son petit plaisir, certes c'était facile et fort peu réfléchi. En réponse, il amenait le cigare à ses lèvres, pour prendre une bouffée imposante de fumée, qui quittait ensuite lentement par petits filets, la bouche et les narines, tel le dragon qu’il était. Puis c’était son domaine ou sa femme, l'un ou l'autre, qu'importe, qui prenait une saillie. Rien ne l'atteignait vraiment. Il était hermétique à presque tout. Si la belle Damia pouvait toucher des cordes sensibles, elle faisait partie des rares personnes capables de le faire sortir de ses gonds. Et il ne donnerait clairement pas le plaisir à ce jeune insolent de le voir ainsi.
- C'est vrai que les ruines n'ont guère de secrets pour vous.
Petit tacle à son tour, démontrant à quel point il avait des vues fort peu sympathiques concernant l'Ecosse. Il n'allait pas aimer un coin de pays qui n'avait fait que causer du tort au sien. Il avait plus de griefs contre les écossais que les irlandais, qui pourtant, étaient encore plus vindicatifs. Peut-être parce que l'Ecosse avait quelques liens éternels avec la France, ennemie naturelle du pays.
Ils arrêtaient donc de tourner autour du pot. Le Duc Campbell rentrait dans le vif du sujet. Se montrant plutôt très honnête avec le juge, ce qui était une bonne chose. En effet, il n'aurait guère apprécié de le voir tenter de lui lécher les pieds. Il ne supportait guère ceux qui jouaient avec une langue de bois, les épines que cela laissait, étaient désagréables et pouvaient faire très mal. Ce qui n'amenait que de la méfiance de la part du comte. Là, au moins, les choses étaient claires. Ils ne s'aimaient pas. Pourtant, le plus jeune était prêt à mettre de l'eau dans son vin ou se jeter dans la gueule du loup, pour ses idéaux. C'était un calcul dangereux, il le prenait pourtant. Ce qui pour un homme comme notre juge, n'était pas négligeable. Ce n'était pas pour autant qu'il le montrerait, mais il notait.
Ne soyez pas naïfs, Tyrgan ne montait pas pour autant dans l'estime de notre protagoniste. Mais même en étant le dernier des connards, il pouvait reconnaître les qualités des gens qu'il côtoyait. Une petite moue marquait les traits du noble à la mention du Haggis, cette horreur était bien la preuve que ce peuple était resté un peuple de barbare et rien d'autre. Qui de normalement constituer pouvait manger ce truc infâme, sérieusement?
Pour le reste... il n'avait sans doute pas tort. L'Angleterre avait ses raisons de garder l'Ecosse sous son joug. Aux yeux du magistrat, c'était aussi un moyen de rappeler à ces foutus nordistes, qu'ils avaient perdus la guerre - une vieille guerre de quelques siècles - et qu'ils appartenaient au royaume, point barre. Pas besoin de vouloir encore une fois être indépendant, ça ne leur réussirait pas. Bon certes, c'était de la mauvaise Foi, mais voilà.
Son opinion sur le Brexit était finalement assez mitigée. S'il avait trouvé l'idée de départ intéressante, voir même alléchante, il avait vite déchanté. L'Ordre avait compris rapidement la problématique de voir le pays se refermer sur lui-même. Jamais il ne retrouverait l'Empire qu'il était à une époque. La criminalité semblait avoir fait un bon, les hors-la-loi se frottaient les mains, car les nouvelles lois, les contraintes, leur offrait un terrain propice à leurs affaires. Il y avait de quoi vouloir faire le ménage dans la vermine...
