Ma tempétueuse Rose, je voulais t’écrire depuis un moment déjà concernant les progrès d’Archie en leçons d'équitation. Nous en parlons parfois par téléphone. Néanmoins, je reste totalement convaincue que le papier permet d’exprimer beaucoup plus d'éléments et avec beaucoup plus de nuances. J’espère ainsi être au plus juste et peut-être aussi, pouvoir partager avec toi un peu plus des choses de ma vie. Car, il y a beaucoup de choses à dire et je tiens à m’expliquer avec toi sur certains points.

Commençons par ton fils. Archie est un jeune garçon, pondéré, discret, sage. Il me fait énormément penser à Iris lorsqu’elle avait son âge. Il est extrêmement patient et doux avec les chevaux. Je suis plutôt impressionnée par sa façon de se comporter devant eux. Je le sens dans son élément. De plus, il est d’une compagnie très agréable. J’apprécie beaucoup de passer du temps avec lui. Je trouve qu’il y a chez les enfants une certaine honnêteté, qui me plait beaucoup. Je pense qu’il pourrait faire un très bon joker plus tard. Je ne me suis pas permise de lui en parler, mais je te le dit à toi, sa mère qui le connaît la mieux.

Si tu me le permets, je voudrais faire un présent à Archi pour ses dix ans. Il me semble que c’est un âge important. J’ai envie de le remercier pour tous les bons moments que nous passons ensemble depuis quelques mois. Bien sûr, je comprendrais que tu ne veuilles pas. Je sais bien que tu as coupé les ponts avec notre milieu pour certaines raisons.

Je profite aussi de cette occasion pour te raconter comme c’est amusant de voir Tyrgan avec son neveu. Ils ont l’air de deux oiseaux qui ne savent pas bien comment se comporter l’un envers l’autre. Je trouve cette situation tout à fait charmante et attendrissante. Je m’en suis encore rendue compte, hier soir, puisqu’il est venu le chercher. Nous nous sommes retrouvés tous les trois pour le trajet.

J’étais toujours de bonne humeur à la suite d’une de ces leçons. C’était une activité qui me faisait du bien. Elle me sortait des questions du quotidien. Il n’y avait plus que Archie, les chevaux et moi. -“Bonsoir Tyrgan.” Répondais-je donc à ton frère avec calme. “Je vais bien. ” Ce qui n’était pas un mensonge. Ce soir j’allais bien. J’allais revoir Prem dans moins de trois jours. Je me réjouissais de ce week-end chez Parrain. Je venais de passer un agréable moment avec Archie. Donc tout allait bien. Je posais un regard sur le Duc, un peu inquisitrice. “ Et toi ? Comment vas-tu ? ” Je n’en savais rien, de rien, puisque lui comme Lowri ne m’avaient pas donné de leurs nouvelles.

-“Nous avons fait du trot, aujourd'hui. Il s’en est très bien sorti! ” Edward considérait que j’étais trop encourageante, trop douce encore, avec ce petit. Mais, je n’étais pas d’accord avec lui. L’autorité n’était pas forcément la meilleure méthode pour enseigner. Nous avions des opinions différentes. Mais dans ce domaine, je ne lui laissais pas faire la dictée. Ce qui me faisait le plus grand bien, c'était de pouvoir tenir tête à ce contradicteur permanent.

Je demeurais avec Tyrgan, car nous allions retrouver son amante secrète. Je ne pensais pas revoir ces deux-là en même temps un jour. Mais, la vie était décidément remplie de surprises. Je laissais ton frère conduire et faire la conversation pendant notre circulation dans Londres. Je ne savais pas de quoi il avait envie de parler en tête à tête. Je ne voulais mettre mal à l’aise personne. Je passais sous silence ses remerciements. J’étais encore blessée par leurs attitudes et je ne voulais pas le montrer plus que nécessaire.

-“Assez oui. J’ai décidé de me former davantage dans l’équitation. J’aimerai monter mon hara. ” Je n’osais pas en dire plus pour le moment. Le projet n’en était encore qu’à un embryon d’idées. Je ne voulais pas vendre la peau de l’ours. “J’ai accepté d’être Ambassadrice pour la Fondation de mon Parrain. ” Il m’avait contacté au début de l’année pour me le proposer. Comme tout le monde adorait l’idée de me voir devenir l'Égérie d’une cause, et surtout parce que j’adorais Zenon et Amélia, j’avais accepté. Tyrgan savait ce que ce genre de rôle impliquait. Les rendez-vous, les mondanités, la presse et les médias. C’était tout de même moins oppressant que la campagne électorale. “Et bien sûr, je continue de moderniser le manoir. Il faudra que tu viennes boire le thé, quand ce sera terminé. ” Une activité, comme une invitation, qui avait moins de sens dans mes oreilles ces derniers temps. J’étais projetée dans d’autres rêves que ceux-là. Je voulais fuir avec Prem, en Allemagne. “Et toi ? ” je n’allais pas revenir pour la troisième fois sur le mandat politique du Baron devant lui. Il n’avait pas voulu me répondre. Je n’avais pas envie de me disputer avec lui en ce moment.

