Les murs du château de la famille du capitaine de l’équipe de rugby de Gordonstoun High n’avaient jamais autant vibré. Siège de plusieurs batailles historiques, le château n’était jamais tombé aux mains des envahisseurs, mais cette fois, l’invasion, était totale, car l’ennemi des temps modernes le plus redoutable pour l’intégrité d’un château est une bande d’adolescents en chaleur dont le quotient intellectuel se compte avec les doigts. Ajoutez à cela de l’alcool volé dans la réserve familiale, un soupçon de drogue et beaucoup d'idées stupides pour obtenir une soirée qui restera dans les annales.

Un cri de victoire guttural et barbare s’éleva sous la pompom-girl qui se balançait au lustre. Tel un animal saisit de la rage, la bouche couverte de mousse, Tyrgan leva le trophée du Tournoi des champions au-dessus de sa tête. La forme du trophée en faisait le récipient parfait pour y verser 3 bières, que le jeune fils de duc venait de vider en un seul trait. Son cri fut rejoint par celui de ses camarades de cro-magnon, qui se mirent à hurler son surnom.

Red buuuuuuuull!

Laissant choir le trophée à ses pieds, les bras ballants, Tyrgan tituba jusqu’au fauteuil de cuir capitonné le plus proche pour s’y choir, un sourire béat sur le visage, avec la sensation d’être au sommet du monde. Il était beau, il était riche, il avait l'avenir devant lui. Il était le meilleur.

Et il avait envie de baiser.

T’as vu Amber? Hurla-t-il à son coéquipier afin qu’il l'entende au travers du brouhaha de la foule et de la musique.

Au billard je crois!

Tyrgan se leva, déterminé à ses frayer un chemin vers l’escalier en marbre. La lumière kaléidoscopique des mini-projecteurs, la musique qui tambourinait sur ses tympans, et l’amas de bras, de jambes et de corps qui dansaient lui donna rapidement le vertige. En arrivant dans le couloir, sa coordination lui échappa. Il fonça contre quelqu’un, qui renversa sa bière sur son gilet de sport.

Putain! Mais fais gaffe connasse! Lança-t-il à la punkette-gothique-machin démoniaque. Tyrgan fronça alors les sourcils, ses yeux fixés sur l’inconnue. T’es qui toi? T’es pas de Gordon. Qui t’as amené ici? Les bizarres dans ton genre sont pas invités d’habitude.

Lowri? Sarah? Ces noms-là ne lui disaient rien. Venaient-elles seulement de Gordon? Tyrgan toisa la punkette de la tête aux pieds. Cette fille-là n’en avait pas l’air. Peu importe comment elle s’était fait inviter ici, et par qui : son maillot de rugby était poisseux de bière. Tyrgan la regarda alors sans comprendre ce qu’elle prétendait. « Évidemment que j’habite pas ici! » lança-t-il, visiblement énervé. Les sourcils froncés, le flanqueur suivit l’inconnue dans la foule, en comprenant soudainement ce qui se passait.

Bouffi d’orgueil, l’adolescent assumait bien des choses, et en prenait tout autant pour acquis. Par exemple, sa notoriété. Cette Lowri, qu’elle l'ait voulu ou non, venait de piquer son égo en ne sachant pas à qui elle s’adressait. Tyrgan, en la rejoignant dans l’un des grands couloirs du manoir, réagit au quart de tour « Est-ce que t’es en train de dire que tu ne me connais pas? Que tu ne sais pas qui je suis?! », dit-il, en éclatant d’un rire mesquin face à cette idée absurde. « Tu crois vraiment qu’un fils de duc habiterait dans un simple manoir? Tu crois vraiment que le fils du duc d’Argyll vivrait entre ces murs-là? » L’idée même en était ridicule. Cette baraque était une excuse pathétique d’un manoir, n’en déplaise à son capitaine d’équipe. Il n’y avait ni jardin, ni écuries, ni salle d’armes, ni archives, seulement une fontaine en marbre et quelques fleurs rares dans la cour arrière.

« Forcément, tu ne dois pas être la plus futée des filles ici, alors même si t’es déguisée en vampire, laisse-moi éclairer ta lanterne » dit-il avant de se présenter, un sourire charmeur sur les lèvres. « Tyrgan Campbell, premier du nom, marquis de Kintyre et Lorne, héritier du clan Campbell et du duché d’Argyll ». Marquis, jusqu’à ce qu’il ne prenne la place de son père, un titre que seul l’héritier du duché avait l’insigne honneur de porter, et Tyrgan adorait en abuser. Le jeune marquis effectua donc une petite courbette, légèrement chancelante, devant Lowri. Il prit rapidement appui sur le mur, se sauvant d’une embarrassante chute. Il sourit de nouveau, goguenard. « Ça sonne tellement bien, n’est-ce pas? Mes amis m’appelle Redbull, parce que je suis roux, et parce que foncer sur les gens est ma spécialité… au rugby, bien entendu. J’te montre! ».

