Aujourd’hui Austen surveille l’heure. Ce n’est pas une femme qui compte le temps. Mais, elle a un rendez-vous spécial ce soir-là. Un rendez-vous qu’elle a espéré pendant longtemps. Il est hors de question qu’elle soit en retard. Avant de quitter le travail, elle passe par les WC. Elle se cale devant le lavabo et s'inspecte de la tête aux pieds. Un coup de brosse pour mettre un peu de mouvement dans ses cheveux. Un peu d’anti-cernes sous les yeux, car les nuits sont courtes en ce moment.
La vie est bien remplie et avec une implication supplémentaire dans la vie politique le temps de sommeil a été réduit au minimum syndical. Mais c’est avec passion que Ten se dévoue pour une Cause en laquelle elle croit dur comme faire. D’ailleurs, elle n’est pas seule dans son combat. La plupart de ses amis sont dans la bataille. Ils se sentent investis. Ils sont soudés. Même si la peur de voir le pays reculer est là. Il y a aussi et surtout beaucoup de joies. Les émotions aussi ne manquent pas!
A se presser la belle arrive même avec de l’avance au parc. Elle sait que c’est l’un des points de distribution. Alors, c’est tout naturellement qu’elle rejoint l’équipe de tracteur pour filer un coup de main. Thomas garde en permanence un badge et un paquet de tracts dans sa sacoche. En une minute la voilà qui est dans la troupe et distribue. C’est une rompue à l’exercice. Ça a commencé à l’université pour la cause LGBT. Elle a la technique. Elle sourit aux autres bénévoles. Jusqu’à ce que son frère lui envoie le SMS. “Ce coup-ci, je file. De toute façon, on se voit au setting de vendredi ? 10h00! Bon courage les gars!”
Le manège est à une cinquantaine de mètres. Ten s’y rend avec le sourire. Elle aperçoit tout de suite le barman. Sa main se lève pour lui faire un “coucou” alors qu’ils vont l’un vers l’autre. Quelle belle synchronisation! “Salut ! ” Vivement, la jeune femme vient elle aussi donner l’embrassade. Elle est tactile et caline. Alors avec un petit-frère c’est évident que ça vient tout seul. “ Très bien, je te remercie. Occupée! Et toi ? Dawn ? Et Sullivan ? ” A la proposition, Ten prend le pas, sans arrêter de sourire. Trop heureuse qu’ils se voient enfin hors du champ professionnel. “Je te suis!”
Ten sourit en découvrant leur restau. L’adresse a sa petite réputation. Mais difficile d’avoir une table sans réservation. Depuis le temps que Thomas a envie de tester. C’est parfait. “ Ca va. Enfin, c’est éprouvant. Cool !! Mais c'est éprouvant. Il est temps que ça se termine. Pour tout le monde. ” Ten peut entrer dans le détail.
Ceci dit, autant s’installer correctement avant. Elle admire la serre, le cadre, les tables. L’endroit est charmant. Elle accroche sa sacoche à la chaise avant de s'effeuiller tel un oignon. Le bonnet, l’écharpe, le gros manteau, les mitaines tombent un à un. Elle a enfin une allure normale en se posant et rapproche la chaise de la table. “ Oh, non, ne t’en fait pas.” La sincérité est tant dans le regard que dans la voix. Il n’y a aucun souci. “C’est toujours une période intense. Les fêtes se sont bien passées ? ” Pour elle aussi ce sera un jus de fruit. Une fois la commande passée, la belle repousse le menu. Ses yeux se focalisent surtout sur l’homme qui l’accompagne. “... J’avoue que j’ai des tas de questions que j’ai envie de te poser. Je ne sais pas trop par quoi tu veux qu’on commence ? ” Les bracelets de perles à ses poignets, font une petite musique, quand elle repousse ses cheveux en arrière.
