Le service de la veille a été un peu compliqué. Ils ont dû faire des muscles. Cela arrive souvent le samedi soir. La soirée où les travailleurs se permettent de décompresser à fond. Ils boivent pour se changer les idées pour évacuer. Comme la consommation d’alcool est interdite maintenant, ils boivent plus. D’où la raison principale pour laquelle Cruz ne croit pas du tout aux vertus de la Prohibition. Il a bien senti l’évolution de son boulot en cinq ans.

Au moins, maintenant, il n’a pas la question de savoir dans quelle piaule il peut aller s’affaler. Il s’endort dans le lit de Swan chaque soir. Sans qu’il cherche à le faire spécifiquement, il s’assagit. Il voit moins de mecs. Il charme moins les clients. Cela ne le prive pas. Il semble que son petit lord apporte l’équilibre. Même Austen lui en a fait la remarque avant la réunion mercredi. Ludo ne sait pas s’il est plus sage. Il sent qu’il est bien. Il se sent heureux. Comme là quand c’est une sensation près de sa hanche qui l’éveille.

Il sourit avant d’ouvrir ses yeux. Alors qu’il n’est pas encore tout à fait réveillé, sa main passe sur la hanche de Swan. Doucement, il l’attire contre lui. Naturellement leurs bouches se trouvent au petit matin. Ludovic sent une douce chaleur au fond de son coeur. Il pose sa main sur sa joue pour prolonger le baiser encore quelques secondes. « Si… Mais quand c’est toi, j’aime. » Il ne ment pas quand il n’a pas à le faire. Avec Swan il n’a jamais à le faire. C’est le reste qui est un mensonge. « Bonjour… toi. » Il malaxe doucement la zone du bas du dos. Il effleure tendrement le haut de ses fesses, tactile et complice. Il n’a aucune idée de l’heure. Mais il trouve qu’il a une petite mine son bel étudiant. Il lui frotte doucement le dos en cherchant dans son regard une vérité. « … t’as l’air fatigué ? » Ludo cherche dans sa mémoire s’il a été discret ou pas en rentrant tout à l’heure.

« On fait un petit rab de dodo ? » Il fourre son visage dans son cou le temps de le humer. Cruz est un grand tendre quand il s’en sent le droit. Il est bien capable de passer tout leur dimanche dans le lit rien qu’à faire ça. Bon même s’il sait que ce n’est pas du tout productif. Mais, il y a un vrai plaisir à retourner dormir dans l’odeur de son chéri. « Je nous ferais des Croques tout à l’heure, ça te dit ? » Il souffle de bonheur en refermant doucement les paupières. Sa main descend caresser l’aine du jeune homme là où est le jumeau du tatouage. « Mmmm mon petit rebelle. » Ludo taquine sans aucune méchanceté. Il aime juste l’idée qu’il ait agit malgré ses réserves.

Ce qui se perd se retrouve. « Je me rattraperai. » Cela fait plusieurs années que Ludovic bosse de nuit. Il est dans le milieu des bars depuis un bout de temps. Comme le corps humain est une machine plutôt bien foutue, il s’adapte. Il peut s’endormir le jour, n’importe quand. Il lui faut six heures pour être fonctionnel. Même si lui aurait tendance à dormir plus quand il peut. « Oh… Stress des exams ? » Ludo n’a pas du tout été un scolaire. Il a eu une formation professionnelle ricrac. C’est en croisant la route de cet étudiant qu’il s’est mis à regarder comment marche le monde universitaire. Il n’a pas les moyens intellectuels pour soutenir Swan dans ses études. Mais, il essaie d’une autre façon. Surtout, il l’encourage. Il faut avoir un diplôme quand on veut un bon salaire. « Tu vas réussir. T’as bossé sérieusement. » Il voit bien comment cela prend du temps et de l’espace dans sa vie de jeune homme.

