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[CLOS] autour d'un café -
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autour d'un café.
Vincent Mackiller


-“ VINCENT ! ” La voix de Peterson passait au-dessus du trafic de la rue. Elle était sur le trottoir d’en face, attendant d’avoir la voie libre pour traverser. Elle portait un pantalon tailleur beige et un haut blanc d’un style ultra-classique. Celui qu’elle avait pour les rendez-vous avec ses supérieurs. En fait, elle sortait tout juste d’une réunion bilan avec son N+1. Quoique la discussion ait été loin de porter les fruits espérés, au moins, Becca avait enfin mis les pieds dans le plats concernant les erreurs comptables. Il n’y avait plus qu’ attendre la décision du Maire. -“ Bonjour! ” La jeune femme avait un sourire honnête. Après une seconde de flou, elle rangea sa main, pour une bise moins protocolaire. Après tout, ils se connaissaient maintenant. Rebecca avait été contente qu’il accepte de venir prendre ce café. Elle avait la sensation qu’il y avait quelque-chose d’infini entre eux.

Une fois du bon côté de la rue, la jeune femme prenait le lead pour les amener dans le café qu’elle avait en tête. Ce quartier était l’un de ses QG. C’était là qu’elle avait organisé pas mal de réunions publiques pendant la campagne. -“ Il est à deux pas. ” Elle posa un regard vif sur le duc, franchement amusé de le voir, marcher en pleine rue à côté d’elle. Ce n’était pas tout à fait commun. Ceci dit, elle gardait une bonne impression sur lui. Il fallait maintenant voir si l’intuition était la bonne ou pas. -“Je tiens à m’excuser… pour la dernière fois. J’ai filé à l’anglaise. Ce n’était pas très poli. ” Ils avaient bu plus que de raison l’un comme l’autre. Becca avait bien sentie, qu’elle aurait pu avoir un geste maladroit, dans un tel moment de relâchement. -“Je me suis souvenue que j’avais un briefing à dix heures! ” Ce qui était l’autre raison de sa désertion.

Du plat de la main, elle poussait la porte d’un café du quartier. Un vieux couple tient l’endroit depuis les années 80. Ils étaient du parti Travaillistes depuis leur plus jeune âge. Ils voyaient d’un très mauvais œil la jeunesse paresseuse qui arrivait sur le marché du travail. Mais surtout, ils permettaient à Rebecca d’emprunter leur salle pour ses réunions et ce à moindre prix! -“ Il y a une terrasse à l’ombre. ” Toujours en marche la brunette se tourna vers le vieux Tennessee pour déjà lui commander une théière et des scones. Ici, rien n’était industriel, c’était une petite merveille. Ils traversaient la grande salle. La clientèle était surtout composée par les habitués. Des habitants du quartier qui venaient profiter de la fin de matinée.

Une fois de l’autre côté, dans la cour, Becca trouva une table qui était à l’ombre. Elle tira une chaise pour y déposer ses fardeaux. Comme elle cumulait un poste municipal et un mandat syndical, elle devait souvent bouger. Un PC portable et quelques dossiers papiers l’accompagnait dans ses déplacements. C’était une vie active, sans doute trop, mais c’était son carburant. Une fois assise, la jeune femme poussa un léger soupir de soulagement. Elle s’installa confortablement dans le creux de la chaise. -“ Ça vous ennuie si je fume ? ” La mise en pause provoque une détente dans ses épaules, dans le haut de son dos. Son sourire se fit encore plus généreux. -“Je suis contente que l’on arrive à se revoir Vincent. C’est l’avantage de l’été! ” Ses yeux enflammés passaient du visage, à l’allure global de son interlocuteur. Il était mieux que dans ses souvenirs. -“ Alors ? Dites-moi tout sur ces idées ? Je suis curieuse...


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22.07.21 12:29
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Vincent descendit deux arrêts plus tôt du métro londonien. Il marcha d’un pas rapide vers la sortie dans l’espoir d’un air plus frais, mais la température était tout aussi écrasante à l’extérieur. Tout cela à cause de sa voiture. Il la détestait, il en avait honte, même. Elle représentait trop de mauvais souvenirs : son divorce, la vente contrainte de son 4x4 de luxe, l’achat de cette berline économique. Néanmoins, malgré la climatisation de la voiture, il ne regrettait pas d’être venu en métro.

C’est surtout la peur de la panne électrique à l’origine de son empressement. Et avec la surconsommation liée au climatiseur, Vincent s’attendait à une telle panne, à se retrouver coincé avant son rendez-vous. Ni la claustrophobie ni la peur du noir à l’origine de cette drôle d’initiative. Non, en fait, Vincent aimait la ponctualité, ou plus précisément sa propre ponctualité. Ce n’est pas tant qu’il détestait être en retard : il adorait être en avance. Quelque part, le temps représentait le véritable luxe, un luxe que sa femme n’avait pas pu lui voler.

Descendu à Westminster, il profita donc du pont de Lambeth, malgré cette chaleur et le smog. La Tamise permettait au vent de donner une légère impression de fraîcheur. Heureusement, ce matin, il avait abandonné la cravate. L’activité battait son plein dans les mines de charbon, mais l’administratif avait levé le pied pour prendre congé. Pas de réunion, pas de cravate. Vincent s’amusait de son propre mensonge. Ce matin, il avait abandonné la cravate, à cause de ce rendez-vous. Il ne voulait pas paraître trop engoncé dans son costume devant Rebecca. Il désirait donner l’image d’un homme dynamique, perdre un an ou deux.

Une centaine de mètres après le pont, Vincent jeta un coup d'œil à sa montre. Son avance fondait aussi vite que le bitume sous cette chaleur quand il entendit son prénom. Il tourna sur lui-mêmeavant de remarquer cette main levée de l’autre côté de la rue.