Tyrgan retira son haut collant et puant de bière, le jetant négligemment au sol. Dans un nouveau cri de guerre, le rouquin, les bras ouverts devant lui, fonça vers l’un des nombreux mannequins en armure postés devant les portes du couloir. Même après avoir ingéré plus de trois bières, Tyrgan pu saisir les jambes du mannequin, et le souleva de son piédestal. L’impact brutal du mannequin et du jeune homme contre le sol fut suivi d’un grand fracas métallique. En voyant la tête du mannequin se décrocher de son cou, Tyrgan siffla, comme impressionné par sa propre force. Il jeta un coup d’oeil derrière son épaule pour zyeuter Lowri. « T’as vu? » demanda-t-il en se relevant « Et toi, c’est quoi tes titres? T’es baronne? Baronnesse? T’es fille de chef peut-être? »

Tiens… elle est plus revêche que les autres, celle-là, pensa-t-il lorsque Lowri prétendit ne pas savoir où vivaient les fils de haute noblesse tels que lui. « Dans un château, évidemment! Un domaine avec des milliers d’acres de forêt. Il faut que tu sortes un peu plus, Lowri. Ça me fait presque pitié pour toi. T’en fais pas pour mon pote, il trouve le manoir de ses vieux aussi triste que moi, mais pour faire la fête, ça passe très bien. Mes parents ne vont jamais en vacances. Et les rares fois où ils y vont, ce sont les domestiques qui veillent. Alors y’a pas moyen de faire ça ailleurs ». De plus, Tyrgan craignait au moins autant May, la gouvernante, et Nigel, le majordome, que ses propres parents. Avec eux, il agissait bien différemment que lorsqu’il était ses amis, mais il en allait ainsi, chez les nobles. Il y avait la façade, les apparences, et tout le reste. Seule Amber arrivait à le comprendre. Il n’y avait qu’avec elle qu’il pouvait être vrai.

Cependant, il ne put s'empêcher de rire devant les étonnantes déclarations de Lowri. « Sorcière et médium hein? » répéta-t-il, mi-amusé, mi-intrigué. « Descendante des chuchoteuses de l’île de Coll… C’est presque aussi classe que moi. Hé! » En voyant qu’elle filait, il voulut d’abord la rattraper, mais chacun de ses membres semblait peser une tonne, et sa tête pesait de plus en plus sur ses épaules. Tant pis, se dit-il, balayant l’air d’un geste de la main. Elle commençait tout juste à être intéressante, avec ses histoires de sorcellerie. Dommage.

Reprenant son t-shirt, sa recherche d’Amber se poursuivi dans le couloir. Il demeura sans succès pendant un long moment, jusqu’à ce qu’il tombe sur l’une des cheerleaders de l’équipe, qui affirma avoir vu Amber à l’étage. Se traînant en haut des escaliers, Tyrgan n’eut qu’à jeter un regard autour de lui pour voir l’ensemble du manoir. Sous lui, les gens dansaient dans le salon, où un autre de ses coéquipiers s’essayait à vider la bière dans la coupe du trophée. Amber ne se trouvait ni là-bas, ni dans la galerie du deuxième étage. Tyrgan poussa un grognement écoeuré. Il passa alors au plan b : se trouver un lit ou un fauteuil pour pioncer.

Il fit le tour de la galerie, et entra dans l’aile droite, réservées aux habitations familiales. Il tourna la première poignée sur son chemin. En ouvrant la porte, il entendit d’abord un cri, avant de comprendre ce qu’il se passait «Oh pardon je-». Son regard suivit d’abord le costume de mascotte de l’équipe, démembré et au sol, entremêlé aux morceaux de vêtements qui composaient l’uniforme de pom-pom girl de l’école, puis, remonta sur les sous-vêtements, douloureusement familiers, et jusqu’au lit. Amber remontait précipitamment les draps contre son corps nu tandis que Trevor se jetait dans son costume pour prendre la fuite.

Son sang dans ses veines se mit à brûler comme de l’acide. Le visage écarlate, fou de colère, Tyrgan empoigna Trevor par le col, prêt à lui mettre la raclée de sa vie… mais Amber s’interposa entre eux.