- Vous avez des envies de renverser le gouvernement comme vos ancêtres avant vous? Et c'est vers un nationaliste que vous vous tournez? Je suis... presque impressionné par cette manœuvre. Lâchait-il avec un petit ton narquois. Oui, j'ai entendu votre discours, je n'adhère guère à vos propos. Le fixant un instant. Il savait ce qui était nécessaire sur lui et le pauvre Tyrgan, ne savait pas à quel point il était surveillé, en fait. Il était d'accord pourtant sur un point, pourtant. Il n'avait pas apprécié toutes les décisions qu'avait pu prendre leur gouvernement. Plus il devenait restrictif et plus les problèmes s'accumulaient. En étant juge, il le voyait encore plus, le nombre de gens qui passait devant lui... c'était presque du travail à la chaîne à force. Qu'est-ce que vous attendez de moi, Duc? Une alliance? Etes-vous prêt à prendre le risque de me devoir quelque chose?
Le Comte n'avait pas pour habitude de tourner autour du pot. S'il était très bon pour garder les secrets les plus importants, il n'avait pas besoin qu'ils jouent aux paons pour se plaire tous les deux, avant de mettre carte sur table le pourquoi du comment. Son temps était précieux, il n'avait pas que cela à faire - même si là, pour le coup, il était là pour se "détendre" - alors mieux valait se parler franchement. Ce qu'ils faisaient plutôt aisément. Même s'insulter se faisait sans gants. Et il fallait l'avouer, Blakemore trouvait cela plaisant.
Il fallait pourtant que le jeune politicien en herbe comprenne une chose. S'il laissait entrer le loup dans la bergerie, c'était à ses risques et périls. Le juge était suffisamment sympathique pour au moins le mettre en garde. Mais il le savait déjà, n'est-ce pas?
Difficile de savoir ce qui se passait dans la tête du juge pendant qu’il l’écoutait. L’écoutait-il seulement? Peut-être attendait-il qu’il ait terminé de parler, car peu importe ce que Tyrgan dirait, il ne considérait jamais la possibilité de pactiser avec son ennemi. Peut-être l’écoutait-il vraiment. Le duc avait beau connaître la réputation d’enfoiré qu’avait cet homme, ce dernier semblait toutefois bel et bien être né pour être juge. Si Tyrgan n’était pas certain d’être écouté, il était certain d’être jugé, ou observé.
Finalement, Blakemore remit en question les intentions de l’écossais, tout en mentionnant ne pas adhérer au discours qu’il avait fait devant la Chambre des Lords. Tyrgan haussa les épaules, peu étonné.
Rassurez-vous, je ne tiens pas à renverser le gouvernement ou recréer la monarchie. Avant même de prononcer mon discours, je me doutais qu’il ne se passerait rien. Je ne suis pas naïf à ce point-là. Que vous soyez d’accord avec moi ou pas, j’exprimais seulement des faits… Si cela me fait gagner du capital politique parmi certains lords et la population, eh bien tant mieux.
En vérité, la principale raison de son discours était d’abord ce fameux gain de capital. Facile à gagner d’ailleurs; le gouvernement faisait tellement de bourdes qu’il n’avait eu qu’à en citer quelques-unes parmi le tas de merde qui continuait de s’accumuler. Quand un duc semble parler davantage pour le peuple que les représentants de ce pays, alors qu’il n’avait même pas été élu, c’est qu’on avance de plus en plus vers un univers dystopique. S’il voulait voir la restauration des pouvoirs de la Chambre des Lords, il lui fallait cependant plus d’appuis. Le mot «alliance» toutefois, le fit frissonner.
Je suis venu vers vous parce que je me doute que vous avez certains contacts qui pourraient peut-être… accélérer le processus de restauration, mais aussi parce que je ne vois pas en quoi une Chambre des Lords plus forte pourrait vous désavantager. Je suis certain que vous aussi, avez des petits projets de votre côté, et peut-être tirerez-vous avantage de certains nouveaux pouvoirs. D’autant plus si l'on réinstaure le titre de Law Lord, mais je spécule, évidemment.