Vincent remit en cause son idée d’abandonner la cravate en voyant la tenue de Rebecca, élégante et surtout très working girl. Son inquiétude grandit quand elle lui tendit la main. Se serait-il trompé ? Voulait-elle une relation exclusivement professionnelle ? Voulait-elle rétablir les barrières entre vie privée et vie professionnelle ? Avait-il posé été trop de questions personnelles ? Regrettait-elle leurs échanges sur leur famille ? Toutes ses questions et bien d’autres encore avaient germé dans la tête de Vincent durant cette courte seconde d’hésitation.

Elle se ravisa et cela le soulagea au plus profond de son être. La tension sur ses épaules s’envola. Il avait particulièrement apprécié leur dernier échange. Le soir même, il s’en était voulu d’avoir parlé de lui, ainsi. Mais après quelques jours, il avait réalisé que cela lui avait fait du bien et que Rebecca lui manquait, alors cette bise le rendit plus heureux. Elle ne remettait pas en cause cette amitié naissante, cette complicité même.

— Je tiens à m’excuser… pour la dernière fois. J’ai filé à l’anglaise. Ce n’était pas très poli.
— Aucun souci.
— Je me suis souvenue que j’avais un briefing à dix heures !
— Si j’ai donné l’impression que vous aviez à vous justifier, j’en suis désolé.

Rebecca prit les devants. Il apprécia que cela se fasse avec tant de naturel et il la suivit jusqu’à ce lieu dont il ne connaissait que le nom. Et encore, c’était elle qui l’avait évoqué lors de leur précédente discussion. Vincent préférait les pubs aux salons de thé, mais les pubs ne se prêtaient pas à la discussion, quand bien même on y servait de la bière sans alcool.

Il la suivit jusqu’à cette fameuse terrasse à l’ombre qu’elle vantait. Rebecca jouait à domicile. Elle connaissait bien les lieux, ses gestes étaient précis, assurés. Habitués.

— Ça vous ennuie si je fume ?
— Oui ! dit-il avec un grand sourire.

Insolence quand tu nous tiens ! Ce n’était pas poli, mais, en fait, le “oui” avait été prononcé avant la fin de la phrase. Il ajouta aussitôt.

— Je veux dire que c’est le vouvoiement qui m’ennuie. Je vous en prie. Même si je dois reconnaître que ça m’ennuie un peu. Pas la fumée, mais je ne voudrais pas que ce truc vous vole votre santé.

Vincent se surprenait lui-même. Certes, tous les hommes de sa famille était décédé à cause de ce vice, mais il frisait carrément l’impolitesse. En fait, il lui parlait comme à une amie à qui on dit tout. Il avait l’impression de connaître Rebecca depuis longtemps. Depuis son divorce en fait. Pourquoi ? Était-ce d’avoir autant évoqué leur vie de parents célibataires ? Peut-être. En fait, Rebecca était le seul être humain sur cette planète à connaître Vincent MacAskill, le père divorcé. Cette solitude lui donna des sueurs froides. Il en retira sa veste et la glissa sur le dossier de sa chaise. Vincent avait opté pour une chemise, malgré la chaleur.

Rebecca entra bien vite dans le sujet et Vincent répondit du tac au tac. Il débita un discours préparé et même répété évoquant les biens des éoliennes, les vertues du stockage d’hydrogène pour les nuits sans vent, des solutions mêlant… et il s’interrompit, net.

On leur apportait des serviettes de tables qui manquaient, mais le serveur n’était pas du tout à l’origine de cette interruption. Il avait été d’une discrétion très professionnelle.

— Désolé. C’est un discours préparé et barbant, je vous enverrai les détails par mail. Je n’ai pas envie d’en parler. Enfin, si, c’est important, mais je...

Il posa les deux avant-bras sur la table, croisa les doigts de ses mains et la fixa dans les yeux, le temps de reconstruire son assurance.

— C’est toi que je suis venu voir. Comment vas-tu, toi ?

Il désirait vraiment de ses nouvelles et sûrement pas pour jouer au chevalier romanesque sur son blanc destrier venus la sauver du méchant dragon noir. Non, Rebecca vivait seule depuis plus longtemps que lui et elle prouvait tous les jours qu’elle n’avait besoin d’aucun chevalier pour briller et exceller. Les dragons autour d'elle n'avaient qu'à bien se tenir. Il l’admirait. Beaucoup.
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24.07.21 19:40
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autour d’un café
Vincent MacAskill


La remarque de Vincent faisait son chemin dans l’esprit de Rebecca, alors qu’ils entraient dans le café. Il avait raison sur ce point, Peterson n’avait pas à se justifier et pourtant, elle en avait ressenti le besoin. Comme pour respecter ce qui s’était passé pendant ce repas. Elle fut une seconde fois déstabilisée, en se voyant refuser son petit péché. Fort heureusement le charmant sourire que lui adressait l'entrepreneur répondit à sa question muette. Il plaisantait. Alors, Becca trouva l’étui métallique dans son sac-à-main, cadeau d’un camarade du parti. Il était aux couleurs des Travaillistes.

-“ C’est mon plaisir coupable! ” Quand sa fille était nourrisson, Rebecca avait tout essayé pour arrêter de fumer. Elle avait voulu le faire pour la santé de son bébé. Mais, elle n’avait réussi qu’à réduire sa consommation. Qui s’était rapidement envolée… D’ordinaire, elle aurait remis l’autre à sa place, pour se mêler d’une question aussi personnelle. Mais pas avec lui, leur discussion à coeur ouvert, lui avait ouvert des droits. -“ Jane me fait la guerre.

Becca se saisit de son moleskine et d’un stylo-plume, pour prendre quelques notes pendant l'exposé de MacAskill. Ils étaient d’accord, la transition écologique était l’enjeu majeur de ce siècle. La chaleur qu’ils subissent ce matin en était une preuve concrète. Sans le soutien de l’UE, l’Angleterre devait redoubler d’ingéniosité. Vincent connaissait son plan. Tout était clair et la vision au long terme… Il s’était arrêté de façon plutôt brutale, assez pour que Becca en cherche la raison. D’un sourire, elle remercia le serveur, lui demandant un Perrier en plus du reste, car elle avait terriblement soif.

