Lucy n’était pas branchée « bar » à proprement parler. Café à l’extrême rigueur… Mais les bars, eux, n’avaient décidément jamais eu le moindre intérêt à ses yeux et c’était probablement encore plus vrai depuis que la prohibition avait étendu son manteau d’interdit et de restriction sur toute l’Angleterre. Malgré ces dernières, ces établissements avaient cette odeur propre aux endroits du genre. Un mélange de relent d’alcool renversé, de tabac froid et d’encens à cendrier. Quant à la population locale, Lucy n’avait clairement rien de commun avec eux. Même en faisait quelques efforts pour passer plus inaperçu, Lucy faisait un peu tâche dans le décor sans que ça l’impression pour autant. Elle avait pour elle l’élégance, qu’on aurait sûrement facilement traduit par le snobisme dans l’œil des badauds du coin… Et son niveau minimum d’hygiène acceptable pour un établissement où on pouvait consommer -que se soit à boire ou à manger- n’était pas assez respecté pour qu’elle y songe réellement. C’était peut-être injuste, il existait probablement des établissements au-delà de tous soupçons… Mais comme tout le monde Lucy avait ses préjugés et elle y dérogeait rarement.
Tout ça pour dire que si elle était là ce soir ce n’était pas pour le plaisir ou par espoir de distraction. La semaine précédente, alors que le personnel était de repos et qu’elle-même s’était absentée pour le week-end, on était entré par effraction dans la demeure familiale londonienne. C’était culoté… Et un peu stupide sûrement de se risquer à ce genre d’intrusion dans une maison pleine d’alarmes en tout genre. Lucy et son fils entreposaient là des œuvres d’art, possédait quelques liqueurs… Ils étaient donc de nature méfiante et très à cheval sur la sécurité.
Ho l’alarme avait bien sonné et l’agence de sécurité privé qu’ils payaient trop cher aux vues des résultats avait bien fait le déplacement. Mais pas assez rapidement, clairement. L’intruse s’était faufilée et n’avait déclenché les alarmes que dans la seconde pièce qu’elle avait visitée. Quelques objets de valeur avaient disparu… Un peu de monnaie dans un tiroir… Peut-être 100 livres…
Officiellement, l’enquête était ouverte mais on ne savait pas qui ni ce qu’il adviendrait des objets dérobés. Plus officieusement, Lucy avait laissé traîner ses yeux du côté des bandes d’enregistrement. Lorsque l’alarme était désactivée les caméras étaient en standby mais pour le reste du temps, leurs yeux uniques balayaient les pièces, qu’importe la luminosité. Et ce soir-là, elle avait capturé la silhouette malingre et féminine d’une jeune fille. Ni très grande ni bien épaisse donc. L’image n’était pas d’une qualité exceptionnelle du fait de l’obscurité mais on lui devinait les traits presque juvéniles encore.
Avec une confiance et un intérêt très modéré pour la police, Lucy avait donc demandé à un privé de retrouver la fille de la photo. Ça expliquait sa présence ici puisqu’elle savait qu’elle pourrait l’y trouver ce soir et justement l’aristocrate s’approche comme un chat de la petite souris qui ne sait pas encore que le piège s’est refermé sur elle.
Lucy s’assied en face d’elle, ignorant l’air surpris ou insulté de la jeune femme devant son audace. A la voir de si près à présent Lucy distinguait mieux ses traits. Elle camouflait les rondeurs encore pouponnes de son visage par un maquillage excessif aux yeux de Lucy. Mais ça n’enlevait rien à sa beauté naturelle sans doute, à sa jeunesse. Elle avait ce style général des jeunes que Lucy aurait facilement qualifié de racaille en prenant un raccourci dont elle n’avait pas vraiment honte puisque ses vis-à-vis faisaient souvent ce même genre de raccourcis avec elle !
« Bonsoir, Louisa. »
A ce stade il n’était plus possible pour elle d’ignorer que sa présence n’avait rien de vraiment fortuite. C’était bien pour elle que Lucy était là.
« Je suis venue parler avec vous d’un de vos hobbies qui m’a causé du tort. Et je déteste qu’on me cause du tort. »
Elle parlait calmement, détachant chaque syllabe comme pour faire disparaître tout accent. C’était une question d’éducation… L’anglais de la noblesse était dénué de tout accent campagnard ou trop citadin autant que faire se peut.
« Mon nom est Stanhope. Lucy Stanhope. »
Aucune idée de si son nom lui parlerait ou bien pas. Peut-être que sa maison avait été choisit un peu au hasard…
« Vous êtes passé chez moi la semaine dernière. En mon absence il va sans dire. »
Et avant que la jeune femme n’ait réellement pu objecter à cette affirmation, Lucy sort de son sac à main une photo issue des caméras de surveillance. Pas un grain parfait mais largement suffisant pour déterminer que ce joli minois était bien la petite souris qu’elle avait en face d’elle.
« Ne perdez pas de temps inutile à tenter de me convaincre que ce n’est pas vous. Je suis là mais la police est sur mon trajet pour rentrer chez moi… »