Tyrgan venait de lancer son seul appât au dragon. Créature vaniteuse, avide de richesse et de pouvoir, un joli titre lustré, ancien et prestigieux amènerait peut-être Blakemore à considérer plus sérieusement sa requête. Anciennement l’autorité suprême en matière de Justice et la plus haute cour d’appel du Royaume-Uni, les Law Lords n’avaient été remplacés par la Cour Suprême qu’en 2009. Seuls les juges les plus qualifiés, nommés par le monarque, pouvaient espérer exercer en tant que Law Lords.
Quant à quelque chose pour vous, tout dépend de ce que cela sera, dit-il simplement.
Cela ne le rassurait pas, il trouvait que recréer la monarchie serait plutôt une bonne idée. Après tout, même s'il ne le montrait pas trop, il pouvait être royaliste, en plus d'être nationaliste. Il appréciait de voir une tête couronnée à la tête de l’État. Pour que ce pays retrouve sa gloire d'autan. Le juge n'était pourtant pas naïf pour autant, il savait que cela était impossible. Le monde avait bien trop changé pour espérer revenir quelques siècles en arrière, que ce soit pour une monarchie absolue ou un empire colonial. Il y avait des choses qui étaient belle et bien mortes et enterrées. Pour autant, l'Ordre voulait surtout voir une Angleterre purifiée de tous les cafards qui la recouvrait et l'empêchait de respirer correctement.
Tyrgan visait sans doute juste en voulant se mettre du côté de la population ou en tous les cas, d'avoir son appui, voir son aval. Ceux qui avaient la plèbe dans la poche, pouvait faire des grandes choses, Jules César lui-même l'avait compris. Pour autant, c'était quelque chose que le comte n'arrivait pas vraiment à concevoir. Il avait du mal à se faire aimer par le commun des mortels, comme il n'avait guère d'intérêt pour eux, en général. Quant aux Lords, il doutait que beaucoup suivent ce jeune impertinent, certains étaient trop peureux et lâches pour oser donner de la voix, les autres pensaient plus comme lui. Le ralliement serait peut-être un peu compliqué, mais si cela marchait, il serait là pour tout faire capoter, bien entendu.
- Oui, vous nous tiendrez au courant de vos avancées... lâchait-il avec ironie. Car il doutait que l'Ecossais ne le fasse de lui-même.
En tous les cas, le plus vieux voyait se profiler doucement ce qu'était ce jeune homme face à lui. Intelligent, manipulateur aussi. Il aurait sans doute eu de quoi lui plaire, si seulement il n'avait pas cette tare de représenter le drapeau bleu et blanc.... il faisait au moins honneur à leur statut. Comprenant les rouages et les mécaniques d'une politique presque millénaire. Il fallait plaire, se faire des alliés, comme des ennemis et comprendre vers qui aller pour s'apporter le plus grand capital de sympathie. Bon certes, venir voir le dragon pouvait compromettre cela, mais il avait d'autres qualités que Campbell savait voir, notamment son carnet d'adresse. Il était presque surpris, en vrai, de ce que lui disait son interlocuteur. Il voulait plus de pouvoir, alors que, honnêtement, Blakemore aurait plutôt parié sur une envie de voir le côté libéral gagner. Un sourcil se haussa légèrement.
- Voilà qui est intéressant. Je ne vous voyais pas si assoiffé de pouvoir et d'envie d'imposer votre parole ainsi. Mais venant de la part d'un Écossais, j'aurai dû m'en douter, au moins un peu. Avec son petit sourire mesquin. Vous connaissez votre dossier, Duc. Je peux au moins vous reconnaître cela.
Vrai qu'une proposition pareille était à étudier. Il y avait quelque chose à faire avec un titre tel que Law Lord, pourtant est-ce que cela lui serait utile à l'avenir, pour l'Ordre? Il y avait des décisions qu'il ne pouvait très clairement pas prendre seul. Il y avait une autorité plus haute que lui à qui il devait faire un rapport avant de se permettre de bouger un tel pion. Certes, cela n'empêchait pas de lui laisser quelques croquettes, juste pour voir comment il allait s'en tirer et comment il serait mangé plus loin.