-“Barbant non… Nécessaire. ” En voyant Vincent changer de position, Rebecca se demandait s’il y avait un souci. D’instinct, elle referma son stylo pour lui donner toute son attention. Maintenant, il arrivait à la perturber. Une lumière se fit dans les prunelles de la jeune femme. L’inquiétude vola en éclats. -“Oh ce n’est que ça. ” Becca attrapa ses affaires pour les ranger illico presto loin des regards. A vrai dire, elle était agréablement surprise. Elle-même n’était pas contre sortir du champ professionnel. Ils l'avaient déjà fait. -“ D’accord! ” Aux yeux malicieux se joignait un sourire. Peterson posa ses mains sur la table, elle aussi. Elle se pencha légèrement en avant pour entrer dans une bulle.

Elle n’avait pas beaucoup d’ami.es en dehors du Parti. Ce n’était pas du racisme. Seulement, lorsque sa vie est menée par une cause, tout se construit autour de cela. Vincent ne venait pas de ce monde. Cela faisait du bien. -“ Je suis un peu fatiguée. ” Entre la préparation de la campagne, la campagne, la prise de poste, Becca n’avait pas eu de temps de récupération que ce soit sur le plan émotionnel ou physique. Une vérité qu'elle ne partageait avec personne. Cela ne se faisait pas. -“ J’attends le mois prochain. Je vais aller passer quelques jours chez un oncle. Manchester. Ça va me faire du bien de couper, un peu. ” Pourtant, le plus important était ailleurs.

A l’arrivée du Perrier, Peterson se tut. Cette fois c’est parce qu’elle n’avait pas envie que ses informations personnelles arrivent à quelqu’un d’autre. Elle échangea un sourire avec son interlocuteur. -“ Jane est à la maison ce mois-ci. ” Avoir Jane sur Londres était un bonheur. Jane avait dix-huit ans et ses exigences de jeune fille prête à croquer le monde. -“ Elle est tellement vive que j’ai du mal à la suivre. ” David et Becca avaient fait tout ce qu’ils avaient pu, pour en faire une jeune femme éclairée et libre. Eh bien, ils avaient réussi. En contrepartie, ils étaient souvent dépassés. Rebecca baissa les yeux sur son verre. Elle était tracassée par l’avenir de sa fille. Mais, c’était quelque-chose qu’elle ne pouvait jamais partager. -“... Je m’en veux de ne pas pouvoir lui donner tout ce qu’elle veut. ” Mais payer une location à Paris, les frais de scolarité, la vie étudiante, tout cela était à peine couvert par le prêt. Ils n’étaient pas riches, loin de là. -“ D’ailleurs, je sens bien qu’elle nous en veut. Elle pensait que mon entrée à la Mairie nous donnerait plus. ” Dans un tic nerveux la jeune femme repoussa une mèche de cheveux derrière son oreille. Ce n'était pas aisé de sortir de sa réserve, sans champagne et en plein jour. Mais, elle se sentait en sécurité.

Ce genre de remise en question survenait à chaque évolution de carrière. Naturellement les lignes se repositionnent et les enjeux aussi. Rebecca allait sur ses quarante ans. Elle était encore jeune dans le métier. Mais elle éprouvait les doutes de n’importe quel croyant. Le thé fait une superbe distraction. Becca se laissa servir en silence, regardant Vincent du coin de l'œil. Elle se demandait si tout cela était réellement intéressant et conclut par prudence. -“Je crois que j’ai besoin d’un vrai break c’est surtout ça. ” Becca alluma enfin sa cigarette. -“ A toi maintenant… comment vas-tu toi ? ” Cela lui faisait plaisir de poser la question et d’attendre la réponse.


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25.07.21 9:31
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La discussion avait pris une tournure plus personnelle. Rebecca se réjouissait de la présence de sa fille à la maison, une jeune fille visiblement engagée et suffisamment courageuse pour faire face au plaisir coupable de sa mère. Il s’imagina un instant la scène, la fougue de la jeunesse contre le sang-froid de l’expérience, l’énergie de la jeunesse contre l’endurance de l’expérience. Des détails de la vie que Vincent n’avait pas connus, trop obnubilé par l’argent.

Les projets de Vincent définitivement écartés, il allait pouvoir prendre le temps de profiter de la compagnie de Rebecca. Elle évoqua la fatigue, ce qui ne l’étonnait guère, chacun se doutait du rythme de vie de l’autre. Un sourire empreint d’amertume se dessina sur son visage quand elle témoignait de la fougue de sa fille.

— Je t’envie.

Quel aveu de sa part ! Il éprouvait une déconcertante facilité pour discuter avec Rebecca de ses émotions. Dans son entourage professionnel, son seul entourage donc, aucun employé n’arrivait à lire en lui. Il cachait tout, sa colère, sa tristesse, ses rares joies.

Vincent échangerait bien sa solitude contre des problèmes de famille. Seulement, il commençait à croire qu’il avait laissé sa chance filer. Le temps ne va que dans un seul sens. Néanmoins, les problèmes de Rebecca semblaient plus sérieux. Elle ne parlait pas d’un amoureux fainéant ou bien d’un caprice de sa fille. Vincent comprit sans peine que Jane ne pleurnichait pas pour une voiture de sport ou une paire de Louboutin. (Ça porte des Louboutin une étudiante ?)

Vincent réfrénait l’envie de proposer son aide. Il se contenta d’écouter avec attention. La fatigue de Rebecca ne semblait pas seulement physique. Il l’observa allumer sa cigarette. Elle n’en avait pas ressenti le besoin tant qu’ils travaillaient, pas non plus tant qu’elle parlait de sa fille, mais elle l’alluma en évoquant le besoin d’un break. La nicotine ne le lui apporterait pas, tous deux le savaient, mais elle cherchait quelque chose difficilement appréhendable.

