Toi qui cultive rituels et routine en tout jour. Sais-tu qu’en un temps les Vestales se sont faites reines du Monde.
Le printemps avait renoncé à son droit de présence. Le clapoti de la pluie était une mélodie sans fin et ce depuis l’aube. La Tamise montait lentement comme si elle cherchait à sortir de son lit. L’eau s’infiltrait partout dans les soubassements de Londres. Les quartiers de la vieille villes étaient mis à mal. Les rats et les voleurs étaient chassés de leur habitat naturel. Le Rosewood aussi empatissait de cette humidité affaiblissent les zones les déjà fragilisées par le temps. Le Concierge avait dû appeler les services d’une compagnie en urgence pour colmater certains murs porteurs. Cet aléas allait coûter.
Mr Eirik n’avait pu se soustraire à des obligations en extérieur ce-jour pluvieux. Une partie de son travail ne pouvait se faire dans l'Hôtel. Il s’était donc présenté en temps et en heure devant l’un de ses précieux collaborateur. Le directeur de la banque par laquelle l’argent de ses affaires fructifiait en toute légalité. Tout deux se rencontraient mensuellement pour faire le point sur les avancements financiers. Ils s’étaient connus, plusieurs années auparavant, à Cambridge. Eliott avait expliqué le projet du Réseau. Il avait trouvé l’un de ses premiers investisseurs Européen en la personne de David Harris.
Leur entrevue pouvait durer plus de deux heures. lls prenaient le temps de faire les choses. Eliott était un homme très pointilleux. Il faisait attention à tout. Il voulait tout savoir. C’était un excellent gestionnaire par ailleurs. Il avait ainsi à réguler les effets de la crise financière, puis du Brexit, sans trop y perdre. Les deux anciens alliés venaient de se mettre d’accord sur un prochain investissement dans les nouvelles technologies qui étaient selon tous l’avenir.
« Hum. Très bien. Avant que je partes. J’aurais aimé m’entretenir avec la petite Écossaise. Celle dont vous me parliez l’autre jour. »
Harris et Eirik se rendaient mutuellement des services. Leurs dettes s'étendait pour certaines sur plusieurs années. Ils gardaient le compte. Ils étaient très sérieux à ce sujet. L’un des premiers apports de David était de fournir du personnel qualifié. L’établissement du banquier servait de base de recrutement pour les affaires du Norvégien. Il repérait un élément et le cas échéant le lui envoyait. Cette fois c’était une jeune recrue, Miss Wrexhal qui avait attiré l’attention.
Eliott et son homme de main transitaient donc dans une autre salle pour attendre l’employée. Le vieux loup profitait de l’occasion pour marcher un peu. Les membres étaient un peu engourdis par l’assise prolongée étaient ralentis. Il joignait les mains dans son dos, en marchant le long des murs, pour observer les tableaux décoratif. Un homme soigné et d’une grande élégance. Le complet bleu était taillé à la perfection. Les santiags étaient lustrés. Il avait des boutons de manchettes en or. Une alliance demeurait à son annulaire malgré les années passées.
Il s’arrêtait devant une photographie feu la Reine Mère Elizabeth II et lui adressait un hommage silencieux. La musique d’un talon féminin lui faisait quitter son observation. Il écoutait la mélodie du pas. Il attendait encore quelques secondes, après que la jeune femme soit dans la pièce, pour lui dévoiler son visage. Un visage marqué par le temps et les drames personnels dont le regard était aussi calme que bienveillant.
Lentement le Nordique avançait vers la jeune femme et se présentait : « Bonjour Miss. Wrexhal. Veuillez m’excuser de cette façon quelque peu cavalière de nous présenter l’un à l’autre. Je m’appelle Eliott Eirik. Je suis un ami de Mr Harris. J’aimerais m’entretenir quelques minutes avec vous. »
Un signe de main il la conviait paisiblement à se mettre à son aise. Le fait qu’il soit client et elle employée ici ne semblait pas entrer en ligne de compte. Ce qui pouvait être un peu étrange. Le cadre était d’ailleurs beaucoup moins froid que de l’autre côté du couloir. La pièce ressemblait, à un petit salon anglais, à la mode de Buckingham palace. Il allait sur l’un des sofas d’un côté d’une table basse en verre.