Austen a la tentraine. Donc statistiquement celles et ceux de sa génération sont en pleine fondation de leur foyer et par extension de faire des enfants. Tous les deux ou trois mois un faire-part arrive dans sa boîte-aux-lettres. C’est enthousiasmant de savoir que ces proches s’établissent et créent une famille. Elle même en a envie. La maternité, élever un enfant, c’est une expérience qu’elle a envie de vivre. Mais, Ten ne compte pas vivre cette aventure seule. Donc, elle patiente, gentiment, jusqu’à ce que les conditions soient là.
“Ca ne doit pas être facile… de gérer des gens en colère. ” Angus semble être un homme pacifique, quelqu’un de posé. Ce n’est pas évident pour ces personnalités d’avoir un recours à la fermeté voir à une autorité physique. Ils se sont retrouvé dans des situations pénibles à l’Association. Quand des anti LGBT décident de se faire entendre. Ludovic a dû en venir aux mains une ou deux fois et personne n’en est fière. “Espérons que les résultats ne mettent pas de l’huile sur le feu. Pour l’instant, on est dans le smog total. Les pronostics changent d’un jour sur l’autre. ” Avec son implication, cette jeune femme est en lien avec des “personnalités” des Travaillistes. Elle a certains chiffres avant les journalistes. La bataille est serrée, très serrée. “ Mais, même si on perd, c’est indispensable de se bagarrer. Pas vrai! ” C’est un principe bouddhique qui correspond à la philosophie d’Austen. L’important est d’abord d’agir au plus juste, quel que soit le résultat final. Il fait être en accord avec ses principes.
Ils sont posés. Les jus sont devant eux. Ten fait tourner la paille jaunee dans le liquide. Un mouvement circulaire et tranquille pour occuper ses mains. L’immobilité totale a toujours été compliqué pour elle. “Avec grand plaisir oui. Merci. De mon côté, il y a mes Mam’ et une grand-mère, surtout. Je n’ai pas encore parlé de toi avec elle. Je voulais attendre de connaître ta volonté les concernant. ”
Il est vrai que leur révélation a été brutale. Mais, ils ont eu le temps de prendre du recul l’un comme l’autre. Thomas a compris que cette réaction n’a pas été de son fait. C’est le résultat d’un passé dont elle ignore tout. Soucieuse d’encourager Angus dans sa démarche, elle lui sourit et se tait. Son oreille est tendue et son empathie activée au maximum. Les expressions de son visage passent ce que sa langue taie. Ce qu’il raconte est cohérent avec ce qu’elle connaît de son géniteur. Mais rien ne sert de commenter la cruauté humaine. “ Oh non... ” Une main couvre la bouche de la jeune femme qui éprouve une pointe au coeur. Le deuil d’un enfant est la pire chose qu’elle puisse imaginer pour quelqu’un. “Eva Keynes”.
Le dernier chapitre de cette histoire est tout aussi triste. Le regard d’Austen s’éclaire d’une nouvelle lucidité. A présent, elle peut comprendre toute la portée de sa maladresse au bar. La culpabilité envahit son ventre. A son tour, elle plonge son regard dans le verre qui est sous son nez. “Je suis vraiment désolée pour Eva. ” Les doigts de Ten frottent le verre pour ne pas aller sur la main d’Angus. Elle ne veut pas se montrer trop envahissante ou familière. “Heureusement qu’il y a eu ton oncle. ” Un sourire petit mais sincère apparaît alors. Ten aime voir la face lumineuse de la lune, le côté positif des événements. “ Ces expériences ont fait de toi un homme loyal. Un homme bienveillant. Je le vois à la façon dont tu tiens ton bar. ”
“ Rose et toi ? Vous êtes encore en contact ? ” Il y aurait aussi des questions à poser sur leur géniteur. Mais, maintenant que Ten sait tout ce qu’elle sait l’envie n’est plus là. Elle préfère se focaliser sur ce frère qu’elle ne connaît pas. “ Comment as-tu rencontré Sullivan ? ” Avoir deux grands amour dans une seule vie c’est une vraie chance. Il y a déjà peu de personnes qui trouvent le seul et l’unique.
