Il pleuvait. Des rafales de vents faisaient vibrer les rideaux d’eau. La terre devenait de la boue, laissant les hommes et les bêtes s’enfoncer. Bien que la tempête ait diminué, les nuages bouffaient le soleil, ne laissant que peu de lumière arriver jusqu’au sol. Il semblait faire nuit. La visibilité était mauvaise. Au loin, les vagues se fracassaient contre les murs bruts de la falaise. Le vent gémissait, s’engouffrant dans les interstices de la pierre et des constructions. L’éclairage public se faisait vacillant par moment, menaçant de réellement laisser se monde sombrer dans l’obscurité. L’environnement était hostile, mais c’était le cœur des gens qui l’était réellement.

Des chiens se mirent à aboyer, alertant la communauté d’une intrusion. Tous les regards se retournèrent vers ce véhicule qui venait d’entrer dans le village d’Eokeus. Sur la colline, dans le vieux manoir décrépi qui servait de temple, Philips Delph dressa lui aussi l’oreille. Ces derniers temps, la secte était en alerte. Il y avait eu trop de fuite, de trop de disparu, trop d’évènement perturbateur. La vie était pourtant rythmée par la cloche dominant l’endroit, mais un nouveau tempo était imposé par les faux croyant. Tous ne se passaient pas comme prévu. Et ces intrus étaient vu comme des annonciateurs de mauvaises nouvelles, des personnes qui devaient être rejetés… Dans le meilleur des cas, des brebis pouvant être ramenées sur le droit chemin. Dans le pire des cas, des animaux galeux à abattre. Il était essentiel de protéger la communauté. Le monde courrait à sa perte et la communauté était le dernier bastion de l’humanité. C’était Eokeus qui pourrait assurer la rédemption de ce monde.

Alan Connor sorti d’une des habitations. Il se présenta seul, mais tous les regards étaient braqués sur cette scène. Les aboiements se firent plus forts et une des bêtes s’avança jusqu’à lui, présentant les dents. L’animal était prêt à combattre, à mordre, à blesser pour défendre ses maitres. L’homme fit un signe d’apaisement à l’animal. L’énorme chien se positionna légèrement en retrait, prêt à agir. Alan leva sa lampe, révélant son visage aux inconnus. L’eau ruisselait le long de ses vêtements, glissant jusqu’au sol. L’homme était âgé d’une trentaine d’années, mais il paraissait plus vieux. Son visage était creusé par l’angoisse et les difficultés qu’il rencontrait au quotidien. Il avait aussi perdu plusieurs de ses chiens, égorgé par un individu sans âme. L’homme était légèrement courbé, abimé par une vie de labeur. D’une voix grave et légèrement enrouée, il demanda « Qui êtes-vous ? Et que voulez-vous ? ». Ces deux personnes n’étaient pas le bienvenu. Le mieux était qu’il remonte dans leur voiture et reparte. C’était le mieux pour tout le monde.

L'homme regarda longuement son interlocutrice. Il la dévisagea de haut en bas, observant sa manière de se ternir et ses vêtements. Isabel était une belle femme, mais il n'y avait ni maquillage, ni bijou. Elle respirait la probité et l'homme baissa légèrement sa garde. La pluie et le vent couvrait leur conversation, mais Alan entendit très bien le nom Connington. Insciemment, il se rabaissa un peu plus. Alan n'était pas l'homme qu'il aurait dû être. Il n'avait pas été capable de se montrer digne... Et là où il aurait dû prendre sa place d'enfant de Philips, c'était Steve qui lui avait volé. Le rouquin l'avait mérité. Mais Alan ne pouvait s'empêcher de ressentir de la rancoeur.