Un silence s’imposait dans la salle. Mr Eirik profitait de ce flottement pour épier les réactions de la jeune femme. Il lui donnait ensuite le but de l’entretien: « Ce ne sera pas long. Ne vous en faites pas. Une tasse de thé peut-être ? Miss. Wrexhal vous plaisez-vous ici ? »
Evanna avait accueilli l'homme d'un large sourire lors de son entrée. Le directeur l'avait emmené dans une pièce adjacente immédiatement, et elle n'était même pas sûre qu'il l'avait vue. Ce n'était pas la première fois qu'il franchissait les portes de la banque. Elle ignorait son nom et son métier, mais il était toujours accompagné par le directeur, ce qui montrait son importance. La jeune femme avait cependant remarqué que leurs entretiens se faisaient souvent longs.
Trois heures, peut-être moins, s'étaient écoulées. La journée avait été calme, et Evanna commençait à se languir d'une pause bien méritée, les jambes nouées à force de rester debout perchée sur ses hauts escarpins. Elle n'avait pas vraiment le droit de bavarder avec sa camarade hôtesse, et tout au plus échangèrent-elles quelques regards et mimiques lassés. Elle comprit que la pause serait avortée, ou alors faite dans des conditions bien particulières lorsque Mr Harris vint la chercher et lui annonça d'une voix sèche : - Miss Wrexhall, venez avec moi. Mon collaborateur souhaite vous rencontrer. Evanna l'observa en osant une expression de surprise. Elle bafouilla une brève réponse et contourna son comptoir afin de suivre son directeur. Celui-ci lui fit passer une porte non loin et elle se retrouva dans une vaste pièce chaleureuse, richement décorée mais un peu vieillotte. Elle pensa immédiatement à la Reine qu’elle admirait tant, et un léger sourire orna ses lèvres lorsqu'elle aperçut un cadre la représentant dans un coin.
L'homme était de dos, et mit quelques secondes avant de se retourner. Elle entendit un faible bruit derrière elle, signe que le directeur s'était éclipsé après avoir fermé la porte. Evanna prit soin de se tenir droite, réajustant discrètement sa veste aux couleurs de la banque, serrant les pieds l'un contre l'autre. Elle sourit à l'homme en face d'elle, d'un sourire tendu mais sincère. Le visage quelque peu buriné, il évoquait quelque chose de positif à la jeune femme malgré son regard perçant. Il était plutôt élégant, et avait un charisme certain. Il était certainement riche et puissant. C'est avec cette idée en tête qu'elle répondit à l'homme. - Enchantée Monsieur Eirik. Evanna Wrexhall, comme vous le savez, dit-elle en inclinant la tête en signe de respect. Elle suivit son invitation de la main, et s'assit dans un fauteuil en croisant les jambes et en essayant de rester bien droite. Elle sourit à nouveau, par politesse cette fois, et attendit la suite.
La question suivante surprit la jeune femme. Elle préféra éluder celle sur le thé, qui n'était que pure politesse de la part d'Eirik, et se mit à réfléchir à toute vitesse. Elle ne savait pas ce qu'elle devait répondre, ni si elle se devait d'être sincère. Cet entretien était purement personnel, ou avait-il un quelconque lien avec la banque ? Evanna mit un certain temps à répondre, préférant ne pas prendre de risques. - Si je me plais ? Bien sûr. Il y a des hauts et bas, des choses gratifiantes et d'autres un peu moins, comme dans tout métier, j'imagine. Je pense être tout de même chanceuse d'être en poste à la « New Dawn City Bank » et ma place vaut mieux que beaucoup d'autres. Son interlocuteur l'intriguait beaucoup, elle ne voyait toujours pas le but de cet entretien, ni pourquoi cet homme s'intéressait à elle. S'intéressait-il vraiment à elle d'ailleurs ? Elle poursuivit sa réponse, encouragée par son instinct, d'un point de vue plus personnel. - Mais évidemment je n'ambitionne pas d'accueillir des clients, debout toute la journée sans bouger, jusqu'à ma retraite. Mais je ne vois toujours pas pourquoi je suis ici, Mr Eirik, si je puis me permettre.