L’empathie de Ludo s’active pour de bon. Il sort de sa petite torpeur matinale en sentant que ça ne va pas fort. Le sourire s’éclipse. Un air préoccupé prend la place. « Qu’est-ce qu’il y a ? » Cruz se met au diapason. Un rien de nervosité l’envahie aussi. « Oh tout ça. D’acc. Et ?» La question de la famille de Swan est une question qui se pose oui. Ils en discutent. Parce qu’il faut bien parler des choses pour que chacun sache à quoi s’en tenir. Depuis le départ Ludo fait tout ce qu’il peut pour être ouvert d’esprit. Il n’a pas envie d’être le copain qui met des pressions. Son crédo c’est la simplicité. Ceci dit, la discussion semble prendre un tour sérieux.

Ludovic écoute avec attention. Entendre que Swan a envie de s'engager lui fait du bien. Lui a abdiqué depuis un petit moment. Il est amoureux. Quand c’est comme ça tout ce qu’il peut faire c’est se donner à fond. C’est certainement pour ça qu’il ne l’a pas été pendant un moment. Maintenant c’est trop tard pour son cœur. Mais cela lui fait du bien. Même si ça veut dire finir à la petite cuillère sur le canapé de Ten à la fin. « Bien sûre, dis-moi ton plan… Dis-moi tout ? » Plus question de dormir. Ludovic a envie de savoir. Il y a en lui un mélange confus de joie, d’espoirs et un peu de peur. Comme si cela sonnait trop beau pour être vrai.

Ludovic n’est pas quelqu’un qu’on peut dire d'intéresser. Il ne fait pas quelque-chose par calcul. C’est pour cela qu’il trouve plus son compte dans le milieu associatif. Là où on n’attend pas de rentabilité. Il ne s’occupe pas de la partie scolaire de l’Association. Ceci dit, il sait que c’est important d’avoir un minimum de diplôme. « Je suis sûr que si moi. »

A voir Evans se redresser, Ludovic se déniche de la couette. Il s’assoit face à lui tout en lui laissant sa main. Cette installation témoigne déjà de l’importance de leur discussion matinale. Le barman active son esprit pour être attentif. Il écoute et il devine que leurs récentes infractions ont eu un effet. Un effet auquel ils ne s’attendent pas, ni l’un ni l’autre. « D’accord » Ce n’est pas une situation inédite pour Ludo.

A l’inverse de Swan il a compris très tôt dans sa vie ce dont il avait besoin. Il n’avait pas de père à décevoir et une mère qui l’aurait aimé quoi qu’il soit ou quoi qu’il décide. Annoncer son homosexualité n’avait été qu’une petite formalité. La vivre une libération. Très vite, il s’est retrouvé dans le rôle du pote soutien. Il a dépucelé une bonne partie de ses partenaires. Il a aidé la majorité d’entre eux à s’affirmer. Ce qui est nouveau c’est la situation. « Mon avis ? Mon avis c’est que c’est toi qui sais ce qui est bien pour ta vie. » Attendrie par cette mise à nue Cruz a un doux sourire. « Si, comme tu le dis, tu n’en peux plus, alors oui fait le. » Maintenant Morphée est bien loin. Ludovic inspire, car il tient à s’exprimer aussi clairement que possible. « Si c’est parce que tu veux te rebeller, ou parce que tu te dis que je vais partir réfléchi bien. Parce que tu le dis toi-même, il y aura des conséquences. » Même si c’est de façon indirecte, il est vrai aussi que cela va rejaillir sur la vie de Ludo. Il ne peut pas faire l’économie des questions qui vont suivre. « Je suppose que ton père sait déjà que je bosse dans l’illégalité ? Oui ? Est-ce qu’il est du genre à s’en servir contre moi ? » Pour désarment un raisonnement immédiatement, il lève la main en signe de paix et s’explique. « Je me moque de perdre mon job. Mais je ne veux pas aller en prison. » La clientèle de sa mère était composée de voyous. La prison cela transforme un homme et pas en bien. « Ce serait ma seule réserve.» Aussi parce que sa maman ne s'en remettrait pas. Elle a bien assez souffert dans sa vie.

