Il n’avait pas vu Violet depuis le gala de bienfaisance. Même lors de cette soirée, ils n’avaient pas eu la chance de vraiment se parler, et ils avaient beaucoup de choses à se dire, il semblerait. Se rencontrer hors du cadre rigide que pouvaient être les bals et les soirées serait également une bonne chose. Cela leur permettrait peut-être de parler à coeur ouvert, comme lorsqu’ils étaient beaucoup plus jeunes qu’aujourd’hui. Ce parc tranquille en banlieue de Londres et peu fréquenté en semaine, serait parfait.
Tyrgan attendait l'arrivée de Violet près de l’entrée, debout devant l’étang gelé du parc enseveli d’un fin manteau de neige. Il aimait le froid et la neige, les petits nuages créés par sa respiration, et le craquement des branches pesantes de neige. Le parc était un paysage si paisible qu’il en oubliait presque la raison de sa venue jusqu’ici.
Certaines choses devaient être éclaircies pour Violet. D’abord, cette maudite histoire de siège à la Chambre des Lords. S’il s’était douté un seul instant que Violet aurait pu être contre l’idée qu’Edward obtienne ce siège, il ne lui aurait jamais offert. Cependant, Tyrgan ne regrettait pas totalement de lui avoir offert, pour des raisons qu’il espérait qu’elle verrait peut-être, espérait-il. Ensuite, il lui fallait parler de Lowri et lui, maintenant qu’ils partageaient quelque chose de plus sérieux… et expliquer pourquoi Peter s’était servi d’elle.
Cependant, rien de tout ça ne l'inquiétait autant que le message que Violet lui avait envoyé ce matin même. Il connaissait assez bien son amie pour savoir que ce genre de message court, brusque et sans signature n’était pas du tout le style de Violet. Quelque chose la tourmentait, c’était évident. Quoi qu’il en soit, il serait là pour l’écouter, se dit-il, alors qu’il entendit des bruits de pas dans la neige. En regardant par-dessus son épaule, il esquissa un sourire, apercevant son amie venir vers lui.
« Violet », la salua-t-il simplement, avant de l’embrasser sur la joue. Le sourire aux lèvres, il lui offrit son bras pour commencer à s’aventurer dans le sentier de neige. « Ça fait un moment que l’on ne s’était pas vu ailleurs que dans une soirée. J’espère qu’on aura l’occasion de se voir plus souvent en 2026. Bonne année au fait! Je te souhaite tout ce que tu veux. » Et surtout, il lui souhaitait beaucoup de bonheur. Elle le méritait bien.« Alors… tu as été plutôt brève dans ton message. Dis-moi, quelque chose ne va pas? » Tyrgan supposait une ou deux choses, mais il n’était sûr de rien. Violet avait l’habitude d’être discrète, presque secrète. Il n’avait jamais vraiment réussi à deviner à quoi elle pensait. D’autant plus qu’il “lisait” très mal ces choses là…
Mon bon oncle, je vois que vous, pour lire, la situation dans laquelle je me trouve, sans jugement, ou avis précipité. Le bénéfice apporté par les quelques jours chez père et mère, je l’ai perdu. Dès l’instant où nous sommes arrivés chez les Crawley. Les parents d’Edward sont les plus parfaits des nouveaux nobles. Ils en ont les plus grands défauts. Jusqu’à maintenant, j’arrivais à les outrepasser, tout comme les critiques de la Baronne. Parce que je savais, au fond de moi, que j’allais un jour être ma belle-mère. J’allais devenir cette femme droite, fière et “parfaite”. Mais, je ne suis plus tout à fait sûre que c’est là mon avenir. Ou bien non, je ne sais pas, si c’est ce futur que j’espère...
Vous me direz que c’est l’une des conséquences attendues, lorsque l’on se met à questionner sa propre condition. Que j’aurais pu m’épargner ces tourments, simplement en refusant de revoir Rose. Ou bien en cessant de cotoyer Peter et sa fiancée. Ou bien encore en m’abstenant d’écrire à un journaliste aux magnifiques yeux noirs. Il est vrai, que ces derniers mois, ont soulevé un voile, dont je n’avais jamais eu conscience. Comme une imbécile, je l’avais non seulement écarté de mon plein gré. Mais devinez, je rêvais maintenant de le déchirer. Qu’il soit lambeaux. Que m’arrivait-il ?
J’aimerais, par-dessus tout, parler de tout ceci avec Iris. Lui dire tout ce qui m’arrivait depuis ce thé dans le petit salon. Avoir ses impressions, son avis. Ce qui était impossible. Car si quelqu’un apprenait -même elle- que … Je ne pouvais pas la mettre dans cette situation. Ma petite sœur était celle que je devais protéger. Néanmoins, je ne pouvais pas rester muette plus longtemps. Pas après cette lettre de Prem. J’avais besoin de parler, de dire les choses, plutôt que de devenir folle. Swan se remettait à peine de son histoire avec Isabel. Je ne voulais pas activer de sombres pensées chez lui. Aidan, oui, mon beau Aidan... Mais il y avait ses parents, son frère déjà. Je voulais pas ajouter un poids.
Tyrgan.
Il m’avait répondu presque tout de suite après mon message. Je l’avais donc pris pour un bon signe. Je lui avais laissé le choix de l’heure et du lieu, tant que ce n’était pas dans l’une de nos propriétés. Je voulais que nous soyons libres de parler. Je venais à Londres donc, soulagée, de m’éloigner du manoir, d’Edward. Consciente aussi, que chacun des kilomètres parcourus me rapprochait de Prem. Trois fois, au cours de l’allée, j’avais rédigé un message pour l’avertir de ma venue à la capitale. Sans le lui envoyer. Il avait fait comprendre qu’il ne voulait pas être dérangé. J’avais la sensation de lui en demander déjà trop. Pourtant, j’aurais donné n’importe quoi pour ne serait-ce que le voir.
Je descendais de voiture, reconnaissante à Tommy, pour son sourire discret. Je l’avais malgré lui attiré dans ma mésaventure. Il restait égal à lui-même. Je dois avouer que son calme et son assurance tranquille devenaient un soutien inestimable depuis quelques semaines. Je devenais Tyrgan de dos et marchait pour le retrouver. Nos yeux se croisaient et nos sourires aussi. Bien que le mien était beaucoup moins enjoué que je l’aurais voulu. Je le retenais pour une brève mais ferme étreinte, car j’avais immensément besoin d’un contact bienveillant. “ Merci d’avoir dit oui.” Je posais un baiser sur sa joue à mon tour. Cette fois, je lui prenais le bras, pour déambuler sur le tapis de neige et d’épines de pain. Il avait choisi un endroit parfait. La nature était mon refuge ces temps derniers. “Bonne année Tyrgan. Tout ce que tu veux aussi.” J’étais trop distraite intérieurement pour le dire avec assez de conviction. Je ne pensais pas à l’année. Je ne pensais pas à 2026. Je n’avais que faire des élections. Je ne pensais qu’à chaque minute qui se passait loin de Prem. Loin d’un bonheur possible. “ … oui, on se verra… sans doute, oui.”
Tyrgan prononçait à peine la question attendue, que je serrais son bras plus fermement. J’avais tout à lui dire. Mais, je ne savais pas comment le faire. C’était si inhabituel de lui parler de moi. Je veux parler de moi intimement. Personnellement. J’avais regretté durant des jours ma confidence sur Edward. A présent, je trouvais mes hésitations passées parfaitement insipides. “ … Je... ” La salive me manquait. Mes entrailles se nouaient davantage. “ Il y a quelque-chose… ” Mes yeux me brûlaient déjà. Je retenais ces larmes de désespoir. Je savais que ça n’avait rien à voir avec le vent. Même la veille de mon mariage je n’avais pas été aussi nerveuse. Je n’avais encore dit à personne ce qui se passait. Je n’avais pas pu concrétiser. Je savais que le dire allait ouvrir mon cœur à sa vue.
