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Homesick. | Siobhan
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Vendredi 17 octobre | 21h49

Homesick.
Siobhan & Llewyn

L’arrière du crâne enfoncé dans l’appui-tête inconfortable de la voiture, une cigarette pincée entre ses lippes, Llewyn s’encrassait les poumons en fixant l’horloge au tableau de bord sans réellement lire les chiffres qu’elle affichait. Il y avait presque dix minutes qu’elle s’était arrêtée à quelques mètres de la grille, et sa deuxième cancéreuse rendait l’âme. L’Irlandaise n’avait cependant pas la force de quitter son siège, d’ouvrir la portière et d’inspirer pleinement une grande goulée de l’air vicié londonien qui passait à peine à travers la vitre passager entrouverte. Moins encore d’avaler la vingtaine de pas qui la séparait de l’entrée de la maison. Pour la première fois, l’envie de rentrer ne se faisait pas ressentir.

Une dernière bouffée de nicotine, et la rousse écrasa son mégot dans le cendrier plein à craquer de l’habitacle. Un soupir douloureux se coinça dans sa gorge, quelque part entre sa culpabilité, son mal à l’âme et le palpitant qui lui remontait l’œsophage. Douze ans qu’elle dévorait l’asphalte au volant de ses poids lourds, douze ans qu’elle se raclait les dents sur des centaines de milliers de kilomètres à l’année, et jamais encore elle n’avait tant eu envie de rester sur la route. Besoin, même. Il y avait d’ordinaire, passées les trois semaines loin de la maison, une sorte de mal du pays qui lui tenaillait le cœur et la forçait à presser ses courses pour rentrer plus vite. Pour retrouver le confort de son chez-soi, la douceur d’un foyer, le bouillonnement addictif de la vie en famille. Ce soir, pourtant, elle ne ressentait pas l’excitation et le soulagement habituels. Llewyn, en réalité, était usée de revenir. Et cette pensée la terrorisait au moins autant qu’elle la rendait malade.

Il lui fallut quelques secondes de plus pour réussir à rassembler le courage laissé dans le trente-huit tonnes en périphérie de la ville. La transporteuse serra les dents, retira les clés du contact et ouvrit grand la portière pour s’extirper de sa boîte de conserve. Elle récupéra son sac de voyage, son téléphone, se recomposa tant bien que mal une expression neutre et se dirigea à pas lents vers l’entrée de la maison - un condamné marchant vers l'échafaud aurait certainement témoigné plus d’entrain.
Toutes les lumières étaient éteintes au rez-de-chaussée quand elle referma la porte derrière elle. Llewyn se serait pensée seule si de légères vibrations ne venaient pas faire imperceptiblement trembler le plafond, indiquant un peu de vie à l’étage. Elle claqua l’interrupteur du salon, retira ses grolles, envoya valser son bagage sur le premier fauteuil venu et fila vers la cuisine pour tirer du réfrigérateur l’une des rares bières que ce foutu gouvernement leur autorisait. La mélodie délicieuse du gaz sous pression qui s’échappait lorsqu’elle décapsula la bouteille lui fit l’effet d’un pansement trop petit qu’on collait avec maladresse sur son cœur pour éviter qu’il ne se crève davantage. La première gorgée de pale ale qu’elle descendit eut, elle, le don de combler un peu les fissures.

La jeune femme balaya la pièce des yeux, s’attardant sur les quelques détails qui avaient changé depuis son départ. Elle avait passé si peu de temps à la maison ces cinq derniers mois, à force d’enchaîner les missions longues et de ne pas cumuler plus de trois ou quatre jours de repos entre chaque contrat, qu’il lui semblait redécouvrir l’environnement qu’elle occupait pourtant depuis quatre ans. Llewyn avala une lampée maltée, se figurant qu’elle risquait de continuer sur cette lancée jusqu’à la fin de l’année. Les factures à payer, l’université de Siobhan à régler et l’envie de s’offrir son propre moteur faisaient une bonne motivation. Elle pourrait reprendre un rythme plus souple ensuite. Passer moins de temps sur la route, être à nouveau disponible. Elle pourrait. Mais elle n’était pas sûre de le vouloir.