Vincent avait demandé de l’eau plate et avait laissé Rebecca choisir le thé. Il dut se réfréner pour ne pas vider son verre d’un trait. Il avait soif, même s’il faisait bon à l’ombre et que les brumisateurs apportaient une fraîcheur bienfaitrice. Il attendit que le serveur s’en aille pour reprendre.

— Un vrai break… répéta-t-il pour peser le sens des mots. Ton oncle doit être extraordinaire, alors. Parce que Manchester est bien trop au sud pour être un vrai break.

Le chauvin Écossais ponctua sa phrase d’un clin d'œil.

— À toi la fatigue, à moi la colère. Non, pardon. La frustration. J’ai été bête de ne pas me battre pour voir Vittoria au moins certains week-ends. Je ne referai pas le passé. Le temps n’avance que dans un seul sens. Maintenant, elle est majeure. Sa mère n’a même plus à dégainer ses avocats. Je dois donc essayer de convaincre Vittoria de me revoir. Quand j’appelle son numéro de téléphone, je tombe sur la messagerie directement. Je présume que ma femme lui a offert un abonnement français.

Vincent utilisait toujours l’expression “ma femme”. Il ne donnait jamais le prénom de son ex-épouse et n’utilisait jamais ce préfixe “ex”. Pourtant, il n’avait plus aucun sentiment pour elle. Il était passé de la colère à la haine puis à la compassion avant que tout ce mélange ne donne naissance à la plus effroyable indifférence.

— Enfin, il y a un peu de colère, aussi. Contre cette détective. J’oublie toujours son nom. Attends.

Il tira un pand de sa veste accrochée à la chaise et sortit un petit étui métallique de la poche intérieure. Il présenta une carte de visite.

— Damia Kapoor. J’ai dû lui laisser cinq messages, elle ne rappelle jamais. J’insiste parce qu’on dit que c’est la meilleure. Avant, j’ai fait appel à trois détectives en France. En vain ! Que ce soit les week-ends, les vacances scolaires, rien ! Ils ne l’ont jamais vue. Vittoria n’est inscrite dans aucune université parisienne.

Et pour cause, Vittoria (sur)vivait désormais en Angleterre sous le nom de jeune fille de sa mère. Elle lui avait tourné le dos aussi après avoir découvert qu’elle pouvait épouser un autre homme sans l’aimer, simplement parce que c’était un politicien aussi influent que fortuné.

Vincent goûta le thé. Il fit un rapide compliment, car même s’il se confiait avec une déconcertante aisance face à Rebecca, il avait besoin d’une échappatoire. La perte de sa fille lui pesait trop, tout comme ce silence. Il n’allait pas parler du thé pendant des heures, même s’il était vraiment délicieux. Sans s’en rendre compte, il s’aventura sur une pente dangereuse.

— Je repensais à ton break. Je remonte en Écosse ce week-end. Lundi, je dois y revoir la Princesse de Hanovre.Pardon, je parle de Violet Crawley, je ne peux pas encadrer son mari. Une femme aussi altruiste avec un homme aussi…

Il chassa Edward Crawley en balayant l'air de la main, comme quand on écartait un profil sur Tinder.

— Elle développe un projet de... Il cherchait le nom. je n'ai plus le nom, équithérapie je crois. On pense les blessures d'une femme grâce au cheval. Je... Je suis un piètre ambassadeur, mais ce projet entre en résonance avec ton programme social. Je vous aurai bien proposé de venir, Jane et toi, mais j’ai peur qu’elle s’ennuie. Pourtant, l’Écosse, c’est un break sympa.

Vincent avait-il réalisé ce qu'il venait de proposer ? Pas vraiment, cette proposition lui avait semblé si naturel, à lui qui cachait pourtant tout de sa vie personnelle. Ou plutôt à lui qui n'avait pas de vie en dehors de son travail...
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25.07.21 18:23
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autour d’un café
Vincent MacAskill


Rebecca couva Vincent d’un regard compatissant. Il lui avait exposé l’état de sa relation avec sa Vittoria, sa fille. La situation était compliquée depuis le divorce des parents. Les choses ne s’arrangeaient pas. Toute famille avait son histoire et bien avisé était celui qui croyait avoir une solution miracle, pour résoudre les conflits internes. Néanmoins, même sans avoir le bon conseil, une amie pouvait se faire de bonne écoute.

-“Vas-tu aller en France ? ” Car même un forcené de labeur comme lui prend quelques congés estivaux, non ? -“ Ils attendent souvent une démonstration de ce genre.

Ils étaient d’accord. -“ Oh, et puis les séjours en famille, ce n’est pas vraiment de tout repos.” Comment se reposer lors d’un retour en terre natale ? Entre les cafés avec les cousins, les repas de famille, les parents à aider. Rebecca allait surtout faire amende honorable pour ses six mois d’absence. Mais, la famille était importante. Elle savait aussi que David était retombé dans une phase dépressive, depuis ce qu’il considérait comme un “échec politique”. Même s’ils étaient séparés depuis tout ce temps… Becca continuait de se sentir responsable de cet homme. Ils ont eu une fille ensemble. Elle l’avait passionnément aimé. Non, le vrai break ce serait fait loin de l’Angleterre, sur une autre île, au milieu du Pacifique. -“Au moins, je pourrais éteindre le téléphone.

-“As tu essayé avec Internet ? ” Becca ne relevait que cela de la situation. Elle était la première à avoir des griefs contre le premier homme de sa vie. Ils avaient des désaccords forts, dont pas mal concernaient l’éducation de Jane. Elle avait elle-même utilisé les armes juridiques pour écarter David. Mais c’était à l’époque où il buvait trop. -“Sait-elle à quel point tu lui manques ? ” L’expérience lui avait démontré mainte fois, que la communication intra-familiale est une vraie énigme. La plupart des tensions étaient basées sur un manque de dialogue.