Evanna déglutit, effrayée de pousser son interlocuteur à entrer dans le vif du sujet. Elle observa attentivement le visage de l'homme, attendant la moindre réaction qu'elle pourrait interpréter. Elle même essaya de garder une visage neutre – en dehors de son éternel sourire – et de ne pas trahir son stress par des gestes inutiles. Evanna avait l'impression d'être jugée, jaugée, évaluée. Ne pas savoir pourquoi était une réelle torture pour la jeune femme qui aimait tout savoir. Elle aimait avoir toutes les cartes en main, toutes les informations, avant d'entreprendre quelque chose. Et elle était elle-même généreuse de ce point de vue quand les rôles s'inversaient. Pour se calmer – ou essayer – mais surtout ne pas montrer son stress, elle récita plusieurs fois dans sa tête la phrase clé d'une de ses chanson préférée. « You shoot me down, but I won't fall », puissamment entonné par une voix féminine aiguë, retentit dans sa tête. La phrase était de circonstance, l'incitant à se battre contre ses inquiétudes.
C'est le regard peut-être un peu vague, concentré sur la chanson, qu'elle attendit la réponse d'Elliot Eirik.
Mr Eirik, en galant homme, restait donc lui aussi debout face à la jeune femme. Il réduisait la distance entre eux de quelques pas silencieux et posés. Il avait le pas toujours svelte pour un vieillard. Il avait le dos droit et la nuque tirée comme l’ont les personnes d’éducation. Il posa ses mains contre son bas-ventre par habitude, calme. L’inquiétude qu’il percevait chez cette hôtesse l’attendrit. Il se sentait un rien coupable de mettre cette jolie colombe dans un tel état de nervosité. Il voyait bien que la méthode qu’il utilisait ne marchait pas avec elle. Il lui fallait trouver une autre manière de faire. Un sourire bienveillant cherchait à l’apaiser.
Eliott commença par montrer de la gratitude pour ces réponses directes. Il saluait respectueusement son courage d’un sobre salut. :
« Je vous remercie pour votre honnêteté Miss Wrexhall. »
Une fois encore il invitait Evanna à prendre une place sur une des méridiennes. Elle n’était plus une représentante de l’entreprise pour le moment. Le protocole pouvait être mis entre parenthèses. Les caméras étaient coupées ici. Harris ne savait jamais rien de ce qui se disait dans ce salon. Ce quand bien même les lieux étaient sa propriété directe. C’était l’une des premières clauses de leur contrat.
Afin de lui prouver ses bonnes intentions le vieux loup éclairci le mystère. Une partie du mystère car il était tout à fait conscient d’être devant un esprit moral. Point dont il se chargerait si sa requête rencontrait un assentiment chez la jeune demoiselle. :
« Je suis un homme d’affaires. Je suis à la recherche de nouvelles personnes afin qu’elles travaillent pour moi. »
Mr Eirik trouvait primordial d’instaurer sécurité et confiance. Sans cela il était presque impossible de conclure un accord viable. Aussi n’était-il pas pingre avec ceux qu’il estimait valables de son attention. Il s’agissait plutôt de faire les choses en leur temps, ni trop tôt et ni trop tard. Il cherchait le regard de cette charmante Écossaise. Elle aurait l’âge d’une petit-fille à lui s’il avait eu descendance.
Il racontait donc son histoire de la façon suivante :
« Je suis venu vous faire une proposition d’emploi. Je devais avant cela m’assurer que celle-ci ne vous place pas dans une position inconfortable. Cependant, je vois bien que mon approche vous a mise mal à l’aise. Veuillez m’en excuser. Là n’étaient pas mes intentions. Etes-vous certaine de ne pas vouloir une tasse de thé ? J’ai fais moi même les biscuits. »
La collation était plus sophistiquée que d’ordinaire. Elle ne venait pas du traiteur auquel la New Dawn City Bank faisait appel d’habitude. Mr Eirik avait lui-même confectionné ces petites douceurs typiquement anglaises. Il en raffolait depuis quelques temps. Il était pourtant contraint d’y renoncer, à cause d’une santé capricieuse, que son grand âge avait tendance à détériorer. Mais, il trouvait des consolations dans d’autres douceurs de la vie.