En dix ans, le climat social s’est dégradé. Les directives nationales dans le but de ceinturer Londres, la prohibition, se sont accentuées depuis un peu plus d’un an. Les conséquences en sont de plus en plus visibles. Parce que le peuple anglais est en train de perdre le sens. Le pourquoi. Malheureusement, le cas du 4Birds n’est plus un cas isolé. Austen, voit bien que tous les commerces sont maintenant sous “protection”. Ludovic lui dit que même les bars clandestins ont redoublé leur garde dans le trimestre. Alors, évidemment cela est préoccupant. “ Si tu as des soucis, tu peux venir me le dire. J’ai un ami, Ludovic, il connaît quelques gros bras qui pourront aider. ” Rien à voir avec les hommes de main de la Bratva. Ce sont plus des punks qui se sont reconvertis en gardiens de nuit. Ils sont de gros nounours.
Angus a raison. La valeur du combat est aussi importante que la victoire. L’essentiel est de pouvoir se regarder dans une glace le matin, sans avoir honte. Ni de ce que l’on a fait. Ni de ce que l’on a pas fait. Michelle et Gladys ont beau avoir été les instigatrices de ces valeurs… Les filles ne sont pas toujours d’accord sur la façon de faire. “ Oui. Et puis, je ne sais pas toi ? Mais moi, je sens que la génération qui arrive, elle ne se laisse pas raconter d’histoires! Je pense qu’elle a bousculé le terrain. ” Ten le dit avec conviction. C’est quelque-chose qu’elle remarque depuis qu’elle travaille à l’Association. Les hommes comme Aidan qui s’émancipent. Les enfants qui se battent pour pouvoir vivre qui ils sont. “ J’aurais adoré que ce soit la nôtre. Mais, enfin de compte je pense qu’on est surtout là pour préparer leur arrivée. ”
“Tu lui as donné le courage de s’affirmer dans une situation très compliquée. ” Thomas en a un sourire tendre pour cet homme qui lui est un total inconnu. Cela lui donne envie de le connaître. Elle aimerait le rencontrer un jour. Mais, c’est un peu tôt pour demander ce genre de chose. Il faut d’abord qu’ils se rencontrent entre eux. Les yeux de Ten s’écarquillent. “ Sans rire !! Londres est petite ! Olala. Qu’est-ce que ça a dû vous faire drôle! ” Austen est née ici. Elle a fait le peu de son parcours scolaire ici. Alors c’est assez fréquent qu’elle croise des personnes qu’elle a connu dans l’enfance. Rien qui soit aussi… romanesque que pour Angus et son premier amour! “ Et ? Elle va bien ? ” Parce qu’il n’y a pas besoin de connaître un individu, un être humain, pour désirer qu’il aille bien.
