Très chère Poppy, j'espère que toi et ton compagnon passez un agréable moment sur l’île d’émeraude. Je me souviens de ma première visite des terres j’avais tant aimé les paysages, la nature est si verte là-bas. Surtout profiter des couchers de soleil, ils sont splendides. Donne-nous des nouvelles quand tu pourras.

Ici tout va bien. Prem travaille sur un nouveau reportage. Il n’en parle pas beaucoup pour le moment. J’ai l’impression qu’il tâtonne. Il m’a l’air rêveur en ce moment. C’est peut-être à cause du bébé. Il ne me parle pas beaucoup. Pour l’instant, je ne le dérange pas. Je le connais assez, je sais qu’il viendra me parler quand il en aura envie. Dalia va très bien. Elle a compris qu’elle pouvait nous dire “non”. Un mot qu’elle adore utiliser ces temps-ci. Même quand il s’agit de faire des choses qu’elle aime! Plusieurs mamans m’ont dit que c’est normal. C’est une période qui va passer. J’espère que c’est vrai. Tu connais mon désamour du conflit. Sans Prem avec moi, je pourrais céder, pour que nous soyons en paix toutes les deux.

D’autant que je suis fatiguée. Je fais plus de nausées qu’à la première grossesse. Je n’arrive plus à manger certains plats que j’adore. Alors que mon doux mari fait toute la cuisine avec amour. Cela me chagrine de ne pas pouvoir y goûter. Je n’ai pas envie qu’il ait de la peine non plus. Nous nous sommes organisés. Il travaille un peu plus ici. J’aime bien que nous soyons tous les trois… quatre ici. Cela me donne un peu l’impression d’être comme chez nous quand nous étions petites. Je trouve que c’est rassurant d’avoir notre petit cocon. Tout ce qui se passe ici m’inquiète et je préfère que l’on soit entre nous, en sécurité.

Je fais une pause pour aller surveiller la cuisson du gratin. Dalia me vit passer. Elle sort de sa chaise pour me prendre le pas. En ce moment, je ne sais pas pourquoi, elle adore nous suivre partout. -”Dalia, chérie, recule un peu. Je vai-” Sourire aux lèvres, elle me dit “non”. -”Le four est très chaud. Je ne veux pas-” Et là, mon petit bout de deux ans croise les bras, à la manière de son père et me jauge. Je trouverai presque cela mignon sans l’éclat de défi dans son regard.

Je comprends parfaitement qu’elle me teste. C’est une de ses attitudes qui me déstabilise le plus avec elle. Je ne veux pas reproduire ce que mes parents ont fait avec moi. Ils étaient durs et froids. -”Dalia Hadid baisse les yeux.” Lui conseillais-je calmement pour commencer. -”No.” La rébellion a du sens. Mais sûrement pas dans ce cas de figure précis. D’ailleurs, je la trouve jeune pour apprendre à me défier. Pour l’heure, elle ne bouge pas. Je ne comprends pas ce qui se passe dans sa tête. Je ne sais pas et cela me contrarie.

-”Dalia face à plus grande que soi on obéit.” Je plis les genoux pour m’accroupir à sa hauteur. Je la trouve adorablement agaçante. Nous sommes maintenant, yeux dans les yeux, toutes les deux. Je ne me souviens pas de ce que cela fait d’avoir deux ans. Je sais seulement que je ne peux pas lui céder. Elle n’a pas idée, cette petite merveille, de la bataille qu’elle provoque en moi. Aucune idée non. Nous captons toutes les deux la présence de son père qui arrive vers la cuisine. Quand elle fait mine de tourner la tête vers lui, je l’en empêche. -”Inutile d'espérer une intervention de ton père. Dalia.” Sa petite main repousse violemment la mienne.

S’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est un geste d’humeur. Jamais. Jamais sous mon toit et jamais de ma fille. Un mélange de colère et de peur s’empare de ma poitrine et me liquéfie de l’intérieur. Je refuse que l’un de mes enfants soit violent. Je ne créerais pas d’autres monstres comme Edward. -”Dalia les gestes d’humeurs sont pour les gens brutes.”lui dis-je sans reconnaître le son de ma propre voix. On dirait la voix de la Princesse d’Hanovre. Toute son autorité et sa froideur sont donc bien en moi. Je ne suis pas la seule surprise. Je vois le visage de Lili changer. Cette fois, je lui ai fait peur… Moi ?

