Une sensation de froid me réveille. Je me resserre sur moi -même avant d’ouvrir un oeil sans conviction. Allez Iza. On n’a pas d’horloge ou de réveil. La seule façon d’avoir une heure fixe c’est de mettre une alarme sur le téléphone. Mais, j’ai du mal. Les bruits agressifs me stress plus. De toute façon, je n’ai pas de vraies contraintes horaires. Le journal a annulé mon CDD. Pas comme si j’ai envie de bosser donc je m’en fiche. Mise à part les rendez-vous chez le psy qu’on met le plus souvent en après-midi. Je sais que tu es debout. En trois mois on ne s’est pas réveillées ensemble une seule fois.

A la lumière qui perce à travers les vitres occultées je me dis qui doit être dix heures passé. Je n’ai pas encore des cycles de sommeil réguliers. Je dors quand mon corps n’en peut plus. C’est la seule façon que je trouve pour éviter les cauchemars. On n’en parle beaucoup avec le psy de ça. Certains jours je me dis qu’ils ne disparaîtront jamais de mon crâne. Je sors du lit en vitesse pour enfiler les chaussettes en laine. Il faut au moins ça maintenant ça aille ici.

J’entends du bruit dans la zone atelier. Tu es peut-être en train de faire de la mécanique. Je remet le pull en ordre pour le passer. Je vais jeter un oeil au baromètre. On frôle le dix degrés. Le premier truc que je fais c’est relancer la cafetière et la bouilloire. Café et thé pour réchauffer le corps. Pendant que ça se fait je vais te chercher. « Coucou ? » Je te regarde. Tu es la seule dont j'accepte le contact pour le moment. Mais je progresse... doucement. Je tente de comprendre ce que tu fabrique. Je ne sais pas trop ce que tu fais sur tous ces engins. Zac non plus je n’ai jamais trop compris sa passion pour le cambouie. Maintenant que j’ai vécu avec toi, je vous vois plus de points communs. Ça m'attendrit, je crois. « Je fais griller du pain. T’en veux ? » L'alimentation est l’un des trucs qui coince. Je marche par fringales. Rien qui soit régulier. Je sais que ce n’est pas bon. Je suis contente que tu ais accepté de m’aider à ritualiser les “repas”.

Je sais déjà que j’ai rendez-vous chez mon doc aujourd’hui. J’y pense depuis deux jours. C’est ce que j’aime le moins. Il regarde tout. L’examen m’angoisse. Même si c’est une professionnelle le contact c’est difficile. C’est comme si ma peau avait tout le temps peur. La case est remplie : 15h00. « On se fera une balade avant le RDV ? » Je me pose dans le fauteuil du coin. J’aime bien être là. Je profite de ta présence sans te déranger. J’ai pris l’habitude d’être entourée de ton silence. Il fait comme un voile protecteur. Le psy commence à me parler de revenir dans des activités avec d’autres gens “doucement mais sûrement”. J’en ai absolument aucune envie. Maintenant je comprends pourquoi tu es aussi solitaire. T’es une ermite volontaire et j’ai tendance à me dire que tu as raison.

Je file chercher les boissons et les tartines chaudes. Je dépose le plateau sur un coin de l’établi que tu te serves quand tu veux. Ta mine concentrée me tire un sourire. Je te laisse faire. C’est toi que je dessines le plus en ce moment. C’est facile tu fais le modèle sans le savoir. J’attrape ma tasse. Je la pose près du fauteuil. Je laisse mes affaires de dessins un peu partout. J’attrape l’esquisse que j’ai commencé avant de m’endormir.

Le stock de miel commence à fondre. Je marche aux obsessions de goûts. Là c’est le miel. J’aime pas acheter dans les supermarché. En même temps tu n’as pas l’habitude d’aller chez le petit producteur bio. On a trouver le compromis avec les marques “équitables”. Le but ce serait que je reprenne la cuisine. Même des trucs simples. Le Doc pense que ça me redonnera envie de bien bouffer. « “Chez Gosh!” ? » Sans boulot, j’ai besoin d’occuper ma tête. Lire c’est pas mal. Ca m’aide à sortir de “moi”. Je commence à avoir un bon tas qui traîne dans un coin. Je pourrais faire une petite bibliothèque. « Mon livre de socio est arrivé. » J’ai trouvé un libraire sympa. Il est assez vieux. Un vieux de la vieil. C’est de lui que je prend les conseils. Je te parle de tout ce que je lis. Je ne sais pas si tu écoutes à chaque fois. Mais moi ça me nourrit. Je me demande si je ne pourrais pas reprendre des études. Une formation par correspondance ça peut se faire facile. « J’aimerais bien trouver un bon guide pour la méditation . » Autre recommandation des médecins.