Prenant une coupelle, Eliott amena une tasse vers ses lèvres, et savourait une gorgée de thé-vert. Ses yeux gris étaient calme comme les rives d’un lac d’hiver Il poursuivit moins flatteur qu’objectif dans sa restitution :
« David m’a fait part de vos qualités. Je ne vous cache pas que votre profil est exactement ce que je recherche: Accueillante, efficace, réactive, ponctuelle, souriante. Vous feriez des merveilles. Quelles sont vos connaissances en restauration ? Avez-vous des goûts pour la haute-gastronomie ? »
Evanna ne l'aurait jamais admis, surtout en présence d'un invité qui semblait être quelqu'un d'important, mais elle se sentait comme qui dirait « le cul entre deux chaises ». D'une part, elle sentait que sa propre prestance, sa rigueur, qu'elle appréciait et qui était appréciée dans ce bâtiment, n'avait pas lieu d'être à ce moment précis. Mais d'un autre côté, c'était aussi une carapace. L'homme la déstabilisait, et elle avait peur de perdre ses moyens. Toute sa concentration était focalisée sur le moindre mot que l'homme employait, et sur la moindre parole qui allait sortir de sa propre bouche. L'odeur du thé parvenait à ses narines, et, même si elle n'en était pas férue, force était de reconnaître que ça lui donnait envie. Un léger coup d’œil sur les biscuits, visiblement faits maison vu qu'aucun n'était l'exact identique de l'autre, finit de la convaincre de baisser sa garde. D'un niveau ou deux.
Finalement, après un léger soupir qui fut certainement capté par son interlocuteur, elle s'autorisa un sourire en coin, et son corps s'affaissa légèrement sur lui-même. Elle écarte légèrement les pieds et ses jambes, de même que ses épaules se détendirent. Le dos relâché, paraissant un peu plus petite – voire fragile, ce qui ne l'arrangeait pas vraiment à cet instant – elle prit la parole. - Bien, Mr Eirik. Puisque cette conversation pourrait durer un moment, il est idiot de ma part de refuser une telle invitation. Et j'accepte volontiers tout le thé et les biscuits que vous me proposerez, pour peu, si je puis me permettre, de vous demander d'être un peu plus clair dans vos propos. Elle avait parlé sur un ton assez doux, gardant toujours un sourire sincère malgré le rose qui lui montait aux joues. S'avançant lentement, elle contourna l'un des fauteuils et s'y installa, jambes croisées, son pied se balançant en rythme dans le vide. - Concernant mes capacités, je vous remercie déjà des compliments que vous me faites. Je suppose que mon profil a largement été évoqué avec mon directeur, et je le remercierai également. Ou faites-le donc pour moi, je vous en prie.
Evanna se tut, et inspira longuement. Ses yeux bougeaient et s'attardaient sur différents coins de la vaste pièce, sans oser regarder son interlocuteur. Elle semblait réfléchir à la réponse qu'elle allait apporter à l'homme en face d'elle.
- La restauration … commença t-elle, hésitante, j'avoue ne pas y connaître grand chose. Tout dépend ce que vous attendez de moi. L'accueil, je suppose qu'il ne sera pas plus ardu que dans ces lieux. En disant cela, elle écarta les bras comme pour désigner le bâtiment, et osa un nouveau regard sur l'homme, à qui elle sourit en pensant à ce qu'elle allait dire. - Si c'est pour dresser des tables, sachez que j'ai appris où se plaçait une fourchette et un couteau, dit-elle en pouffant de rire, essayant de se détendre elle-même par une touche d'humour. Mais non, je ne connais pas grand chose à la haute gastronomie, pour être honnête. Mais je suis curieuse, un peu touche à tout, et je serai ravie d'apprendre, du moment que l'on m'explique ce que l'on attend de moi.