- Rien ne me prouve que vous tiendrez votre parole, si cela devait arriver. Réintégrer un tel statut ne sera sans doute pas sans peine, même avec une Chambre des Lords plus forte. Il marquait un temps. Pourquoi voulez-vous cela? Que ferez-vous, si vous obteniez cette force que vous souhaitez tant? Changer les lois? Changer ce qu'est devenu ce pays? Même si cela ne se voit peut-être pas, beaucoup sont satisfaits et n'ont guère envie de revenir en arrière.
Ce n'était clairement pas l'avis de Caleb, qui lui voyait de plus en plus un problème à certains décrets, certaines lois totalement absurdes. Cela mettait en danger l'autonomie de la Grande-Bretagne. Elle était encore sur un équilibre fragile. Et beaucoup en profitait plus encore qu'à l'époque. Sans compter le réveil très sérieux de l'IRA qui était une menace sérieuse pour la capitale. Bien qu'ils n'étaient pas à l'origine de l'explosion de l'Université.
- Qu'est-ce que vous avez me proposer, Campbell? Ce n'était quand même pas au comte de poser ses exigences. Il estimait que le jeune noble devait faire ses preuves et trouver, ce qui pourrait vraiment lui donner l'envie de le soutenir.
Pour le simple fait de le voir lamentablement échouer Caleb était prêt à lui donner un coup de pouce. Mais il n'allait quand même pas se montrer si facilement amadouer. Il fallait que son interlocuteur se montre combattif, montre qu'il croyait en ses idéologies, qu'il soit prêt à donner sa vie pour elle. Ensuite, ensuite... peut-être que le juge se montrerait intéressé. Et encore... rien n'était sûr avec ce scélérat.
Blakemore eut l’air surpris de cette recherche de pouvoir de la part de Tyrgan. Il ne savait pas si cela avait quelque chose à voir avec sa nature d’Écossais, mais une chose était sûre; il abhorrait la situation dans laquelle la Chambre des Lords se trouvait présentement. L’impression de ne servir à rien, autant pour l’Écosse que pour le reste, finirait par le rendre fou. Tyrgan répondit au sourire mesquin du juge en plissant les yeux.
Merci. Je n’allais pas me jeter dans la gueule du dragon sans armure.
Bien qu’il avait suivi ses études en Marketing à contre-coeur, surtout pour faire plaisir à son père, Tyrgan en avait appris beaucoup. Pour convaincre, il fallait savoir vendre. Sans avoir totalement convaincu Blakemore, il l’avait attiré, ce qui n’était pas négligeable, considérant sa réputation. Blakemore n’en avait évidemment pas terminé avec lui. Les questions qu’il posait étaient parfaitement légitimes, et Tyrgan s'affaira à lui répondre du mieux qu’il le put.
Je veux que les lords retrouvent leur droit de veto. Pas une loi ou un budget ne passe sans que les deux Chambres ne soient d’accord. Je souhaite également que les membres de la Chambres soient élus uniquement par leurs pairs, et non par le Premier Ministre. Depuis trop longtemps la Chambre des Lords est infestée de lords à la botte du gouvernement. Finalement, il faut que la Chambre soit réduite au un quart de ses membres. 800 membres, c’est beaucoup trop. Depuis que j’ai repris le siège de mon père, je ne crois avoir vu que la moitié des membres de la Chambre. Seuls les lords réellement intéressés devraient participer aux séances. D’ailleurs, c’est ce qui devra être fait en premier lieu, précisa-t-il. Personnellement, je me débarrasserai des barons. Je n’ai rien contre eux, mais ils sont trop nombreux et pas assez influents. Ça les choquera sans doute. Cependant, avec 400 membres en moins, le pays économiserait près de 11 millions de livres. Ça vous parait peut-être peu, mais ça ne le sera pas, aux yeux de la population.
Et peut-être même aux yeux du gouvernement.
