Soir de semaine, dans un Londres déserté, par une bonne partie des employés de ville. Les gens profitent des congés pour s’évader, aller dans l’arrière pays changer d’air, retrouver la famille. La capitale profite du Brexit qui diminu la fréquentation touristique. Les terasses des cafés (et non bars) sont de plus en plus étendus sur la chaussée. Les gendarmes tolèrent parce que cela est bon pour l’économie. L’air est respirable même s’il fait chaud.
Il fait un bon vivre.

Le bar de la Strike est caché de la rue passante. Porte en fer blindé, codes, escalier souterrain. L’endroit était un dépôt d’imprimerie avant la prohibition. Un groupe de rebelles l’a transformé en secret juste après la fermeture des distilleries. La cavité est sous le niveau de la rue, isolation sonore et thermique naturelle. Les trente degrés deviennent 26 ici.
La carte propose une bonne partie de ce qui est interdit. Le fond de commerce fonctionne grâce à toutes les importations frauduleuses. Commissions passées sous le manteau, pattes graissées, la loi a peu de poid. D’ailleurs rares sont les anglais qui savourent la sobriété réglementaire… La Strike en première ligne fait acte de désobéissance.

Junior n’y a pas mis les pieds depuis un moment. Bien trois mois qu’il s’est fait porté absent à la vie “mondaine” de la rue. La cure, Megara, les choses à régler, tant de raison d’absence. Ce ne sont pas les seuls. Il a voulu -consciemment ou pas- libérer cet espace pour sa coéquipière.
Rylee qui a des habitudes ancrées. Rylee qui a ses repères et qui a eu besoin d’espace.

Les choses semblent aller vers un mieux. Le temps et la distance ont commencé à avoir des effets. Ils arrivent à communiquer sans rage, ou vexation, ou dépit. Mais, il demeure une part de irrésolue dans leur relation. S'ils ne se l’ont pas encore dit franchement le ressenti est là. Comme une plaie qui n’arrive pas à cicatriser correctement.
Sur la demande de Byrd, Zac n’a rien tenté pendant la période de cure. Il s’est maintenu dans sa retraite. Aucune interaction. Il a discuté avec les professionnels de son attitude. De quoi saisir tout ce qu’il n’a pas fait de bien avec sa soeur de coeur. Son alliée la plus ancienne et la plus sûre. La partenaire qu’il admire. L’amie… promise à devenir une belle-soeur.

Je ne te parle pas, ou quasiment pas de la connexion qui peut relier Zac à moi. Ou moins à Zac. Mais depuis que je vais mieux et qu’il se prend en main ce lien est plus fort. Je sens que ma nervosité envoie un écho à la sienne. Nous ne le sommes pas exactement de la même façon. La raison est la même.
On a tous les deux envie que ça marche.

Zac arrive en avance. Il prend la table de l’équipe. Il passe la commande habituelle pour la dame. Il opte pour une bière moins forte que la familière de son côté. Il a pris ses précautions de tous les côtés. Megara a tondu ses cheveux pour la saison. Il est rasé. Propre. Le t-shirt est neuf.
On dirait que l’homme, le vrai, est de retour. Celui que l’on appelle affectueusement Junior.

-“Hey.” Il observe Rylee. Il sait qu’elle a été sur le terrain. Il sait que depuis un an une femme vit à sa charge. Que cela a été rude, entre lui, l’enlèvement de JB. Tout. Il la laisse s’installer sans l’ennuyer. Les mains sur la chope, il attend.

-“Merci d’avoir dit oui.” Commence-t-il d’une voix moins roque. Il n’a rien de la bombe à retardement. Il a les pieds ancrés dans le sol. Il n’est pas courbé. Il y a des signaux clairs de reprise en main. Même si rien n’est parfait. “J’tai commandé ton truc.” Lui même prend une gorgée d’encouragement.