Son visage se ferma et son sourire avait disparu. Evanna ne souhaitait pas être menée en bateau, et voulait avoir toutes les cartes en main, quand bien même elle était sûre de ne jamais les avoir avec un homme tel que celui en face d'elle. Elle se pencha légèrement en avant, l'air soudainement plus sérieux. - J'y viens donc, qu'attendez-vous de moi, Mr Eirik ?
Le vieil homme appréciait de voir la jeune femme baisser sa garde. Il avait depuis toujours un immense respect pour la Femme. Plus que d’autres, il était très conscient du pouvoir et de la sagesse détenu par le beau-sexe. La galanterie qu’il avait envers elle n’était qu’une façon délicate de leur prouver une reconnaissance disons ancestrale.
Les yeux sages d’Eliott suivaient les pas de l’Écossaise. Il étudiait un tableau vivant. Il avait sur elle et ses gestes un regard professionnel. Un sourire venait discrètement saluer une grâce naturelle:
« Miss Wrexhall merci. Je vous ai promis de ne pas abuser de votre temps et je m’y tiendrais. Je vous en prie servez-vous. Mr Harris m’a assisté en effet. Mais il n’est pas le seul. Vos collègues ont eux aussi mis en avant certaines de vos qualités. Vous semblez être appréciée. »
A son tour Eliott passait entre la table et le sofa pour s’installer en face de son interlocutrice. Il procédait lentement. L’âge lui donnait goût à la lenteur en général. Il tirait délicatement sur les jambes du pantalon pour tirer le tissu. Il se posait sur la texture rebondie avec un sourire appréciateur. Il attrapait ensuite un biscuit pour le tremper dans le thé en sa possession.
De même, le Norvégien analysait la diction, la syntaxe, les arguments d’Evanna. Il notait plusieurs points importants. Elle aurait besoin d’un minimum de formation avant de débuter. Ce dont il se doutait. Il ne serait facile de la préparer en temps et en heure. Il comptait sur sa curiosité pour cela. De plus, il y avait chez elle une propension à l’humour. L’humour était un très bon outil de communication d’autant plus avec la clientèle dont il s’occupait. Enfin, une détermination qui l’aidait à dépasser sa nervosité et qui pouvait en faire un élément solide.
« Le poste que j’ai à l’esprit concerne l'accueil et l’accompagnement des clients uniquement. Le service en salle concerne une autre équipe. Cependant, si votre curiosité pour cet exercice demeure, il est tout à fait possible de vous y former. Mes employés sont fortement encouragés à renforcer leurs savoirs-faire. »
La tasse cliquetait doucement sur la tasse de porcelaine. Cependant que Mr Eirik suivait les coups d’oeil de la demoiselle dans la pièce. Il souriait ensuite à son air volontaire. Il le saluait d’une inclinaison:
« Les établissements dont j'ai la charge ont pour particularité de s'adresser à des personnes d'influences, des personnalités du monde des affaires. À l'échelle internationale. Leur pouvoir et leur richesse en font des individus exigeants. Ce que j’attendrais de vous est plus complexe qu’ici. Je cherche une femme qui soit capable de respect et de discrétion envers la clientèle. Ce que, je le crois votre travail ici vous a enseigné. Une femme qui soit assez fine d’esprit pour comprendre les besoins du client et s’y adapter. Ce que vous avez su faire à faire à l’instant. Mais cela à peu près n’importe quelle bonne hôtesse saura le faire. »
Suite à cette succincte introduction dans les Annexes du Réseau Le Directeur faisait une pause. Il offrait ainsi à sa jeune amie tout le temps de considérer ce qui venait d'être dit. Il devait avancer pas à pas afin de ménager le terrain et éviter de l'éffracter:
« Vous aurez plus à faire que cela. Vous devrez écouter et conseiller des millionnaires, des investisseurs, dont les décisions influencent l’économie anglaise et mondiale. Les clients viennent dans mes restaurants majoritairement pour des repas d'affaires. Il est assez fréquent qu'ils aient profitent de notre équipement pour effectuer des opérations pendant leur rendez-vous. Vous serez donc amenée à donner des avis. Puis-je savoir à quel point vous êtes à l'aise avec les données financières ? La juridiction du marché ? Le cotage en bourse ? »