Je te regarde bouger. Je veux voir comment se pose ta plante de pied sur le sol. Pour mon croquis. « “ Mmm” ? » Les mots montent en décalage jusqu’à mon cerveau. Je traite l’info. « Bonne idée oui. Ou tu vas finir par me servir de radiateur. » Je plaisante bien sûr. Mais en même temps on était des amantes avant que je sois kidnappée. Je ne me suis jamais retenue d’aller chercher ta chaleur corporelle dans le lit. Un truc que je ne fais plus naturellement. Ca fait partie des trucs qui me font chier. Mon instinct est bousillé. Enfin je n’y pense pas trop. Sinon je vais me mettre en colère. « Y en aura peut-être d’occas au dépôt de la Croix-Rouge ? » On ne roule pas sur l’or ni toi, ni moi. Je tiens à ce que l’on partage les frais. Quitte à ce que je fasse un emprunt auprès de papa. « Mercredi dans l’après-midi. » Je pose mon fusain. Je change de position pour ne pas avoir la jambe ankylosée. « Zac ne sera pas là. . » Quand il est là je sens toute sa culpabilité et sa rage. Pour l’instant je ne peux pas gérer ça. Ca me coûte trop d’énergie. Au début il a été insistant. Maintenant ça va mieux. Je pense qu’il a compris. Il me faut du temps. Je ne suis pas la seule. Il a fait des dégâts. Surtout avec toi. Ca ça me fait chier. Je vous aime tous les deux. « Matt si. J’ai rien dis sur toi. Tu veux venir ? » Je te regarde. Je te souris. Pendant une seconde, je ne vois que ce petit genre de garçon manqué qui m’a attiré vers toi dans les débuts. « J’peux tenter de dormir là-bas. Si tu veux souffler. » Je sais que tu prends soin de moi par choix. Je sais que tu t’adapte. Mais je sais aussi que tu es une personne solitaire à l’origine. Et que sans doute, c’est contraignant parfois, de vivre avec une traumatisée de la vie. Moi aussi, j’ai envie de prendre soin de toi.

Je balance le calepin au sol. Je reprend ma tasse pour la finir. Je croque dans la tartine. Mmm. J’inspire doucement. De temps en temps, y a une bouffée d’angoisse qui vient, sans prévenir. Sans raison apparente. Je me déplie pour bouger. Je marche vers l’établi. Je retourne ensuite vers le coin cuisine. Je fais des pas dans le vide. C’est une des techniques pour faire passer les houles. Je remarque que j’ai encore laissé traîner mes habits de la veille. « On va à la laverie demain ? » Je sais qu’il y aurait moins besoin si je me lavais plus de deux fois par semaine. Mais, déjà il a fallu qu’on bataille pour que j’arrive à rester sous de l’eau plus de dix secondes. Alors qu’avant je pouvais faire des bains de deux heures. Je repère ma paire de gants. Je la range et la je remarque le trou. La maille a pété. Zut. « J’pourrais faire du tricot. Ca va être de saison. Je pourrais même te faire un bonnet. Jaune vif ! » Exactement dans tes couleurs c’est sûr. J'attrape mon bouquin en cours pour le ramener vers nous.