-“ … Comme j’ai dis dans mes messages. J’ai des trucs à te dire. Je suis clean. Je me soigne. Je travaille sur moi. ” Il n’y a aucun signe de vanité. Sanders fait l’état des lieux. Signe de sa bonne fois. La volonté d’avoir une conversation dans les meilleures conditions possibles. “Je voudrais faire amende honorable. Tu me manques. Notre relation me manque. Et puis … je t’aime.” Il ne l’a peut-être jamais explicité autant. Mais c’est pensée et personne n’a de doute sur la fraternité. “D’abord je voudrais te demander pardon. Pour tout ce que je t’ai dis la dernière fois que je suis venu chez toi. C’était déplacé et faux. J’étais con. ” Pas besoin de tergiverser sur cette partie de l'histoire.

Junior a un hochement de tête volontaire. Maintenant il comprend que la bataille est loin d’être finie. Un guerre éternelle contre sa faiblesse, les failles. Il sait que c’est pour toujours qu’il va devoir contrôler ce qu’il est. Un revirement fondamental et pourtant indispensable pour préserver la meute.
Il dit aux psychologues qu’il a peur de lui-même. Peur de ne pas être suffisamment solide pour ce combat. La modestie d’un grand pécheur. Chaque jour gagné sur ses défauts est une victoire. Il n’en tire aucun plaisir. Si ce n’est de se dire que peut-être, dans un avenir plus moins lointain, il pourra de nouveau mériter leur confiance.

-“ … Putain… Ouais. Ca fait encore chelou. ” Réplique-t-il avec humour. Il incline de la tête et porte lui aussi la chope à ses lèvres. Rylee mariée. Rylee mariée avec Izaline. Izaline mariée. Zac n’y aurait pas pensé de sa vie.

-“ Clair.” Lui répond-t-il calmement. Sagement même. C’est une mise en garde qu’on lui a dite plusieurs fois. Le Père, l’épouse, la soeur… Chacun son tour est venu avertir de chien fou. Il s’agit d’une dernière chance. Oui la dernière de toutes celles qu’il a pu avoir. Dieu est témoin qu’il a entendu. “ J’me louperais plus Rylee. ” Ce qui ne sonne pas comme une promesse. Sanders n’en fait plus dont il n’est pas sûre. Mais ce dont il est sûre c’est qu’il y met et qu’il y mettra toute son énergie vitale.

Il partage son évolution mentale:

-“ … Je veux … Je veux voir les gosses grandir. ” Lui confie-il. Car c’est également un pas dans la reconnaissance de cet homme. Il travaille sur lui. Il accepte le fait qu’il ne sera pas comme son Père le Comte. Il ne sera jamais le père parfait. Non. Mais, il peut être un père. Il en est capable. Sans faire trop d’erreurs. Le temps passé avec Matthews le lui prouve. “ On a été à l’écho.” Lui lève les yeux sur son amie. Il secoue la tête doucement et lâche.“ Un garçon et une fille. ” Rien que de le dire à voix haute le fait rire. Sacré clin d’oeil génétique tout de même. “ Ca va tellement être le bordel!” Bien sûre ça lui donne la frousse. Mais à la lumière dans ces yeux gris le doute n’est pas permit. Junior est heureux. Sincèrement heureux de cette imprévisible aventure.

-“On a pensé à toi. Pour être la marraine de la petite. Si ça te tente...” Il lui adresse un regard explicite. Car bien sûre Zac n’est pas inconscient. Il sait très bien que Byrd et les enfants sont antinomiques. Mais pour un petit loup de la bande ? Et avec Iza pour la seconde en prime. C’est un défi qui peut se relever. “ Ta future s’en chargera sinon. ” Il rit rien que d’imaginer sa jumelle avec le futur bébé.

Là il repose doucement la bière. Il plante ses yeux dans ceux de la femme qui lui fait face. Il est un sujet qu’il a envie d’aborder avec elle. Le sujet qui a été à l’origine de ses fautes.