“ J’ai… ” Je m’arrêtais. Il fallait que je respire. Je prenais un peu d’air heureuse de ne pas être corsetée. “J’ai rencontré un homme.” Je plongeais mes yeux dans les siens. Je sentais comme si la glace s’écartait sous mes pieds. Je n’avais rien pu avaler depuis la lecture de la lettre. Je ne pouvais pas. J'étais suspendue entre deux mondes. “ Tyrgan, je suis amoureuse.” Le sourire de Prem se matérialisait mentalement. J’étais tiraillée entre un bonheur immuable et une tristesse égale. Doucement, je venais chercher la présence de mon vieil ami, juste avant que mes épaules commencent à trembler d’épuisement et de tristesse. “ J’ai peur… Tyrgan. J’ai peur.” Le dire à quelqu’un me faisait du bien. Je n’avais plus à supporter ça toute seule.
Tyrgan fronça les sourcils en sentant la pression sur son bras. Il posa sa main sur la sienne pour l’encourager à parler. Il était venu pour l’écouter, elle pouvait lui parler de tout. Ils avaient partagé de nombreux moments ensemble pendant leur enfance. S’ils étaient plus éloignés l’un de l’autre aujourd’hui, Tyrgan se promit intérieurement de corriger cette malheureuse erreur. Cependant, voir les yeux bleus de Violet s’embuer de larmes le saisit, et ce qu’elle lui dit lui coupa le souffle. Immédiatement, il la serra entre ses bras.
C’était merveilleux d’être amoureux, et d’être aimé en retour. Violet devrait être aussi légère qu’un nuage, mais elle avait peur, et Tyrgan croyait en savoir la cause. Ce n’était pas que le fait qu’elle soit mariée à Edward, mais également tout le reste… Violet avait partagé avec lui la pression mise sur l’aîné de la famille. Cette pression d’être parfait en toutes circonstances, et de faire ce que l’on attendait d’eux, c’est-à-dire, de choisir un partenaire adéquat et faire des enfants. Il se souvenait parfaitement de la conversation que son père avait eu avec lui au sujet des maîtresses. Qu’il pouvait en avoir si… le mariage ne le satisfaisait pas, mais d’être discret. En gros, faire ce qu’il fallait pour perpétuer le nom. Le bonheur n’avait pas grand chose à faire dans tout cela.
Et encore, ses parents avaient été cléments avec lui, en le laissant choisir sa femme, ou presque. Bien entendu, s’ils avaient été encore là, ils n’auraient jamais accepté qu’il épouse Lowri. En faire sa maîtresse peut-être, mais sûrement pas sa femme. Seulement, ils n’étaient plus là pour lui dire ce qui était préférable ou pas.
Violet était dans une situation bien différente. Elle avait subi pire pression que lui, c’était certain, puisque ses parents étaient toujours là, et que le mariage de Violet avec le Baron leur avait sauvé la peau. Violet, même jeune, avait toujours montré cette image parfaite et sans faille d’elle-même. Un modèle, selon feue sa mère, qui avait tant voulu que Rose soit comme elle. Tyrgan l’avait toujours cru solide malgré les épreuves. Plus solide que lui même… mais elle avait rencontré quelqu’un, et elle l’aimait. Et tout cela était compromis… évidemment, elle avait peur de tout perdre. S’il avait été à sa place, il aurait aussi eu peur.
Il la libéra de ses bras pour continuer de marcher à ses côtés. «Je suis heureux pour toi Violet. Vraiment. » lui assura-t-il, un sourire chaleureux sur les lèvres. « Tu mérites d’être aimée, par quelqu’un de bien. Est-ce que je le connais? » Après tout, le monde de la noblesse est petit, à moins que ce ne soit pas un noble. Peu importe, vraiment. Du moment qu’elle était heureuse avec cet homme. Il espérait que parler un peu de lui calmerait sa pauvre amie, et la rassurerait pour la suite. Rose avait toujours été la plus douée pour réconforter les gens. Qu’est-ce que Rose lui dirait, se demanda-t-il.
Sa soeur n’hésiterait pas, et ne mâcherait pas ses mots pour lui faire connaître le fond de sa pensée. Tyrgan voulu toutefois essayer de ménager son amie… tout en étant franc, comme sa chère soeur.
« Écoutes… Il y a de très bons avocats spécialisés en divorce en ville. » Il avait d’ailleurs un vieil ami de l’université qui avait ouvert son cabinet ici. Un écossais, tout comme lui, qui n’avait aucun sentiment particulier envers la couronne et les lords anglais. « Je peux venir les rencontrer avec toi, si tu veux, et ils t’expliqueront… comment procéder. Ça pourra peut-être être rassurant, de savoir à quoi te préparer. Je peux te loger dans mon appartement, à Londres, si tu as besoin. » Des démarches concrètes étaient peut-être ce qu’il fallait à Violet pour avancer. Savoir également qu’elle ne serait pas seule…
Cependant, cela faisait sans doute beaucoup d’un seul coup, et Tyrgan ralentit quelque peu le rythme de ses pensées. «L’important est que tu ne sois plus avec Edward, et il vaut mieux que ce soit plus tôt que tard. Tu as la chance de ne pas avoir eu d’enfant avec lui, sinon, ça aurait grandement compliqué les choses, mais là, tu peux te débarrasser de lui. » En effet, avec des enfants, elle aurait forcément été obligée de supporter le Baron encore longtemps, jusqu’à la majorité de leurs enfants. Cependant, elle n’était jamais tombée enceinte de lui. C’était maintenant qu’elle devait saisir sa chance. « Il n’a même pas besoin de savoir que tu vois quelqu’un d’autre. En fait, il ne vaudrait mieux pas qu’il le sache du tout. »
Je me trouvais quelque peu ridicule de fondre en larmes dans les bras de Tyrgan. Mais, je n’arrivais pas à les contenir. C’était très déstabilisant. Car je ne pleurais pas, ou peu. Je savais prendre sur moi. Je savais faire bonne figure. Mais en ce moment, comment vous décrire mon Oncle ? Je me comparais plus à un radeau. Un radeau qui se trouvait au milieu d’une tempête. Je me déchirais entre mes devoirs et mes désirs. J’étais ballottée par mes émotions. Les nerfs à vif. Le cœur ouvert aux quatre vents. Je m’étais fait une idée sur ce que devait être l’amour. Mais j’étais loin du compte. Très loin...
Tyrgan ne pouvait pas connaître Prem. Ce n’était pas possible. Il ne fallait pas que ce le soit. Autrement, cela voulait dire qu’il n’était pas en sécurité. J’essayais donc de ne pas répondre de façon abrupte. J’étais consciente qu’il ne cherchait pas du tout à mal. Il essayait d’être amical. J’en étais touchée.
“Non...” Lui répondis-je certainement trop brusquement. Je ne voulais pas lui cacher les choses. Mais je ne pouvais pas mettre cet homme en danger par ma faute. J’avais déjà fait assez de dégâts. D’autant que je ne savais même pas si Prem acceptait de me voir. Notre dernier échange épistolaire me remplissait tellement de questions, tellement d’espoirs, et tellement de doutes. Je ne savais pas du tout ce qu’il allait se passer. J’étais d’ailleurs très nerveuse de le savoir sur le terrain. “ S’il te plaît… ne me demande pas qui c’est. Pas maintenant. ” Pas avant que je sache où nous allions. Si même, nous allions quelque part ?
J’ignore ce que j’espérais en venant le retrouver dans ce parc ? Qu’il me décourage ou bien l’inverse. J’étais dans un tel chaos intérieur que je n’arrivais pas à penser. Je vivais dans le centre d’un cyclone. Je voulais. Je voulais quelque chose de très simple en vérité. Je voulais laisser le monde tel qu’il était. Je voulais oublier les enjeux. Les responsabilités. Je voulais présenter mes chevaux à Prem. L’écouter jouer de la sitar. Je voulais vivre mon histoire d’amour avec lui. L’aimer aussi fort que je le pourrais.