Elle recule, en commençant à pleurer. -”PAPAAAAA!” Je me redresse tout de suite pour lui emboîter le pas. Je passe devant elle avant que son père arrive. La voir en larme me fend le cœur en mille morceaux. Je n’ai qu’une envie c’est de la prendre dans mes bras et de lui faire un long calin et de lui dire que je l’aime et que j’ai peur. Mes cours me servent. Je glisse le masque neutre sur mon visage. -”Dalia.” Elle n’a pas l’habitude de me voir ainsi, je le sais. Moi non plus. Cette fois c’est moi qui croise les bras. -”Calme-toi.” Seigneur, que je l’aime, que je voudrais qu’elle comprenne.

Ce fut le regard choqué de Prem qui m'a rendue le plus confuse. Je compris que quelque-chose d'inhabituel venait de se produire. Je n’eu qu’un vague hochement de tête et les laissa partir. La puissance de mon émotion me coupait du temps. Seule, une étrange frayeur me glaçait les sangs. Je tenta de distraire mon esprit en préparant une vinaigrette pour la laitue. Cependant mes gestes étaient gourds. Je réussi même à me tromper dans les proportions.

La constatation de mon échec culinaire déclencha une crise de larmes. Je relâchais la cuillère en bois. J’avais l’impression de sentir mon coeur remonter au bord de mes lèvres. La nausée était liée à mon énergie mentale, j’en étais sûre. Je massa le bas de mon embonpoint. -”Merci.” La culpabilité formait une boule serrée et dense et elle allait me bloquer la gorge sous peu. Je me sentais misérable. Consciente d’avoir mal agi avec cette petite fille innocente. -”J’ai réagi sans réfléchir.” Nous le savions lui et moi. C’était mon instinct, doublé par mon histoire personnelle, intime qui ont répondu.

Je n’ai aucune capacité pour gérer la violence qu’elle vienne des autres ou de moi. Jamais je ne pourrais leur faire le moindre mal physique. Mais en laissant ma crainte s’exprimer je venais clairement de blesser notre fille. -”Je suis désolée…” J’appuie mon front contre l’épaule de Prem. Je passe mains bras autour de sa taille et j’essaye de respirer profondément. La peur a crispé mon corps. Je peux sentir la tension dans mes muscles. Ces sensations que seuls des hommes ont déclenché auparavant. -”Elle m’a fait peur. Elle allait se brûler.” Oui, je suis à fleur de peau. Les hormones changent en moi pour aider le bébé à se développer. Mais, je savais au fond que ce n’était pas que ça.

Il m’était insupportable d’assister à de la violence. Je ne la tolérais pas non plus au cinéma ou dans les informations. Ce n’était pas forcément facile à gérer en ville. Cependant, j’ai tout le temps réussi à faire avec. -”Je ne veux pas devenir ma mère… Prem. Je n’aurai pas du lui parler sur ce ton. Je sais. ” Alexia Hanovre avait tenu son rôle d’éducatrice. Mais ce n’était pas tout ce que faisait une mère. Je voulais être une maman douce, une maman patiente, une maman pédagogue. Malheureusement, cette expérience me mettait devant mes manquements.

-”Crois-tu qu’elle va développer un traumatisme ? A cause de moi ? A son âge ? ” Ce serait pire que tout. Un bébé de deux ans commence à avoir des souvenirs. Serait-ce un souvenir gravé en elle ? Comment savoir ? Je ne pouvais pas être faible en tant que maman. Lili avait besoin d’une mère stable. Il n’y avait pas qu’elle. Il y avait le bébé. Je devais faire au mieux pour mes bébés. Oui. Je devais me reprendre. Seulement, me le dire ne semblait pas fonctionner, ou suffir.

Mon anxiété commençait à monter. Pourquoi ? Je n’ai pas eu ça depuis des mois. Tout va bien à la maison. L’école progresse doucement et nous ne sommes pas endettés. Je ne comprends pas. Que se passe-t-il ? Je recule lentement pour avoir de l’espace. Ma nourrice m’avait appris à faire avec ce genre de crises. Elles avaient commencé vers six ans. Je palpais mon ventre pour conscientiser ma respiration. La cohérence cardiaque donnait des bons résultats en général. -”... ça va. ” Cette réaction était excessive. N’est-ce pas ? Quelle est cette crainte au fond de moi ?