Je me retiens de trop sourire. T’entendre râler c’est savoir que tout va bien. « Et des bougies parfumées, ça se négocie ? » Je sais que ce n’est pas ton truc non plus. Trop bobo, trop romantique, trop tout ce que l’on veut. Je le dis seulement pour te faire râler un peu plus. J’ai passé ma période hindouiste y a quelques années de ça. Ca n’a pas marché avec moi. Je prend ton baiser comme il vient. J’ai eu l’impression que ton goût avait changé. Mais, je pense que c’est moi qui a changé surtout. J’aime à croire que chacun de tes gestes tendres gomment ce qu’ils m’ont fait. J’espère qu’un jour j’arriverais à ne plus sentir les traces dans mon épiderme. Rien que de t’enlacer, je sais que ce serait un bon début. « Des pieds froids ça ne résiste pas à une bouillotte ! » Il m’arrive d’avoir envie de venir contre toi. Mais l’envie n’arrive pas à devenir une action. Je ne sais pas si c’est quelque-chose qui te dérange. Si ça te manques ? Ou si tu réponds à tes désirs avec quelqu’un d’autre. On n’en parle jamais de façon frontale. Même si je peux comprendre. Je préfère ne pas savoir. Il faut se dire que ça va venir. Ils disent que c’est la clef de la victoire. Je ne sais pas combien de temps ça prendra. J’espère que tu seras encore là à ce moment là. Mais, je ne me prend pas trop la tête avec l’avenir. Passer un jour après l’autre c’est pas si mal. « Je suis pas inquiète . » C’est vrai. Je ne suis pas inquiète de ça. JB et toi vous avez une tête bien plantée sur les épaules. Je sais que vous ne vous mettrez pas dans les ennuis sans réfléchir. Et puis qu’est-ce qu’on risque en récupérant un peu de chauffage ?

On fait tout ce qu’on peut pour que Matt ait de nouveau un équilibre dans sa vie de petit garçon. C’est bien parce que ça m’oblige à prendre sur moi quand je suis avec lui. « Cool !! Je demande à Meg ce que l’on ramène. Je peux faire le gâteau que Matt aime bien. On fera les courses en même temps. » Ce sera sympa. Un peu comme avant. Je sais que ça peut nous faire du bien. Je suis contente et ça atténuer un peu la boule au fond de mon ventre. « D’accord. Je verrais comment je le sens… Merci . » Je le pense. Après toi, Megara est celle en qui j’ai le plus confiance. Pas de doute là-dessus. Mais étant donné mon sommeil, les angoisses. Est-ce que je vais savoir gérer sans ta présence ? Je n’ai pas envie d’imposer ça aux autres. Même si c’est Meg et Matt. Je n’ose pas encore penser aux solicitations qui vont arriver avec les fêtes de fin d’années. Je sais qu’ils vont tous vouloir faire un truc. Je n’ai pas du tout envie de ça pour le moment. « D’accord. Je verrais comment je le sens… Merci . » Je me dis qu’il faut d’ailleurs que j’en parle dès maintenant. « S’ils demandent pour les fêtes… Ca t’ennuie si on ne promet rien pour l’instant ? » Je ne veux rien imposer en fait. Mais dans notre intimité je peux dire où j’en suis et ma position dans le groupe. D’ailleurs ce n’est pas contre eux.

Je souris amusée de pouvoir anticiper la réaction qui suis. « Avec des petites fleurs ! Bleues ! Rouges ! . » Non mais j’ai une petite idée en tête. Quelque-chose que tu auras plus de chance de porter. Avant il faut que je retrouve les explications que m’avait donné Tante Victoire. Je dois les avoir enregistré quelque part; Avec l’enquête, j’ai perdu tout mon matos. Merci Zac chéri. Mais au moins ça a fait du tri par le vide. C’est une bonne méthode pour revenir à l’essentiel. On m’embête beaucoup moins depuis que je ne vais plus sur les réseaux. « Oui ! Trop! M’am en faisait pas mal quand on était mômes.» De la cuisine américaine de base. Papa n’était pas toujours le plus grand fan. Ce qui me fait penser qu’on est en novembre. Thanksgiving c’est pour bientôt. Je peux peut-être tenter de faire le plat traditionnel. L’idée me plait assez. Ça va m’occuper la tête. « Tu veux bien faire ma cobaye ? » Je viens m'asseoir à côté de toi avec ma tasse. Je me met en tailleur. Je te regarde et je prend un air malin. « Si c’est comestible on invite Marlon à dîner après. Ça serait une bonne façon de le remercier pour ses plats.» Je sens la tension dans mon ventre qui se relâche. C’est cool. Je souris un peu. Ce plan culinaire me rend un rien plus optimiste. « Donne-moi un défi, pour toi. Qu'est-ce que tu voudrais manger en fait maision ? »

Savoir que l’on ne va rien s’imposer pour la fin de l’année m’enlève un poid. C’est quand il s’en va que je me rend compte que j’étais entrain de me mettre une pression. C’est sacré pour les Sanders, le sapin, la dinde, les cadeaux. Je sais que si j’en parle avec maman elle n’arrivera pas à me cacher sa déception. Papa sera mon messager. En fait, ça retombe souvent sur lui. « Le pétage de câble de Zac ? » On aurait dit un môme. Il ruminait dans son coin. Meg et moi ça nous faisait rire. « Zac tout craché. » Mon frère. J’espère que tu vas finir par guérir aussi.

