Le portier tient la porte grande ouverte devant Keenan. Le vent nocturne la prend tout de suite en otage. Elle tire, sur le cordon de la ceinture, pour fermer son manteau de laine. Mais rien à faire, l’humidité est omniprésente dans la ville. L’automne anglais est infernal. Il s’infiltre partout, même vers la gorge de la rouquine. Jessica descend les marches de l’hôtel particulier et fond vers la banquette arrière du taxi, qui est en bas des marches. La portière claque. Le chauffeur fait le tour de la voiture pour retrouver le volant.

Jessica se déleste de son sac à main. Elle se contorsionne pour retirer ses escarpins. Ils sont splendides et lui donnent des jambes de rêve. Mais ceux sont des instruments de torture passé 21h00. Ses pieds sont en feu. Une fois libérée, la jeune femme se cale contre le dossier et lâche une grande expiration mécontante. Celle qu’elle contient depuis près de trois heures. Elle arrache la pique de ses cheveux et râle. Ses yeux d’ambre colérique croisent ceux du conducteur.

_ « Golden Globe.» Le smartphone dans le creux de la main, l’avocate désactive le mode avion. Elle ferme une ou deux applications parasites. Elle passe en revue ses possibilités. Son regard s’arrête une seconde sur le numéro de Blakemore. Mais elle fait défiler plus loin, jusqu’aux H. Sébastien sera moins compliqué à manœuvrer, pour la soirée. Sans lever les yeux de l'écran, elle rectifie la commande au chauffeur.

Elle fouille ensuite dans son sac à la recherche de son pilulier. Vide...

_ « C’est pas vrai...» Siffle-t-elle d’une voix haineuse contre elle-même. Elle attrape une cigarette et l’embrase.

Ce rendez-vous a été un fiasco de A à Z. Jessica est lucide. C’est un autre client perdu. Le troisième sur le mois. Quelqu’un est en train de saper son travail. Il va falloir qu’elle lance quelqu’un sur cet adversaire inconnu. Andrea est aux abonnés absents. A se demander si Keenan ne s’est pas faite duper par l’Italien. Ils avaient pourtant un accord intéressant. Il y a bien Damia qui peut mener ce genre d’investigation. Mais peut-elle faire confiance à sa copine pour garder les infos pour elle ?

Le paysage londonien défile derrière une pluie ennuyeuse à mourir. Tout est si morne à cette saison. Jessica est en manque de soleil. Elle n’arrive toujours pas à se débarrasser des mauvais rêves. Les somnifères la laissent dans un état second désagréable. Peut-être qu’un produit plus fort peut aider pour la période de fin d’année. Mais il lui faut un nouveau fournisseur. Rien ne va en ce moment!

_ « Gardez la monnaie. » Elle traverse et se met à l’abri d’un auvent. Elle sort la clef, avant de replonger sous la pluie, pour faire les derniers mètres. Le bâtiment est plus haut dans la rue. Jess entre le code digital et pousse la porte du hall. Elle est pressée de pouvoir enlever tout ça. Ses talons résonnent dans les escaliers. Elle fait encore du bruit en ouvrant la porte de l’appartement anonyme. La porte claque dans son dos.

Tout est fermé. Jessica s’enfonce dans le couloir pour entrer dans le salon. Elle allume les lumières, avant de balancer ses affaires, sur le sofa. Elle balance aussi les souliers et va tout de suite fouiller dans la réserve. Les placards éventrés en quelques secondes. La tigresse trouve une bouteille de vin blanc, qu’elle ouvre rapidement, pour boire au goulot. Elle balance le bouchon sur la table et retourne dans le salon en buvant. Le liquide apaise momentanément. Il lui faut plus que ça. Tellement plus que ça.

La bouteille est entamée au quart, quand la rousse prend enfin le temps, de retirer son manteau. Elle dézippe la robe de soirée pour la faire glisser. Le corps pâle, mince, est parcouru de spasmes de fatigue nerveuse. Mais, l’avocate attrape la robe plus confortable, dans son sac et fait le changement de façon automatique. Elle reprend la bouteille pour l'accompagner alors qu'elle commence une fouille pour trouver de la musique et combler le silence assourdissant de la nuit.