-“ … J’ai été jaloux. ” Zac ne l’a pas encore dit aussi explicitement à Iza. C’est une démarche un peu plus compliqué. Le dire à Rylee est un premier pas. Il passe une main sur ses joues imberbes. Marque d’une pudeur toute masculine. Ce n’est pas tout les jours que Junior fait de l’introspection. Plutôt prompt à fermer la bouche sur les vrais sujets. “ Et puis j’ai eu peur de la perdre. De vous perdre toutes les deux. … Alors que putain c’était le contraire. ” La peur aveugle. L'amour peut aveugler aussi. Le plus important est de s'en rendre compte.

Ils portent le toast. Junior approche la chope de ses lèvres. Il la garde en suspend le temps d’une pensée. Il se revoit petit garçon à courir après sa soeur dans les champs indiens. A l’époque insouciante, celle où rien ne pouvait les séparer l’un de l’autre. Ils ont tout fait ensemble, les bonnes et les mauvaises choses.
Jusqu’au débarquement en Angleterre. Oui. Londres, la grande ville, les autres, tout cela les avaient lentement éloignés. C’était à partir de là que tout s’était détérioré enfin de compte.

-“ Oui fais. Tu me dis quoi. ” Zac incline le menton en signe d’entente cordiale. Que Rylee ne rejette pas la demande en bloc est une victoire. Cela veut dire qu’ils ne sont pas complètement perdus. “ Et heu pareil, je ne l’ai pas dit explicitement… Mais si vous avez besoin d’une aide pour le mariage… Tout ça… On est là. Bien sûre. ” Meg et lui sont passés par cette étape il y a un bon moment. Mais Junior se souvient assez bien du temps d’organisation. Même la cérémonie la plus basique réclame de l’investissement des parties.

Un petit sourire lui vient alors qu’il songe au rituel de l’enterrement de vie de jeune fille. C’est une étape importante. Lemoine sera probablement l’organisateur. Zac a cependant quelques idées bien à lui pour marquer le coup. Il ne peut pas, ne rien faire, surtout maintenant qu’ils se retrouvent lui et elle.
Byrd mérite tout ça et plus encore.

-“ Oui. Je sais. Maintenant je l'ai compris. Je suis désolé. Il m’a fallu du temps. ” Izaline n'arrive pas encore à parler avec son jumeau. Quelques semaines auparavant elle a fait un pas et écrit une lettre. Une longue lettre pour lui dire une chose essentielle. " Je ne l'ai pas vu comme ça. J'ai juste vue une amie qui a pris mon rôle. Ma soeur, ma responsabilité. " Lui confesse-t-il en affrontant le regard.

Ceux sont des vérités que Sanders commencent à accepter. La thérapie permet d’avancer sur ces vérités. Il progresse lentement sur le chemin de la maturité. Lui qui n’a jamais été un grand courageux quand il s’agit du coeur. Mais il peut au moins semer les graines d’une paix.
“ … T’as super bien géré.” Maintenant, l’esprit au clair Zac est capable de voir les faits sans rage et sans autant de culpabilité. Il peut donc dire ce qui s’est avéré réel et non ce qu’il a interprété. “ Ca m’a fait éclater à la gueule… à quel point je ne pouvais pas le faire moi. ” Il souffle contre lui-même. Car même s’il n’a pas su le dire tout de suite, Junior s’en veut de ce qu’il a imposé à Megara, Rylee… Iza.

-“ C’est ma culpabilité que je t’ai fait subir. Ce n’était pas bien. ” Il prend alors une gorgée de bière pour évacuer sa gêne. C’est pour lui une épreuve d’affronter ouvertement ses faiblesses qui sont légions. “ Voir qu’Izaline se sent plus en confiance avec toi qu’avec moi ça m’a retourné. J’étais pas prêt pour ça. ” Le remord est lisible sur sa face reposée. Sanders est dans un élan de sincérité rare.