J’étais à mille lieux de la perfection. Bien sûr, j’y tend dans la maternité, comme dans les autres domaines. Ma mère ne m’a pas préparée pour cela. Elle m’avait assurée que les nourrices seraient là pour faire les choses. De fait, mes parents ne m’ont pas donné le bain, je ne pense pas qu’ils aient un jour préparé mon biberon. Quand, j’en parle avec ma sœur, je sens que nous ne partageons pas la même expérience non plus. -”... mmm oui.”

Prem a raison notre fleur a droit à des excuses. Je ne peux pas laisser la situation ainsi. Nous avons besoin de faire la paix. En moi, tout me poussait à faire amende honorable. Je détestais être brouillée avec l’un d’eux. Même si je ne sais pas toujours comment m’exprimer avec une enfant de deux ans. -”Je vais aller lui parler.” Dis-je doucement. Avant cela, je devais reprendre un peu plus mon calme et effacer mes larmes.

Malgré moi, je me tends petit à petit. Je ne pensais pas en être au point où j’ai besoin de cela. Tout de même, je faisais attention à eux. Je savais me tenir. Je ne parlais pas du passé. Cet incident n’en était qu’un. Tout allait bien. -”Je ne suis pas folle… !” Lui répondis-je en cherchant son regard. Pensait-il que j’étais une femme dangereuse ? Pensait-il que je pouvais leur faire du mal ? Je ne pouvais pas le croire. Je me détache de lui. Les bras serrés autour de son torse pour ne pas avoir froid. Cette discussion-là ne me plaisait pas du tout.


Je ne pouvais pas faire ça. Ce genre de soins était fait pour les personnes dérangées. J’allais bien! Je n’allais pas attirer l’attention sur moi de cette manière. Que diraient les gens ? Qu’allait penser ma sœur ? Non. Non. Ce n’était pas possible. -”Je n’ai pas besoin d’un professionnel. ” Je frottais mes bras en douceur. Non bien sûr, il suffisait que je fasse attention et que je me repose un peu. Voilà. -”C’est seulement un peu de fatigue.” Ca n’arriverait plus. Je me le jure.

Nul besoin de nous attarder sur tout cela. Nous avions un bon repas à prendre. J’alla tout de même ouvrir le four pour voir la cuisson du gratin. Je baissais un peu le feu. C’était très bien comme ça. Il avait une bonne odeur. Cela nous ferait du bien de manger un bon plat. -”Je vais aller voir Lili. ” C’était plus important. Je remis un peu d’ordre dans mes cheveux en allant vers la chambre de la petite. Je pris une profonde respiration avant de baisser la poignée.

Je pénétrais dans la pièce en silence. J’observais Dalia rouler sur son lit. Ce n’était jamais simple de la voir malheureuse. Jamais. Je savais que je ne pouvais pas adoucir la peine avant qu’elle s’exprime. C’était une torture intérieure. Pourtant, Prem et moi savions combien c’était important. -”Eh bien ?” Dis-je en venant m'asseoir sur le bord de son lit. Elle se redressa lentement. La tête basse et triste, elle se rapprocha prudemment. Moi je résistais à l’attirer pour la prendre dans mes bras. -”... pardon … ” Je la fixais. -”Le four est chaud. Tu peux te faire mal. Maman et papa ne veulent pas que tu te fasses mal. ” Doucement, elle rampa pour venir s'asseoir sur mes genoux contre moi. Je l’enlaça et nous nous balançons doucement. J’embrassa son crâne en prenant une grande inspiration. Seigneur que je l’aime.

-”Moi aussi je m’excuse. … J’ai crié parce que j’ai eu peur. Ce n’était pas bien. ” Dalia a resserré ses bras contre moi. Je la sentais qui se lovait dans un calin. -”Pas peur maman. ” C’était puissant tout de même cette intelligence de l’enfance. Je l’avais oublié. Dalia ne cessait de me le rappeler. Profondément soulagée que l’on ait fait la paix, je respirais mieux. Je la berçais. -”Je t’aime.” Contrairement à ma famille, je m'exerce à le lui dire souvent. Le plus souvent possible.