“Mais et Iris ? ” Nos parents étaient des vieux nobles. Ils suivaient toutes les règles. Ils me répudieraient. Comme Rose l’avait été. Je deviendrais une femme ordinaire. Cela me faisait moins peur que de renoncer au bonheur. Mais Iris ? Que deviendrait-elle ? Comment ferait-elle ? Tout ce que je supporterais aujourd’hui reviendrait sur ses épaules. Nous avions toujours convenu qu’elle serait moins contrainte que moi. Pour que ma soeur ait une vie plus libre. “Elle va se retrouver toute seule.” Lui disais-je alors que la culpabilité venait peser avec le reste.
Je n’avais pas pensé aux enfants. Je n’y pensais pas parce que cela me faisait peur d’imaginer le Baron Noir comme père de mon enfant. Je n’avais pas de contraception. Nous n’en avions pas l’ “utilité” puisque nous devions enfanter. Je n’y avais d'ailleurs pas songé non plus après la nuit passée avec mon journaliste. Ce n’était que quelques semaines plus tard, en ayant mes règles, que j’avais réalisé le risque que j’avais pris. Quoi que je n’étais pas même certaine que cela aurait été un souci étant donné mes “soucis” médicaux.
“ Mais qu’est-ce que je vais dire ?” On me l’avait assez dit et répété, pour que je sache que la Loi était du côté de l'Époux. Une femme n’avait pas le droit d’abandonner son domicile conjugal. “ Tu crois que Peter… Je ne sais pas. Il est plus lié à Père… Seigneur.” Peter était mon ami. Mais, il avait des devoirs envers mes parents avant toute autre chose. Je ne pouvais pas le placer devant un tel dilemme. Ce n’aurait pas été juste de ma part. Je ne voulais faire de mal à personne. Je voulais juste… Étais-je égoïste ? Oui.
Edward, ses parents, mes parents, n'accepteront pas. Le Scandal qui les éclabousseraient. L’alliance trahie entre les deux familles. Ce n’était pas aussi simple que Tyrgan le pensait. “... Tyrgan. Ils ne me laisseront jamais partir. Ils ne peuvent pas. Sans ce mariage… ” Je n’avais jamais dit à mon beau Duc ce qu’il en était de notre situation financière des Hanovre. A moins de cinq ans, le capital familial avait été divisé de quasiment la moitié. La Principauté avait dû revendre des terres, aux Français, aux Espagnols, aux Hollandais. Père redoutait une banqueroute plus que sa propre Mort. Si je lui apprenais que je quittais Edward… “Je les obligerait à vendre.” Ce que j’avais essayé d'expliquer à Prem dans l’une de mes lettres. Ca n’avait rien d’évident de mettre sa famille de côté. Surtout quand on grandissait dans la mienne.
On m’avait avant tout enseigné la loyauté. La Fidélité. La Couronne s’en mêlait peut-être. J’étais persuadée que ma Mère ne supporterait pas l'opprobre. La honte portée à son nom et à sa famille lui ferait perdre pied. Je serais le bourreau de mes parents. “ Ils vont me haïr. Mes Parents. Iris. Tous… ” Je serais sans eux. Il fallait que je le vois. Que je vois Prem. Que je lui parle avant de décider quoi que ce soit. “ Mais s’il ne veut pas d’une vie avec une Princesse déchue ? Qu’est-ce que je ferais ? Qu’est-ce que je dois faire… Peut-être que je suis simplement folle. Peut-être que je vois un avenir où il n’y en a pas ? On se connaît à peine. Est-ce que je dois parier mon avenir sur une nuit d’amour ? Tyrgan ? … ” Est-ce que je n’étais pas tout simplement entrain de m’inventer des histoires ? Parce que j’étais malheureuse dans ma vie. N'étais-je pas en train de prendre une étincelle pour un feu ? Que savais-je de l'amour après tout ?!
Tyrgan hocha la tête « Je comprends ». Ce qu’elle vivait était peut-être trop douloureux pour qu’elle ne veuille évoquer le nom de cet homme dont elle était amoureuse. Ainsi, Tyrgan n’insista pas, et serra gentiment la main de son amie si tourmentée. Elle semblait porter le poids du monde sur ses épaules, le poids de son monde à elle, certainement. Elle s’en faisait à propos de sa soeur, Iris, de ses parents qui manquaient d’argent, et qui pourtant, étaient loin d’être dans le besoin. Ni lui, ni Edward, ni Violet, ni Iris, ni ses parents ne savaient ce qu’être dans le besoin était.
« Je suis certain qu’Iris sera de ton côté. Vous vous entendez bien toutes les deux, n’est-ce pas? Tu devrais lui parler de tout ça évidemment, en temps et lieu peut-être. » D’autant plus qu’Iris ne semblait pas lui avoir paru être une grande fan d’Edward non plus. Si elle voulait le meilleur pour sa soeur, comme il voulait le meilleur pour son amie, Tyrgan était certain qu’elle l’encouragerait. Iris avait du caractère, tout comme sa soeur. « Tu n’auras qu’à dire la vérité Violet. Que tu n’aimes pas Edward, que tu ne le supporte pas… que tu es malheureuse, au moins. » Bien sûr, un mariage arrangé pouvait être serein sans qu’il n’y ait d’amour entre les partis, mais dans le cas de Violet, Edward était froid, et peut-être pire encore.
Pourtant, sans ce mariage, les parents de Violet seraient forcés de vendre leur domaine. Le désespoir dans la voix de son amie lui fit serrer les dents. Violet avait reçu la meilleure éducation possible, avait vécu une vie remplie de privilèges et de richesses, et tout ça pour quoi? Tout ça pour que ces parents s’en servent comme monnaie d’échange. Dire que Rose aurait pu subir un pareil sort. Il était heureux qu’elle se soit enfuie. Les parents de Violet avait préféré vendre leur fille plutôt que leur château, plutôt que de renoncer au mode de vie extravagant auquel ils étaient habitués, plutôt que de laisser leur fille choisir, plutôt que de laisser leur fille avoir une vie.
C’était injuste, mais Violet avait probablement raison. Ces parents ne lui pardonneraient sans doute pas. « Iris ne te détestera jamais voyons. Quant à tes parents, je te promets que s’ils t’aiment vraiment, ils regretteront de te renier. Mes parents l’ont regretté, avec Rose. » À la fin, sa mère pleurait souvent sa fille qu’elle avait perdue, et son père pareillement. Cela avait un peu apaisé Rose, de savoir qu’ils lui avaient pardonné.
Au détour du lac qui libéra le ciel de la cime des arbres, Tyrgan poussa un soupir. « Pour le domaine… je peux peut-être essayer de parler à tes parents, et les convaincre de louer, plutôt que de vendre. Ou peut-être veux-tu le faire? Je sais que le retour en capital n’est pas aussi significatif que la vente, mais c’est payant à long terme. » Pour le coup, Tyrgan savait parfaitement de quoi il parlait. Les Campbell avaient acquis des milliers d’hectares dans leurs conquêtes et batailles. Si aujourd’hui, il devait posséder entièrement toutes les propriétés que sa famille louait, lui aussi, ferait banqueroute. Cependant, la location de propriété avait été la raison de leur richesse, entre le château de Taymouth transformé en hôtel et en terrain de golf, les dizaines de terres en culture, et tout le reste. « D’ailleurs, le domaine Hanover pourrait devenir un merveilleux parc, comme celui-ci, ou même un centre équestre, pourquoi pas! » Ça lui donnait presque envie de l’acheter tiens… mais il n’avait pas ce genre de fortune à dépenser.