Les kilomètres passant, Llewyn en était venue à croire qu’elle se sentait plus à l’aise dans un véhicule qui ne lui appartenait pas et qu’elle ne pouvait donc décemment considérer comme un chez-soi, que dans sa propre cuisine. La petite demeure à Hackney lui paraissait de plus en plus grande, inhospitalière ; ses ancrages se brisaient les uns après les autres. Elle n’était plus certaine de se sentir à la maison ici. Ce n’était pas Londres qui lui semblait étrangère, ce n’était pas cette bâtisse étroite sur deux niveaux, c’était l’absence de la famille complète. Réellement complète. Ailbhe n’avait toujours pas quitté Belfast pour les rejoindre, et plus le temps passait, plus l’espoir de le voir un jour poser ses valises dans la chambre qui lui était pourtant dédiée se faisait mince ; Tadgh passait de moins en moins, trop occupé à apprécier la liberté qu’il s’était accordé à peine le pied posé en Angleterre ; quant à Siobhan, son nouvel emploi l’éloignait du cocon familial. Elle qui avait toujours été si discrète se faisait de plus en plus distante. Une inconnue qui avait pourtant les mêmes traits que sa sœur aînée.

Llewyn s’ébroua, dénoua sa gorge à nouveau serrée à grand renfort de bière et traversa le salon en tentant désespérément de ne pas songer à ceux qui lui manquaient tant. L’automne, cette fichue saison, exerçait toujours un trop grand pouvoir sur son esprit nostalgique et rempli de remords. Si elle pensait tout naturellement à Rhys, qu’elle n’était pas allée voir depuis qu’on l’avait mis en bière, une infime partie d’elle lui rappelait chaque année, à cette période, que la maison ne serait pas si vide si elle n’avait pas sacrifié son rôle de mère à celui d’aînée d’une fratrie à la dérive. La poitrine douloureuse, les entrailles tordues, la rouquine gravit deux par deux les marches de l’escalier en tentant désespérément de raccrocher ses pensées à autre chose. Elle bifurqua à droite, repéra un peu de lumière sous la porte de sa benjamine, frappa doucement le panneau de bois pour s’annoncer et entra sans autre forme de procès, ses prunelles tombant sur le visage moucheté de traces de rouille de Siobhan. Un léger sourire réconforté se glissa sur ses lèvres avant de s’effacer brusquement comme son regard se heurtait aux étagères vides et aux cartons ouverts. Le palpitant de l’expatriée se fit si lourd qu’il lui chuta dans les talons. Une chape de plomb lui lesta l’estomac alors qu’elle articulait difficilement :

« Qu’est-ce qu’il se passe ? »
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12.11.20 12:35
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Siobhan Oswell
Llewyn
et d'un coup tout change
Octobre 17

      Le manque c'est quelque chose d'étrange, quelque chose de difficilement compréhensible. Il y a le manque d'amour qui réduit une existence en tourment. Le manque de sécurité sans jamais se sentir réellement protégé. Le manque d'une raison d'exister, des tentatives bafouées à y mettre fin. Le manque de considérations, l'importance n'est qu'une illusion. Le manque plus ancré et puissant d'une confiance en soi qui a disparu, qui n'existe plus aux yeux des autres. Et il y a le manque d'une camée qui a oublié la sensation d'une aiguille dans la chair. Le goût d'une poudre blanche fondant sur la langue. Le bonheur caché. Celui-là il est plus violent que les autres. Déjà deux mois et demi. Six heures et trente-sept minutes. Le temps a défilé à grande vitesse et tu le sens au plus profond de ton être que ça te brûle de l'intérieur, que chaque seconde qui est tombée dans le sablier n'a fait que retarder l'échéance. Ce nouveau travail te demande tellement de temps et d'énergie que tu n'as pas envie de foirer. Pour une fois depuis longtemps, tu souhaites faire les choses bien, attraper les opportunités qui s'offrent à toi et les mener à bien. Pour ça, tu t'es forcée silencieusement à réduire tes bêtises. Reprendre possession de ce qui t'appartient. Mais cette idée où tout se déroule comme tu le souhaites, sans aucun encombre n'est que surfait. Un conte de fée qui s'ébrèche lentement. Et le manque est juste-là. Tel un appétit insatiable qui s'éveil à nouveau.
Tes doigts trembles pour la quatrième fois, rendant le pliage du linge plus difficile. Ta concentration se met à rude épreuve, elle se heurte à un flux d'information qui ce mélange et s'entremêle. Qu'est-ce qui est soudainement réel, qu'est-ce qui n'est qu'imaginaire ? Le cœur en alerte qui s'accélère, tu sens cet engourdissement qui t'envahi désagréablement. Une main sur les lèvres tu t'enfuis en quatrième vitesse à la salle de bain, le pied se cogne en chemin contre un carton presque plein, mais ton estomac ne te laisse guère le temps d'exprimer un juron. À peine au-dessus des toilettes, ton corps rend tout ce qu'il contient. Dans le cas présent, ce n'est que de l'eau à n'en plus finir.