Alan regarda le garde du corps et le dévisagea. Il se posait de nombreuses questions. Etaient-ils armés ? Que voulaient-ils ? Il y avait eut assez de drames pour que des étranges viennent de nouveau créer le trouble... mais ce n'était pas Alan le décisionnaire. Le Fils devait prendre une décision. Ce n'était pas à lui, simple membre de la secte qui devait choisir. Son interlocutrice avait clairement montrer qu'elle connaissait les règles de la communauté et peut-être était-elle une ces des personnes les aidant dans ce monde. De tout cela, Alan n'en savait rien. Il ne pouvait pas prendre le risque de brusquer ces visiteurs.

L'homme prit tout de même quelques secondes de réflexions. Le tonnerre se mit à gronder. Pendant un instant, le vent sembla se transformer en voix humaine, gémissant de douleur. Alan termina par répondre "Venez.". Un éclair illumina la scène, permettant à Alan de voir clairement le visage de ces visiteurs. Il se souviendrait d'eux. L'homme se recula puis se mit à avancer vers le manoir. Il ne leur tournait pas totalement le dos, attentif aux moindre de leur geste. Quand le garde du corps se mit à marcher, le chien sauta en avant et et se mit à gronder. Ses pupilles noires étaient enfoncés, ne laissant la lumière se refléter uniquement sur ses crocs. Alan ordonna au chien de se taire et la bête se positionna à l'arrière du groupe. Le chien le surveillait tout en restant à une distance raisonnable.

Pour monter au manoir, la route n'était plus praticable, ne laissant que la possibilité de s'y rendre en marchant. Alan ne fit aucun commentaire, restant muet. Il n'avait rien à dire à ces personnes de l'extérieur. En passant devant les maisons, les personnes jetant un regard au groupe se firent plus discrète. Les individus devenaient des ombres, devenant une foule d'anonymes qui observait cette étrange ascension.

Le chemin pour monter au manoir était composé de marches en bois noircie par le temps. La pluie rendait le trajet dangereux et glissant. Bien qu'il n'y ait pas de temps à trajet à faire, le trajet était pénible avec les intempéries. La nature, Eokeus lui-même, ne voulait pas de ces visiteurs. Alan s'arrêtait régulièrement, s'assurant que Isabel et son garde du corps continuaient de suivre. Le chien fermait la marche. Les sources de lumière se faisaient plus rare, la lampe d'Alan éclairant le chemin. Arrivé en haut de la bute, l'homme s'arrêta. Il observa le manoir. Un volet claquait avec le vent. Le plus fort de le tempête risquait de revenir.

Alan ouvrit la porte et dû forcer pour réussir à faire bouger cette plaque de bois engorgée d'eau. Le sol était composé de grandes dalles de pierre et de l'eau ruisselait entre celle-ci. Le membre de la secte les fit entrer, puis referma difficilement la porte. Le bruit des intempéries se fit moins fort, bien que l'on entendait clairement les gouttes se fracasser contre le toit du manoir. Alan alluma la lumière de la pièce, puis éteignit sa lampe. Il enleva sa veste dégoulinante d'eau et laissa les visiteurs faire de même. Mais l'homme ne les aida pas et ne commenta pas, utilisant juste son regard pour communiquer. Le chien s'était assis à l'entré, observant le groupe. Son pelage était trempé. L'animal gardait la porte.

Philips Delph avait le regard posé sur son interlocutrice. Il n’était nullement intimidé, mais plutôt curieux. Cette femme lui disait quelque chose… Il était pour le moment incapable de situer où il avait pu voir ce visage, mais il savait qu’il l’avait déjà vu. Ou alors était-ce quelqu’un avec qui elle devait avoir une ressemblance frappante. L’homme était posé au fonds de son siège, les jambes croisées. Il était calme. Il l’écouta parler. Cette femme parlait beaucoup, pour demander des choses, mais aussi pour montrer qu’elle possédait des informations. Philips avait bien compris les menaces juridiques à peine voilée. Pour le reste, il ne céderait pas à sa demande, tout simplement car ce n’était qu’une femme.