Les fils brillants et soyeux de la grande toile s’étiraient tranquillement au rythme des mots du vieux loup. Il tournait son pied dans le vide. Les rotations lentes étaient comme le court d’une horloge. Il se posait comme un Maître sans avoir à en affirmer l’autorité:
« Comprenez qu’en travaillant pour moi vous serez un maillon d’une mécanique aussi complexe qu’indispensable. Vous aurez davantage de responsabilités. C’est une très belle opportunité. Mr Harris et moi pensons que vous saurait vous l'approprier. Bien entendu, je répondrais à vos questions. »
Evanna écoutait le norvégien parler, avec beaucoup d'attention. Malgré son attitude visiblement plus amicale qu'au départ, ce n'était qu'une façade, permettant de gagner la confiance de l'homme en face d'elle. Chacun des mots de son interlocuteur était analysé, avec rapidité, et la jeune femme se devait de retenir toutes les informations afin de poser ensuite les bonnes questions. Mais qu'étaient-ce les bonnes questions ? Celles qui, évidemment, apportaient le plus de réponses, mais aussi celles qui déstabiliseraient Mr Eirik. Ce dernier semblait cependant inébranlable, elle Evanna craignait de ne pas avoir la capacité de le surprendre dans ce sens.
Plusieurs choses choses étaient importantes dans le discours de Mr Eirik. Tout d'abord, nul doute que lui et son patron avaient bel et bien étudié son profil. Mr Harris semblait avoir été très bavard, et Mr Eirik avait su tirer les bonnes ficelles. « Influents », « millionnaires », « opérations » ou même « responsabilités » étaient des mots qui lui parlaient, qui faisait bouillir quelque chose, quelque part dans l'air, et qui pénétrait son corps afin de l'envahir. Une ivresse portée par la perspective de reconnaissance, peut-être la valeur la plus importante aux yeux de la jeune femme. Elle tenta de garder la tête froide, chassant de son esprits les quelques nouveaux compliments déclamés par son interlocuteur, et passa à l'attaque.
- Pardonnez-moi, mais j'ai du mal à comprendre en quoi des investisseurs – qui plus est sur le plan mondial – écouteraient les conseils d'une simple hôtesse d'accueil. Je ne peux absolument pas répondre à votre requête, tant que je n'ai pas toutes les clés en main. Et il semblerait que vous ne m'ayez pas encore donné l'intégralité du trousseau. Quel est le poste que vous voulez me confier ? Elle reprit son souffle, sans lâcher le norvégien des yeux. - Ce que je peux déjà vous affirmer, avant de répondre à vos questions, est que le service ne m'intéresse absolument pas ! Elle pouffa de rire poliment et reprit. - Je laisse ça à d'autres avec grand plaisir, malgré tout mon respect pour ce métier. L'accueil et l'accompagnement me vont parfaitement, d'autant que ma dextérité est déplorable dès lors qu'un plateau est soutenu par mes mains !
Tout en disant cela, elle sourit largement à son interlocuteur. Evanna se pencha en avant et saisit une tasse sur la table basse trônant devant elle, déjà remplie, et saisit un biscuit entre ses doigts fins et manucurés avec soin. Toujours tournée vers Mr Eirik, elle enchaîna, les mains prises.
- Mais je vais répondre à vos différentes questions, sans aucun problème. Concernant mes connaissances en finances, je dirai qu'elles sont supérieures à celles du commun des mortels, sans pour autant être experte. J'ai la chance de travailler dans une grande banque, mais dans un poste qui ne me permet pas d'approfondir de tels savoirs. Je peux apprendre, ou donner mon humble avis dans une philosophie de simple bon sens et de morale. Tout dépend ce que vous attendez de moi. Elle prit un temps de repos, buvant une ou deux gorgées dans sa tasse, et croquant dans le biscuit. Le thé était bon, de son avis de novice, et elle prit plaisir à le boire. Le biscuit, fait maison, fondait dans sa bouche. Evanna l'avala avec lenteur, regardant un peu partout dans la pièce.