« J’pense en être capable ouais... » Je souris. Ton sale caractère m’a jamais impressionnée. J’ai eu le même à la maison pendant 18 ans. Je suis habituée. Franchement, maintenant, je crois que des piques à la Byrd ça fait du miel, à côté de tout ce qu’ils ont pu me dire pendant… J’entends leurs voix dans mon crâne. Les railleries en albanais, parfois en turc aussi. Ils faisaient exprès d’en dire tout le temps. Elles sont implantées, là. J’en ai un frisson que je ne peux pas réprimer. J’ai l’impression de les entendre, parfois, quand je suis dehors. C’est une reconstruction dit la psy. Ta voix me sert de corde de secours. J’hoche de la tête. Je cherche mon sourire. « Oui, JB aussi. Ca sera sympa. Moi ça me ferait du bien de les voir au calme.» J’ai une pensée pour Zac. Mais je n’ajoute rien. Il viendra plus tard. Quand on sera prêtes. « Ca va ? Marlon ? Sam est réapparue ? » Je reprend doucement pied dans la réalité. Je suis consciente maintenant que la Strike est mal en point. J’essaye, aussi de me sentir concernée, de ne pas pensée qu’à moi. « Je vais lui tricoter une écharpe. Lui au moins il la portera !! » Je te lorgne et j’hausse un sourcil de façon exagérée. Je souris et je te donne un coup d’épaule. On se taquine un peu plus et c’est agréable. Je pose ma main sur la tienne. Je te regarde une seconde. J’ai bien envie de te poser la question. Mais, en même temps, je n’ai pas envie que ça amène du noir. « … J’voudrais vous aider à les faire tomber.» Je n’en ai parlé qu’avec Jean-Baptiste. Il me tient à l’égard. Je sais pour quoi il le fait. Je l’aime, pour son attention et sa bienveillance. Il est papa numéro deux. Mais… Il y a aussi mon désir de justice. Il est là. Il palpite. « Tu crois que JB finira par être d’accord ? » Peut-être que si tu lui en touche un mot ? J’ai le visage du leader qui flash devant mes yeux. Je retire ma main. J’inspire et je me lève en prenant ma tasse. « Tu reveux du café ? »

Une fois qu’on a notre deuxième tournée de boisson chaude… Je cherche la motivation pour ranger un peu. Je ne suis pas spécialement ordonnée. Dans un espace de vie aussi grand c’est pire. Je commence par rassembler mes affaires de dessins. Je tombe sur un vieux croquis de Matt « J’ferais bien un portrait des garçons. … De l’aquarelle.» Il faut que je me le note. J’ai à peu près trois nouvelles idées de créations par jour en ce moment. La compensation. Je pose le tout sur une table. « Je peux faire pour décorer les murs aussi. » Il faut que j’aille faire développer les photos de nos vacances. Ca me donnera une base. Je m’occupe de faire le lit. Avant, je laissais des mots sous l’oreiller. Maintenant, je les met sur le frigo. C’est un terrain plus “neutre”.

Bon faut que je range aussi les habits qui sont partout. Je commence à aller chercher dans chaque espace. J’entasse tout sur notre lit. La pile commence à monter. Je suis vraiment une bordélique. J’ai jeté les deux tiers de ma garde robe en faisant les cartons. Il y a pas mal de trucs dont je ne supportais même plus de les voir. J’ai opté pour du noir, quasi exclusivement. Et puis des formes lâches. C’est plus confortable. Ca me cache mieux. Je fais une pile pour toi et une pile pour moi. Je souris en pliant ton pull et j’en respire le col.

« DIS ?!» Heureusement que le son porte dans ce grand vide. « Je peux te piquer le pull bleue marine ? » Disons qu’à défaut d’arriver à te demander plus, je peux au moins avoir ton odeur en bouclier, pour aller braver les “gentils” docteurs. Ca va peut-être me forcer à faire une toilette.

Je pense à la dernière fois où j’ai pu voir Marlon et Samatha en même temps. Ca commence à remonter. Je n’avais rien vu. Mais en même temps, je regardais plus la façon dont Zac se comportait avec Meg… Ta blague me fait rire. Je ne me souviens pas avoir vu le Tank avec beaucoup de cheveux!