-“ C’est de ma faute. J’ai agis en solo.” L’infiltration prolongé l’avait changé. Mais il n’avait pas appréhendé à quel point, avant qu’il ne soit trop tard. “Je suis reconnaissant… Que tu l’ais aidée. Que tu l’ais sauvée. Parce que moi je n’aurais pas pu. ” Zac se passe une main sur le visage pour rapidement effacer une larme. Ce n’est pas la même chose de le dire devant un psy, que devant la personne, qu’il a fait souffrir. “ Et puis… tu fais une putain de Belle-Soeur. ” Ajoute-t-il pour alléger l’ambiance.

Zac Sanders acquiesce lentement, sans grogner, contre la vérité. Rylee est une messagère. Elle n’est pas une accusée. Inutile de lui faire peser ce qui ne peut plus être changé. Iza a souffert et ils doivent tous faire avec. Elle en premier lieu doit vivre avec “ça”. Eux aussi.

-“ Oui.. ” Lui dit-il à mis voix. De part le métier, la Strike sait à peu près ce que provoque une séquestration de plusieurs mois, sur un esprit humain. C’est une chose quand ça arrive à un inconnu. Mais s’en est une autre quand sa tombe sur une soeur. La Soeur.
Le psychologue de Sanders est au courant de l’affaire. C’est l’une des premières choses qu’ils ont abordé en séance. La disparition, la recherche, la libération, la séparation, tout est venu sur a table de dissection. Zac a dû tout mettre bien à plat et observer ses erreurs.

-“ Tu penses qu’elle … que ” Les phrases se formulent mais ne sortent pas encore. Zac passe une main sur son visage, signe de confusion intérieure. La culpabilité transpire davantage que la rage. Il est capable de savoir ce qui le tourmente vraiment. “ … Ils l’ont violée, c’est ça ?” Oui c’est une chose de savoir. Mais personne n’a rien confirmé ou infirmé devant lui. Tout le monde à protégé la décision d’Izaline. Maintenant, lui aussi a besoin de connaître son histoire. Plutôt que cet horrible “fantasme” qui comble ses questions sans réponse. “ Elle va s’en sortir tu crois ? Je veux dire… vraiment ? ”

-“ Ouais. T’as raison. Je sais. Faut qu’on en parle. C’est un début de le reconnaître ouvertement. Jusqu’ici Zac n’en avait pas été apte. Il a trouvé une quantité astronomique de raisons. Jamais les bonnes raisons du problème. Byrd a compris avant lui. Iza a également compris. “ Mais c’est peut-être tôt encore, non ? Je ne sais pas. Tu penses qu’elle a envie d’en parler ? Je ne veux pas me planter sur ça aussi. ” Il fautqu’il ménage tout le monde.

-“ Ouais.” Marmonne le gars pour reconnaître un autre des points fondamentaux. Ils sont égaux au sein de la meute. La Strike ne les met pas en concurrence. Elle les lit. Si Junior s’est perdu c’est bien à cause de lui-même et pas de l’équipe. Ceux sont ses doutes personnels qui ont tout empoisonné. Il ne s’est plus fait confiance. Il aurait dû s’arrêter avant de partir en vrille.
“ Vrai que c’est une badasse.” Approuve le frére avec de la fierté. Il n’a pas énormément vu sa jumelle. Mais il entend tout ce qu’ils disent sur ses progrès. Même Marlon pense qu’elle avance bien. Tout le monde. C’est rassurant. “ Fin vous l’êtes toutes les deux.” Commente-t-il aussi. Rylee a eu ses blessures. Elle a un passé qui n’est pas facile à porter non plus. Ceux sont en fait deux rescapées. Oui deux sacrées survivantes qui ont du chien. Elles se sont sans doute trouvées pour ça aussi. Maintenant Junior le voit. “ Je voudrais être une souris pour la voir tenir tête devant toi d’ailleurs ! ” Parce que étant donné ce qu’il sait d’elles, ça doit être tonique, certains jours, au hangar. Il a un sourire taquin pour détendre sa collègue. Une boutade de plus pour la retrouver.