S'éclaircissant la gorge, elle reprit. - Les responsabilités que vous évoquiez tout à l'heure, sont-elles uniquement liées au conseil des puissants, ou y a t-il autre chose ? Visiblement hésitante, une autre question sortit de ses lèvres avec lenteur. - Et pourquoi Mr Harris m'a proposé à vous ? Qu'est-ce qui vous fait dire que je serai plus efficace qu'une autre ?
Un amoureux des lettres et des Arts tel que le Directeur ne pouvait qu’aimer une utilisation des figures de styles. Il était presque convaincu qu’il avait face à lui une lectrice. Il notait également que Miss Wrexhall jouissait d’une certaine intelligence. Celle dont il avait besoin. Comme il l’avait escompté elle ne s’était pas laisser envoûter par les mots. Elle saisissait la complexité encore sous-jacente de l’offre qui lui était faite.
Mr Erik gardait encore un peu pour lui les quelques clefs de l’intrigue. Il n’était pas aussi pressé qu’il l’avait dit à Evanna. Il écoutait son rire spontané et rafraîchissant. Un rire qui aurait de quoi adoucir les coeurs des voyous de grand chemin:
« C’est avant tout une dextérité de l’esprit que je recherche. Le reste viendra en son temps. Vous n’avez donc rien à craindre. »
Toutes les agences gouvernementales cherchaient à savoir, depuis longtemps, combien de personne travaillaient au juste pour cet homme. Elles étaient des centaines. Toutes étaient formellement engagées dans l’ombre. Les trahisons se comptaient sur les doigts d’une main. Ce n’était pas un hasard. Il savait garder la foi de ses hommes et femmes. De plus, en entrepreneur avisé Eliott avait toujours pris soin de déconnecter les cellules des unes des autres. Il n’avait non pas une toiles mais des dizaines, des centaines de toiles disséminées de par le monde. Lui seul connaissait l'entièreté du schéma.
« Bien sûre, bien sûre, cet endroit ne vous permet pas de développer au plus haut de votre potentiel. Ce dont Mr Harris et moi sommes conscients. Il va de soi qu’avant toute prise de fonction vous serez dûment formée et préparée. »
Le Réseau de renseignement du vieux loup fournissait toutes les informations possibles de trouver sur un individu. Eliott connaissait le revenu, les frais, le budget mensuel, de la demoiselle. Il savait le prix de son loyer. Il savait qu’en venant travailler pour lui cette jeune femme aurait un meilleur niveau de vie. Il était persuadé d’être une très bonne option. D’ailleurs il l’était parce qu’en effet, il ne lui avait pas encore dit le point essentiel de ce poste.
Pas moins de douze autres employées, de différents établissements britanniques, avaient été soumis au regard de Mr Le Directeur. Sur les treize noms proposés, il en avait retenus quatre seulement. Evanna était la deuxième de cette liste. Il lui souriait toujours aussi apaisant:
« Hum. Je vais d’abord répondre à votre seconde question. Vous avez obtenu les meilleurs résultats aux tests, que nous avons incorporé, dans vos missions des trois derniers mois. Ce qui m’amène à vous confirmer, qu’en effet, vos responsabilités ne se limiteront pas à servir l’oreille d’une clientèle. J’ai besoin d’une messagère. Une observatrice. Un bras-droit capable de parler en mon nom. »
Sur ces derniers mots tonnait un drôle de silence. Mr Eirik l'embrassait sans gêne. Il continuait d’analyser les réactions de cette recrue. Il savait que les phrases sibyllines allaient arriver à bout de sa curiosité. Aussi, à tout ce qu’il venait de lui dire, il ajoutait les bénéfices économiques. Sans être le nerf d’une telle négociations, ils faisaient un atout. Il fixait l'Écossaise:
« Bien entendu un tel poste s’accompagne d’autant de responsabilité que d’avantages. Vos frais, assurances, seront exonérés. Vous gagnerez le double de votre paye actuelle. Pour commencer. Oh et bien sûre vous aurez accès à tous les autres services de mon réseau gratuitement. »