Cela faisait des années que la Chambre des Lords était critiquée pour son existence même. Elle était vue comme une assemblée de vieillards non-élus et sans réel pouvoir, et avec raison, selon Tyrgan. Il était plus que temps de redorer son image, avec des changements drastiques, en commençant par une saignée. En ce qui concerne les Law Lords, que le titre revienne d’entre les morts ou pas le laissait indifférent.
Évidemment, vous n’avez aucune raison de me faire confiance. Je n’ai pas de garantie à vous offrir. Je ne possède pas votre influence, c’est pourquoi je suis venu vous voir. Je ne souhaite pas cette réforme parce que j’ai un agenda secret à appliquer, ou parce que j’ai soif de pouvoir, mais parce que je refuse d’être diriger par une bande d’incapables, que la population ait voté pour eux ou pas. Quant à vous, nous savons tous les deux qu'avec vous sans moi, vous n'aurez aucune difficulté à avoir votre titre de Law Lord et faire passer les lois que vous voulez.
Parler contre la démocratie n’était pas son genre, mais il n’y avait qu’à voir ou cela les avait menés pour se dire que certaines personnes ne devraient jamais avoir le droit de vote… Blakemore allait sans doute être déçu qu'aucune proposition "solide" ne lui soit fait, mais Tyrgan n'avait que son idée à lui offrir.
En fait, Caleb s'était imaginé, à tort à entendre ce jeune homme, qu'il faisait justement parti de cette nouvelle vague qui souhaitait voir tomber toutes les autorités, pour une vie plus belle, une sorte de rébellion tellement naïve, qu'elle l'ennuyait profondément. Mais ce n'était pas ce que Tyrgan semblait vouloir, non il voulait changer les choses, mais garder ses privilèges, en avoir plus encore si nécessaire. C'était cela qui était surprenant. Il ne s'attendait vraiment pas à cela. Dommage qu'il soit Écossais... car le comte aurait réellement pu apprécier l'esprit combatif, inventif et stratégique de son interlocuteur.
Parce que finalement, ses idées n'étaient clairement pas là pour aider au mieux le peuple. C'était pour aider leur classe sociale quelque part. Un peu plus et il pourrait presque dire qu'il voudrait revoir la monarchie mise en place. Ce qui aurait pu faire rire notre dragon. Mais le jeune n'irait sans doute pas jusque-là, son peuple n'était pas pour vouloir une nouvelle tête couronnée à leur tête. Ils voulaient sans doute encore plus leur indépendance depuis le Brexit, mais se retrouvaient coincés. Alors autant faire avec et en tirer ce qu'ils pouvaient, ce que faisait donc le Duc Campbell. Non vraiment, c'était intéressant. En tous les cas, son discours était bien rôdé, alléchant presque. Notre homme ne pouvait clairement pas prendre de décision comme ça, mais il pourrait tout à fait aller dans le sens que lui montrait cet ennemi naturel.
Pourtant, il lui fallait être méfiant, parce que rien ne lui prouvait que tout ce que disait Tyrgan fût réellement pensé. Peut-être qu'il tentait simplement de l'allécher, pour ensuite lui planter un beau couteau dans le dos. C'était une possibilité, elle aussi. Et puis, ce serait bien une tactique d'Ecossais. Autant dire que notre juge préférait totalement être méfiant par rapport au Duc, même s'il pouvait apprécier sa façon de penser, si elle n'était pas feinte. Il restait prudent, il le serait toujours face à un homme dont il ne savait pas tout. Le Duc aurait droit à une enquête beaucoup plus poussée sur sa personne, Tim risquait d'avoir du travail en plus très bientôt, d'ailleurs, il le savait dans les parages...