J’embrassais son front et lui souris. Elle glissa au sol et sortit de la chambre. Je suivais derrière. Elle alla retrouver son père pour marmonner ses excuses et surtout avoir un autre câlin. -”Papa pardon.” La petite tempête est passée. Je commençais à préparer nos couverts pour le repas. Toute cette charge émotionnelle semblait m’avoir vidée. -”Ce soir, je crois que maman va se coucher tôt. ” Je récupérais un pull pour me couvrir et échapper au froid. J’exécutais les actions lentement mais sûrement.

Notre dîner fut plus calme et pacifique. J’observais Dalia manger avec apaisement. Le conflit était derrière nous. Malheureusement, je ne pourrais pas t’en dire autant à propos de mon cher et tendre. Je voyais sa contrariété. La petite ombre qui planait sur son front. Prem n’était pas ravi. Je sais pourquoi. Il n’aime pas la contradiction et surtout quand il pense à bien. Dans le monde du journalisme cela le rendait vif et bon. Dans la vie privée c’était parfois moins facile. Mais, nous ne sommes pas à nos débuts. Je ne suis plus déstabilisée.

Après un baiser à ma petite fleur je passa par la chambre. J'instaurerai des rituels plus prononcés. Cette nouvelle grossesse je voulais en prendre soin. Je fais donc attention à hydrater mon corps, prendre soin de mes muscles. Même si les jours rallongeaient et que le climat était un peu plus doux, je portais un bon pyjama, que mon ventre soit au chaud. Je peignais mes cheveux en natte pour la nuit. Enfin je pouvais me poser avec le livre des prénoms.

Je guettais l’heure pour ne pas m’endormir tard. Mais je ne voulais pas me coucher sans lui et sans lui dire une bonne nuit. Une demie-heure passa ainsi. Je sentais la fatigue me rattraper. J’aurai pu sombrer ainsi. Néanmoins, je n’aimais pas être seule en m’endormant. La chaleur humaine m’apportait de la douceur et un profond sentiment de sécurité. Je quitta donc le lit et enfila mes chaussons pour chercher mon mari.

Les sons me guidèrent. Je le retrouva dans la cuisine en pleine action. A la lecture de son attitude corporelle je saisis rapidement que ça n’allait pas. Cela m’angoissait moins aujourd’hui qu’avant. Je sais que nos désaccords n’empêchent pas que l’on s’aime. Prem m’a épousé. Je l’ai épousé. Je me glissa à côté de lui. Je ne voulais pas l’interrompre dans son procédé. Ça n'avait pas d’intérêt. Je lava mes mains et je prends une boule de pâte pour faire un nam.

La cuisine et un espace et une activité que j’aime grâce à lui. C’était lui qui m’avait réellement donné confiance en ma capacité à faire les choses moi-même dans ce domaine. Pas seulement dans ce domaine, puisqu’il m’avait aidé à m’exprimer librement, à aimer mon corps et le plaisir, à croire en moi et en mes rêves. -”Maiṁ tuhānū pi'āra karadā hāṁ.” Dis-je sans avoir à le regarder. En quoi l’avais-je contrarié exactement ? J’avais résolu le conflit sans le fuir.

Le calme entre nous sembla m'encourager à venir l'apaiser, mon beau journaliste. J'espérais qu'il vienne se coucher avec moi.

-”... Tu n’as pas besoin de t’inquiéter… Dila… Je vais bien. ” Ne pouvait-il pas le voir ? Bien sûr la fatigue oui. Mais nous savions faire avec cette fatigue. Mon corps allait bien et ma tête aussi. L’altercation s'était terminée dans la paix. -”Dalia va bien aussi.” Il l’avait vue de ses yeux. Je déposais une deuxième galette. Puisque j’étais ici, je profitais pour me préparer un verre de lait tiède avec un peu de miel. Enceinte je ne résistais à aucune de mes envies.

Je caressais mon ventre en surveillant la casserole sur le feu. -”J’ai trouvé une idée… pour un garçon… “Hari”. ” Je le prononçais à la forme indienne. Un prénom court. Un prénom qui relie nos cultures. Je trouvais cela joli. Nous pourrons bientôt savoir le sexe. J’étais curieuse sans être impatiente. Ce qui me tardait vraiment c’était de tenir notre bébé dans mes bras. -”Mmm.” Un bâillement me vint et je cachais ma bouche.