Alors que le feu crépitait dans la cheminée, le Fils répondit doucement, légèrement charmeur « Et si vous commenciez par vous présenter ? ». Il avait bien compris qu’elle n’était pas une personne facilement manipulable et qu’elle était venu dans un but précis. Mais pour échange, Philips voulait déjà connaître l’identité de la personne à qui il faisait face. Cette femme connaissait aussi le fonctionnement de la communauté, de ce fait, elle devait bien avoir eu ces informations d’un de leur membre. Le Fils avait besoin d’en savoir plus et adapterait son comportement au besoin. Adam Worth, son représentant de l’extérieur, ne lui avait pas parlé d’une femme comme celle-ci. Ce n’était pas leur façon de fonctionner. Philips n’aimait pas les gens sur lesquels il n’avait pas de dominance claire. Mais tout le monde pouvait être brisé. Le Fils avait appris à casser pour construire ce qu’il voulait.

Les deux membres de la secte présents, Alan qui était à la porte et le deuxième homme dans la pièce, étaient dignes de confiance. Philips savait que ses adeptes seraient prêt à tout pour lui. C’était le fruit d’un long travail… Et cela était allé bien plus loin qu’il ne l’avait imaginé à la base. L’homme avait franchi les limites de l’humanité à plusieurs reprises et savait désormais qu’il n’y avait rien qui le retenait, si ce n’est cette société extérieure. Mais Eokeus était isolé et il était le maitre, le Magister, le Prophète, Dieu lui-même. Et nul ne pouvait contraindre une puissance divine. Ici, Philips ne craignait strictement rien.

Neutre, Philips analysait cette femme. Elle était habillé d’une robe noire et longue, sans bijou, sans apparat. Une personne qui voulait faire bonne figure à Eokeus. Mais qui venait le défier directement. Il la scruta d’autant plus qu’il avait ce doute par rapport à son identité. L’homme avait croisé nombre de femmes de sa vie et en avait fait chavirer plus d’une. Il arrivait toujours à ses fins et cela quelque soit la position ou l’identité de celle qu’il voulait. En quelques mots, Philips était un homme de pouvoir, manipulateur et usant de perversité pour arriver à ses fins. Véritable vampire psychique, le Fils se nourrissait de la destruction des autres. Et si l’humanité consistait à avoir de l’empathie, alors cela faisait longtemps qu’il n’en faisait plus partie.

Philips eut un sourire. Cette conversation allait être intéressante, voir amusante. Il avait en face de lui une personne qui ne voulait pas plier. Mais le prophète savait que cela finirait par arriver. Tout le monde pouvait être brisé et manipulé, il suffisait de trouver les bonnes clefs. La réaction de son interlocutrice était intéressante, à faire une petite moue. Philips était certain de la connaître ou d’au moins connaître une personne qui lui ressemblait beaucoup. Une ancienne conquête féminine ? Peut-être. Au fil de l’entretien, la mémoire finirait par lui revenir.

Les compliments fonctionnent mais n’endorment pas le Prophète. Il se savait génial, il n’avait pas besoin qu’on lui précise. Cette femme jouait à le défier tout en le complimentant. Elle maintenait le floue. Technique intéressante… Mais elle finirait bien par se dévoiler. Toujours assis au fonds de son siège, il regardait cette femme qui restait debout dans la pièce. Il ne lui avait toujours pas offert de quoi s’asseoir. Les deux membres de la secte restaient toujours présents, mais Philips allait légèrement faire changer la configuration. Il savait comment agir.

Le plus belle des fleurs et la plus dangereuse ? Philips eut un sourire amusé. Cette femme était en train de se perdre dans la métaphore, essayant de faire croire qu’elle était la plus belle et la plus dangereuse. Quelle audace. Il avait connu des femmes qui s’appelaient Rose. Une certaine Connington avec qui cela s’était particulièrement mal terminé.