Encore et encore.
Différent de tout ce que tu peux connaitre. Tu n'arrives pas à le combler. Ce manque-là est en train de t'exténuer. Ton arrêt fut bien trop abrupt, tu le sais. Ton organisme te le fait payer. Et tu sens l'envie de recommencer qui te démange. Mais tu n'as plus rien. Ou du moins, plus dans cette maison. La première chose que tu as déménagé et caché dans la nouvelle demeure qui est tienne. Entre les sept murs qui te sont propres. Cela n'avait plus rien à faire ici. Le souffle éreinté il te faut une force surhumaine pour t'accrocher au rebord de l'évier, pour faire face à un reflet tiraillé. L'eau fraîche jetée sur ton visage t'aide lentement à rependre les esprits, à concentrer ton attention sur les petits détails, même les plus insignifiant. Le dentifrice par exemple est à peine ouvert, à peine utilisé, tu n'as pas dormi suffisamment dans cette maison dernièrement pour lui rendre justice. Ton vieux parfum Dior traîne encore sur l'étagère, toujours avec le même fond stagnant, l'idée de le vider une bonne fois ou de le jeter ne semblait pas intéressant. Il y a aussi le rassoir de Tadgh qu'il a oublié, une éternité te semble-t-il que tu n'as pas vue sa frimousse entre ses quatre murs de la salle de bain. Il l'utilisera pour les fois où il dormira à la maison qu'il avait finis par dire, flemmard de le récupérer, dans tes souvenirs cela n'est jamais arrivé.
Et finalement, les battements de ton palpitant ralentissent. L'attention dérivée ailleurs est devenue une source. Elle n'est aucunement fiable, mais jusqu'à présent elle est une ressource non négligeable. Par instinct tu cherches au fond des tiroirs et des placards quelque chose qui satisferait ton besoin. Mais Llewyn n'a jamais eu un penchant pour les médicaments très forts et tout ce qui traîne n'a plus aucun effet sur toi. La désapprobation de ton double dans le miroir est une raison suffisante pour te donner assez de peps pour quitter la quitter la pièce. Ça ira, que tu murmures, ne me regarde pas comme ça, que lâche en claquant la porte. Tu tiendras le coup. Assez pour réfléchir à ce que tu feras une fois chez toi. Assez pour savoir si tu arriveras à tenir ou si ta descente en enfer n'en seras pas plus brutal. C'est la cinquième fois cette semaine que tu en viens à rendre le peu que tu manges, que tu salives sur une poudre que tu t'interdis et que tu perds connaissances sur une durée bien trop longue...

      La sonnerie de ton téléphone résonne comme un don du ciel. Tu t'empresses de te jeter dessus, un sourire sur les lèvres. Te permettant d'oublier les tracas qui t'encombre un instant. La voix la plus neutre qui soit, tu ne souhaites pas l'alerter pour rien.