Peterson regarda le Duc fouiller sa veste, intriguée. Ce style détendu lui allait bien. Elle était certaine qu’il devait être d’agréable compagnie en vacances. De ceux qui savent vraiment savourer les heures de détente. -“J’ai déjà entendu ce nom. On l’a déjà engagé. Il paraît qu’elle est bonne oui. ” Mais tout bon professionnel était difficile à capter. La rançon du succès. -“ Elle a pu prendre des cours à distance, peut-être ? ” Cela se faisait plus depuis la dernière crise sanitaire. Des dizaines d’universités virtuelles s’étaient créé en 2021. Contrairement aux pronostics elles étaient encore là. Elles se développent même. Peterson était absolument contre ce mode d’instruction. Qui pour elle n’en était pas un. Elle croyait en l’humain, à la présence, et la pédagogie. -“ Il y a forcément une explication. Elle ne peut pas se contenter de son BAC. ” Rebecca ne connaissait que trop bien le système français puisque Jane y était intégré pour son master. -“ Écoutes, j’ai un camarade au syndicat universitaire sur Paris. Je peux toujours demander. Si tu veux ? ” Elle pouvait aussi demander à Jane de regarder sur les réseaux sociaux. Ils allaient trouver. -“ Elle ne peut pas avoir disparu. ” Rebecca se voulait la plus rassurante possible, sachant combien le silence était angoissant.

Les aléas de la noblesse ne touchaient pas du tout Rebecca. Elle suivait ça de très loin. Cela ne l'intéressait que quand il y avait des conséquences politiques. Elle se souvient d’une intervention de Crawley dans le Times. Il avait fait une tribune sur l'émigration. Usant des mêmes arguments que les pro Brexit. Autant dire que Becca ne s’y était pas attardée. -“Au hasard, pour des terres ? Ils savent ce qu’ils font. ” Une rhétorique, ironique et instinctive. Vincent connaissait la posture du Parti concernant l’aristocratie. Pour cela aussi, la proposition qu’il fit pris Rebecca de cours. -“Un week-end en Ecosse... ? ” Rebecca s’y était rendu pour des AG du Parti, des colloques du Parti… pour rencontrer des personnalités du Parti. Un sourire différent se dessinait lentement sur son visage. -“... Merci Vincent. ” Une lumière complice s’alluma dans les yeux de Rebecca. -“Je vais en parler avec elle. ” La curiosité revenait titiller l’esprit cartésien de la jeune femme. Toute à sa rêverie elle ne se rendit pas tout de suite compte qu’elle dévisageait son interlocuteur. -“Je t’appelle ce soir pour te dire ?

-“ Que fais-tu en août ? ” Elle préférait ne pas trop s’attarder sur le trouble que Vincent avait réussi à créer. Même si, l’idée de deux jours loin de Londres, était séduisante.


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27.07.21 9:07
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— Vas-tu aller en France ?
— Je ne sais pas.
— Ils attendent souvent une démonstration de ce genre.
— Je n’ai pas le droit d’approcher “sa” maison à moins d’un kilomètre et j’ai quelques soucis avec le fisc français.

Vincent avait baissé les yeux sur son thé, une attitude bien rare chez lui. Il inspira profondément et redressa la tête aussitôt. Esquissant un demi-sourire, il aurait espéré que cette faiblesse passe inaperçu, s’il ne savait pas Rebecca si perspicace. Il énuméra les recherches faites sur les réseaux sociaux en s’accordant sur ses erreurs. Il s’était concentré sur Twitter, Facebook, des réseaux sociaux “de vieux”.

— C’est pour cela que j’ai besoin de l’aide de professionnels.

Alors, il accepta bien volontiers l’aide proposée par Rebecca. Les contacts, les réseaux, Rebecca en avait et cette aide-là ne le gêne pas. Cette proposition ne le met pas mal à l’aise. Du tout. Pourquoi était-ce si différent avec Rebecca ? Son statut de mère élevant seule sa fille ne justifiait pas tout. D’ailleurs, elle n’élevait pas vraiment sa fille seule. Elle partageait la garde avec son ex-époux. Il semblait que cela se fasse en bonne intelligence.

En tout cas, le constat était là : Non, elle ne le sait pas. Vittoria n’avait quasiment eu aucun contact avec son père depuis le divorce. Tout juste dans les grands moments familiaux. Et surtout, la dernière (et seule) fois qu’il l’avait vue, c’était en visio, chez ses beaux-parents, des beaux-parents très conciliants avec Vincent puisqu’ils avaient pris par deux fois son parti contre leur propre fille. Sa fille avait refusé de lui parler, il l’avait juste vu tourner les talons dès que l’image de son père était apparue sur l’ordinateur.

Vincent n’avait pas la force de se confier à ce sujet et il ne voulait pas plomber l’ambiance, non plus. Il passait un agréable moment et désirait aussi en profiter. Comme un petit break dans leur propre discussion, ils ont partagé leur vision des vacances et du repos. Il appréciait tellement sa façon de voir la vie qu’elle lui redonna doucement le sourire. Il appréciait beaucoup son regard expressif et tellement lumineux.

— C’est une bonne idée, les universités. J’ai tenté quelques magouilles, en appelant pour savoir si les frais de scolarité avaient été payés.
— Elle ne peut pas avoir disparu.
— Tu sais que j’ai appelé tous les hôpitaux de Paris. À un moment, je me suis demandé si “elle” ne me cachait pas quelque chose sur notre fille.

Vincent ne pouvait pas se confier plus avant. Il se sentait à l’aise avec Rebecca, elle avait même fait voler en éclat sa carapace. Non, pardon. Rebecca n’avait rien brisé. En fait, c’est avec délicatesse qu’elle avait retiré pièce par pièce l’armure que Vincent avait forgée depuis son divorce.

Quant à sa proposition pour l’Écosse, il mesura après son incongruité. Pourtant, elle le remercia ! Quelque chose dans l’attitude de Rebecca séduit Vincent à cet instant. Sans parvenir à l’identifier. Peut-être parce qu’elle n’avait pas refusé, peut-être parce qu’elle n’avait pas prétexté ne pas pouvoir malgré l’envie d’un break, peut-être parce qu’elle commençait toujours par voir le côté positif avant les aspects négatifs, peut-être parce qu’elle était elle-même tout simplement. Ce sourire, ce regard. Impossible de trouver la raison profonde.