Je sais au fond que c’est la réponse que tu vas me donner. Ca beau être le plus sensé, le plus raisonnable… le plus sage. Il y a quelque-chose en moi qui est tellement en colère contre ces monstres. Quand je ne rêve pas de viol, de violence… Je rêve que je leur fait la peau. Je rêve que je les tues. Je n’en ai pas parlé aux médecins. J’ai peur qu’ils décident de m’enfermer dans un hopital.

« Oui… t’as raison... » Je soupire. J’ai presque envie de te le dire à toi. Mais tu vas me prendre pour une folle. Déjà que j’ai l’air bien détraquée. Je ne veux pas te faire peur. Je ne veux pas que ça change tes yeux quand tu me regardes. « Je vais me retaper. » Je vais reprendre le sport. Je vais apprendre à tirer aussi. Plus question que quelqu’un me fasse du mal. Mais bon, faut que je patiente. Patience. Patience… Je voudrais que ça aille plus vite.

Je te vois qui bouge du coin de l’oeil. Je retiens un sourire. Je ne pense pas que tu te rende compte que ta nonchalance est apaisante. Je passe vite fait ton pull. Tu es quelqu’un de mince. La physionomie athlétique. Je nage un peu moins dans tes habits. Mais ce n’est pas encore ça. Ma poitrine me manque. Mes hanches aussi. Je termine de plier ma tunique. Rien que l’idée d’un jet d’eau me tord de nouveau le bide. Je calcule vite depuis combien de temps je n’ai pas tenté. Plusieurs jours…

« ... oui.» Izaline ne pense pas. Tu ne penses pas tu agit. Commence par sortir une tenue potable pour aller chez le docteur. Brassière, culotte, robe… Bon celle-ci est pas mal. Il y a un peu de couleur avec les fils dorés. « J’arrive.» Bon maintenant mon collier “magique”. Voilà. Je regarde mes mains. Ca fait plusieurs fois que je me dis que je pourrais mettre du vernis. Histoire de cacher la misère. Les ongles arrachés repoussent bizarrement. Mais il n’y a plus aucune couleur qui m’attire. Qu’est-ce que je peux préparer encore ? Non, je cherche seulement un moyen de me défiler.

Je respire doucement. On m’a montré. Ça marche pas vraiment pour le moment. Je sais que le mieux ce serait que je lave aussi mes cheveux. Mais je fais quand même ma natte. Je la transforme en chignon. La tête sous l’eau… Je n'y arrive pas.Je pose les affaires dans la zone salle de bain. J’active pour que l’eau ait le temps de chauffer. Je retire mon pyj. Mon piercing au nombril m’a été arraché dans les premiers jours d'emprisonnement. J’en avais pleuré. Je n’ai plus d’hématomes. Je n’ai pas de grosses balafres. Ils ont fait les choses bien…

Mais maintenant j'arrive à le faire sans être habillée. Je déteste que tu vois mon corps. Il est moche. Mais tant qu'à tenter la torture je veux que ce soit efficace.

« A trois ? Un. Deux... » J’entre dans la cabine. Je sais qu’il ne faut pas que j’écoute l’eau couler. J’ai trouvé une seule tactique pour le moment. Je compte mentalement. 1. 2. 3. 4. 5. … 6. Je me concentre sur toi. 9. 10. Ils ne sont pas là. Le jet n’est pas violent. 14. 15. J’avance d’un pas. « 19. 20. 21... » Allez je prend l’éponge et j’y vais. Plus vite c’est fait. Plus vite je sors de là. L’eau coule. Je me frotte. J’y vais vite et fort. Si je le pouvais je le ferais à la javel. Les sons commencent à venir. Les grincements de la machine à geyser. C’est tellement réel. « 108. 109. 110! » Je lâche l’éponge. Je viens agripper à toi pour ne pas fuir. J’ai envie de sortir. Je sais qu’il faut que je reste. Je suis bloquée. Je ferme les yeux et j’essaye de respirer. Mais l’eau est là. « J’ai les sens... » Je contracte mon dos. Je me laisse glisser et je me réfugie dans l’angle de la petite cabine. Je reprend ma position de protection. J’écarte mes pieds autant que possible. Voilà. J’ai perdu le compte. « Éteint... » Je cache ma tête contre mes genoux. Je griffes mes mollets pour contenir la panique.