« Tu penses être là dans combien de temps ?
- Une bonne demi-heure je dirais, trois quarts d'heure au grand max.
- D'accord. La semaine prochaine j'aurai enlevé les dernières affaires qui me restent. Plus que deux voyages.
- Ouais. Hmm. T'sais, on aurait pu boucler ça en une fois, voir deux si tu en avais parlé à ta sœur. J'imagine d'ailleurs que ce n'est toujours pas le cas ?
- Je me vois mal lui annoncer ça au téléphone pendant qu'elle attend patiemment à un feu rouge.
- Oui, oui, bien sûr, mais ce que je veux dire c'est...
- Je sais, ce que tu veux dire. Mais écoute c'est comme ça. J'ai voulu y aller en douceur, préparer le terrain. Puis elle est partie des mois ne rentrant qu'en coup de vent... Comme d'hab y'en a que pour son boulot. Bref. Ce qui est fait et fait. Je termine encore quelque truc et je t'attends.
- Ok, ok. J'vais acheter une bouteille de coca et je me remets en route. À tout'. »

Tes yeux se lèvent au ciel alors que Daryl raccroche ; tu détestes le coca. Mais, cela fera au moins un heureux. T'en profite pour envoyer un petit message à Avalon. « N'oublie pas demain on achète le lit. » À ses mots tu ajoutes une suite de smiley tous plus explicite les uns des autres. Votre première nuit dans ton propre appartement, entre des murs encore purs et innocent de vos ébats charnels. Tu es impatiente à l'idée de rectifier le tir. Ça met un peu de baume sur ton cœur endoloris. Ça calme davantage la frayeur que tu t'es infligé quelques minutes auparavant. Sa réponse tombe sans attendre. Elle est telle que tu l'avais pensé, aussi désireux. Un autre message vibre entre tes mains, la pièce jointe indique une photo qui, une fois ouverte, fait rougir tes petites pommettes. Elle frôle la limite de l'indécence. Et tu adores ça. Tu t'apprêtes à y répondre, quelques boutons qui sautent de ton chemisier sauront le faire chavirer, mais on frappe contre la porte sans même te laisser le temps de répondre. T'évitant de t'exhiber sous une caméra pour le plaisir d'un homme.

« Oh Wyn... T'es rentrée plus tôt que je ne le pensais. »

Ton sourire s'est amoindrit à la silhouette de ta frangine dans l'encadrement. Depuis combien de temps est-elle là ? À quel moment sa voiture s'est garé ? Elle avait dû arriver au moment où ton corps s'était mis à divaguer. Un peu plus et tu aurais eu à répondre de cette situation. Là il s'agissait d'autre chose auquel il fallait mettre une explication. Quelque chose que tu préféres ignorer. Jetant ton téléphone sur le lit, tu te remets à plier les derniers draps qu'il manquait pour finir cette série de cartons.

« Il reste un steak et des frittes au frigo. Sinon t'as des lasagnes de mardi, elles sont encore bonnes. Je t'ai gardé la plus grosse part. Au pire, j'crois que j'ai vu un paquet de pâtes dans le placard si ça ne te tente pas.
»

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Siobhan Oswell
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Profession : En quête d'emploi et ayant abandonné ses études d'arts, Siobhan ne se consacre plus qu'à la photographie par pur plaisir, cherchant à immortaliser les moments précieux de la vie.
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15.11.20 1:38
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Sa voix fut si pâle qu’elle crut un instant que sa sœur ne l’avait pas entendue. Llewyn n’osa cependant pas reformuler sa question de crainte de rendre l’instant réel. Nommer quelque chose, c’était lui donner une existence. Nommer un départ, c’était le précipiter. La douleur de la réalité la frappa brusquement, lui coupant le souffle. Un vent de panique la saisit, passant dans ses yeux perdus qu’elle peina à immobiliser sur les traits fins de sa cadette. Elle voulait y voir un sourire, l’esquisse d’un pouffement de rire, la preuve que la situation n’était pas si critique, pas dramatique. Elle voulait que Siobhan admette qu’il ne se passait rien, qu’elle n’emballait ses affaires que pour mettre un peu d’ordre dans sa vie, pour redécorer cette chambre qu’elle occupait depuis leur départ de Belfast. Sa chambre, son nid. Mais les yeux dorés de la jeune fille ne crièrent qu’une profonde déception. Et la poitrine de l’Irlandaise se creva d’une douleur sourde.