La question était surprenante. Pour le moment, cette femme lui faisait perdre son temps. « Etes-vous seulement venus pour me demander mes goûts en matière florale ? ». Philips était quelque peu agacé, mais ne laissa rien paraître. Il fit signe à Alan de fermer la porte, laissant ainsi le garde du corps à l’extérieur de la pièce. Il planta son regard dans celui de son interlocutrice. « Cela ne devrait pas vous déranger… à moins que vous ayez peur ? ». Philips adorait voir ce sentiment dans les yeux de ses ennemis. Il voulait avoir le pouvoir absolu sur ses interlocuteurs. Il était le maitre ici.

Philips eut un sourire. Elle ne voulait pas s’asseoir, ne voulait pas prendre le temps de parler avec lui. Pourtant elle avait fait le choix de venir jusqu’ici. Eokeus était un endroit isolé, il n’était pas aisé de s’y rendre. Le magistère l’écouta vociférer et continuer d’émettre des menaces. Au moins avait-il désormais son numéro. C’était particulièrement intéressant. Il commenta, amusé « Et dire que c’est vous qui souhaitiez être seule avec moi il y a quelques instants. ». C’était une personne versatile et inconstante, une femme en somme.

Le Fils s’était de nouveau assis au fonds de son siège. Il n’était plus tout à faire calme, mais amusé et rassuré. « Vous êtes mignonne. ». Oui, cette femme l’était, à la fois pour son physique mais aussi par ses maladroites tentatives d’intimidation. Philips était un maitre dans l’art du chantage, ce n’était pas un brin de fille comme elle qui allait l’intimider. Une gamine mignonne comme un cœur… Le Fils attrapa de quoi fumer -une drogue tout à fait illégale – et répondit. « Rose Connington est une femme qui n’a plus d’épines… Et je crains que cela se soit aggravé avec le temps. ». Il marqua un temps, repensant à la Rousse. Elle avait échoué une première fois, pourquoi devait-il désormais s’inquiéter ? Eokeus avait grandi, grossi, avait gagné en influence et en pouvoir. Si elle n’avait pas pu les arrêter une première fois, il ne voyait pas pourquoi elle pourrait réussir maintenant. Néanmoins, une action s’imposait. Il fallait qu’il y réfléchisse sérieusement. « A-t-elle si peur de moi pour vous envoyer ? ». Que les menaces devenaient futiles… Il commenta « Vous pouvez lui passer le bonjour de ma part, je ne suis pas rancunier. »

Le Fils commença à fumer. Il pleuvait toujours, la pluie rythmait la scène. L’environnement était hostile en cette saison. Cela s’oubliait presque dans cette pièce, près du feu. Elle voulait partir, alors qu’elle le fasse, mais il n’allait pas l’aider. Il commenta « Personne n’est prisonnier ici. Vous êtes libre de partir, comme Steve peut quitter Eokeus s’il le souhaite. ». Et il ne le souhaitait pas. Philips le savait pertinemment. Désormais, le rouquin allait devoir se mettre en route pour retrouver Valentine. Il était nécessaire de ramener toutes les brebis égarées. Steve serait parfait dans ce rôle. Observant son interlocutrice, Philips termina par savoir à qui cette femme lui faisait penser. Il demanda « Vous me faîte penser à Grace Stevens… Une très belle femme que j’ai connu. ». Il avait légèrement appuyé sur la fin de sa phrase. Ils avaient été amants, le Fils pouvait bien dire qu’il l’avait connu. « Un lien de parenté peut-être ? ». Philips n’allait pas laisser sont interlocutrice filer

Philips n’avait pas peur. Il ne craignait rien. Il regarda son interlocutrice marquait le pas et fuir. Tout ce chemin parcouru pour si peu… Néanmoins, cette femme avait piqué au vif sa curiosité. Qui était-elle ? De l’autre, le Fils allait devoir réfléchir à ce qu’il allait faire et ce que serait ses prochains coups. Cette Rose Connington devenait de plus en plus gênante. Il allait devoir agir. Philips repensa à leur dernier entrevu et cela le fit sourire. Bien. Il laissa son regard se perdre dans l’âtre, réfléchissant à ce qu’il allait faire. Le jeu devenait intéressant.