- Le peuple verra sans doute l'économie, pourtant, je ne doute pas non plus qu'il verrait d'un mauvais œil une prise de pouvoir plus importante d'une classe qu'il tient en horreur. Vous oubliez peut-être que l'argent ne fait pas tout le mécontentement de ceux qui vivent au plus bas. Si les barons se voyaient mettre à la porte, même si je peux être d'accord avec cette idée étonnamment, je ne pense pas que cela vous apportera les sympathies que vous cherchez... se frottant alors légèrement la barbe, pensif. Il fallait aussi qu'il fasse attention, donner son soutien à Campbell pouvait réduire sa réputation à néant. Et comme déjà dit, il ne pouvait pas prendre cette décision seul. Il fallait qu'il en réfère à l'Ordre, voir s'Il pouvait faire quelque chose de ce "complot" qu'avait envie de formater le jeune noble. De quoi lui faire tout retomber dessus et l'écraser complètement si rien ne marchait comme prévu... au pire. C'est ambitieux comme projet, bien que vous ayez l'air de croire que votre combat est pour le bien commun, il ressemble beaucoup à une révolution. Avec un petit sourire, cette fois presque amusé. Ne pas vouloir accepter d'être dirigé par des "incapables" ne permet pourtant pas de renverser un gouvernement et ses lois. Pourquoi ne pas essayer de vous présenter au Parlement?
C'était amusant, finalement, de le voir vouloir passer par les Lords, par la noblesse, pour imposer ses idées, plutôt que de se lancer en politique et tenter de faire changer les choses ainsi. Certes, ce n'était pas évident de prendre la tête d'un des deux partis puissants, mais il fallait essayer, quitte à s'y casser les dents.
- Je ne suis pas du genre à vouloir imposer mes lois, je représente déjà la Loi de ce noble pays et je la suis avec application. Démontrant ainsi sa loyauté à cette terre qui était la sienne. Bien sûr, il ne serait pas contre à un retour à quelque chose de plus... "épuré". L'idée de l'Ordre, était bien de remettre de l'ordre partout en Grande-Bretagne, mais chaque chose en son temps. Il ne pouvait montrer à Tyrgan qu'il pouvait sauter sur l'occasion avec autant de facilité. Et je ne sais pas si mes contacts, ces alliés que vous espérez voir à vos côtés, seraient vraiment chaud, comme disent les jeunes de nos jours, à vous suivre ainsi. Sans garantie aucune.
Allait-il lui fermer la porte? Peut-être pas. Il réfléchissait à comment garder cet homme un peu sous sa coupe. Pour le moment, il n'avait pas encore toutes les cartes en main pour cela. Mais ça arriverait.
- Rien n'empêche pourtant que j'en discute avec les plus... ouverts d'esprit. Voir ce qui pourrait en découler. Je ne vous promets ni mon soutient, ni le leurs, mais je vous donnerai une réponse, quoi qu'il en soit.
Voilà, c'était tout ce qu'il pouvait lui offrir pour le moment et c'était le meilleur compromis qu'il trouvait pour garder un lien avec lui. Il reprenait alors son verre pour une gorgée de sa boisson. Tyrgan n'obtiendrait donc pas plus du comte pour le moment. Car Caleb ne voulait pas se mouiller, sans avoir pris ses précautions avant. Et il en parlerait avec des pincettes, bien entendu.
- Je me dois, cependant, de vous conseillez vivement de trouver une autre façon de changer les choses. Votre vision est radicale et vous vous ferez des ennemis que vous n'imaginez sans doute pas.
Une mise en garde faite plus par acquis de conscience et pour montrer encore une fois, qu'il n'était pas très enclin à voir cette révolution se faire ainsi. En tous les cas, le faisait-il croire. A voir comment Tyrgan allait agir par la suite. Et de ça, il en était extrêmement curieux.
