L’université s’est naturellement vidée à la fin du semestre quelques semaines plus tôt. Les étudiants sont partis. Enfin la majorité des étudiants étaient partis. Irina a découvert qu’il existe un programme de cours d’été. En serrant un peu la ceinture, elles ont réussi à trouver l’argent pour payer un stage de quinze jours. Une occasion en or pour améliorer son niveau dans des conditions plus confortables. Donc elle s’est engagée auprès de sa tante à être encore plus studieuse.

Pour autant, avec les beaux jours, et les arbres en fleurs, la concentration est un peu plus dure à conquérir. La demoiselle profite de ces belles journées pour aller prendre son déjeuner dans l’herbe. Là elle peut profiter du chant des oiseaux et du bruissement des conversations en toute quiétude. Elle prend souvent un livre avec elle pour continuer à exercer son esprit à lire de l’anglais. Même si l’envie de reprendre ses romans d’amour la taraude.

Ce midi elle s’est installée sous un énorme peuplier d’où elle a une vue sur la bâtisse. Elle a terminé de manger. Elle a embarqué son violon pour s’exercer à l’air libre. Un exercice que lui a recommandé son professeur. Nina ne l’a encore jamais fait en Angleterre. Ce n’est pas qu’elle a honte de son jeu. Elle sait que son niveau n’est pas mauvais. Mais c’est très différent de la coure de sa maison. Il n’y a pas la neige et le vent pour l’enlacer pendant qu’elle joue.

Toujours est-il qu’elle doit bien essayer. Elle prépare son cher violon avec la délicatesse qu’on a pour ce que l’on aime. Cet instrument est le seul bien qu’elle possède réellement. Elle en prend le plus grand soin. Elle a appris la fin de “l’Eté” de Vivaldi la veille au soir. Un morceau qui est plus difficile que l’on peut le croire. Mais elle a eu envie de le jouer en été justement. La jeune femme dégage ses épaules de ses cheveux. Une grande inspiration du ventre et les premières [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] sonnent.

Le tempo est bon mais ce n’est pas là qu’elle pèche en général. La mélodie est lente douce et part. Et puis, ses grands yeux bleus sont attirés par une démarche, une silhouette. Elle reconnaît le profil délicat, le teint de lait. Le charme du jeune homme accélère les battements de son cœur. Il est beau. La concentration est perdue… Elle éloigne l’archet et murmure un :

-”Bonjour Lyov.” A la façon que le dise les Russes. Nina baisse lentement ses mains. Le sourire qui lui vient est intimidé, charmé. Elle peut sentir le sang lui monter aux joues. Il risque de le voir et peut-être de se moquer. Lyov est aussi joli que dans son souvenir. Le souvenir comptant un premier baiser auquel elle a rêvassé bien des jours après. Elle s'est sentie bête et pourtant... c'était doux. ”Irina. Je suis Irina. On s’est croisés ici à une soirée. Comment vas-tu depuis ce soir là ?.” Elle n’ose pas ajouter et on s’est embrassé. Ou encore, mais aucun moyen de te retrouver après cette soirée. Le destin peut-être farceur quand il s'y met.

Une lueur de joie naissait dans les grands yeux de la Russe d’être reconnue de cet étudiant. Elle s'empourpra aussitôt à la mention de la boisson. Elle comprenait par là que Lyov n’avait donc pas été dans son état normal pendant la soirée. Il l’avait approché peut-être uniquement parce qu’il avait “un peu trop bu”. Mais alors se souvenait-il seulement de tout ce qu’ils s’étaient dit et du reste ? Irina masquait sa déception autant qu’elle le pu.

-”Ce n’est pas grave... ” Nina n’était pas elle-même convaincue par sa réponse. Mais c’était certainement celle que Lyov s’attendait à entendre. Elle n’était pas assez sûre d’elle ou de l’attirance du jeune homme, pour aller le contredire. Elle n’avait pas envie de le mettre mal à l’aise ou elle. Alors, elle prenait la diversion qu’il leur offrait avec une pointe de soulagement. ”Oh ? … Merci. ” La modestie imprégnait toute sa personne. Sur ce sujet elle était autrement plus consciente de ses capacités. ”Je m’entraine encore. … Il y a des passages compliqués. Je dois le jouer bientôt devant des gens. ” De son côté, elle se souvenait bien de leur conversation nocturne. Lyov avait un peu parlé de musique. Il lui avait aussi dit que cela lui manquait parfois.”As-tu repris toi ? ” Ce qui l'intéressait sincèrement. Kasparov était bien placée pour savoir combien cet art faisait du bien.

Lyov était mignon même quand il était mal à l’aise. Irina appréciait la grâce de ses traits. Elle avait du mal à ne pas le dévisager. Elle se sentait attirée et ne s’en sentait que plus intimidée. Chez elle en Russie s’était différent. Elle avait les codes. Mais ici… tout était si différent.