Tes doigts viennent sur les miens. Je tend l’oreille un peu pour t’entendre. Je ne comprends pas de quoi tu me parles. Je remonte ma tête pour regarder. Je ne sais pas quand tu as mis ça en place. Oui, je vois maintenant que la pression hydraulique est beaucoup plus faible. On dirait un filet d’eau dans une rivière. « T’as fait ça... » Le tambour de mon coeur s’apaise lentement. Je cherche à respirer plus doucement. La pression dans mes muscles est plus dure à partir. J’ai oublié ce qu’est la détente. La réelle. Peut-être que faire des séances de sport comme vous en faites Zac ou toi, ça marcherait. Je verrais bien quand j’aurais un peu plus d’énergie en magasin pour ça.

On sait toutes les deux ce que tu fais. Je décroise mes bras. Je n’ai qu’à me dire que je suis dans un espèce de grand évier. Un évier géant. Ils ne peuvent pas faire passer de jet entre nous. JE SUIS EN SECURITE. Je me dis ça. Une fois. Deux fois. Je sors doucement du coin. Je prend le pomo de tes mains. C’est la première fois que j’en tiens un depuis des lustres. « J’ai remarqué ça.» Je te répond en maniant le cordon pour qu’il ne gêne pas. « Tu peux montrer ça au doc après mon RDV.» Je le pense à chaque fois qu’on va le voir. Mais comme là c’est toi qui abordes le sujet je profite. Je sais quelle est ta position sur ces sujets. J’ai un frère pareil. Je sais donc que forcer ne sert absolument à rien. Mais, j’ai moi aussi, envie que tu ailles mieux. « C’est un vrai gentil.» Bon c’est un argument comme un autre. « On se fera des séances de réduc’ en même temps.» Je sais que ce serait plus motivant pour l’une et l’autre. Je mouille doucement ton crâne.

Ah tiens, oui. Il y a des plantes maintenant. Je regarde. Je ne vois pas ce que c’est. Mais je trouve que c’est une bonne idée d’avoir un peu de vert. A l’appart il y avait des balconnets. Il y avait aussi une micro terrasse. Je faisais pousser des plantes aromatiques. J’avais commencé à lire des trucs sur les compostes. Mais bon c’est une idée qui n’a pas eu le temps de se mettre en place. « Ouais. On peut faire un truc un peu plus joli. Je pourrais faire des petits bacs en bois. Et vernir..» Je prend le shampoing pour remplir ma paume. Je commence à frotter ton crâne. Pendant une période j’ai voulu être coiffeuse, entre autres. J’aime l’idée de prendre soin des gens. De les faire se sentir mieux dans leurs corps. Ironique. Je masse ton cuire chevelus. En fait, ça me détend aussi de faire ça. « Je peux les peindre. Je ferais.» Je ne sais pas trop. Des méduses ? J’aime bien les méduses. Je continue de masser. J’en profite pour masser tes tempes. Une zone à tension nerveuse. « Qu’est-ce que tu aimes comme poissons ? » Je descend mes doigts pour poursuivre sur ta nuque. J’appuie un peu plus fort. Je sais que le boulot vous fait pas mal vous pencher. « Merci.» Je sais que c’est ta façon de me soutenir. Je sais et je t’aime pour ça aussi. Je suis bien partie sur la lancée. Je continue sur le haut des épaules. Je bascule de position pour avoir plus d’amplitude de mouvement avec mes bras. Je masse et je souris. Ça, ça revient sans effort dans mes mains. J’essaye de dénouer ce qui roule sous ta peau. Le froid se répand doucement dans la cabine. J’ai une chair de poule. Je reprend le paumo pour venir te mouiller et te réchauffer. Je rince tes cheveux. Je les caresse naturellement. « Et voilà!» Je dépose un baiser sur ta nuque au passage et j’éteint l’eau. Je me lève et je sors de là. J’attrape le peignoir pour me cacher dedans encore toute dégoulinante. Je m’accroupis devant les plantes et je les étudie de plus près. « Salut les filles.» Je vais prendre soin de vous. De vous toutes.

Je me remet sur mes pieds et je vais chercher mes habits. Je me rend compte que c'est la première fois que je suis restée autant de temps dans la cabine. Mine de rien c'est une victoire. Je souris. Je te souris. Lentement, mais sûrement.