« Évidemment que non, je ne te conseillerai jamais de tout abandonner pour un inconnu. S’il ne veut pas de toi parce que tu n’as plus de titre, et bien laisse-moi t’annoncer qu’il est idiot. » dit-il, franchement. « Mais ça ne veut pas dire que je crois que tu devrais t’obliger à supporter Edward. Pourquoi ne pas rester célibataire quelques temps, et réapprendre à te connaître? Tu as de l’argent de côté, n’est-pas? » Tyrgan ne pouvait croire qu’elle n’avait rien du tout. Ou que son fameux oncle ne l’aidait pas quelques fois financièrement. En même temps, Violet n’était pas la personne la plus économe qu’il connaissait.
Je ne croyais pas que mon malheur individuel comptait dans le calcul parental. Comment cela pourrait être alors qu’ils s’étaient mariés dans les mêmes conditions que moi ? Ils étaient convaincus que la continuité de la dynastie justifiait tous les efforts et les sacrifices. Ils ne pouvaient pas entendre que je ne pensais plus ainsi maintenant. Ceci dit, Tyrgan avait raison, sur le fait qu’Iris et moi avons une belle relation. Peut-être serait-elle de mon côté ? Elle se trouvait chez nos parents en ce moment. Je pouvais trouver un prétexte pour aller lui rendre visite.
“ Ils sont en train de prévoir son mariage avec le fils Leicester. ” Il finirait par le savoir de toute façon. Iris et Arthur se voyaient régulièrement depuis leurs présentations au Gala. Les Blakemore étaient l’une des plus anciennes lignées. lls étaient de grands défenseurs de la Couronne. Ils ne verraient pas du tout d’un bon œil qu’une Princesse monégasque renonce à son titre pour un journaliste… indien. “ Elle sera forcément éclaboussée par le scandale. ”
“ Je ne sais pas Tyrgan... ” Mère n’était jamais revenue sur sa position. Même quand je lui avais fait part de mes craintes. Même quand j’avais tenté de lui dire que je ne me sentais pas “à l’aise” avec Edward. Elle m’avait seulement dit d’être patiente. Que le temps allait nous aider à trouver un équilibre. C’est tout. “ Je crois que ce qu’ils aiment c’est ce qu’ils voient.” Comment savoir ? Il était impossible de leur parler de choses personnelles. Ils s’arrangeaient toujours pour contourner le sujet.
“ Louer Hanover ? ” Louer la terre de nos ancêtres. C’était notre patrimoine. Il était historique. Il participait à l’histoire du royaume. Cela me paraissait insensé! Tout en moi s’opposait à cela. Mes principes, mon cœur également, étaient contre l’idée. Cela aurait été comme renoncer à ce qui faisait notre nom. Je fixais Tyrgan. Je savais qu’il était meilleur gestionnaire que je ne le serais moi-même. Il était progressiste. J’essayais de me placer dans son état d’esprit. Si j’étais pragmatique. Si j’excluais le caractère affectif… Iris ne serait pas contre un calcul aussi raisonnable. “Un parc... ” Ce n’était pas si idiot. C’était simplement choquant. Cela allait à l’encontre de tout ce à quoi je m’étais préparée. “ Peut-être, oui… ” C’était une façon très différente de concevoir le patrimoine terrien et de le gérer. Cela aurait également des conséquences sur notre place dans l’Aristocratie. Enfin de leur place auprès du Trône. “Je ne sais pas si j’arriverais à le faire toute seule. ” Je pouvais parler calmement avec le Père. Mais, Mère ne me laisserait jamais aller jusqu’au bout de l’idée. Elle me contrerait avant que je termine. Je n’étais pas assez sûre de moi pour arriver à lui tenir tête. Pour leur présenter un pareil projet, je devais le maîtriser. Je devais savoir. “ Forme moi plus précisément sur ce système de location. ” Je n’étais pas comptable. Mais j’avais un esprit logique et j’apprenais vite. Tous les précepteurs le disaient. Lowri aussi m’avait dit que j’étais une bonne élève.
Je m’en voulue que Tyrgan puisse envisager que Prem soit un idiot. Ce n’était pas le cas, pas le cas du tout. Mes émotions prenaient le dessus. Je ne rendais pas justice à cet homme et à sa bienveillance envers moi. Cette trahison involontaire me heurtait. Je sentais mes yeux s'humidifier lentement. “ C’est moi qui suis idiote Tyrgan. Si seulement, je savais me contenter de ce que j’ai. Ça ne serait pas arrivé. Je ne l’aurais pas rendu si malheureux. ” Cela me fendait le coeur. Autant, si ce n’est plus que l’idée de mettre mes parents dans l’inconfort. “ Ce serait plus facile, s’il était là.” Lui avouais-je d’une voix pudique. Prem me rendait courageuse.
La proposition de Tyrgan accentua ma confusion générale. Je ne m’étais pas du tout imaginé cette possibilité. Je partais du principe que quitter Edward était une façon de trouver Prem. Je n’avais même pas pensé à moi. Je ne m’étais pas posé la question d’une vie seule. Une vie sans un homme à mes côtés. “ Je… vivre toute seule ? ” L’idée s’imprégnait dans mon esprit. Pourquoi n’y avais-je jamais pensé ? Une vie qui serait à moi. Sans baron noir. Sans pression familiale. Cela paraissait presque trop séduisant pour être envisageable. “ Je ne sais pas, si je saurais faire ça Tyrgan.” Me retrouver toute seule…
La question de l’argent ne pouvait pas être évitée. “ Un peu oui... ” Seulement parce que vous et Parrain m’aviez recommandé de faire un peu de gestion financière. Je m’étais renseignée auprès du banquier de Père. Une partie de ma dote avait été donnée à la famille Crawley. Je n’y avais pas le droit. Mais avec le mariage j’avais eu un accès à une partie de mon héritage. “ Pour pouvoir créer mon haras. ” Enfin c’était ce que je rêvais de faire depuis longtemps. J’avais compris des nos fiançailles, qu’Edward ne le voudrait pas. Il me l’avait confirmé dans les premiers mois du mariage. J’avais donc mis une petite somme en bourse. Je m’étais les dividendes sur un compte à mon nom. Je ne savais pas quelle était la somme exacte. Il n’y avait pas de quoi vivre une vie entière. Qu’avais-je d’autre ? L’appartement qui était ici. Vous me l’aviez offert. Père ne pouvait certainement pas me le reprendre. “ Je pourrais avoir une belle somme en vendant les chevaux. ” La simple idée de me séparer d’eux me crevait le cœur. Mais, je commençais au moins à comprendre quel était le prix d’une liberté.
“ Tu crois que je pourrais faire ça ? Je ne suis pas aussi débrouillarde que Rose… Je… je ne sais rien faire. Pourquoi ne nous apprenons pas ces choses-là ? ” Si ce n’était organiser des galas et faire des balades à cheval. J’étais si fière de réussir mes soirées. Maintenant, je me trouvais ridicule. Comment Pearl faisait ? Comment Rose avait fait pour survivre ? Je revenais me lover contre son frère. J’avais besoin de chaleur humaine. Que n’aurais-je pas donné pour retrouver Prem et ses bras réconfortants.
Iris était donc fiancée à l’héritier du compte Leceister? C’était plutôt un bon parti… Les Blakemore étaient très respectés, mais aussi sans tache, sans scandale. Reviendraient-ils sur leur décision quant au mariage d’Iris avec leur fils en apprenant que Violet serait déshéritée? C’était une possibilité que Tyrgan n’avait pas envisagé, mais que, maintenant que sa chère amie l’avait évoqué, il ne pouvait pas ignorer. « C’est vrai… elle en sera affectée » admit-il finalement. Le départ de Rose avait humilié ses parents et diminué le nom des Campbell, c’était indéniable. Violet aimait peut-être cet homme, mais elle aimait aussi sa soeur, et refuserait sans doute de l’impliquer dans un scandale.