Aucun de nous ne voyait à mal. Nous étions conduits par notre désir d’élever notre fille dans les meilleures conditions possibles. Je faisais en sorte de ne jamais le perdre de vue. Prem et moi avons évolué dans des mondes très différents. C’était le plus souvent une force. Mais, dans certains cas, cela nous mettait face à nos contradictions. -”Je ne sais pas s’il y en aura d’autres. Je vais faire ce que je peux pour qu’il n’y en ait plus. Je déteste le conflit. ” Nous avions de l’expérience aujourd’hui. Nous n’étions pas les seuls à passer par tout cela.

Au moins, Prem n’était pas assez fâché pour me fuir. Je ne vais pas te cacher que je fus soulagée. Je suis consciente d’être sensible à notre harmonie. Ce n’était pas que à cause de mon premier mariage. Edward n’était pas le responsable de tous mes soucis. Non, c’était à cause de ce qui s’était passé dans les premiers mois de notre histoire. -”Oui ?” Ma main s’avançait naturellement pour aller effleurer son bras. -”Alors… gardons cette idée.” Je tordis mon cou pour lui donner un baiser sur la joue droite.

Je cherchais aussi des idées pour une deuxième fille. C’était moins spontané que pour Dalia. Nous avions laissé “Jasmin” d’un commun accord. La recherche était plus ardue. La sonorité du nom me plaisait. Je trouvais que c’était joli. -”Le nom d’un ange dans le Talmud. ” Les leçons de théologie de mon enfance me laissaient donc des restes. -”J’aime aussi. Leïla Hadid. Le nom d’une future grande femme. ”

La présence d’un doux baiser faisait office de traité de paix amoureux. J’aimais les actes de paix entre nous. Ils signifiaient le meilleur à venir. Avec mes hormones en mutation mes sens étaient en plus exacerbés. Je savais que j’étais à fleur de peau pour le pire comme le meilleur. -”C’est une bonne idée oui. ” Nous n’en avions sans doute pas assez. Ce ne serait pas l’arrivée du bébé qui nous en donnera davantage d’ailleurs. Prem avait raison de chercher à provoquer un moment à deux. -”Peut-être une soirée aussi ? Pour un dîner à deux. … tu as raison du temps à nous ça nous fera du bien. ” confirme-je, ravie de l’initiative.

Lentement je levais la casserole du feu. -”J’ai un creux oui. ” Notre sage-femme m’avait encore une fois encouragée à être un peu plus gourmande. Visiblement, je faisais trop attention à tout. J’avais le droit de “me lâcher” disait-elle et d’écouter ma gourmandise. -”Ce matin j’ai eu envie de dattes. … Est-ce que tu crois que l’on peut en trouver au marché ? ” Avec précaution, je verse le liquide fumant dans une tasse. Je fouilla pour retrouver le pot de miel. Pour le moment, les odeurs ne me soulevaient pas l'estomac. Miracle. -”Et un foie de veau au vinaigre… ” avouais-je à mi-voix. Mariée à un végétarien, je ne mangeais quasiment plus de viande. Mais ces envies …

Je pris la tasse et alla me poser pour savourer la boisson tardive. La vapeur laiteuse me faisait remonter des sensations de l’enfance. La gouvernante qui nous préparait ces boissons consolatrices quand il n’y avait que nous dans le manoir. Au moins, mes enfants ne connaîtront pas cette solitude-là. J’en étais bien contente. -”... après on va au lit ? ” Bientôt notre petit pois serait assez fort pour nager dans le liquide. Il me tardait un peu, maintenant de faire ce niveau de connexion. Mais, en attendant, je connecterai avec leur père. Cela oui. D'ailleurs, il fallait que je vérifie où en était notre stock pour un bon bain moussant. Voilà une bonne activité à deux!

Prem trouva une bonne proposition. Nous avions vraiment un besoin de nous retrouver. La vie de tout les jours était rythmée. Il n’y avait pas de pressions aussi fortes que l’année dernière. Nous étions oubliés de l’aristocratie et c’était tant mieux. Mais, son ombre pèse sur mon épaule depuis que j’ai quitté les Crawley. Je ne sais pas si un jour cette ombre disparaîtra. C’était à moi de ne pas la faire peser sur Dalia et sur son père… sans compter notre futur enfant. -”Ta mère comprendra que nous avons besoin de temps. ” C’était une femme intuitive et elle faisait attention au bonheur de son fils. Je crois réellement que c’est l’une de nos meilleures alliés. -”Sinon Parrain… ? ” Ils arrivaient juste après sur la liste des babysitter de confiance.