Austen s’avance sur sa chaise. Elle pose ses coudes sur la table pour poser son menton sur ses mains jointes. Ainsi, elle peut prendre encore plus de plaisir à écouter l’histoire d’Angus et de Sullivan. On dirait un vrai roman d’amour! De quoi lui faire un peu penser à son ami Prem et ses propres tourments amoureux. Ten écoute jusqu’au bout émerveillée, que dire enchantée, par la force de cette passion. Ce n’est pas quelque-chose qu’elle a connu. Elle aime avec force. Elle aime avec tendresse. Mais il n’y a pas de tourment. Pas de déchirement… Heureusement! “ Vous avez l’air sacrément fusionnels tous les deux ! Whaou! C’est intense. En vous rencontrant j’aurais cru que vous étiez un “vieux couple”, je t’assure. C’est génial pour Dawn que vous vous soyez trouvés en tous cas. ” La petite a des parents qui s’aiment et un foyer sous lequel grandir. C’est parfait!! Thomas se laisse aller à aller presser la main de son “petit” frère. “ Tu as une belle vie, c’est super. ”
Doucement, elle retire sa main. Elle se réhausse sur la chaise et prend le temps de repousser ses cheveux de son visage. Ses yeux se font plus calmes. Maintenant qu’elle connaît le passif avec leur “père”, Ten veut bien choisir sa façon de livrer son propre passé. “ C’est moi qui ait demandé. Pendant l’adolescence je leur en ai fait baver. Je me cherchais pas mal. J’étais… dure. J’ai exigé de Gladys qu’elle me présente à lui. ” En évoquant ce passage de sa vie Austen se sent un peu déçue. Son visage trahit ses émotions trahies. “ J’ai été super déçue. Je m’étais attendue à avoir une sorte de révélation. Un lien hyper fort. Mais ça n’a rien donné. Le courant n’est pas passé. Je me suis toujours affranchie des codes classiques. Or mes mères et lui viennent de là. Il a eu du jugement. Pris le partie de mon autre mère Michelle sur des points de tensions entre nous. Une ca-tas-tro-phe. ” Ce soir la femme de trente ans peut en rire sans souci. Mais à seize ans cela avait provoqué un raz de marée dans la maison. “ J’ai refait un pas vers lui y a quelques années. Je ne voulais pas rester fâchée. Mais… mes choix de vie et son état d’esprit ne collent pas. ” Ce qui la surprend moins maintenant qu’elle en sait plus sur eux. “ J’ai été triste. Maintenant, j’en prend mon parti. J’ai deux mères aimantes. C’est bien assez. ” Il y a des deuils à faire pour avancer. Même si l’on veut résister. On ne peut pas forcer l’amour à venir dans le coeur de l’autre.
Raconter sa vie est une chose qu’Austen fait naturellement. Ce n’est pas poussé par de la vantardise. Il s’agit du plaisir de partager avec autrui. Il n’y a rien de plus intéressant que d’échanger avec ses semblables. “ Ma vie ! Mmmm! Je suis née ici. J’ai grandi ici. Je n’ai quasi jamais quitté l’île. ” Ce n’est pas demain la veille qu’elle va tenter avec les règles de déplacement. Quoique maintenant qu’elle est attachée au Butterfly ça pourrait la pousser dehors. Enfin! “Je suis fille unique. Je crois que le parcours pour m’avoir les a découragés à recommencer… Ce que je trouve affreux. D’autant que j’aurais adoré être dans une fratrie!!” Ce qui est un peu plus le cas maintenant. Ils ne seront jamais comme des enfants élevés ensemble. Mais ils peuvent devenir complices. “ Elles sont toutes les deux des enseignantes en faculté de Lettres ici. On a vécu dans un pavillon de banlieue. Mais, elles ont migré à la campagne un peu après le Brexit. ” Ten attrape une serviette pour la dépioter en parler. “ J’ai eu une enfance assez classique, si on exclut le fait que mes mères sont des lesbiennes. Elles voulaient absolument que je fasse de “belles études”. Parce que c’est ainsi chez elle. L’intellect est valeur. Moi, je voulais juste être avec des gens, bouger, aider. A dix-huit ans, je suis partie. Sans prévenir… ce dont je ne suis pas si fière maintenant. Mais, on devait couper le cordon, vite et fort. J’ai bourlingué pendant un temps. J’ai découvert la vie des punks. J’ai vécu en squatte. ” Mais Ten n’a pas suivit la mauvaise pente. La drogue ne l’a pas attirée. NI le mal. Elle est plus hippie que punk à chien. “ J’ai fait beaucoup de jobs différents. J’ai fait des formations dans tout et n’importe quoi. En fait, j’aime juste apprendre. C’était précaire. Mais, je m’en fichais. Ça m'a appris à me détacher du matériel. Ce qui rendait mes mères folles…. ! ” Ten ne sait pas trop ce qui l’a le plus amenée à se poser ? Le job ou la copine ? “ J’ai rencontré une fille. … Merveilleuse. Elle m’a … posée. J’ai trouvé un appart’. Un job. On s’est séparées. Mais j’ai réussi à me tempérer grâce à elle. ” Une belle rencontre qui lui fait prendre un chemin qu’elle n’aurait certainement pas trouvé sans aide. Les choses se sont faites naturellement dans sa vie.