« Mais, quoi que tu décides, je suis là. Je ne bouge pas. Ce n'est pas un coming out qui me fera partir. » Un franc sourire barre alors le visage du plus âgé. Ludo est un type d’une grande simplicité. Tant qu’on ne lui fait pas de coup fourré sa loyauté est indéfectible. C’est bien pour ça qu’il se fait souvent mal. « Je n'ai pas envie que ça s'arrête là moi non plus. Je pense que tu le sais ça. Tant que tu veux de moi, je suis là. Je suis bien avec toi. » Six autres mois, un an, voire des années, sont une option. Swan est jeune. Ludovic doute simplement que l’on puisse s’engager sur du long terme à l’aube de sa vie. Mais peu importe, chaque jour est un petit bonheur. Un bonheur à savourer sans se poser trop de questions non plus. « Est-ce que ça répond à ta question ? » Cruz n’est pas un grand psychologue quand ça touche à son cercle privé.

Presque une génération sépare ces deux hommes. Un écart qui ne dérange en rien Cruz. Il a supposé que cela rendrait leur relation plus légère. A l’image d’une idylle d’été. Pourtant, encore une fois, la vie s’amuse à le détromper. Ils en sont là, à se retrouver chaque soir, partager leur temps libre, et parler de leurs parents. « J’ai un peu de la à comprendre en quoi l’homosexualité les dérange. » Ludo n’a pas lu les études sur l’histoire de la communauté LGBT. Mais il côtoie des personnes plus cultivées que lui. Des femmes qui font des conférences sur le sujet. Tout le monde s’accorde sur le fait que les coures royales ont toujours pratiqué une forme de bisexualité. « Ça a vraiment du sens de bloquer sur ça ? en 2026 ? »

«Non. Je n’ai pas peur. Enfin pas de ça. » Ils ont les mains liées. Ludovic sent la chaleur qui se dégage des paumes de son partenaire. Il entend sa vaillance dans le discours et l’amour. Ils ont parlé de leur passé et de leurs mésaventures. Mais comme un sujet ordinaire. Il n’y a pas eu de détail. « Ce qui me fait peur c’est quand tu vas devoir couper. » Le moment où le duc Evans devra remplir ses obligations. « Mais ça, je ne veux pas trop y penser. Je préfère me concentrer sur ce qu’on a là plutôt que ce que je vais perdre. » C’est la façon de faire qui lui semble la plus saine. Autrement, à quoi bon établir autant de complicité avec l’autre ?

«Qu’est-ce que tu peux perdre en fait ? » La noblesse n’est qu’une image dans la presse pour cet homme ordinaire. Une caste qui bataille pour garder des privilèges mesquins. Un groupe qui profite des richesses des autres. Des personnes qui vivent en dehors de la société anglaise. « Si c’est pour l’argent je peux t’apprendre à vivre sans rien. C’est faisable. »

Un sourire passe sur les lèvres de Ludovic. Car même s’il fait de son mieux pour tout comprendre, il a souvent peur d’être à côté de la plaque avec le monde de Swan. Il y a des choses qui lui paraissent évidentes à lui. Ceci dit, ils se retrouvent sur l’essentiel. Cela lui va ! Il attrape son bel étudiant pour qu’ils s’étendent. Il le plaque contre lui pour lui faire cet énorme câlin. Ses mains passent et repassent sur son dos. Son regard plongé dans le sien. « Prends toute la force qu’il te faut. » Il pose un baiser sur son front pour l’apaiser. « Je sais que ce n’est pas facile. Mais tu es un homme courageux ça je le sais aussi. » Ludo l’a vue se battre pour retrouver sa motricité et puis pour avoir ses études. « Parfois nos parents nous surprennent. Tu verras bien. On se fera un repas après, Ok ? » Parce que se projeter après un moment difficile cela aide. Ludovic le sait d'expérience. Il embrasse l'épaule de son amoureux et lentement dessine des arabesques dans son dos.