-”Merci!” Te souviens-tu des repas de fête ? Il y avait souvent ce plan au menu. J’aimais cela. Je n’en avais pas mangé depuis quelques années. Mais j’en avais une si grande envie. D’un coup d'œil, je vérifiais qu’il n’y avait rien de laissé en plan. J’ai la tête en l’air quand je suis fatiguée. Il m’arrive de commencer une action sans la terminer. Deux vérifications n’étaient pas de trop en ce moment. Enfin, j’étais heureuse que le ton soit apaisé. La douceur de mon mari était tout ce que je voulais.

Cette fois, je m’endormais peu après avoir trouvé l’oreiller. Je rêvais secrètement de retenir Prem au lit au réveil. Il y avait une chose que j’aimais c’était dormir avec lui, câliner et savourer la paix dans la chaleur de nos draps. Je me leva après lui pour me préparer. La nausée venait me prendre en traître. Il fallait que je prépare de la tisane que Rose m’avait conseillé. Je ferais ça aujourd’hui. -”Bonne journée ma petite fleur.” Je caressa ses jolis cheveux bouclés, l’enlaçais avant de la laisser suivre son père vers la voiture.

Seule dans la maison je retourna préparer la chambre du bébé. C’était une étape que j’aimais. J’étais plus raisonnable que la première fois. Prem m’encourageait à être sage. Je comprenais pourquoi. Je descendis pour accueillir mon chéri. En voyant toutes les denrées je souriais. Il était profondément attentionné mon journaliste. Je regardais les choix qui se présentaient. Beaucoup d’envies me venaient. -”Je crois que j’ai bien envie d’un steak.” Je pris un bol pour y déverser les dattes. J’en piquais une et me rendit au salon pour retrouver mon bienfaiteur. J’attrapa le plaide pour le glisser sur nous.

Le soir était déjà en train de tomber. Il ferait nuit. Mais je n’étais pas pressée. Pour une fois, nous n’avions pas d’horaire à respecter. C’était un petit goût de nos noces. J’aimais ce petit espace de liberté. Je me nicha doucement contre lui et calais mon bras dans son dos pour caresser ses cheveux. En contemplant son profil, je voyais le reflet de notre fatigue commune. Je devinais les cernes. Il n’en était pas moins beau… Si l’on avait un garçon, aurait-il la délicatesse de son menton, ou le dessin de ses sourcils ? -”J’ai préparé un thé.” Cependant, je n’avais plus envie de bouger maintenant.

Notre proximité me faisait du bien. Je pense que j’aurais presque pu m’assoupir dans notre chaleur, tellement la maison était calme. Et puis, Prem a toujours cet effet canalisateur sur moi. Je me lova pour coller mon front contre lui. Là, je pouvais entendre les pulsations de son cœur. Je sentais la chaleur de sa peau. Tout était si limpide quand nous étions ainsi. J'aurais voulu que ce soit tout le temps aussi simple. -”C’est bien comme ça. ” Je n’étais pas la seule à le ressentir. Il y eu un petit coup. -”Prem.” Je levais mon pull, mon haut, pris la main de ce dernier pour la poser sur le bas de mon ventre. Je ne m’habituerai pas à cela. La vie nous l’avions créée à deux. Il n’y avait rien de plus fort.

Collée contre lui, je restais quasi immobile. Je me sentais bien. Cela n’avait rien à voir avec l’atmosphère de la vieille. -”Es-tu heureux ?” Mon erreur n’était pas la seule fissure de la période. Dans tous les changements de nos vies, de notre vie commune, je sentais que mon chéri était moins enjoué. Je n’arrivais pas à savoir la source de son déplaisir et il ne me disait rien. Je me demandais plus en ce moment. En fait, depuis la confirmation de la grossesse.

Y avait-il des choses qui ne lui plaisaient pas ? Quoi ? Pourquoi ? Il n’avait pas prévu tout ce qui nous arrivait. Ni même le mariage. Avant que Dalia arrive, il avait une vie tout autre. Je savais ça. -”Tu t’ennuies de la ville ? … ou de ta liberté ?” Qu’est-ce qui le chagrinait en fond ? D’où venait son ombre à lui ? Même si les réponses me faisaient peur. Je voulais savoir. Je l'aimais. De cet amour qui m'avait permit de me transformer.