Quant à l’idée de louer la terre de sa famille, le lieu où elle avait grandi, Violet sembla d’abord choquée par sa proposition. Ce devait être contraire à ses principes, mais à moins que les finances des Hanover soient pires que ce qu’il croyait, c’était un projet qu’il croyait possible. « Un parc ou autre chose! Par exemple, le château de Taymouth était l’un des sièges des Campbell, et beaucoup plus grand et beau que le château d’Inveraray. Aujourd’hui c’est un hôtel et un terrain de golf magnifiques, et il rapporte beaucoup. » Tyrgan expliqua les grandes lignes du bail. Évidemment, le terrain et les bâtiments devaient être en excellente condition, et les grands travaux de rénovation étaient à leurs frais. La compagnie hôtelière qui louait le site engrangeait des revenus substantiels, Tyrgan recevait le très généreux paiement du loyer chaque mois, bref, tout le monde y trouvait son compte. Les Hanover pouvaient exploiter leurs terres de la même manière, à condition de mettre leur orgueil au tiroir. Ils n’étaient plus les maîtres de l’Europe.
Ils n’étaient plus maîtres de grand chose finalement, comme l’était la plupart des nobles, mais Violet pourrait peut-être être maître de son coeur. Tyrgan serra doucement la main de Violet dans la sienne, en voyant les larmes lui monter aux yeux. « Tu ne devrais pas être si dure envers toi-même. Je suis certain que tu as fait tout ce que tu pouvais pour ce mariage. » Seulement, elle ne pouvait pas le porter seule, et sans amour. Mais avait-elle réellement rendu cet autre homme malheureux, comme elle le prétendait? Était-ce terminé entre eux, après une unique nuit passée ensemble? Pourquoi tellement de chagrin? L’avait-il rejeté?
Le visage de Tyrgan se durcit, et il se demanda si l’homme dont elle était amoureuse avait simplement voulu profiter d’elle. Un homme manipulateur qui avait décelé sa solitude, avait gagné sa confiance et son amour, et une fois son trophée de chasse récupéré, avait prétendu quelconque excuse pour ne pas la revoir. Était-ce cela qui la mettait dans cet état? Autant Tyrgan souhaitait voir son amie libérée d’Edward, autant cet homme mystérieux dont elle était amoureuse ne lui plaisait pas du tout. Vivre seule était sans doute le plus prudent.
Tyrgan accueilli de nouveau Violet dans ses bras. « Je suis sûre que tu le peux Violet. Pourquoi ne pas te remettre à l’équitation? C’est ce que tu aimes le plus, pas vrai? Rose me dit que tu es excellente avec Archie. Je crois qu’il n’y a qu’à moi que tu ne peux montrer » dit-il, la taquinant gentiment. « Peut-être pourrais-tu discrètement te faire engager dans une école d’équitation? Tu as tout de même gagné des prix, n’est-ce pas? » Elle devait être un peu connue dans ce milieu, par d’anciens professeurs peut-être. Tyrgan l’avait plusieurs fois vu courser de ses propres yeux, et il en avait toujours été impressionné, lui qui n’avait jamais réussi à avoir le moindre contrôle sur cet animal. « Ce n’est qu’une suggestion, bien sûr. L’important est que tu ne sera pas avec Edward. Quant à cet autre homme… » Tyrgan hésita avant de parler « … sois bien certaine qu’il t’aime vraiment. Dans tous les cas, quitter ton mari pour l'indépendance plutôt que pour quelqu’un d’autre sera peut-être moins… scandaleux, et plus prudent. »
Je contenais péniblement un soupir de désespoir. J’étais désespérée car je ne voyais aucune issue possible à mon problème. Je ne voyais pas d’horizon ensoleillé. Jamais je ne me m’étais sentie aussi contrainte que ce jour-là. Devais-je donc regretter d’avoir fait la rencontre de Prem Hadid ? Devais-je regretter d’avoir revu Rose ? D’avoir discuté avec Peter ? D’avoir été voir la vie de Lowri ?
“ Du golf. ” Un sport prisé au sein de la bonne société anglaise. J’avais eu droit à une initiation pendant un de nos séjours en Ecosse. Je n’avais pas vraiment aimé. Je trouvais cela ennuyeux. J’avais du mal à imaginer un parcours de golf derrière le château des parents. Mais, je n’avais pas le luxe de faire des manières. Je devais écouter toutes les options envisageables. Je me montrais très attentive pendant l’exposé de Tyrgan. “ Même si je trouve ce concept très pragmatique. Papa est bien trop fier pour l’envisager.” En fin de compte les apparences devaient être maintenues. Nous devions avoir la superbe des Rois et des Reines. Ni lui, ni mère, n’étaient prêts à renoncer à leurs principes. Ou en tous les cas à quelques-uns de leurs principes. “Ils ne m’écouteront jamais.” J’étais pincée. Oui. Car depuis que j’étais la Baronne de Crawley nos rapports avaient changés. Nous n’étions plus en aussi bon terme. Je faisais mon possible pour ne pas leur reprocher leur attitude à mon égard. Mais plus la situation se dégradait au manoir et plus je les en accusais. “ Nous ne nous parlons plus beaucoup. ” Iris serait peut-être une émissaire talentueuse. Encore fallait-il qu’elle adhère complètement à ce projet … fou.
“ Oui… Il refuse toute preuve d’affection de ma part. Je… n’arrive pas à savoir ce qu’il me reproche vraiment.” Les premiers mois j’avais pensé qu’Edward n’aimait pas les relations sexuelles. Mais c’était les relations sexuelles avec moi qui semblaient ne pas lui convenir. J’avais l’impression de l’incomoder. “ Toi tu es un homme. Tu peux me le dire. Est-ce qu’il y a quelque-chose de rebutant chez moi ? ” Je n’aurais jamais osé poser une telle question avant. Trop embarrassée par les restes de cet amour platonique pour lui. Mais mon coeur était à un autre homme maintenant. Un homme qui n’avait montré aucun signe de dégoût devant mon corps. On ventait mon physique depuis aussi loin que je me souvienne. Je ne m’en étais pas glorifiée. Mais, je ne comprenais pas.
Tyrgan ne pouvait pas savoir lui, que c’était le rêve dont je m’étais ouverte à Prem le soir où… Des images de notre soirée au temple s’imposaient dans mon esprit. Je le revois me sonder du regard en posant sa question. Le sourire chaleureux sur son visage si charmant. Il me manquait. “ Je suis allée au Nationales oui. Mais cela remonte à quelques années maintenant. Je ne fais plus de compétitions. ” Je pensais à Mrs Richards. C’était elle qui m’avait formée. Nous nous écrivions encore pendant mes fiançailles. Elle était présente au mariage. Mais je ne lui avais pas écrit depuis. “ Je peux toujours aller les voir. Pour… prendre des nouvelles. ” Proposais-je pour un alibi valable. Quoi qu’il en soit de l’avenir cela me ferait du bien de revoir mon modèle.
Quitter un baron pour une indépendance. Divorcer sans raison autre qu’un manque de respect. Cela ne s’était jamais vu. Même Lady Diana avait résisté au scandale. Mais aurais-je autant de chances ? Pourrais-je vivre cette vie ordinaire dont nous parlions dans nos lettres ? Je savais maintenant la différence -cruelle- entre le rêve et la réalité. J’avais rêvé d’un époux. Mais la réalité était à l’opposé de tout ce que j’imaginais. “ Je ne sais pas s’il y a quoique ce soit de prudent dans tout cela. ” Mais, allais-je passer une vie à redouter l’homme avec qui je partageais mon toit ?
“ Je crois qu’il m’aime Tyrgan. ” Prem me l’avait écrit. J’avais confiance en ses mots. Bien avant de le rencontrer j’avais eu fois en sa parole. Avant de tomber amoureuse de lui, j'avais estimé son avis. “Il faut bien qu’il m’aime. Autrement, j’aurais un cœur brisé. ” Lui disais-je sans ciller. Je n’avais que faire du caractère dramatique de cette affirmation. Elle était sincère. Elle était juste. Je ne pouvais imaginer que Prem ne m’aimait pas. Pas après m’être réveillée près de lui ce matin-là. Tout était limpide et simple. Tout était clair. Cela ne s’inventait pas. “ Je sais l’impression que cela peut donner oui. La petite princesse qui a un émoi. Mais Tyrgan, je sais ce que mon coeur me dit. ” Oui, j’avais conscience de dire tout et son inverse. Mais c’était le droit d’un cœur tiraillé et passionné, n’est-ce pas mon oncle.