“Maintenant, c’est moi qui accueille les potes sur mon canapé. Ce qui me fait sourire. ” Il y a des potes dont elle sait qu’ils vont réapparaître, rester quelques mois et repartir. Il lui arrive encore, très souvent, d’avoir envie de les suivre. Ce qui la retient, c'est surtout la sérénité de ses mères. “ Pour mon job actuel tu sais du coup. L’Association, on n’en a un peu parlé, il me semble. C’est un truc qui me tient à cœur. Ça me fait du bien d’aider. Surtout les LGBT qui ont un parcours plus compliqué, en général. ” Ce n’est pas Angus qui va pouvoir la contredire sur ce point là. Ce n’est pas près de changer avec les tensions plus haut. Mais, ils sont là eux. Ils ne vont pas baisser les bras. “ En ce moment, je suis en couple oui. Avec deux hommes. Ensemble. Parce qu’en plus d’être Pans, je suis Polyamoureuse. Ce qui … choque profondément mes chères mères qui restent très conventionnelles. Malgré leur propre parcours. Ce qui m’a toujours fait un drôle d’effet. Enfin, je suis très heureuse avec eux. Ils sont adorables. Je les aime.” Liam est un grand calme qui l’apaise et lui donne envie de le choyer. Luka est un grand vif qui la stimule et lui donne envie de faire des folies. C’est exactement comme ça qu’elle se tempère. “ On va organiser une soirée du Printemps. En mai. J’espère qu’ils pourront venir et toi aussi… avec Sullivan. Enfin, si tu le veux. Juste, ça me ferait plaisir ! J’ai beaucoup parlé… J’espère que ça va aller ! ” Ce qui la fait rire d’auto dérision et de soulagement. Cela lui fait du bien de se dévoiler devant quelqu'un de son “sang” sans s’attendre à des critiques. Car même si on prend du recul eh bien ça ne fait pas plaisir.
Un mot sonne à l’oreille de la jeune femme. Elle réagit. “ Sacrée ? Ah oui ? Tu trouves ? ” Ce n’est pas le mot qui vient en tête en premier. Quand Austen évalue son histoire personnelle, elle y associe des mots comme : rébellion, chaos, recherche. “Sacré” cela lui va venant d’Angus.
Il faut éliminer les inquiétudes inutiles. Tout de suite. “ De ce côté là tu peux être tranquille. ” Même si la relation avait été bonne, parler du fils “oublié” ne lui serait pas venu. Pas sans avoir obtenu l’accord explicite de la personne concernée. Respecter la vie de chacun, de chacune, elle un choix pilier. Ten sourit rassurante. “Je peux comprendre en quoi cela te rassure. … Et maintenant que j’en sais plus, je pense que c’est en fait logique que l’on ait pas réussi à tisser un lien. ” Qu’est-ce que Michelle a pu trouver à cet homme ? Au fond la question peut se poser. Sans doute sera-t-elle posée. “ Je suis d’accord. La “norme” est un concept pour vivre en société. Mais, je ne pense pas qu’elle puisse, ou qu’elle doive avoir une prise sur le champ des émotions ou des sentiments. Je pense que ce qui leur déplaît au fond, c’est que je sois en dehors du cadre. Comme si je le faisais pour les provoquer. Alors que pas du tout. Ce n’est pas un choix. C’est comme ça. Mais, elles finiront bien par comprendre. ” Les Thomas ont du mal à entendre leur fille. Qu’à cela ne tienne. Cela ne l’arrête pas. Pour les convaincre, Austen convoque des grands noms de la sociologie de la philosophie ou de la littérature. Ceux dont la parole fait foi pour des universitaires. “ Je n’abandonne pas facilement une bataille. Surtout idéologique. ” Elle acquiesce vivement à l’idée d’une rencontre. C’est ce qu’il faut. “ Bien sûr! Cela leur fera plaisir de te rencontrer. ” Gladys aurait plaisir à discuter avec lui. Encore faut-il trouver le moment. Ce ne sera pas pour tout de suite. Le printemps peut-être.