Voilà… son plan désormais étalé, son appât lancé, et son speech de vente terminé, Tyrgan n’avait plus rien à ajouter. La balle était dans le camp de son adversaire et celui-ci ne fut pas avare de mots. Blakemore décortiqua son petit projet morceau par morceau, avec une sagesse à laquelle Tyrgan ne s’attendait pas. Certes, il ne doutait pas de l’expérience supérieure qu’avait acquis le Juge au cours de sa vie. Cependant, l’analyse que fit Blakemore de son plan fut moins acide que ce qu’il s’était imaginé recevoir de la part d’un homme tel que lui. Leur introduction n’avait pas été exactement des plus courtoises après tout. Tyrgan, pourtant, était prêt à l’écouter. Le point de vue et l’opinion de Blakemore n’étaient pas des choses à prendre à la légère, et comme un élève attentif devant un professeur d’expérience, il nota, dans un coin de sa tête, les nombreux commentaires de Blakemore, en commençant par les barons.
Tiens tiens. Lui non plus n’était pas un grand admirateur des barons, semblait-il. Selon le Juge, retirer les barons de la Chambre ne résoudrait rien, et créerait peut-être plus de problèmes qu’il en réglerait. Ça ne serait pas assez pour satisfaire la population ni les convaincre d’accorder plus de pouvoirs aux Lords. Même si Tyrgan argumentait que c’était pour le bien de la population, elle ne le verrait pas de la même façon. On ne l’avait pas élu après tout, qui était-il pour bloquer les lois du gouvernement élu par le peuple? Tout cela devenait de plus en plus frustrant… Quant à se présenter à la Chambre des Communes, Tyrgan n’était pas convaincu que ça fonctionnerait non plus.
Évidemment, Blakemore ne pouvait le soutenir. De plus, en tant que Juge, il ne faisait qu’appliquer les lois, et n’était pas intéressé à en imposer de nouvelles. Logique, admit Tyrgan, sans broncher. D’autant plus qu’il ne pouvait offrir ni au Juge, ni à ses collaborateurs, de garantie solide. S’ils n’avaient tout simplement pas envie de le suivre parce qu’il était écossais, c’était autre chose… Quoi qu’il en soit, Blakemore ne lui promit rien, seulement qu’il obtiendrait une réponse de sa part éventuellement, et le mis en garde : s’il ne changeait pas de stratégie, il se ferait des ennemis.
Oui, ce n’est pas la première fois qu’on me donne ce conseil, et vous avez sans doute raison. Mon manque de subtilité est un boulet dont je ne me débarrasserais jamais, j’en ai bien peur. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Tyrgan poussa un soupir, le dos calé au fond du fauteuil de cuir, l’air las. Personne n’aimait se faire montrer ses failles, mais malgré cela, Tyrgan devait admettre que l'entretien avec le dragon s’était mieux passé que prévu. Il n’abandonnait pas, mais le poids du travail qu’il restait à faire abattait son enthousiasme.
Le meilleur moyen de changer les choses serait de faire partie de la Chambre des communes, j’en ai conscience, mais les gens me percevront comme ce que je suis : un homme qui n’a pas la moindre idée de ce que c’est que de gagner sa vie. Même si par miracle je me faisais élire, je ne crois pas que le parti d’opposition voudra de moi, encore moins le parti au pouvoir! lança-t-il. Et puis… ma famille a le siège à la Chambre des Lords depuis des générations. Le quitter est une décision que je ne peux pas prendre à la légère.
Putain… il rêvait de quitter ce maudit siège depuis qu’il s’était posé dessus il y a cinq ans, mais il y était englué. Réformer le gouvernement ne le gênait aucunement, mais perdre quelque chose que les Campbell avaient si précieusement gardé pour lui lui faisait mal au coeur. Il avait l’impression de trahir ses ancêtres, mais également de priver sa descendance de ce privilège, même s’il le détestait.
Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps, Lord Blakemore, et pour vos conseils. C’est très apprécié, dit-il en se levant alors de son siège. Bien que son titre fut supérieur à celui du compte, Tyrgan s’inclina tout de même, par respect, mais aussi par une certaine estime, avant de se redresser, sourire en coin. Je ne m’excuse pas que ma nature «d’indigène» ait pu vous importuner cependant.