— Je vais en parler avec elle.

Vincent but une gorgée de thé pour cacher un sourire qui allait se dessiner. Jane semblait indépendante, capable de rester seule. Vincent n’en doutait pas un instant. Rebecca avait simplement envie de profiter de son temps avec sa fille et il respectait tellement cela qu’il aurait trouvé insultant de lui proposer de venir sans elle.

— Je t’appelle ce soir pour te dire ?
— Avec plaisir. Vers 21h00. Je ne pourrais pas décrocher avant.
— Que fais-tu en août ?
— En août ?

Ennuyé par sa réponse à venir, son tic revint, il passa sa main derrière sa nuque pour se frotter la base du cuir chevelu.

— Rien, en fait. Depuis la pandémie, je ne pars plus. Et puis seul, c’est pas pareil.
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28.07.21 12:32
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autour d’un café
Vincent MacAskill


Il y avait de quoi s’attrister c’est vrai. Mais la brune préférait être constructive. -“ … J’espère que le temps aidera à l’apaisement entre vous.” Le temps aidait à guérir beaucoup de choses. Rebecca en faisait l’expérience. Elle était passée de la colère à la cordialité avec David. Ce qui n’était pas gagné d’avance, étant donné la passion, avec laquelle ils vivaient les choses. Tout en était plus simple depuis. Elle s’entendait même plutôt bien avec sa nouvelle compagne. Bien que le voir s’occuper de son petit garçon lui faisait toujours un drôle d’effet dans la poitrine. -“ Ca bien marché pour David et moi. ” Pour ce qui était des problématiques fiscales, Becca ne dirait rien. Ses confrères européens pouvaient être abominables. -“ Je peux regarder tes papiers. ” Elle était experte dans le modèle britannique. Mais le langage des chiffres avait l’avantage de transcender les frontières. Cela ne la dérangeait pas de faire son métier pour le cercle proche. Mais, elle était aussi consciente du caractère sensible de ce genre d’informations. C’était à Vincent de voir.

-“Peut-être que ce qu’il te faut c’est une sorte de hacker. ” Bien entendu Peterson respectait la Loi. Elle protégeait la Justice. Les codes étaient là pour préserver le plus grand nombre. Si elle n’avait jamais accepté de passer la ligne, elle connaissait des personnes qui avaient moins de scrupules. Ils avaient tenté quelques coups pendant la campagne. Heureusement pour leur matricule, elle n’était pas certaine à cent pour cent des responsables…

-“ “Quelque-chose” ? ” Cela était tant à l’opposé de son propre fonctionnement que Becca n’arrivait pas à comprendre. Elle était trop intègre et franche pour envisager de mentir au père de sa fille. Au contraire, elle aurait plutôt tendance à ne pas le préserver de la vérité. C’était ce qui lui avait plut d’abord et qui les avait finalement séparé. Ainsi allait la vie. Mais en attendant chacun savait à quoi s’en tenir. -“ Ou bien peut-être que Vittoria fait sa forte tête. … Ça ne durera pas toujours. ” Une enfant avait besoin d’un parent pour grandir. même si cela pouvait prendre du temps, leur relation s’apaiserait. C’était en tous cas tout ce que l’on pouvait sur souhaiter.

En attendant, Peterson se retrouvait dans des projections nouvelles. Elle devait considérer la façon dont elle allait parler de Vincent avec Jane. Quels étaient les bons mots pour le décrire et décrire ce qu’ils étaient. Jane était toujours tellement critique et difficile concernant les hommes qui étaient dans la vie de sa mère. -“ 21h06. ” Elle eut un sourire taquin avant de prendre une autre aspiration de nicotine. L’esprit léger de la discussion était décontractant. Exactement ce qu’il lui fallait.

-“ Je comprends.” La jeune femme s’avançait pour poser la cigarette sur le rebord du cendrier. Elle en profita pour s’abreuver. -“ Il y a un séminaire sur Hambourg. ” Un séminaire syndical cette fois, celui qui se regroupait tous les quatre ans. Il était à l’échelle mondiale. Cinq jours de discussions, d’expositions, de revendications, d’une intensité rare. Ce serait le troisième pour Peterson. Mais ce n’était pas cela qu’elle pouvait aisément partager avec un entrepreneur écossais. C’était ce qu’il y avait après. -“ Je vais en profiter pour aller à un festival après. ” Becca avait grandi dans une ville habitée par la musique. Elle avait été une ado des festivals. L’arrivée de Jane l’avait amenée à grandir d’un coup. Mais maintenant elle renoue avec ces plaisirs, quand elle le pouvait. Et, elle avait comme l’intuition que cela pourrait faire du bien aussi à son ami au cœur lourd. -“ Rien d’exotique… Ou de calme! Mais, on sera au moins deux à se connaître. Je pense que tu pourrais aimer la ville. ” Il serait de meilleure compagnie que Jack et sa bande de punks déracinés. Ce qui la fit sourire.

Parce qu’il avait ouvert la voie du partage, Becca se laissait porter par l’improvisation aussi. Cela faisait du bien d’être plus spontanée. Ce qui était rigoureusement impossible au bureau. La douceur de l’échange transformait lentement son regard. Elle en était presque à imaginer sa fille se débrouiller pour le déjeuner. -“ Il faut que j’aille acheter les pommes de terre pour ce midi. … Tu… m'accompagne ? ” Parce que Peterson ne mettait un point d’honneur à cuisiner les repas quand Jane était là. Il y avait la fin d’un marché quelques rues plus haut. -“ Ce matin c’est moi qui t’invite. ” Elle cherchait tranquillement son sac, ravie d’avoir la tête ailleurs, pour une fois.