Lentement, le barman frotte le dos de son amoureux. « Je suis donneur. » Ludovic ne s’entendait pas à ce que le sujet tombe ainsi de bon matin. Mais puisque Swan évoque la question de la procréation, c’est l’idéal. C’est un don qu’il a fait autour de la vingtaine, trois ou quatre fois, pour répondre à des appels à dons. «J’ai fait ça quand j’étais jeune. Pour aider. C’était anonyme. » Il a fait le geste. Mais en aucun cas il ne l’a fait pour intervenir dans la vie d’un autre couple. La démarche était pragmatique. Il avait très tôt compris que la paternité lui serait interdite dans son propre pays. Il songe souvent à l’adoption. Mais là encore, il sait que c’est un combat difficile. Il a vue trop de couple s’épuiser à essayer. «C’est con. J’aurais bien aimé élever des gosses. Les regarder grandir. » Il inspire et vient coller son nez sur la peau de son amant. La société a placé des barrières et il n’a rien d’un super-héro.

Que ce soit le plan A ou le plan B, Ludo en prend son parti. Il n’a pas besoin de plaire aux parents de Swan. Il veut lui plaire à lui et qu’ils soient bien. Que leur complicité reste ce qu’elle est. « Okay. J’espère pour toi que ce sera l’option deux. Ça ne change pas grand-chose pour moi. C’est pas ton niveau de vie qui m’attire. » Il sourit pour apaiser son bel amant. « Je veux pas que ça nous fasse du mal. » Ce n’est pas impossible. Il y en a qui lui ont reproché leur propre coming out, en voyant la réaction de leur famille. Comme s’il était le responsable de ces horribles attitudes. Puisque rien n’est encore joué Ludo continue sur la transparence. « Je veux pas que tu me repousse parce que ta famille fait de la merde, c’est tout. » C’est clair net et précis. L’anticipation peut avoir du bon parfois.

Cruz rit doucement. Il savait que son Swan était un petit malin. Où a-t-il eu la tête ? « On va carrément vivre comme des rois, en fait. Bien joué. » Il claque un baiser sur son front tout sourire. C’est plus que tout ce à quoi un barman aurait accès dans une vie. Ludovic peut vivre avec rien. Il aura tout. « Oui on se focalise sur les bons trucs. Je suis curieux de voir qui sont tes proches proches j’avoue. Si tu as envie de t’impliquer à l’Asso c’est génial. Franchement ! » Que de belles perspectives. Que de bons projets pour la suite. «Moi je veux faire tout ça, et puis t’offrir un restau en tête à tête. » Ludo sait déjà dans quel restaurant il l'emmènera. Ce sera un clin d'œil à leur Paris. «Je te présenterai Austen les autres… Tout le monde saura pourquoi j’ai la banane.»

Il vient se coller contre Swan, tendre. Sa main descend pour remonter le t-shirt du jeune homme et le lui enlever par la tête. Il en profite pour venir l’embrasser, amoureux, avide. Il n’a plus du tout envie de dormir. Il caresse sa taille, descend tranquillement trouver son membre encore au repos. Sa main le masse paisiblement pendant qu’il l’embrasse, encore et encore, laissant l’envie s’épanouir. Le corps de Ludovic ne tarde pas à le réclamer tout entier à lui. Il souffle désireux. « … je suis fière de toi. » La voix, chargée par le désir naissant, est pleine d’affection. « Très fière. » Lentement, il passe au-dessus du jeune homme et profite de pouvoir rapprocher leurs intimités. Cruz sait qu’il le suivra partout pour ressentir ce bonheur là.