Je ne faisais pas attention à ce qui se passait autour de nous. Malheureusement, je sais aujourd’hui que j’aurais mieux fait d’être plus prudente. J’aurais alors peut-être remarqué l’ombre dissimulée derrière le gros chêne nu. “ Tu crois que je peux me tromper ? Tu crois qu’un cœur peut mentir ? Je ne vois pas comment cela est possible. Le mien se met au diapason du sien. Il suffit qu’il sourit pour que j'ai envie de sourire. On ne triche pas avec ça. ” Je plongeais mes yeux dans les siens pour y lire des réponses. “ Est-ce que tu as déjà ressenti ça Tyr ? Cette impression que … que le monde est devenu… magique ? ” Le mot sonnait comme enfantin. Pourtant il décrivait à merveille l’enchantement que Prem avait distillé dans mon monde intérieur. C’était un cadeau unique. Je savais que je lui en serais reconnaissante. Même s’il se trouvait qu’il ne voulait en fait plus de moi… Etait-ce stupide ?
Au final, se serait peut-être la vanité du prince de Hanovre et de sa femme qui causeraient leur perte, plutôt qu’un manque d’héritier mâle. Leur situation financière n’avait, après tout, rien à voir avec Violet. « Eh bien… Ils n’auraient jamais dû miser leur mode de vie sur ton mariage avec Edward. C’était imprudent. » Pour ne pas dire idiot. Comment une famille aussi prestigieuse et ancienne que les Hanovre en était arrivée là? Leur dynastie n’était plus l’ombre de ce qu’elle était, mais visiblement, les parents de Violet n’acceptaient pas leur situation. Ou du moins, ils ne la voyaient pas telle qu’elle était. Peut-être était-ce pour cela qu’ils n’écoutaient pas leur fille. Entre ses parents qui ne voulaient rien entendre, et Edward qui ne lui offrait aucune affection, la chose la plus étonnante, finalement, n’était pas que Violet se soit trouvé un amant, mais qu’elle ne s’en soit pas trouvé un plus tôt!
« De… rebutant? » bafouilla-t-il en clignant des yeux, pris de court par la question de son amie. « Absolument pas! Spirituellement ou… physiquement, d’ailleurs. Je ne peux croire qu’Edward ait quelque chose à te reprocher à ce niveau-là. Ou à quelque autre niveau! Il… Je ne sais pas pourquoi il ne te trouverait pas jolie, Violet. » Edward devait être mort à l’intérieur pour ne ressentir aucune attirance envers sa femme. Ou lui aussi, voyait quelqu’un d’autre, mais Tyrgan se garda de formuler quelque spéculation à ce sujet. « Puis même si tu n’entres pas, disons… dans ses préférences naturelles, ce n’est pas une raison pour ne pas être affectueux envers toi. »
Maintenant qu’il savait tout ça, Tyrgan se reprochait encore plus de lui avoir accordé son siège. Très peu de solutions s’offraient à Violet, et aucune n’était vraiment convenable, que ce soit pour elle, pour ses parents, ou pour Edward. Quelqu’un souffrirait quelque part, peu importe ce qu’elle choisirait. Quoi qu’il en soit, Tyrgan ne pouvait pas choisir à sa place. Suivre son coeur pouvait être dangereux, mais il aurait été bien hypocrite de l’aviser contre cette voie. Tyrgan écouta Violet affirmer que cet inconnu l’aimait bel et bien. Elle décrivait parfaitement ce qu’il ressentait, lorsqu’il était avec Lowri.
La culpabilité le fit baisser les yeux au sol. Il avait appréhendé le moment où il devait lui parler de Lowri, mais la question que Violet lui posa ne pouvait être répondue sans qu’il ne parle d’elle. « Oui… Je connais cette impression. J'aime aussi quelqu'un. Et tu la connais. » confessa-t-il, en levant finalement ses yeux vers son amie. Tyrgan poussa alors un soupir, en comprenant qu’il n’y avait sans doute pas une meilleure manière d’expliquer tout ça à Violet que de simplement admettre que cette histoire était plus compliquée qu’il ne l’aurait voulu. « Lowri Conway. » dit-il, avant de commencer ses explications. « Je sais que tu la crois fiancée à ton ami, Peter Adeane, parce qu’ils se sont entendus pour faire croire cela à leur entourage. Je n’étais pas au courant de leur arrangement avant de rencontrer Lowri, et elle ne m’en a parlé que récemment. Je ne sais pas comment ils se sont rencontrés, mais elle a accepté de jouer le jeu parce qu’elle manquait cruellement d’argent. Peter avait besoin d’une fiancée parce qu’il aime les hommes, et qu’il en a honte. » Tyrgan ne pouvait savoir ce que c’était qu’être à la place de Peter, mais ce devait être horrible de devoir cacher une facette de soi, de sa vie, de devoir mentir et prétendre quelque chose que l’on n’est pas, même avec ses plus proches amis. « Je suis désolé que ce soit moi qui te l’apprenne. Sache que je n’approuve pas ce qu’ils ont fait. Ou en tout cas, qu’ils t’aient menti… Mais en même temps, je suis certain qu’ils n’avaient pas de mauvaises intentions de leur part...»
Etait-ce imprudent de compter sur un mariage raisonnable ? Nos familles le faisaient et ce depuis plusieurs siècles. Je connaissais de tête le nom de toutes mes aïeules et la dote qu’elles avaient amené dans leur trousseau de mariage. C’était ainsi que les lignées fonctionnaient. Pourtant, Rose Pearl, maintenant moi…. Quelque-chose changeait. Je ne pouvais pas nier cette réalité. “Ils ont réfléchi comme ils ont toujours réfléchi. C’est ma "rébellion" qui n’est pas normale. Je devrais… maintenir ce mariage et avoir des aventures secrets. C’est sûrement ce que ma mère me dira à mots couverts. ” Mais, voilà le souci, je n'en voulais pas du à moitié. Je voulais vivre en pleine lumière le bonheur. Peut-être était-ce moi le problème ?
“ N’est-ce pas ? Il est si… méchant. Je sens bien que je ne lui convient pas. Mais je fais ce que l’on m’a enseigné. Je n’y peux rien. ” Je faisais plus que ce qui m’avait été recommandé. Bien plus… Rien que d’y penser j’avais des frissons de dégoût. Je crois que s’il m’avait au moins remercié pour tout ça j’aurais trouvé l’envie de… faire selon ses attentes. Mais Edward ne savait pas dire “merci”. C’était un mot qui n’existait pas dans son vocabulaire. “ Tygran ? Crois-tu qu’il aime les hommes ? ” J’y pensais depuis quelque temps, c'est vrai.Des petites choses insignifiantes mais qui sont mises bout à bout… A la façon dont il observait ses collaborateurs. Dont il quémandait les domestiques masculins. Il n’avait eu de cesse de suivre un serveur des yeux pendant le Gala de Novembre.
En voyant qu’il regardait le sol, je me sentis tout à fait idiote. Je me doutais bien qu’il associait tout cela à mon romantisme naturel. Je ne me cachais pas d’aimer le romantisme. Ni d’aimer les belles histoires. “ C’est stupide. C’est ça ? ” Lui ôtais-je les mots de la bouche. Je trouvais que cela faisait moins de peine quand j’étais celle qui les disaient. Mais, il me surprenait en disant exactement le contraire. Tyrgan amoureux d’une femme ? C’était une nouvelle inattendue. Je me souvenais bien de notre conversation lors du bal. Mais entre-temps, sans doute avait-il fait une belle rencontre. Bien!