-” Je vais bien aussi. ” Un sourire timide trahissait son indécision. Elle ignorait s’il allait la fuir. Ou si elle pouvait tenter quelque-chose. Elle resta plantée là à le regarder. Heureusement il y avait de l’activité dehors. Il était impossible de tomber dans un silence complet. Mais Irina ne voulait pas devenir un élément gênant. ”... J’allais faire une pause… ” Ce n’était pas tout à fait exact. Mais elle pouvait s’arranger avec sa bonne conscience pour une fois. ” Tu as quelque-chose à faire ? Sinon… ” Nina ne savait pas comment formuler les choses en anglais. Cette langue manquait encore de nuances pour elle. ”Cela me ferait plaisir de parler avec toi. ” Voilà qui leur faisait une bonne demie mesure.

Ils étaient un peu plus proches maintenant. Kasparov était un papillon et lui une jolie flamme. Elle lui répondait d’un ton plus enjoué qu’elle ne le faisait avec d’autres ici.

-” Oui. Ce n’est pas un grand concert. Mais c’est pour débuter. ” Irina demeurait un être de modestie. De ces personnes qui étaient accoutumés à ne pas se faire remarquer, à exister dans l’ombre. Cela faisait partie d’elle comme d’autre savaient irradier. Voir Lyov intéressé par son parcours lui réchauffait le coeur et les joues. ” C’est au grand auditorium. ” Un événement tout de même dans la vie d’une jeune musicienne. Mais la petite Kasparov n’aurait pour la soutenir que sa tante exilée… Personne ne savait qu’un tel événement allait arriver. ”J’ai peur. Et je suis … “pressée” ? ” Le mot anglais ne paraissait pas tout à fait exact. Mais elle n’avait pas envie de sortir le dictionnaire devant lui. Elle ne voulait pas qu’il la voit comme une fille stupide.

-” Oh oui… c’est dommage. ” Irina était sincère. Elle avait eu la sensation de se retrouver devant un pair de la musique, lorsqu’ils avaient discuté. Quelqu’un qui comprenait toute la force de cet art. ” Je voudrais entendre ta musique. ” Il y avait un temps conditionnel en anglais, mais elle ne le maîtrisait pas encore à l’usage. Aussi favorise t-elle encore les structure de phrase simple. Ce qui était parfois frustrant quand on possédait une richesse d’expression dans sa propre langue. ” Tu sais, il y a de la place pour toi, là où je m’entraîne. Tu peux venir. ” C’était bien trop ancré dans le coeur de cette jeune fille pour qu’elle ne tente pas d’encourager autrui. De plus, elle était très curieuse de le voir jouer. Il y avait tellement de choses partagées grâce à la musique. ” J’y vais le jeudi soir. Je peux te montrer. Si tu veux. ”

La demoiselle ne pouvait s’empêcher de sourire. C’était un sourire heureux de quelqu’un à qui l’on vient de faire un cadeau inespéré. Elle avait très envie, oui, de faire quelques pas avec ce garçon.

-” D’accord ! ” Nina devait donc s’occuper de ranger ses affaires. Elle se tournait vers son bazarre pour tout regrouper et remballer. Elle avait une façon gracieuse de se mouvoir. Quelque-chose qui n’était pas foncièrement naturel et qui trahissait la marque d’une exigeante éducation. Elle hésitait un instant à confier son instrument à quelqu’un d’autre. Mais en croisant le regard de Lyov elle s'adoucissent tout de suite. Dans un signe discret de confiance, elle lui tendit l’étui. ” Tu es gentil. ” Ce qui dans la bouche de l'expatriée était un véritable compliment. Tout le monde n’était pas gentils dans son monde et encore moins les hommes...

Ils quittent donc le grand arbre et déambulairent dans le parc. Irina marchait tranquillement. Elle regardait le paysage qui les accueillait d’un oeil doux. Maintenant la neige lui manquait moins. Probablement parce qu’elle était en bonne compagnie. Son regard allait parfois vers le jeune homme avant de revenir droit devant. Inconsciemment, la main de Nina se balançait non loin de celle de Lyov et l'effleurer parfois.

-” Est-ce que tu aimes cette école ? ” Parce qu’elle n’osait pas aborder un sujet plus personnel, sans sentir qu’elle en avait de nouveau le droit. Peut-être après tout que Lyov regrettait de s’être ouvert à quelqu’un… comme elle.

-”... Est-ce que tu pourras venir ? ” Elle avait réussi à lui poser la question de façon directe. ” Si tu ne veux pas ce n’est pas grave. Tu n’es pas obligé! ” Parce que brusquement, elle se demandait si elle n’avait pas utilisé une formulation trop péremptoire en anglais.

La précipitation de sa défense avait sûrement été tout aussi brutale. Si bien que la jeune fille s'empourpra davantage. La frustration de ne pas encore maîtriser correctement la langue était d’autant plus présente. Irina fit un pas vers Lyov et tentait de s’exprimer plus lentement. ” J’aimerais que tu viennes. ” Enfin! Elle ne savait pas comment, mais elle venait bel et bien d’exprimer son désir.

-” Essayer, c’est bien ! ” Kasparov approuvait l’initiative d’un sourire volontaire.