-“ C’est le premier truc que m’a dit le psy oui. J’ai arrêté d’écouter. … Ce ne sera plus comme ça maintenant. Je vais faire attention. Je vais écouter. Même quand ce sera des trucs “chiants”. ” Il entame la fin de sa première chope. Cela lui donne le temps d’avaler le conseil de Byrd. Il met ce qu’il vient de lui promettre en pratique. Il doit encore faire attention. Quand leurs regardent se croisent il reprend la parole. “ Je vais aller parler avec JB aussi. Est-ce que tu veux me dire des trucs toi ? ” Zac a été l'initiateur de cette rencontre entre eux. Il veut partager avec elle. Il a monopolisé l’espace de parole pour aborder les sujets qui lui paraissent importants.
Ce qui ne veut pas dire qu’il a pensé à tout ou que Rylee est satisfaite de son côté. Il cherche à être dans cette écoute amicale… que dire fraternelle.

En un regard, ils partagent les deux sentiments les plus puissants de l’être humain. La haine, celles qu’ils ont contre les Albanais ou plus largement contre ces criminels qui pourrissent Londres et le monde. L’amour, celui qu’ils ont pour cette femme Izaline, et pour le groupe en son entier.
Zac retrouve dans les yeux de Rylee ce qui a fait le ciment, la base, de leur amitié. Plus que l'amitié, la fraternité que cette décennie de travail a permis de développer et de renforcer. Ils ont toujours été proche les uns des autres pour protéger leur bande.

-“ Les parents me rendent responsables pour ce qui lui est arrivé.” Sanders a gardé précisément en mémoire cette conversation, eut quelques heures après qu’il eut compris qu’Iza avait disparu. La comtesse n’avait pas pris de détour. Elle avait exposé ce que son fils ressentait au fond de lui. “ A force de nous entendre parler de ces pourris elle a voulu faire sa part. Je n’ai pas été assez vigilant. Mais je vais l’être pour la suite. ” Déduit le flic d’une voix sourde. Il rumine cette culpabilité depuis maintenant un an. Les thérapies ont permises de canaliser les émotions. Mais il n’y a qu’une personne sur cette terre capable de les apaiser. Il le sait. Pourtant, il se sent moins de courage que Mathews quand il est question de sa jumelle.

Une gorgée chasse l'appréhension. Vivre avec l’esprit au clair tient encore de la torture pour Junior. Il doit faire avec tout ce qui passe. La plupart du temps ceux sont des choses sombres, noires, difficiles. Il réprime un frisson en se raclant la gorge.
Le plus dur est de repousser l’envie de s’échapper de la réalité par la voie express.

-“ Elle aussi elle me manque.” Il secoue ses épaules en signe de résignation. “ Vous me manquez tous.” Lui confie-t-il sans aucune honte. Zac voudrait retrouver ce qu’il a perdu. L’esprit d’équipe, la camaraderie, la simplicité, toutes ces choses qui font la colonne vertébrale de son existence propre. Mais; il est impossible de forcer les choses, de les accélérer. L’humain a ça de beau est de complexe, qu’il est unique. “ J’espère qu’il n’est pas trop tard pour réparer. L’équipe c’est mon monde. ”

Cela débute par accepter le changement. Les changements qui sont arrivés et contre lesquels il est inutile de lutter. Le fait que Rylee aime Izaline et qu’Izaline le lui rend bien. Zac doit se faire totalement au concept de “elles” en couple. Il ne ressent plus la même gêne face à l’humour de sa coéquipière à présent.
Ceci dit, il évite clairement de s’attarder sur les sous-entendus. C’est beaucoup trop étrange de conceptualiser l’existence d’une intimité entre les deux soeurs de sa vie.