Je ne voyais pas du tout ce qui il pouvait être question. Si je devais refaire la liste de toutes les ladies en commun, cela allait être long! “ Donne-moi un indice! Son rang ? Une duchesse ? ” Cela permettrait d’éliminer des dizaines de possibilités. Voir des centaines! Il ne souriait pas. Il soupirait. S’attendait-il à ce que je sois déçue ? Après lui avoir avoué que j’aimais un roturier indien et journaliste. Il ne pouvait pas faire plus… atypique. “ Nan ! Lowri ? ! Mais! ” Non. Il se trompait. Assurément il se trompait. Puisque Lowri allait épouser Peter. Peter que je connais bien. Il était l’avocat de mes parents.
Stupéfaite. Voilà ce que j’étais maintenant. Stupéfaite de découvrir cette gigantesque supercherie. J’avais pris le thé avec eux. Ils avaient joué la comédie sous mon nez tout ce temps. Je les avais conviés au gala en tant que futurs époux. “ Non bien sûr. ... ” Bien sûr qu’ils avaient tout intérêt à préserver leur secret à la face du monde. Je ne pensais juste pas que cela impliquait “moi”. Je croyais que j’étais une de leur proche. Je croyais être une personne de confiance pour eux. Mais j’avais tort. J’avais tort sur toute la ligne. Je ne me sentais pas très bien tout à coup. Doucement, je tirais donc Tyrgan pour aller vers un des bancs. “ Tu veux bien qu’on s’assoit une minute ? Je… ” Bien entendu je comprenais la motivation qui était sous-jacente au mensonge. Je comprenais la stratégie. Ce que je ne comprenais pas en revanche c’était d’avoir inspiré de la crainte à Peter. Je ne connaissais pas Lowri depuis longtemps mais je croyais que nous allions pouvoir devenir amies un jour.
Enfin, ma peine pouvait attendre. Ce que je ressentais n’était sans doute pas aussi complexe que ce que devait vivre Tyrgan en ce moment. Il était amoureux d’une femme qui était coincée -elle aussi- dans une relation. Je prenais donc une profonde respiration pour retrouver mon calme. Je prenais les deux mains de mon ami dans les miennes. Elles étaient sur nos genoux couvertes de laine. “ Excuses-moi. C’est la surprise. ” Lui avouais-je à mi-voix. Je reprenais mon masque de rescousse pour chasser mes propres émotions et puis lui sourire. C’était le moins que je puisse faire après l’étalage de sentiments que je venais de lui servir. Je suis contente pour vous deux. ” Ce qui était vrai en soi. Ma déception ne se plaçait pas à cet endroit. De plus Tyrgan n’y était pour rien. Il venait de me dire qu’il ne cautionnait pas. C’était avec les deux autres que je devais éclaircir ça. Qu’allez-vous faire ? ” Venant à peine de voir la tactique je n’avais aucune idée de la façon dont on pouvait gérer une pareille situation. Cela me faisait simplement me rendre compte que nous étions tous les deux perdus dans le chaos.
Faire ce qu’on lui a enseigné… Tyrgan savait de quoi elle voulait parler. Les disputes entre sa mère et sa soeur à ce sujet avaient été nombreuses et irrésolues. Une femme devait soutenir son mari, peu importe ses défauts et ses fautes. Une manière de penser sans doute vieillotte et misogyne, mais qui était encore de rigueur, dans leur monde à eux. Lorsque Violet lui demanda s’il croyait qu’Edward puisse aimer les hommes, il haussa les sourcils. Il n’y avait pas songé, mais cela pouvait peut-être expliquer son désintérêt complet de sa femme. Il haussa les épaules « Je n’en sais rien, mais c’est possible. » Il n’avait certainement rien remarqué.
Tyrgan pouvait comprendre que, comme Peter, Edward ne tenait pas à ce que son secret s’ébruite. Dans les deux cas, les deux hommes avaient sa pitié. Surtout Peter. Être obligé de mentir à l’une de ses plus chères amies. D’ailleurs, en apprenant la vérité, le mensonge de Peter stupéfia davantage Violet que ses attirances, ce qui ne surprenait pas Tyrgan. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle avait toujours jugé les gens pour ce qu’ils faisaient, et non ce qu’ils étaient. « Ne t’excuse pas », dit-il, en s’asseyant avec elle sur le banc, face au lac. « J’étais aussi choqué que toi quand Lowri m’en a parlé ». Il aurait voulu l’avoir appris autrement qu’en découvrant Lowri avec Peter, le soir du Gala de bienfaisance de Violet. Il avait pensé au pire…
« Merci » murmura-t-il, un faible sourire sur ses lèvres. « J’aurai voulu te l’annoncer dans de meilleures circonstances ». Contrairement à d’autres de ses connaissances aristocratiques, il avait toujours été persuadé que Violet accepterait Lowri telle qu’elle était, qu’elle possède un titre ou pas. Ce n’était que naturel qu’en retour, il fasse de même, peu importe qui était cet homme que Violet aimait. À condition qu’il soit quelqu’un de bien, évidemment. « Tu es une amie remarquable Violet, tu le sais? » Il le pensait sincèrement. Plus que n’importe qui, Violet méritait d’être heureuse et de vivre pleinement son bonheur avec celui qu’elle aimait. Elle faisait tant pour les autres… elle devait commencer à s’occuper de son propre bonheur, et devenir heureuse.
« On habite ensemble depuis deux mois maintenant. Je l’aime vraiment, et je me moque qu’elle ne soit pas fille de duc, fille de comte ou fille de chef de clan, et ce que les autres en pensent. Cependant, ce serait mentir de dire que ça ne complique pas les choses. Si elle avait été noble, je crois que je lui aurais déjà demandé sa main. » admit-il candidement. Sur la plupart des sujets, la noblesse bougeait lentement, mais pas en ce qui concernait le mariage. Après quelques rencontres sous l’oeil des chaperons, peut-être une ou deux de plus en tête à tête, et hop, déjà les fiançailles, si bien qu’on connaissait à peine la personne avec qui on passerait le reste de notre vie. « Il y a un tas de choses que je dois aborder avec elle dont je n’ai pas osé lui parler encore. Je ne sais pas si elle a envie d’être duchesse et tout ce que ça implique. Elle a une vie qu’elle aime, et je ne veux pas la lui enlever. Je ne sais même pas si elle veut des enfants! » s’exclama-t-il en secouant la tête. Il savait depuis un moment qu’il en voulait. Depuis la première fois qu'il avait tenu son neveu Archie dans ses bras. Un fils, une fille, peu importe, c’est sans doute ce qui était le plus important pour lui. Même s’il aimait Lowri de tout son coeur, il ne pourrait pas rester avec elle, si elle ne voulait pas devenir mère. Ils se rendraient malheureux tous les deux.
Tyrgan poussa un soupir « J’ai peur de lui demander tout ça. On s’entend si bien que j’ai peur de tout gâcher. Ou qu’en entendant mes questions, elle panique, qu’elle me trouve brusque, ou que je vais trop vite… » Après tout, Lowri semblait plus prudente que lui. Ou c’était une question de mœurs et d’habitude. Tyrgan serra les mains de Violet, avant de se tourner vers elle. « … J’espère que cela va durer. J’ai confiance… Quoi qu’il advienne, sache que Lowri est désolée de t’avoir menti, Violet. Elle te prie de passer à sa boutique quand tu voudras. »
Je pouvais sonder Swan sur la question des attirances charnelles de mon cher époux. Il en parlait de façon libre et décontractée. Ce dont je pouvais me rendre compte depuis qu’Aidan avait entamé sa propre transition. Je manquais de culture, de connaissance sur les questions qui touchaient à ces choses-là. Ca ne faisait pas partie du cahier des charges des précepteurs pour éduquer une Princesse. Nous apprenions les règles de Dieu. L’homme et la femme étaient faits pour s’aimer jusqu’à ce que la mort les sépare. J’y avais cru. Pendant quelques semaines, j’y ai cru avec grande force. Mais, que pouvions-nous y faire ? Dans le fond Edward et moi étions chacun le prisonnier et le geôlier de l’autre. Non ? Ou bien me disais-je simplement pour apaiser la culpabilité ?