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28.07.21 16:16
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Rebecca semblait avoir le cœur sur la main. Elle prodiguait avec tact des conseils judicieux à Vincent. Le temps pourrait apaiser les choses, Rebecca avait raison. Vincent devait pour cela faire savoir à Vittoria combien elle lui manquait. Rebecca proposa même son expertise comptable pour aider l’entrepreneur dans ses déboires avec le fisc français. Vincent se contenta de sourire et fut content qu’elle n'insiste pas. En revanche l’idée du hacker le troubla. Il écouta et comprit qu’un habitué des systèmes informatiques avait peut-être d’autres pistes pour retrouver quelqu’un.

— Oui, c’est une bonne idée. J’imagine que tu as des contacts dans le milieu.

Il rit du sous-entendu.

— Dans le milieu informatique, hein !

Son rire devint presque un fou rire. Il trempa son doigt dans le thé.

— Ça va, si tu me le jettes à la figure, les brûlures se limiteront au premier degré.

Il essuya son doigt sur la serviette.

— Non, je veux dire que tu dois connaître des experts, ceux qui ont assuré la sécurité informatique de ta communication en ligne.

En tout cas, même sorti de la théière, le liquide ne lui aurait pas fait aussi mal que les inquiétudes concernant sa fille. Il expliqua à Rebecca qu’il s’était demandé si sa “femme” ne lui cachait pas de graves problèmes de santé, un accident, un beau-père violent ou pire encore. Vincent expliqua toutes les craintes qui lui étaient passées par la tête. Il relativise évidemment, mais une fois l'insidieuse graine plantée, elle se développe et si Vincent trouvait facilement le sommeil pour un entrepreneur, il avait passé quelques nuits blanches à s’inquiéter pour sa fille. Il expliqua le travail des détectives. Sa fille ne décrochait jamais, les enquêtes de voisinage indiquent que personne ne l’avait vu depuis longtemps.

— Oui, je n’y avais pas penser. Peut-être qu’un hacker arriverait à la retrouver sur le net ! Je me dis qu’elle doit utiliser un pseudonyme. Son prénom italien est rare en France comme en Angleterre. Elle a peut-être choisi Vicky. Un pied de nez. Elle détestait ce surnom.

En fait, Vincent touchait du doigt le secret de Vittoria. Sur les réseaux sociaux, elle utilisait Mac’ comme prénom et à l’université de Londres, elle s’était inscrite sous le prénom Victoria (personne n’avait remarqué la seule lettre d’écart) et le nom de jeune fille de sa mère.

De fil en aiguille, tous deux bifurquèrent vers des sujets heureusement plus légers. Les vacances, les breaks. Vincent avait été agréablement surpris qu’elle étudie sérieusement la question de l’accompagner ce week-end. Elle viendra si elle peut, il en avait le cœur net, maintenant qu’elle lui proposait de venir à un festival après son congrès. Il eut envie de lui répondre : Je te dis cela à 21h06. Mais il balaya cette rhétorique.

— D’accord, dit-il avant même de connaître la date.

Vincent ne prenait pas trop de risques sur la date. Il ignorait tout du festival à Hambourg, mais il était suffisamment malin pour se douter que cela se déroulerait un week-end autour des vacances parlementaires. Il échangèrent sur la date. Vincent avait vu juste.

Les rendez-vous proposés, Rebecca déclara avoir besoin de pommes de terre. Elle coupa le sifflet à Vincent qui s’attendait à tout sauf à cela. Et alors qu’il cherchait une réponse, elle lui proposa de l’accompagner.

— D’accord !

Vincent ne savait même pas où en trouver dans le quartier. Comme elle se proposait, il la laissa régler la note.

— D’accord ! répéta-t-il pour la troisième fois avant d’ajouter, c’est parfait, comme ça, tu me donnes l’occasion de t’inviter à mon tour.

Il profita de ce laps de temps pour dégainer son portable et envoyer un SMS à son assistante pour annuler son rendez-vous avec Peter. Il n’appréciait pas la façon dont Peter avait fait intrusion dans sa vie privée en lui offrant les services d’une stripteaseuse, mais c’était un travailleur débordé et il n’allait pas le faire attendre durant leur débriefing hebdomadaire.

Sitôt le message envoyé, il rangea aussitôt son téléphone dans sa veste, sonnerie coupée. Il suivit Rebecca dans la rue. La chaleur du soleil le surprit, les brumisateurs avaient fait un trop bon effet. Le vent totalement tombé, le smog avait envahi à nouveau la ville. Le ciel se teintait de brun et d’orange, dans un mélange tout sauf automnal. Avant qu’il ne lui vienne la mauvaise idée de parler de météo et de la pollution, il la relança sur le séminaire, plus que le festival.

— Et tu interviens à ce séminaire ? J’aimerai venir. Au moins le dernier jour, histoire de connaître aussi ce pan de ta personnalité. Tu dois être impressionnante à la tribune !

Vincent n’avait pu se rendre à un de ses meetings, un entrepreneur tel que lui ne pouvait se montrer ainsi sans engager ses entreprises. C’était un progressiste, bien sûr, mais politiquement, Vincent restait difficile à cerner. Il détestait le conservatisme, mais l’entrepreneur n’était pas connu pour son altruisme et sa bienveillance envers les syndicats d’ouvriers. Il employait des mineurs, des hommes et des femmes qui vivaient un enfer plusieurs centaines de mètres sous terre. Même s’ils ne la volaient pas, la moindre augmentation rimait avec hausse des tarifs de l’électricité, le moindre refus augmentait le risque de grève et donc le risque de pénurie et de coupures électriques. Vincent ne s’affichait donc pas beaucoup. On savait qu’il connaissait bien Tyrgan Campbell, mais on associait leur sympathie à leur désir commun d’indépendance de l’Écosse. On savait aussi son antipathie avec les brexiteurs n’avait d’égal que son animosité envers les anti-IVG. En dehors de ces grandes lignes, bien malin celui qui savait quels bulletins il glissait dans les urnes. D'ailleurs, personne ne savait ce qu'il pensait de la prohibition. Sauf peut-être son assistante, Louisa et

Alors qu’ils approchaient de leur destination, Vincent voulut rétablir une vérité, même si elle ne lui était pas favorable. Il glissa les mains dans les poches et aurait bien shooté dans un caillou s’il en avait un sur ce trottoir.