-“ Ouais. Je me souviens de ses techniques pot-de-colle! Quand elle a un truc en tête… Si elle le fait le “chat potté” c’est qu’elle va mieux. ” Râle-t-il par pure forme. Jusqu’à leur vingt ans la chipie pouvait obtenir absolument tout de son frère. C’est grâce à l’arrivée d’autres filles et garçon autour d’eux que cela s'était estompé. Megara avait énormément aidé à rééquilibrer les choses par exemple. “ … Je suis content qu’elle soit heureuse avec quelqu’un. Je suis content que ce soit toi. Je sais que tu vas prendre soin d’elle. Y a des chances que tu fasses des vieux os maintenant en plus. Je suis doublement gagnant dans cette histoire en vrai. Désolé, de ne pas l’avoir dit plus tôt, Rylee. ” Un mouvement de menton signe le pacte de non agression du quarantenaire. Il est venu allumer le calumet de la paix. Il frotte une démangeaison de joue, alors que leur discussion continue de le faire réfléchir. “On devient vieux ! A se caser … ” Pour des loubards qui ne songeaient pas à dépasser les 45 ans. Zac retient une question sur un rôle d’oncle. Trop tôt pour faire de l’humour sur ce point avec Byrd. En revanche il peut s’amuser sur les rumeurs qu’il a entendu. “ Manque plus que JB se fasse passer la corde...” Une hypothèse à laquelle Sanders ne croit pas une seconde. Cependant, imaginer est divertissant.

Les deux amis tiennent le rôle assigné. Lui le repentant. Elle la gardienne. Les réserves de Byrd ne sont donc pas surprenantes. Elles sont rassurantes. La preuve que les actions comptent encore, qu’elles comptent toujours. Junior est attendu au tournant. Il n’est pas mis au banc. Il en éprouve un soulagement silencieux.

-“ Ouais.” Un sourire amusé lui vient car il a l’impression d’entendre le psychologue dans la bouche de Rylee. C’est en substance les mêmes recommandations. Il faut cesser de se focaliser sur la vie, ou l’avis des autres. Mais être capable de s’occuper de soi, d’aller au fond des choses. “ Moi… ” Le loup partage un regard entendu avec sa camarade. Même avant cette énorme crise Junior n’était pas du tout fait pour se regarder dans les yeux. “ Y a du taff!” Au moins, c’est un défi accueilli avec un rire.

L’expression faciale de Junior est aussi criante que tous les mots qui lui viennent au bord des lèvres. Il n’a pas su que sa jumelle a eu besoin d’aides. Il a été écarté et n’a pas non plus cherché à savoir à quoi ressemblait la vie d’Izaline. Il a gardé la vision d’une jeune femme roosts qui accumulait les jobs intérim dans le monde de la presse.
A aucun moment ne lui est venu l’idée qu’elle était devenu une journaliste.

-“ Toi tu savais qu’elle fouillait sur les Albanais ? ” Interroge le flic pris en faute d’infos. Il veut connaître l’étendu du fossé qui s’est dressé entre lui et sa soeur. Inutile de se chercher une nouvelle fois des excuses. “ … J’espère qu’elle va pas reprendre dans ça.” Marmonne-t-il en portant la chope vers sa bouche. Il n’est pas le mieux placé pour donner des conseils de carrière. Zac ne veut pas donner un bâton pour se faire battre. Il peut sans aucun doute compter sur leurs proches pour mettre Iza sur une autre voie professionnelle.

Les yeux du loup fou lancent des éclairs. Des éclairs brutes et dangereux. Plus d’une fois, il a eu envie d’activer son réseau interne. Certains hommes infiltrés dans la prison du comté doivent un service à Sanders. A un moment donné, il a été là pour fermer les yeux sur un trafic. Ou filer un coup de main. Ou donner une info. Ces petits services illégaux assurent ses arrières. Il aurait été facile d’en profiter. Faire éliminer les salopards qui ont détruit sa soeur, son sang, sa chair.