Je lui tendis un sourire alors que le moteur de la voiture était coupé. Je désactivais la ceinture de sécurité. J’évitais de penser à la distance entre la boutique et l’appartement de Prem. Même si j’avais fait le calcul et appris le nom des rues qui me séparaient de lui… Je sortais de la voiture. J’allais dans le coffre récupérer un petit présent pour Lowri. Blessée ou non, je resterais une femme bien élevée. Je passais devant Tyrgan pour aller sonner à la porte de la boutique. Je reculais ensuite de deux pas sur le trottoir. Je m’étais changée avant de partir. Je portais un de ces jeans moderne et une paire de bottines de ville. Je me sentais un peu trop décontractée pour la capitale. Mais, je savais que Lowri appréciait l’effort. -“Bonsoir Lowri.” Disais-je en croisant le regard de la jeune femme. Je laissais Tyrgan débuter. J’étais bien placée pour savoir comme chaque moment, passé en compagnie de l’être aimé, était attendu.

Tyrgan était gentil avec moi. Vraiment, il était attentionné. Je me faisais de nouveau la réflexion qu’il aurait été un époux tellement plus agréable à vivre. Je suis sûre qu’un arrangement aurait été possible avec un homme tel que lui. -“D’accord...” Répondis-je amusée à ton frère. Ma situation générale n’était pas simple. Je me rendais compte que je disposais de très peu d’alliés. J’allais me retrouver beaucoup plus isolée que je ne l’aurai aimé. -“J’y penserai. ” Il y avait beaucoup de choses “à penser”. Je n’allais pas tout résoudre en quelques jours. Quand bien même mon chéri aurait aimé que ce soit aussi simple. En revanche, que Tyrgan réitère son soutien était encourageant pour moi.

Si j’avais largement saturé de politique au cours de cet hiver, je n’étais pas contre avoir son point de vue. Cela m'intéressait. Ton frère était de l’autre côté de l’échiquier. Prem m’en parlait un peu. Mais ce n’était pas le sujet central de nos conversations. Donc c’était intéressant de l’écouter. Je souriais à demi car je sentais dans sa voix qu’il était ravi de jouer l'entremetteurs. Il me paraissait plus terre à terre ces derniers temps. -“Je suis certaine que tu vas y arriver. Obstiné comme tu es. ” Je ne pouvais pas dire que j’étais pour une déchéance complète du Parti. Mais une opposition franche pouvait faire du bien aux idées.

Je me sentis déchanter dés que le nom de mon “cher” époux débarqua dans notre conversation. Je ne pouvais en vouloir à Tyrgan de me poser la question. Il en savait plus que toi sur l’état du “mariage”. Seulement, je n’avais aucune envie de parler de lui ou du couple abominable que nous formions. -“Il l’a très mal pris. ” Edward était un très mauvais perdant. La défaite ne lui allait pas bien du tout. -“J’aime autant qu’on ne parle pas de lui. Si ça ne te dérange pas ? ” Lui demandais-je en contenant mon humeur. La vie avec le baron était compliquée. Nous n’étions pas heureux. Lorsque j’étais en dehors du domaine je préférais ne pas penser à tout cela. -“Je suis désolée. C’est seulement que j’aimerai avoir l’esprit au calme ce soir. Tu ne m’en veux pas ? ” Lui demandais-je en douceur.

Tu vois Rose, je pensais pas un jour être fière de savoir sortir de mes codes vestimentaires. Toi mieux que personne sait que la fantaisie ne fait pas partie de nos codes. Qu’elle est même malvenue en vérité. Cela ne m’empêcha pas d’éprouver une satisfaction puérile à avoir réussi mon propre défi.

-“Merci Lowri. ” Je lui rendis un demi-sourire. Pour le moment je ne savais pas encore sur quel pied danser avec cette jeune femme. J’avais cru qu’il y avait une amitié naissante entre nous. Mais les événements m’avaient fortement détrompée. Je lui prenais donc le pas, en silence, attendant de connaître toutes les modalités de la soirée. -“Oh.” Je découvris alors un matou en train de se frotter à ma jambe. Nous avions des chiens quand j’étais petite. Mais, il n’y avait pas de chat dans le domaine. Je n’étais pas très dégourdie avec eux. Je me penchais pour lui poser une caresse crânienne.