Tout le monde n’avait pas été à l’écoute de sa sensibilité dans son foyer. Mais sa mère avait toujours été très encourageante et très patiente. En particulier pour l’apprentissage. La formule venait d’elle. C’était grâce à cela que Nina n’avait encore jamais lâché la musique. Depuis la mort de sa mère c’était plus compliqué de s'accrocher. Mais peut-être que encourager un autre musicien lui donnerait la niak.

Irina trouvait qu’il y avait un peu de romantisme à se faire aider par un garçon pour porter ses affaires. Elle échangeait des sourires, des regards à la volée. Un jeu de hasard qui lui procurait des petits frissons dans le bas du ventre. Elle n’avait plus ressenti cela depuis longtemps. Cela faisait du bien c’était comme se sentir renaître.

-”Le Droit ? C’est pour défendre les gens ? Tu vas aider les gens ! ? ” Un grand sourire d’admiration éclairait alors le visage de la demoiselle. Lyov avait l’air encore plus charismatique alors qu’elle l’imaginait dans son rôle. Irina aurait tout donné pour voir quelqu’un de sa famille faire un métier comme celui-ci et non pas travailler dans le crime et le trafic. ”Aider les gens ça nous rend meilleur. Ce n’est pas trop dur ? Le Droit ? ”

-”Oui moi c’est pour la Musique. Et puis pour apprendre l’Anglais. ” La voix était suspendue. Irina faisait une petite introspection. Elle n’était pas venue en Angleterre dans les meilleures conditions. Elle n’était même pas sûre que son père voulait son retour, ou bien qu’elle ait envie de rentrer elle-même. Moscou était devenue une prison. ”J’aime ici. C’est… calme. Il n’y a pas de … ” Non c’était mieux de ne pas parler de cela avec un inconnu. La Bratva avait des quartiers sur Londres. Ca tante le lui avait aassez répété. Nina adressait un petit sourire en venant lui prendre la main. ”J’aimerais bien aller voir un film au cinéma. … pour mieux apprendre. ” Elle retenait un peu son souffle. La timidité et le doute faisaient accélérer son coeur. ”On pourrait y aller ensemble ? ” C’était dit !

Miss Kasparov apportait les précisions du rendez-vous avec exactitude. Elle donnait même deux fois l’horaire parce qu’elle craignait que son accent donne du mal à la comprendre. Elle ne voulait surtout pas que Lyov manque la représentation à cause de ça. Cela lui donnait une pression supplémentaire de savoir qu’un garçon qui lui plaisait serait présent dans la salle.

Mais Lyov lui mettait une mis en garde. Irina n’arriva pas à cacher sa première réaction. Une franche déception qui pouvait se lire sur son visage comme dans un livre ouvert. Il ne le savait pas, mais il agissait de la même façon qu’un homme important à ses yeux. Un homme qu’elle avait passé tout son enfance à attendre. Le père de Nina était un homme d’affaire très occupé. Il était quasiment tout le temps ailleurs pour son travail.

”Oh. Mince. Oui. Je comprends. On ne fait pas toujours comme on veut. Alors… J’espère que ça n’arrivera pas ce jour là. Pour que tu puisses quand même venir. ” Lui disait-elle en essayant de ne pas placer trop d’espoir. Mais elle ne pouvait pas lui dire que maintenant que sa mère était morte, elle avait peur de jouer devant un public, sans sentir ses encouragements la porter. Elle cherchait inconsciemment une aide extérieure pour avancer dans ses défis.

”Je connais les échecs. Mon oncle joue aux échecs. Il joue très bien. Ce n’est pas un jeu facile. Il faut être… “concentré” ? ” Le mot lui échappe en anglais alors elle le dit en Russe. Nina revoit clairement son oncle et son père penchés au-dessus du plateau de jeu, à déplacer les pièces. Ils parlaient à voix basse en sirotant de la vodka. Elle n’avait jamais su exactement ce qu’ils se racontaient. Mais cela avait toujours l’air très important. ”Tu fais payer les gens beaucoup d’argent ? Même ceux qui n’en ont pas ? ”

”Merci. Peut-être qu’on peut faire les deux ? Tu me parles en russe et je te répond en anglais ? ” Ce qui pouvait être le meilleur exercice pour les deux. Ils s'améliorent ensemble. Exactement comme quand Irina faisait les conversations avec Swan. Avec tout cela elle espérait devenir une bilangue d’ici la fin de son cursus. Elle adressa un sourire encourageant à Lyov.

”Oui. Un soda après ça me va bien. Quel genre de film aimes-tu ? Un film d’action ? ” Cela était encore dans les budgets. Elle n’avait pas à lui expliquer qu’elle était sans le sous ce qui lui allait. Irina n’aimait pas être quelqu’un qu’on plaint. C’était aussi pour ça qu’elle ne parlait pas de son histoire familiale. Ici elle était “neuve”. Elle pouvait être qui elle voulait. ”Je peux te prendre la main ? ” Ici elle serait une jeune fille libre et audacieuse, capable de prendre la main d’un garçon sans rougir. Voilà ce que pensait Irina Kasparov. Lentement elle tendait sa main vers la sienne en retenant son souffle, dans l’espoir qu’il la saisisse.