« Oh Wyn... T'es rentrée plus tôt que je ne le pensais. »

Siobhan se débarrassa de son téléphone pour le troquer contre un drap qu’elle plia sans accorder davantage d’attention à son aînée. Llewyn, plantée sur le pas de la porte, la regarda faire la gorge nouée, le palpitant démonté. Les mouvements de sa sœur lui parurent affreusement lents, comme si ses yeux avalaient des images que son cerveau jouait au ralenti. Parce qu’il ne voulait pas les comprendre, ou à défaut, refusait de les assimiler. Cette scène, elle l’avait déjà vu jouée plusieurs fois. Trop pour ne pas la comprendre. Mais on l’avait prévenue, avant. Tadgh, lui, avait gueulé qu’il partirait. Des jours durant, sa voix s’était répercutée en menaces sur les murs. Et il s’était enfui en claquant la porte d’entrée. Fort. Si fort que la petite maison en avait tremblé du sol au plafond.
Les choses étaient différentes ce soir. Il n’y avait pas de cris, pas de hurlements sourds et déchirants. Que le silence lourd et pesant qui, bien plus que les cartons, fut un véritable coup de massue.

« Il reste un steak et des frittes au frigo. Sinon t'as des lasagnes de mardi, elles sont encore bonnes. Je t'ai gardé la plus grosse part. Au pire, j'crois que j'ai vu un paquet de pâtes dans le placard si ça ne te tente pas. »

Elle battit des cils, interdite. Ses pensées confuses tentèrent tant bien que mal de rassembler les informations qu’on venait de lui lancer à la gueule. Llewyn n’avait pas faim. Elle n’avait d’ailleurs plus soif non plus ; la bière dans son estomac lui sembla amère, la canette de verre entre ses doigts fins brûlante. Elle s’y accrocha pourtant pour ne pas vaciller sous l’indifférence de la rouquine. La fille aînée des Oswell savait composer avec bon nombre d’émotions : elle avait appris, par la force des choses, à réagir à la colère de ses frères, aux larmes de Siobhan, à la déception d’Ailbhe, aux coups de poings de Tadgh, aux insultes de Rhys. Mais jamais elle n’avait su encaisser l’indifférence. La coursière manquait d’expérience en la matière, les hommes de la fratrie lui préférant largement la violence.

Il fallut ravaler une salive acide et le cœur qui lui pendait au bord des lèvres. Llewyn tenta tant bien que mal de se recomposer une attitude. Le flot torrentiel de questions qui déferlait dans son esprit faisait trembler ses sourcils et ses lippes et blanchir les jointures de ses mains sur la bouteille de bière. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi aujourd’hui ? Fallait-il vraiment qu’elle parte ? Pour aller où ? Loin d’ici ? Ou loin d’elle ? Avec qui ? Qui prendrait soin d’elle ? Siobhan n’était encore qu’une enfant. Un tout petit bout d’être de vingt-deux ans à peine, qu’elle aurait aimé garder avec elle encore un peu. Une vie ou deux, pas plus. Ne pouvait-elle pas rester encore un peu ?

Elle voulut risquer : Tu pars ? Elle ne parvint qu’à cracher :

« Je t’ai posé une question, Siobhan. »

Sa voix déjà râpeuse fut plus rèche qu’à l’ordinaire, signe - s’il en fallait encore un - du tourment qui l’agitait.

Dieu qu’elle regrettait l’époque bénie où les enfants lui obéissaient encore. Il suffisait alors d’un mot, d’un regard, pour qu’ils comprennent qu’ils avaient intérêt à lui répondre, car elle ne se répéterait pas. On n’avait pas de temps à perdre quand on devait s’occuper de trois gamins, d’un aîné trop intelligent pour gâcher son potentiel dans l’éducation de sa fratrie, et de sa propre vie qui partait en lambeaux. Puis l’adolescence, la connerie ou le deuil étaient arrivés, emportant avec eux une part des règles qui avaient permis à la famille de tenir si longtemps.
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28.11.20 1:33
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Siobhan Oswell
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Octobre 17