-“... Je t’en prie, tu n’as pas à t’excuser pour la taille de ton logis. ” Sa remarque me mettait quelque peu mal à l’aise. Lui avais-je donner l’impression que c’était une caractéristique qui m’importait ? Pourtant ce n’était pas le cas. L’appartement de Prem était sensiblement de la même taille. Je les trouvais tous les deux charmants. Je lui adressais un sourire incertain. Mes yeux s'attardèrent sur ce qu'elle portait. Le foulard lui allait vraiment bien. -“ Pirate c’est un nom amusant. Pourquoi l’as-tu nommé ainsi ? ” Lui demandais-je en regardant quelles étaient les places assises à notre disposition. Sur son signe je prenais une place à l’angle du canapé. Je m’asseyais de biais quand bien même je ne portais pas de jupe. Voyant qu’elle servait les verres j’ eu heureusement le réflexe de me pencher pour réceptionner le mien. -“Merci Lowri. ” Lui disais-je sans aller plus loin. Ce soir j’étais une invitée. Je savais que dans tous les lieux c’était l’hôte qui menait la cadence. Aussi attendais-je de connaître l’objectif de cette jeune femme. Je ne voulais ni être présomptueuse, ni être utopiste. Je n’en avais pas encore parlé avec Peter. Celui des deux qui m’avait le le plus blessé. Nous nous connaissions depuis plus longtemps. J'étais venue pour essayer de comprendre et j'étais sincère. J'espérais que cela aiderait à avoir un semblant de confiance à leurs yeux. Mais rien n'était moins sûr.

A ses excuses, à lui, je décidais de passer. Il y avait assez à régler pour ce soir. -“Tu as eu tes raisons.” C'était ainsi. Je ne voulais pas que l'on se fâche tous les deux. Pendant un temps, c’est vrai, j’avais eu très envie de connaître les motivations de ton frère. J’avais été à deux doigts de venir le confronter sur la question. Plus d’une fois. Je n’étais pas aussi experte en politique que tous ces hommes, mais je voyais très bien qui était mon époux. -“ Ce qui est fait est fait maintenant.” Nous n’allions pas tergiverser. Nous connaissions les règles. Le Baron ne partirait pas de ce siège de sitôt. -“J’espère seulement me tromper sur l’homme qu’il est.” Murmuraisèje tout bas.

L’histoire du Pirate était touchante. Un exemple à la Charles Dikens dans lequel Lowri trouvait sa place. Elle avait des traits que je pouvais aisément associer à un personnage de roman. Quelque part, son histoire avec ton frère n’était pas si étonnante. Lorsque je regardais les événements sous ce prisme. Respecteuse de la parole de l’autre, je l’écoutais, attentivement.

-“Eh bien, je peux comprendre le pourquoi de votre stratégie. BIen sûre. Je ne remet pas en question la ruse dont vous faites preuve. Ni le fait qu’elle soit malheureusement nécéssaire. ” Répondis-je après avoir observé un silence de réflexion. Je ne voulais pas avoir une réponse précipitée. Les émotions n’étaient pas mes meilleures conseillères. -“ Et, bien entendu, je comprends aussi, que tu n’as pas cherché à me manipuler de façon intentionnelle.” Je n’allais pas lui prêter des intentions fausses. Lowri n’avait fait que protéger un secret dont elle était la gardienne. Elle avait respecté son engagement envers Peter.

-“Je me suis sans doute fourvoyée sur la nature de notre relation. A toutes les deux. ” C’était donc à moi de m’expliquer. Je pouvais le faire sans peine. J’avais eu tout le temps nécessaire pour penser aux choses. Entre la maladresse de Tyrgan et cette soirée, il s’était passé assez de temps, pour que je fasse le point. Je lui livrais donc mes conclusions. -“Je me suis imaginé que nous avions bâti une relation de confiance. Etant donné que je suis venue ici, avec les contraintes, que vous connaissez l’un comme l’autre.” Mon vieil ami, plus que son amante, pouvait témoigner sur ce point. Il n’était pas si aisé de défier notre classe. Tu en avais fait la terrible expérience toi-même. -“J’ai péché par naïveté semble-t-il. ” J’en étais triste. Mais au moins notre discussion recadrait l’ensemble. J’avais d’ailleurs intuitivement débuté le deuil d’une amitié naissante. -“Ce ne sera pas la première fois. ” Concluais-je lentement. Je prenais mon verre pour avaler une bonne lampée de vin. Il serait mon fortifiant de la soirée. -“Je suis navrée de ma propre erreur, crois-le bien. Enfin maintenant c’est éclairci.” Pour ce qui était de cette jeune femme oui. Pour ce qui était de mon cher avocat, rien n’était fait. Nous allions avoir une conversation de fond.

-“A vrai dire, c’est Peter qui me fait le plus de peine. ” Leur avouais-je à tous les deux. Je n’osais pas poser la question qui me brûlais les lèvres. Le soupçon que j’avais était difficile à accepter. Je préférais donc rester concentrer sur Lowri pour le moment. Je m’imposais de sourire, malgré mon humeur plus sombre. Il me faudrait, de toutes façon un peu de temps pour passer outre cette histoire. -“ Dois-je encore prétendre croire à ces fiançailles ? ” Je tournais mon regard sur ton frère. Il était l’amant piégé. Que comptaient-ils faire ? Ce n’était pas la situation la plus aisée à régler. Je compatissais, au moins pour cela. Moi qui était amoureuse d’un journaliste aux yeux de braise.