Austen est enthousiaste. Parce qu’elle sent une grande ouverture. “ Merci Angus! ” Essayer un pas. Le premier pas d’une marche. C’est suffisant pour Ten de voir quelqu’un essayer. Pour que tout le monde soit décomplexé sur le sujet, elle expose tous les faits. “ Et si ce n’est pas possible on trouvera un autre moyen. Le centre social du quartier est plutôt ouvert. Ce qu’il faut c’est ça surtout, de l’ouverture. ” L’association est là pour participer à cela. Ce qui n’est pas du luxe au regard des réactions de ces deux dernières années. La peur et le racisme mettent du temps à disparaître. “ Merci pour les réunions. On a bientôt fini le planning du printemps. Je te l’enverrai voir ce qui est possible ou non. ” Le document devrait être finalisé dans la quizaine.
“ Bon appétit! ” Elle attrape elle aussi son couvert pour entamer leur souper. Le geste ralentit la question. Austen a le visage qui s’éclaire. “ Oui. J’aimerai en avoir. ” Selon ses mères, elle s’y prend tard. Il aurait été mieux de s’y mettre avant. Pour avoir le temps de voir les enfants grandir. “ Mais je veux le faire correctement. ” Ça peut être facile d’avoir un enfant. Un accord avec un bon copain. Hop. Ce n’est pas la partie la plus compliquée. “ Mais je ne veux pas avoir un enfant, pour “avoir un enfant”. Si tu vois ce que je veux dire ? Je veux que ce soit un désir commun. Donc j’attends que les conditions soient réunies un jour.” Elle prend une gorgée de sa boisson sucrée. “ Si ça n’arrive pas j’adopterai.” Chaque semaine, elle entend parler d’enfants abandonnés. L’adoption lui semble être une belle chose. L’exemple de Liam l’inspire par mal depuis quelque temps. Elle y pense. Beaucoup. “ Enfin, ce que j’aimerai vraiment c’est faire les deux. Mais, toute seule, et avec mon “sacré” parcours c’est quasi impossible. Je dois me trouver des allié.es. ” Ce qui ne semble pas l’intimider plus que ça. Austen est optimiste jusqu’au bout des ongles. “ Et vous ? Vous voulez une fratrie pour Dawn ? D’autres adoptions en vue ? ” Maintenant qu’ils ont traversé une bataille administrative c’est peut-être moins intimidant. Moins impressionnant.
Tout à sa réflexion partagée Ten reprend sur le même thème. “ Il y aussi le système de “famille d’accueil” qui m’intéresse. Il faudrait que je penche sérieusement sur la question. Un bon projet pour 2026! ” Un stimulant comme un autre pour avancer pas à pas. “ Sullivan n’a pas trop de souci à ce que je te côtoie ? Je l’ai senti hésitant... ” Autant poser la question, puisque le dialogue se fait tout seul.
Même sans avoir grandi ensemble, ils ont envie de s'entraider. De quoi rendre Thomas d'autant plus optimiste ! “ Génial!! ” Maintenant Austen a un peu trop la tête dans le guidon. Ils ont commencé à planifier certaines choses. Heureusement que les budgets et les subventions sont déjà bouclés pour l’année. Cela aurait été encore plus de pression de dépendre du résultat du scrutin. “ Je le ferais!” Elle adresse un sourire à Angus. “ On aimerait faire un festival de musique au printemps. Un truc assez gros qui puisse être gratuit pour les gens des quartiers. ” Parce que la classe dirigeante vit dans les beaux bâtiments. En attendant, une bonne partie des anglais ont du mal à joindre les deux bouts. Beaucoup de factures mais pas beaucoup de paye. Une réalité que la noblesse a un peu du mal à voir… “On va avoir besoin de sponsors ! ” Thomas ne lâche pas l’idée. La campagne est aussi une belle opportunité pour parler des projets, du futur. Chaque qu’elle sent qu’il y a une oreille réceptive elle tente le coup.