      Pas un regard ne fut lancé à ta frangine alors que les mots soulignaient d'un trait rouge l'ignorance à la question. Il n'y avait pas plus désinvolte, il n'y avait pas plus simple que de prétendre ne pas avoir entendu, ne pas avoir compris qu'avec cet acte. Le défilement était plus gros qu'une maison elle-même. Pourtant, il ne semblait pas y avoir de réel remord à cela. Jamais tu n'as été aussi concentré à plier un linge, à croire qu'il en dépendait de ta vie pour qu'il soit des plus parfaits. Étrangement, tu pourrais prier le ciel pour que Daryl presse la pédale de l'accélérateur, qu'il passe tous les feux rouges, que la police soit clémente sans lui réclamer de comptes et, que les embouteillages s'écartent de son chemin tel un Moïse descendu sur terre. Si seulement. Malheureusement, il n'en est rien. Pas de klaxon au bas de la porte, pas de voiture qui s'entend à l'autre bout de la rue. Rien qui pourrait aider cette situation si délicate. Rien, hormis le silence, plus plombant et brisant que jamais. Tu pourrais presque entendre son souffle, tu imagines facilement l'incompréhension qui doit s'insinuer dans tout son être.

Si les choses avaient été plus simple, différente sur certains points, tu ne sais pas si, il aurait été possible d'en parler autrement que cette façon. Rien ne certifie que tout cela aurait pu être réglé de façon plus calme. Est-ce qu'elle aurait compris ? Est-ce qu'elle aurait simplement vu ton besoin d'avancer et de couper court à ces chaînes qui te retiennent encore entre les mêmes murs déjà barricadé de ton enfance ? Est-ce qu'elle aurait simplement vu qu'il était temps pour toi de prendre ton envol ?

« Je t'ai posé une question, Siobhan. »

Ta mâchoire se crispe. Ton corps se raidit. Tu sens au fond que ce ton froid vient de mettre une planche supérieure, cloué de multiple vice, sur l'empathie que tu peux encore lui accorder. Diminuant drastiquement ce dernier. T'as arrêté de plier. Braqué. Enfin un regard qui se pose de nouveau sur sa personne.

« Chuala mé*. Je pars. »

Tu fixes ses iris, ses secondes paraissent interminables à la toiser ainsi. Maintenant que les mots sont dit, maintenant que la bombe est posée, tu es prête à la voir imploser et balayer tout sur son passage. Tadgh n'avait pas moins mis de tact. Tu l'avais entendu brayer depuis ta chambre, écouteur sur les oreilles. Refusant de participer à leur échange, sans émettre un avis. Quand bien même tu partageais facilement le point de vue de ton frangin. Impossible de vivres éternellement parmi ses ainés. Impossible d'avancer entre les murs – même différent d'une ville à l'autre - qui ne cessent de rappeler un passé.

Finalement, tu laisses ce drap tel quel. Le rangeant avec un peu de force dans le carton. Appuyant encore pour pouvoir refermer le haut. Avant de scotcher l'ensemble.

« Je déménage. Que tu lâches avec plus de clarification. J'ai besoin d'être plus proche de la ville avec ce boulot. Et puis, quoi, tu pensais vraiment que j'allais rester toute ma vie dans cette maison, avec toi ? »

Une partie de toi regrette instantanément ses mots qui se sont échappés et l'autre... Ne fait que se réjouir de cette vérité qui devait sortir. Avec plus de douceurs tu l'aurais préféré, certes. Trop tard pour revenir en arrière. Trop tard pour s'excuser. Peut-être que tu aurais tenu une année supplémentaire, un peu de retard sur l'échéance. Cependant, ceci aurait pu devenir plus désagréable pour la fin. Plus dur qu'en cet instant. Tu ne veux pas reproduire les bourdes de ton frère, quand bien même cela ne l'empêche pas de revoir sa frangine comme si rien n'avait pratiquement changé, pourtant, tu sautes la tête la première dans les mêmes erreurs qui l'on conduit à des cries à briser le cœur.

« J'ai besoin de me sentir chez moi Wyn. »


___
Chuala mé* Irlandais : J'ai entendu

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