Voir mon journaliste sourire a un grand effet sur moi depuis nos débuts. En fait, depuis le soir de notre rencontre, il m’avait bouleversé. A l’époque je n’avais pas pu t’en parler, ni en parler à personne. Rose bien plus tard étant donné la grossesse. Aujourd’hui, c’est totalement différent. Je n’ai pas à contenir ma joie, à cacher mon état. C’est tellement plus épanouissant. Au souvenir de ce passé trouble, de la blessure de Prem… Je viens caresser son crâne à l’endroit de la cicatrice. -”Nous sommes bien mieux ici c’est vrai.” Cela n’avait rien à voir avec la maison, la famille, que je m’étais imaginée. C’était mieux. Il y avait plus d’émotions dans ce foyer que dans celui de mon enfance.

Même si, parfois, certaines d’entre elles n’étaient pas faciles. Il n’y avait rien de comparable avec la vie partagée avec Edward. Rien. Après ce temps de vie commune en compagnie de Prem, je pouvais lire son visage. Je comprenais certains de ses silences, ou de ses soupirs. Donc, je sortis du confort, en le voyant se préparer à me parler. -”D’accord… ” Notre moment de détente était-il si vite terminé ? On dirait bien.

-”... oui ? ” Cette fois, je changeais de position, pour être droite. Je recula mon dos et je joignit mes mains sur mes genoux. Toute cette prudence masculine me préparait à une conversation pénible. Je pouvais le sentir. Moi qui espérait une nuit tendre. Je soupira à mon tour. L’expression de son visage m’inquiéta spontanément. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Pour moi, nous nous étions tout dit… avant de se marier. -”Prem… tu me fais peur. ” lui dis-je un peu tendue.

A quoi devais-je m’attendre ? Quel était son secret ? Je n’en savais rien. Je me tue en triturant mes doigts pour contenir une montée d’anxiété. Je ne saurais quoi penser de son aveu. Vraiment pas. Une partie de moi était soulagée que ça ne concerne pas son métier et les dangers qui l’entourait. Il n’était pas menacé par des fous furieux de nouveau.

Mais, je ne comprenais pas le but de sa confession tardive. Notre union était consommée depuis longtemps. Nous allons avoir notre deuxième enfant bientôt. Pourquoi avoir attendu autant de temps ? Il n’était plus cette personne… Le Baron était un libertin avéré. Tout le monde le savait. J’avais été conçue le lendemain de ma nuit de noces sans doute. -”... pourquoi m’en parles-tu maintenant ? ” J’essayais de saisir son raisonnement. -”... Tu ? … Tu as un bâtard ? ” Nous étions bien placés pour savoir que la fécondité n’a pas de loi moderne. Une de ses conquêtes avait-elle enfanté son enfant ? Cette possibilité m’effrayait et me rendait terriblement… jalouse. Un sentiment que je n’avais encore jamais ressenti envers lui. Mais l’idée que quelqu’un d’autre…

Non, ce ne pouvait pas être ça. Prem était un homme sensé. N’est-ce pas ? Je ne devais pas supposer le pire à chaque fois. Je devais rester calme et pragmatique. Il y avait probablement une raison plus implicite. Peut-être cherchait-il à me donner une sorte de message concernant notre intimité ? Notre vie sexuelle ? En comparaison de lui je pouvais figurer de nonne. -”... ou bien c’est que tu … t’ennui ? ” Mes connaissances dans ce domaine étaient plus limitées. Je savais depuis le début qu’il était plus expérimenté que moi, plus aguerri. Je savais que j'avais un désavantage.

Il faut dire qu’Edward n’avait pas été très pédagogue avec moi. Ceci dit, ce n'était pas une raison pour ne pas combler lui. J’inspirais doucement. -”Je suis désolée de mes lacunes. ” Les livres que Noor m'avait conseillés étaient instructifs. Je croyais sincèrement avoir fait des progrès. Je pensais que nous étions heureux sur le plan charnel tous les deux. Mais, je n’en étais plus sûre. Bon sang, j’aurais dû me douter. Mon état ne nous empếchait pas de faire des câlins. Je n'étais pas encore une impotente. -”Je veux te rendre heureux. … ” lui jurais-je à mi-voix. -”Dis-moi ce qui te manque ? ” Autant savoir tout de suite comment le combler dans ses attentes.