-Tyrgan arrête! Laisse-le!

Alors que Trevor se démenait comme un diable pour échapper à l’emprise de Tyrgan, ce dernier le catapulta hors de la chambre, et jeta le costume dans le couloir. Il claqua la porte d’un bruit sonore. Seul avec Amber, il se retourna pour la foudroyer du regard, les dents serrées

-Tu me trompes avec la mascotte?!

-Il a un nom je te signale!

-J’en ai rien à foutre de son putain de nom! Comment t’as pu me tromper avec ce loser! Je croyais que tu m’aimais! Lança-t’il, à mi-chemin entre la rage et le chagrin.

-Je t’aimais okay?! Mais plus maintenant…

-...

-Excuse-moi, j’aurai dû te le dire plus tôt.

-Ça dure depuis longtemps?

-Trois mois.

Tyrgan s’enfouit le visage entre les mains. Jamais il n’avait pensé que cela pouvait lui arriver. Il fixa de nouveau Amber, les yeux humides.

-Pourquoi t’as fait ça?! Qu’est-ce… qu’est-ce que j’ai fait?

-Rien justement! Rien! Tu ne fais jamais rien!

-Tu déconnes ou quoi?! Je viens de remporter le tournoi!

-Ouais, et alors? Tout le monde s’en branle! Tout le monde s’en branle que tu sois marquis! Ça ne veut rien dire! Trevor a des projets au moins, de vrais projets d’avenir. Il est intelligent. Il veut devenir avocat! Je sais que t’es quelqu’un de bien, et de gentil, mais tu n’en fais rien. Tu agis en con! T’as rien devant toi, t’as pas d’avenir, de vrai avenir! T’attends que ton père crève pour prendre sa place, et rien d’autre. Je ne le voyais pas avant, mais je le vois maintenant : c’est toi le loser.

Tétanisé d’horreur, pâle comme un fantôme, Tyrgan sentait que les os de ses jambes se transformaient en coton. Cette fille qu’il adorait, qu’il tenait en haute estime, avec qui il avait été tellement heureux, et tellement serein pour la première fois de sa vie, n’avait plus aucun amour pour lui. Ses yeux qui l’avait regardé avec amour le fixait maintenant avec dégoût, et il ne pouvait plus le supporter. En sentant son coeur se briser, des larmes roulèrent sur ses joues.

-C’est vraiment ce que tu penses de moi?

-Oui. Maintenant vas t’en. C’est fini entre nous.

Les dernières paroles d’Amber sonnèrent à la fois le glas de leur couple, mais également de son monde à lui. S’il même Amber ne voulait pas de lui, alors qui? La seule personne en qui il avait le plus confiance venait de le rejeter, après lui avoir menti durant des mois. Si ses titres et ses victoires ne valaient rien, alors, ce qu’il ne devait rien valoir, lui aussi. Tyrgan se sentit chuter, tomber dans un précipice sans fond. Tyrgan sortit de la chambre, les jambes molles. Sa vision brouillée par ses larmes lui donnait le tournis. Il avait les mains moites. Il se sentait terriblement mal. Aussi rapidement qu’il le pu, il se précipita dans les escaliers, puis, se réfugia à l’extérieur. Il avait besoin d’air. La fraîcheur du soir le fit frissonner. Lorsqu’il atteignit la fontaine au milieu du jardin, il s’effondra, et vomit ses tripes dans le parterre de tulipes. Il traîna son corps lourd jusqu’à la fontaine pour s’y plonger la tête, pour tenter de chasser les paroles d’Amber, aussi douloureuses que n’importe quelle blessure physique. Sortant la tête de l’eau, il rampa jusque dans l’herbe hors du jardin, pour fixer les étoiles, et mourir de chagrin.

Il ne voulait plus bouger. Tout faisait mal et ses membres pesaient une tonne. Son immobilité lui donnait le tournis, ou peut-être était-ce le ciel qui faisait danser les étoiles devant ses yeux rouges et bouffis de larmes. De toute manière, à quoi bon se relever? C’était la fin du monde, de son monde à lui. Il ne voulait plus faire la fête, encore moins de dire à ses potes qu’il était cocu, ni de la croiser, elle. Pourquoi lui avait-elle fait ça… avec la mascotte, ni plus ni moins?