“Tu n’es pas indiscret. Ça ne me dérange pas. ” Austen n’est pas une femme pudique. Extravertie et qui aime discuter de tout avec les autres. C’est quelqu’un qui n’a pas besoin de se cacher. Avec Angus elle tient à ce que le dialogue soit possible, facile même. “ Ils ont déjà tous les deux. Liam a deux grands enfants. Luka en a deux, je crois. ” Les deux partenaires sont des pères de famille. Chacun à leur façon et c’est aussi intéressant. “ Je ne sais pas s’ils auraient envie de recommencer. En fait, je n’ai pas encore abordé la question avec eux. … Je ne veux pas … aller trop vite. ” Même si le temps fil biologiquement parlant Ten n’a pas envie de précipiter les événements. Ils n’en sont qu’au début de leur vie commune. Dans quelques mois, si cela tient, peut-être se lancera-t-elle.
La démarche du barman est tout à fait raisonnable. Dawn est une petite fille adorable qui est bien chanceuse. “Le dossier est en bonne voie. Au printemps tu pourras laisser toute cette paperasse derrière toi. ” L’affirmation est faite avec le sourire. Austen sait combien monter ce genre de dossier est long et harassant. Chaque fois elle a de la peine pour les parents qui se retrouvent avec leur vie épluchée dans les moindres détails. “ Tu peux considérer que tu as une assistante sociale attitrée. ” Il se peut que Thomas n’est pas tous les dossiers de Sullivan et Angus officiellement. Mais, maintenant qu’ils se connaissent il est hors de question qu’elle ne les aide pas.
Austen écoute le point de vue de son frère. Elle réfléchit. C’est un aspect auquel elle n’a pas plus songé que cela de son côté. Non pas qu’elle n’ait pas d’attachement avec les jeunes. Elle les adore. Ils lui manquent quand ils partent. Mais elle est encore plus heureuse de savoir qu’ils sont devenus assez grands, assez autonomes, pour ne plus avoir besoin d’elle. “ Je comprends. Vaut mieux protéger son coeur quand c’est comme ça! Tu as raison! ” Le plus important, Ten le dit toujours, c’est de faire avec ce que l’on est. La sincérité est l’une des plus belles forces d’une personne.
“Fusionnels on dirait ? ” Cette idée adoucit le regard de l’Anglaise. Elle a vécu une relation fusionnelle avec une femme. Une fois. Cette fille l’avait tout simplement envoûtée. Austen a même été jusqu’à des fiançailles. Jusqu’à ce que cette passion commence à les dévorer doucement. Une femme jalouse est une femme malheureuse. Une femme prisonnière l’est aussi. Les filles s’étaient rendues à l’évidence. La monogamie et le polyamour ne sont pas compatibles. “ D’accord. Tu me rassures. S’il a compris c’est le principal. ” Elle tend la main pour boire un peu. “Oh. Oui! C’est une très bonne idée. Avec joie. J’en parlerais avec eux. ” Même si l’idée la séduit elle, elle n’engage rien sans l’avis de l’un et l’autre. Sinon ça ne peut pas marcher.
Dans la continuité de la discussion, Thomas a une idée qui vient. Elle ne met pas longtemps à la partager. “Si tu as envie de rencontrer mes mères c’est possible aussi. Je sais qu’elles sont curieuses de te connaître. Surtout Gladys ma génitrice. Aux beaux jours peut-être ? Elles ont une belle maison. C’est à une bonne heure d’ici. ça peut être sympa, la campagne avec Dawn! ” Tranquille, la belle se met à manger un peu. Dans le tourbillon de la campagne cela lui fait du bien de penser à l’après.