Le pire qui m’était venu à l’esprit était cela. S’il y avait une autre famille qui l’attendait quelque part… qu’en aurait-il été de la nôtre ? Cela existait au sein de l’aristocratie. Certains prenaient des maîtresses et faisaient des enfants avec elles. -”... d’accord… Je… suis soulagée. ” Je pense que c’était visible.

Je l’écouta benoîtement donner ses explications. Il était animé par le désir de soulager sa conscience. J’étais sa prêtresse ce soir. Je ne pensais pas qu’il y avait encore des secrets dans notre histoire commune. En était-ce un ? C’était une omission de son passé. Il est vrai que je ne connaissais pas tout de lui. -”Tu me l’as caché parce que… tu as eu peur que je… que je sois choquée ?” lui demandais-je à mi-voix. J’avais un peu de mal à l’imaginer dans cette situation. Il n’avait parlé que d’une seule femme. Une fiancée qu’il avait refusé de suivre. Rien de plus et je n’avais rien demandé. Je scrutais son visage. -” Combien de femmes ? ” Il venait de soulever ce voile. Maintenant, j’avais besoin de me figurer tout ce que cela recouvrait. -”Combien de fois ? Souvent ? ” Quels étaient ses besoins ? Quels sont-ils aujourd’hui ?

Je pouvais sentir mes joues chauffer de honte. Je n’allais pas faire fie de la vérité. Prem avait été mon premier amant réel. Personne ne m’avait enseigné les choses comme le faisait sa mère. J’étais une novice en comparaison de lui. -”Si tu pourrais! … visiblement… notre écart d’expérience est encore plus grand que ce que je redoutais.” me confessais-je moi aussi.

Ses propos rassurants m’allaient droit au cœur. Je ne pense pas qu’il me mentirai et encore moins sur ce sujet. Il était à l’aise dans ce domaine. Il n’avait jamais esquivé le sujet. Moins sans aucun doute plus souvent que lui, tellement je me sentais inférieure. -”Tu me rassures. ” Ferait-il une entorse dans quelques années ? Nous les femmes savons ce que le temps fait à notre corps.

J’eu une pensée pour notre dernier ébat amoureux. Notre exploration du Sutra était toujours en cours. La grossesse ne gênait pas encore. J’aimais être avec lui dans le plaisir. Je lui faisais confiance. Il n’y avait que la morale de ma famille pour me réfréner. -”Non non.” dis-je en le caressant du regard. Il était doux et patient. -”C’est plus moi avec moi… j’aimerai être plus… je ne sais pas ? Plus comme ces femmes peut-être ? Audacieuse ? ” Cet adjectif me paraît assez juste.

Étant donné mon passif, je pouvais me tendre vite dans certains contextes. Mais ce n’était pas à cause de lui. Edward avait laissé son empreinte. -”Tu ne l’es pas. Jamais.” le rassurais-je immédiatement. Il n’y avait pas à douter de sa douceur et de sa compassion. Je me sentais bien avec lui. Il parvenait à me faire oublier tout le reste. -”Moi, je suis désolée de ne pas être moins… plus… comme tu avais l’habitude. ” J’avais terriblement envie de m’améliorer. Mais c’était si particulier comme aspect du couple.

Je secoua lentement du chef. -”Non plus. ” Nous dérivons du sujet initial de cette discussion. Ceci dit ces questions successives étaient bonnes à se poser. Par exemple celle de la sollicitation amoureuse. Je pose ma main sur la sienne pour entrelacer nos doigts. -”Souvent… je te trouve très beau et j’ai envie de toi… et… j’ai envie de te le dire mais je me dis que c’est trop.” Le matin, lorsque je suis réveillée avant lui… je le regarde dormir et il arrive que mon corps le réclame. Ou bien quand je le vois dans ces bottes de caoutchouc revenir des écuries… Je caressa sa belle tignasse brune.

A le contempler, sa beauté me charmait encore et toujours. Il avait sûrement séduit quelques-unes de ces femmes. Qu’avaient-ils fait ensemble au juste ? -”Est-ce qu’il y a des choses… que ces femmes te faisaient … que tu veux que je te fasses ?”