-“ Ouais. Y a intérêt à ce qu’ils aient perpét’. ” Impossible de dire si Zac parle pour la sécurité des citoyens anglais ou bien des trafiquants eux-même. Une chose est certaine néanmoins.
Ce gang ne fera plus jamais rien sans que la Strike en soit instantanément informée. A la première occasion Junior leur fera vivre les enfers.

Quant à savoir s’ils réussiront tous à dépasser la cinquantaine il n’y a rien de sûre. Sanders ignore dans quel état il sera dans dix ans. Il n’a toujours eu qu’une seule philosophie: vivre jusqu’à demain. Un état d’esprit qui commence tout juste à se tasser. La thérapie de fond l’aide à poser les choses. Il envisage beaucoup plus concrètement sa paternité. L’idée d'élever des enfants et donc de les voir grandir.
Pourtant, il sait que cela ne va pas avec le métier qu’il fait. Actuellement, incapable de faire le moindre choix, Junior réfléchit. Il réfléchit beaucoup pour quelqu’un qui n’a jamais fait plus que vivre -exister- dans l’action.

-“Ouais. Tout ça.” Acquiesce-t-il en sentant ses épaules écrasées par le poid des responsabilités. Il ne peut plus faire fie de la réalité. L’esprit au clair, la conscience de ce que l’on attend de lui. Il y a ces enfants à accueillir dans une famille en reconstruction. Une femme à reconquérir. Une équipe à soutenir. Un an en arrière Zac n’aurait pas pu regarder tout cela en face. A présent, il est effrayé. Mais il ne se dérobe pas. C’est le premier pas du long chemin à parcourir. “ On a presque fini la chambre des petits. J’vais peut-être avoir besoin d’un coup de main pour transporter les meubles. Tu serais Ok ? ”

-“Fin septembre. ” Ils ne planifient pas de façon plus précise. Le savrage est fait. Le travail psychologique peut évoluer de façon imprévisible. La vitesse de progression n’est pas constante. Tout dépend de la façon dont Sanders assimile les choses. “ J’aimerais bien revenir avant l’automne. Les petits seront nés. On sera rentrés dans le rythme. … Mais bon. C’est comme tu dis. On verra. J’fais tout pour en tous les cas. ” Il désigne sa collègue concentré sur son téléphone. A la façon de faire il déduit l’expéditeur du message. Il en sourit en coin. “ Elle sait qu’on se voit ? ” Junior lorgne sur la pendule du bar pour vérifier l’heure.
Rylee n’est pas la seule à moins traîner le soir. Il y a à demeure une femme enceinte qui compte sur le soutien de son mari.

Un coup d’oeil à la table. Les bières sont quasiment terminées.
Ils ont pu parler un petit moment. Les choses sont plus posées. Ils peuvent être satisfaits de la mise à plat. Les bases sont éclaircies. La suite dépend des efforts de chacun. Zac le premier sait qu’il va devoir montrer patte blanche. Mais il sait pourquoi.

-“ Bon, bah c’est cool d’avoir accepté ce petit verre. C’est bien qu’on ait pu se poser et parler. J’te remercie. ” Lance-t-il pour libérer la dame en douceur. Il lui adresse un petit signe de la tête. Il étire son bras pour saisir sa veste pendue sur le dos de sa chaise. “ T’embrasseras ta femme pour moi ? ” Une petite taquinerie maintenant nimbée d’affection fraternelle. Ils ne sont plus dans le même état de nerfs. A l’avenir ils pourront sans aucun doute rire de cette “réunion” familiale. Junior sort une liasse pour payer l’appoint de leurs consommations. Il pose le tout et le pourboire avant de se lever. “ J’passerais voir les gars dés que j’ai le droit de remettre les pieds au bureau. Tu les embrasse aussi ? ” Demande-t-il en posant une cigarette contre son oreille droite. Rome ne s'est pas faite en un jour. Sanders ne sera pas un saint en six mois. Il sourit à Byrd tel le vieux pote qu'il veut être. Le cuire sur les épaules, il l'attend.