Dommage, en effet, que leurs visions ne s’accordent pas, car il aurait pu en apprendre beaucoup de Blakemore.
Caleb voyait bien l'air presque déçu du jeune Duc face à lui. Il ne lui offrait pas les réponses espérées, il le savait parfaitement, mais notre dragon était du genre prudent et il le serait jusqu'à la fin de sa vie. Surtout dans ces conditions. Il ne pouvait pas non plus, sans y porter une attention toute particulière, donner ainsi son accord. Tyrgan représentait tout ce qu'il pouvait détester, pourtant, pourtant... il sentait qu'il y avait de quoi apprécier ce jeune homme. Peut-être devrait-il revoir un jour ses idées conçues sur le sang écossais. Mais pas aujourd'hui et pas devant un concerné, bien entendu. Ce dernier reprenait alors la parole, au moins avait-il déjà entendu ces mises en garde, même s'il ne semblait que peu enclin à les écouter sérieusement. C'était un risque qu'il semblait être prêt à prendre.
- La subtilité est un art qui est possible d'apprendre, Duc. Si l'on a les bons professeurs....
De là à lui proposer de lui offrir des cours... non il n'y avait pas un pas, mais qui sait. Blakemore voyait quand même, en ce jeune homme ambitieux quelque chose qui pourrait être utilisé, utile à l'Ordre. Il ne voyait pas encore totalement comment, mais il serait dommage de perdre ce pion qui pourrait s'avérer plus précieux qu'ils ne pouvaient l'imaginer. Une chose qu'on pouvait laisser à son interlocuteur, c'était bien cette faculté de se voir tel qu'il était. Objectivement, s'était suffisamment rare pour être relevé et Caleb en était presque un peu surpris. Cette honnêteté qu'il avait envers lui-même. Non vraiment, ce garçon était bien loin d'être un idiot.
- Encore une fois, vous cherchez des alliés, il y en a même au sein des Chambres. Il faut simplement savoir comment les aborder. Vous ne seriez pas le seul à ne pas savoir ce que cela veut dire travailler pour gagner sa vie, au gouvernement. Les actes parlent toujours plus que les mots, Duc. Si vous démontrez, à ceux à qui vous voulez plaire, que vous êtes prêt à vous "salir les mains", je suis certains que beaucoup seraient prêts à vous soutenir.
Sans trop en dire, il le poussait dans une voie qui pourrait parfaitement l'arranger lui. C'était ainsi que l'on pouvait profiter d'une opportunité, Campbell en était une.
- Bien entendu, ce sont des décisions qui méritent réflexions, rien ne presse. Avec un léger sourire, plutôt tranquille.
Il était étrange de se dire que ces deux hommes conversaient presque comme deux bonnes connaissances, alors que le début de leur conversation présageait pourtant quelque chose d'assez houleux. Caleb savait toujours tourner les choses à son avantage, finalement. Son regard suivit alors son interlocuteur qui se levait, pour le saluer avec plus de déférence qu'il n'en avait eu en arrivant. Un petit mouvement de la tête salua l'inclinement du Duc, en effet, il le titre était plus haut que le sien, mais le juge avait pour lui son âge et son expérience, à défaut du reste. Il prenait les remerciements pour ce qu'ils valaient, tout comme il ne manqua pas la petite pique de fin.
- Le contraire aurait été étonnant venant de vous. Lâcha-t-il tout à fait aux faits et pas blessé pour autant. [color:286a=##AD4F09]Vous aurez une réponse de ma part, bientôt, Duc. Tout en le saluant à son tour.
Et notre homme n'avait qu'une parole, Tyrgan pouvait lui faire confiance, un jour, il recevrait un coup de fil de sa part. Il fumait toujours en le regardant partir, avant que son regard ne croise celui de Tim. La fouine n'avait sans doute pas manqué une miette de la discussion. Il lui faisait signe de lui servir un nouveau verre. Ils avaient à discuter tous les deux...