Même bouger les yeux lui faisait mal, lorsqu’il regarda cette fille aux cheveux noirs qu’il avait croisé tout à l’heure. Dans un geste aussi enfantin que pathétique, Tyrgan roula sur le côté pour lui tourner le dos. Il ne voulait voir personne, ni qu’on ne le voit ainsi. Les jambes recroquevillées près du torse, il agrippa ses côtes douloureuses, secouées à nouveau par ses propres pleurs. « Non » répondit-il, la voix entrecoupée de sanglots « Je vais bien… ». C’était sans aucune conviction; il voulait seulement qu’on le laisse tranquille, quitte à dormir dans l’herbe ce soir.

« Qu’est-ce que tu en as à foutre de moi de toute façon? » demanda-t-il en reniflant. « “Je te connais pas et je m’en fous”. C’est ce que tu as dis tout à l’heure, alors me fais pas croire que t’as changé d’avis ». En fait, peut-être venait-elle le voir simplement pour se moquer. Après tout, elle n’avait pas cherché à cacher son dédain pour lui tout à l’heure, même si, il fallait admettre, qu’il n’avait pas été le plus agréable avec elle. « Écoutes, j’suis désolé d’avoir été con, ça te vas? Fous-moi la paix maintenant. Vas te trouver une putain de mascotte à mettre dans ton lit pour ce que j’en ai à foutre! C’est tellement mieux les mascottes! » lança-t-il, amer et sarcastique. « Tellement mieux que les fils de duc… Ma copine t’en dirait quelque chose ». Plutôt ex-copine, pensa-t-il en serrant les dents. « Pourquoi elle m’a fait ça putain… »

Il lui semblait avoir tout fait correctement. Il avait toujours été gentil avec elle, galant même. Il n’avait jamais regardé les autres filles. Il avait eu toutes ses premières fois avec elle. Il lui avait ouvert son coeur et elle l’avait rendue heureux. Et là… il ne pouvait être plus malheureux. Elle ne pouvait pas s’être jouée de lui pendant tout ce temps, jusqu’à ce qu’elle en ait eu marre. Elle ne pouvait pas avoir profité de lui à ce point-là… il ne pouvait pas le croire. Elle l’avait forcément aimé. Forcément… Mais elle avait été capable de lui faire une chose pareille.

Tyrgan écoutait la voix de Lowri, apaisante, au cœur du jardin éclairé par la lune et les étoiles. À son commentaire au sujet des mascottes, les commissures de ses lèvres s'étirèrent légèrement sur son visage. Il ne savait pas s’il devait rire, ou déprimer de savoir que sa copine… ex-copine avait préféré un type supposément moche à lui. Bien sûr, il n’y avait pas que l’apparence, mais en fin de compte, c’était peut-être lui, le moche, dans toute cette histoire. Tout de même, il fini par sourire en coin. « T'as bien raison. Jamais faire confiance aux mascottes. Merci ».

Se redressant sur ses coudes, le joueur de rugby appuya son dos contre le tronc d’un arbre. La tête lui tournait moins maintenant qu’il venait de vomir ce qu’il avait bu tout à l’heure. Le lendemain matin allait être dur, très dur. Ses yeux ambres fixaient la surface de l’eau de la fontaine. Elle paraissait froide, et reflétait la noirceur de la nuit autour d’eux. Le chant des criquets était une musique beaucoup plus douce que ce qui jouait à l’intérieur du manoir. Ses yeux rougis de larmes quittèrent l’eau de la fontaine pour se poser, pensif, sur Lowri. Il n’avait pas la force, ou l’intérêt de remettre l’armure qu’il portait pour se protéger des autres, ces autres à qui il ne montrait que ce qu’il voulait bien montrer. Contrairement aux autres, Lowri n’avait aucun a priori sur son titre, sa famille, et tout le reste. Elle s’en foutait finalement. Elle était honnête, et logique dans ce qu’elle disait.

Tyrgan poussa un soupir. « Ce n’est pas la première fois que quelqu’un est malhonnête avec moi, et ce ne sera pas la dernière. Avec le temps je pensais être immunisé, et que pensais qu’avec elle… je pouvais être moi-même, mais non. C’est ça surtout qui fait mal, tu vois? » Il avait eu l’impression d’être libre, d’être autre chose qu’un titre. « J’veux dire, je ne peux même pas faire confiance à ma propre famille. Mes vieux décident tout pour moi, et comme un con je les laisse faire… Elle avait raison en fait. J’ai pas d’avenir à moi ».