J’avais été naïve, me rendais-je compte. Christian n’avait jamais été l’ami de Peter. Il était son compagnon. Depuis tout ce temps, ces années, je ne m’étais rendu compte de rien. Je ne comprenais pas comment j’avais pu rester aveugle à une vérité qui me paraissait à présent si logique… “ J’aurais aimé ça aussi oui. On ne choisit jamais ce qui va nous arriver. ” En amour encore moins que dans les autres domaines de l’existence. Cela faisait partie de la beauté de la chose. L’amour nous tombait dessus. Je trouvais cela heureux que Tyrgan vive cette expérience lui aussi. Même si c’est vrai ce ne devait pas être une situation facile à gérer non plus. J’entrevoyais sans peine les interrogations sur l’avenir. “ Mais, étrangement, je ne m'inquiète pas trop. ” Etait-ce présomptueux ? Je connaissais Tyrgan. Il était capable de se battre pour obtenir ce qu’il voulait. Il pouvait tenir tête aux convenances. Quant à Lowri c’était aussi une forte tête. J’avais eu le temps de m’en rendre compte en la cotoyant. “ Vous avez les épaules pour affronter l’adversité! J’en suis certaine. ”
“ C’est aimable à toi de chercher à me rassurer. … J’apprécie. ” Lui répondais-je pour saluer sa délicatesse envers moi. Mais, je ne pouvais y croire sur l’instant. C’était beaucoup me demander, surtout dans mon état émotionnel du moment. Je le savais, j’étais une pelote de nerfs. Je ne pouvais pas prendre les nouvelles avec autant de recul que cela serait souhaitable. Aussi, j’allais attendre, d’aller mieux, d’être reposée, avant de contacter l’un et l’autre.
J’écoutais Tyrgan me raconter son amour pour Lowri. Je trouvais cela beau. En même temps, je me retrouvais aussi avec un sentiment pernicieux en moi. L’envie. J’enviais Tyrgan parce qu’il était un homme. En tant qu’homme ses mains étaient plus libres que ne l’étaient les miennes. Il était Duc et il n’avait plus de parents pour lui imposer leurs choix. Il vivait avec la femme qu’il aimait. Je n’avais pas vu Prem depuis des semaines entières. Et je m’en voulais, de raisonner ainsi. “ Hmm. Techniquement, elle était prête à se marier, n'est ce pas ?” Lui disais-je pour alléger quelque peu ses troubles. Faire de l’esprit n’était pas forcément mon fort en ce moment. Mais je pouvais essayer. D’autant que je me rendais compte qu’il se trouvait dans des expectatives qui étaient assez proches des miennes. Nous voulions savoir quel allait être notre futur. S’il avait des chances d’être heureux. Un besoin très naturel, n’est-ce pas ?
J'espérais pour lui et pour elle, que ce serait le cas. Nous ne pouvions pas tous être condamnés par le devoir! Je venais doucement serrer son bras en l’entendant soupirer. Rien de tout ceci n’était facile. Personne ne nous avait préparés. Nous devions nous fier à nous-même. C’était effrayant. C’était à mon tour de l’encourager. “ Je comprends que cela te rende nerveux… Crois-moi, je comprends très bien. Mais, je sais aussi que tu vas trouver les mots. Tu es capable de ça. ” Chaque mot était pensé. “ Qui plus est… Si vos sentiments sont au diapason ? Elle se pose forcément ces questions, elle aussi. Ne crois-tu pas ? ” Il n’y avait pas de raison pour que Lowri ne se projette pas de la même façon dans leur aventure.
“ La peur n’évite pas le danger. Même si cela va vite, ce n’est pas forcément négatif. ” Pourquoi attendre lorsque l’on était sûr? J’attendais depuis des jours et des nuits, de pouvoir revoir Prem. Je n’avais qu’une chose à dire: infernale. Cette attente n’était rien de moins qu’un Enfer. Donc, oui, pour une fois, j’étais celle qui prônait un peu moins de cogitation et un peu plus d’action. “ Je crois qu’on n’a pas réellement de choix. Il faut… qu’on se jette à l’eau Tyrgan. ” Car, il n’était pas le seul à avoir des réponses à chercher.
Je lui rendais sa pression ainsi qu’un sourire. Un petit sourire mais un sourire tout de même. Il était gentil. Je me demandais s’il ne faisait pas la défense de Lowri par tendresse pour nous deux. Enfin l’intention, elle-même me touchait. “ Moi aussi j’ai confiance en vous. ” Lui disais-je sans mentir. J’étais blessée. Mais, ça ne m’empêchais pas de leur reconnaître leur qualités propres. “ J’irais la voir oui. Une fois que ma vie sera un peu moins chaotique. ” Le mot était bien choisi! “ Eh bien, on pourrait faire une saga de nos vies. ” L’autodérision ne faisait jamais de mal. Je gonflais doucement mon ventre d’air. Je cherchais à décontracter mes épaules. Toutes ces émotions me laissaient vide d’énergie. “ On se tiendra au courant… D’accord ? ” Je savais que cela m’aiderait de mon côté.
Mais pour l’heure, j’étais atone. Il fallait que je me réchauffe et que je retrouve un peu de ma force. Surtout si je voulais tenter de joindre mon beau journaliste. “ Tyrgan ? Que dirais-tu d’aller au chaud maintenant ? Je pense que j’ai besoin de me poser. ” J'espérais seulement ne pas lui paraître trop égocentrée. Mais il fallait que je repose tant mon corps que mon esprit.
Évidemment, tous les tourments et les questionnements qui l’assaillait n’existeraient pas si, comme Violet, sa famille l’avait marié à de quelqu’un de sa classe. Du moins, elles n’auraient pas été du même ordre. En particulier la question de l’héritier. Violet, croyait-il, en savait sans doute quelque chose. Il ne pouvait pas imaginer la pression qu’elle devait ressentir. Si ce que pensait Violet au sujet d’Edward était vrai, l’un et l’autre devait passer un très mauvais moment. Edward, en quelque sorte, était lui aussi prisonnier de cette relation, mais Tyrgan n’arrivait pas à ressentir pour lui de la pitié. Contrairement à Violet, le choix de sa compagne lui était revenu. Il avait pu le constater lui-même : les parents sont d’ordinaires moins intransigeants envers leur fils que leur fils en ce qui concerne le choix du partenaire. Ce n’était pas juste, mais c’était ainsi. Il espérait surtout ne pas devenir ce genre de père...
« Merci à toi de m’écouter, Violet. » dit-il en serrant affectueusement ses mains. « Et pour tes conseils. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’elle est prête à faire ou pas, mais je lui demanderais bientôt ». Ils n’avaient tout simplement pas abordé le sujet. Il n’osait pas le faire, de peur de la repousser, et de la perdre, mais attendre plus longtemps avant de lui poser toutes ces questions n’y changerait peut-être rien. Valait sans doute mieux plus tôt que tard, se dit-il en hochant finalement la tête. Cela valait peut-être aussi pour Violet
« Une saga! » s’exclama-t-il, sourire en coin. « Tu n’as pas tort. J’espère que tu reverras ton amoureux bientôt, toi aussi, et que sa présence puisse t’apaiser, ma chère amie ». Tyrgan espérait tant de choses pour Violet, mais surtout le bonheur. Peu importe qui était cet homme et quel était son rang, Violet avait des lourdes responsabilités dont elle ne pourrait pas se défaire facilement. Quoi qu’il advienne, elle savait maintenant qu’elle pourrait toujours compter sur lui comme ami. « Oui, rentrons. » dit-il en se levant, pour lui offrir de nouveau son bras. Rester assis dans le froid n’aidait pas les cœurs transis à se réchauffer.