S’il pouvait réellement choisir ce qu’il voulait faire, ça ferait longtemps qu’il se serait barré de ce collège prétentieux. Il n’y avait que l’équipe de rugby qui était bien. Pour le reste, les profs, les cours, l’uniforme à la con… Ras-le-bol de tout ça. C’était que pour avoir le diplôme, que ça fasse prestigieux. « Mes parents ont déjà tout tracé pour moi, alors je ne sais vraiment pas ce que tu pourras me dire sur mon avenir que je ne sais pas déjà », dit-il d’un ton las, une expression blasée sur le visage. Toutefois, en y réfléchissant bien, Tyrgan demanda : « Peut-être que… tu pourrais demander aux lettres si je vais pouvoir choisir ma femme? Franchement, j’aimerais bien que ça, au moins, on me laisse choisir ».

Cette fois, Tyrgan se mit franchement à rire « S’il fallait que May choisisse mes caleçons… » dit-il en levant les yeux au ciel. La gouvernante était une perle, mais il s’habillait très bien lui-même, la plupart du temps. « Je peux encore choisir ce que je porte. Enfin, tout dépend quoi… Déjà mes parents détestent que j’ai les cheveux longs. Jamais de le vie ils me laisseraient les teindre, ou juste… adopter un style comme le tien. Sans parler de piercing ou de tatouages, ils feraient une syncope! » Imaginer leur réaction scandalisée le fit sourire davantage. Toutefois, il savait qu’il n’oserait jamais aller contre leur décision, et son regard s’assombrit quelque peu, lorsque Lowri lui demanda ce qui l’empêchait de juste… partir.

« Je saurais pas où aller. Tous les parents de mes potes connaissent les miens, donc ils me retrouveraient forcément. Je ne sais pas ce que je ferai non plus. Je ne sais rien faire d’autre que jouer au rugby », dit-il en haussant les épaules. Il n’était pas trop dégueu en math non plus, mais ce n’était clairement pas ce qui l’intéressait le plus. Tyrgan poussa un soupir. « De toute façon, si je ne fais pas comme ils veulent, ils m’enlèvent le rugby. Je les ai convaincus de me laisser au moins ça. En échange, je fais ce qu’ils me demandent ». Ça incluait pas mal de choses, entre autres le service militaire qu’il devait faire durant l’été, dans les Orcades. Il avait froid rien que d’y penser. Il n’avait évidemment aucune envie d’y aller, mais son père insistait, disait que c’était une étape pour bien des nobles, et qu’il gagnerait plus facilement le respect de ses pairs. Tout de même, Tyrgan aurait préféré un été au bord de la plage. « Je me dis que c’est le prix à payer pour n’avoir jamais manqué de rien, d’avoir grandi dans le luxe. Je devrais pas me plaindre, désolé … »

Le jeune futur duc sourit en voyant les trois lettres de scrabble dans le creux de la main de Lowri, qui lui demanda s’il avait d’autres questions. Tyrgan réfléchit un petit moment, silencieux, ses yeux ambre se perdant sur le visage de Lowri. Elle avait été très gentille avec lui, alors qu’elle ne le connaissait pas, et qu’il avait agi en gros con avec elle. Discuter avec elle lui avait changé les idées, même, lui avait remonté le moral, l’avait écouté s’apitoyer sur son sort... S’il n’avait pas su qu’elle se fichait clairement du fait qu’il soit fils de duc, du fait qu’il soit champion de rugby, il aurait pu croire qu’elle faisait tout cela à ses propres fins égoïstes, pour entrer dans le cercle des gens biens nés.

Les gens francs et naturels étaient rares, mais c’était de ceux-là dont Tyrgan voulait s’entourer, qu’ils soient roi, roturier ou médium. En sachant maintenant ce qu’il voulait lui demander, Tyrgan sembla hésiter un instant à ouvrir la bouche. Se redressant alors sur ses genoux, il tendit la main vers l’un des buissons remplis de roses et cueillit la plus sombre d’entre elles, pour être raccord avec le look de Lowri. Il la présenta ensuite à Lowri, incertain de la réaction qu’elle aurait « J'aimerais bien savoir ton numéro ». Maintenant que c’était dit, Tyrgan s’éclaircit la voix. « Je veux dire… pour qu’on se revoit, et qu’on discute. Je crois que la plupart des gens m’aurait laisser mariner dans mon vomi, surtout après ce que je t’ai dis tout à l’heure, mais… c’est pas ce que t’as fait, et je te remercie. T’es quelqu’un de bien, en plus d’être un peu mignonne ».

Tyrgan sourit en coin. Il n’espérait évidemment rien, autre que de pouvoir garder contact avec elle. Après, qui sait… « Remarque, je comprendrais que tu dises non. J’ai été un gros connard. Si je peux faire quoi que ce soit pour me racheter, dis-moi ».