— Tu sais, j’apprécie ton aide pour le fisc français, mais je ne suis pas un bon samaritain. Avec la crise et le divorce, j’ai dû faire des choix. Je me suis concentré sur les entreprises britanniques. J’ai négligé des entreprises françaises. Je me suis arrangé pour que les employés touche leur salaire jusqu’aux liquidations, j’ai payé les petits fournisseurs, mais j’ai laissé d’importantes ardoises aux gros fournisseurs comme EDF et aux impôts, c’est indécent.

Il suivait Rebecca dans les ruelles et ajouta.

— J’espère que d’ici quelques mois mes actifs britanniques vont dépasser le passif français. Je pourrais régulariser peu à peu la situation, mais en toute franchise, ce n’est pas dans mes priorités. Pour le moment, les avocats travaillent plutôt à ralentir les procédures. Et avec le No-Deal, ce ne sont pas les vides juridiques qui manquent.

Ce n’était pas très honnête de la part de Vincent. Honnête, vis à vis de Rebecca, mais malhonnête vis-à-vis de la France. Mais c’était ainsi. Si Vincent n’avait pas pris cette décision, il aurait tout perdu de toute façon. En France comme au Royaume-Uni.

— Les avocats disent que je pourrais ne jamais payer, mais je ne veux pas faire un trait sur la France.
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29.07.21 17:12
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Vincent MacAskill


Elle avait battu des paupières, estomaquée par l'impertinence de l’entrepreneur. Une lueur farouche venait éclairer ses yeux. Peterson avait une éthique irréprochable. On la disait incorruptible. D’ailleurs, son parcours parlait en lui-même. Elle avançait beaucoup moins vite que ses confrères du milieu, car elle refusait la corruption sous quelque forme que ce soit. Alors l’imaginer utiliser les compétences d’un hacker… Oui, avec dix ans de moins, il était certain que Vincent se serait retrouvé parfumé au thé noir et au citron!

-“ Hum. Malin !” Becca le toisa avec un rien de mise en garde, avant de se fendre d’un sourire plus léger. Elle appréciait les hommes qui se sentaient assez à leur aise pour plaisanter avec elle. Elle avait besoin de sentir qu’il y avait du répondant en face. -“ Si je ne t’ai pas envoyé le numéro d’ici ce soir, rappelle le moi, d’accord ? ” Autant ne pas perdre de temps avec une recherche de cette nature. Une journée d’angoisse en moins était une journée de gagnée.

Elle écrasait la cigarette, avant de relâcher un nuage sur le côté. -“ Quand ils n’ont pas envie qu’on les trouve, ils ont beaucoup d’imagination! Qui sait ! ” Ils auraient des anecdotes à partager sur ce sujet. Jane Peterson était une jeune fille au tempérament bien trempé. Elle ne se laissait pas raconter d’histoires. Avec des parents, comme les siens, elle avait fait preuve de pas mal d’inventivité pour leur tenir tête. Un enfant était une source de défis constante. C’était aussi ce qui aidait à remettre les éléments à la bonne place. Jane avait appris à sa mère. -“ Je n’aurai pas pensé, qu’un enfant pouvait être source d’à la fois autant de bonheurs et autant d’angoisses. On va la retrouver.

-“ Oui ?! ” C’était surprenant d’avoir une réponse tout de go. Pas même un coup d’oeil sur un calendrier. -“ Génial! ” Dans un sourire, l’Anglaise attrapait son téléphone pour lui donner les dates du festival, celles qu’elle avait posées. La simplicité avec laquelle ils s’organisaient était reposante. Peut-être était-ce l’effet d’un samedi matin ? Ou bien simplement, Vincent était aussi charmant avec et sans champagne dans le sang ? Becca était un peu plus curieuse de le découvrir. Avant, elle passait au bar pour régler leur note. Bien entendu, cela dura un moment. Les tenanciers profitaient de l’avoir sous la main pour échanger à propos de l’évolution syndicale. Conversation qui ne pouvait être refusée une fois qu’on devenait une représentante reconnue de ses pairs.

-“ J’aimerai que Jack t'entende ! Je suis trop pointue… J’ai du mal à synthétiser mes prises de paroles. ” Peterson était le nom d’épouse de Rebecca. La seule raison de sa conservation était de garder la filiation avec Jane. Un choix qui tiraillait deux aspects de son être. La mère et la progressiste étaient en désaccord. Mais tout être était construit de ses contradictions. Elle était une Clark et son frère Jack était un membre bien placé au Parti Travailliste. Il était plus populaire, plus fédérateur, que son intellectuelle de sœur. Les séminaires étaient passionnés et intenses. Ils faisaient du bien aux militants. Il n’étaient pas réservés aux encartés, bien sûr. Mais les sympathisants étaient les moins nombreux. -“ Si tu n’as pas peur de t’ennuyer, viens! Oui! Ce sera avec plaisir. Je te présenterai mon frère. ” Becca passait sur la résonance symbolique de sa présence lors d’un tel événement. Lors MacAskill était un homme intelligent. Il savait bien dans quoi il se lançait en venant avec eux. -“ J’enverrai un e-mail avec les infos. ” Mais, elle était intriguée d’avoir le regard de Vincent sur les tribunes. Il pourrait avoir des retours constructifs. En fait, Rebecca se sentait enthousiaste à l’idée de partager ce temps fort.

Les pas de Becca ralentissaient au fur et à mesure qu’elle découvrait le passif de Vincent. Elle mesurait très bien les portées d’un tel choix sur l’économie et la législation. Mais c’était la motivation morale qui primait en l’instant. Ce que la travailliste entendait c’est que l’entrepreneur avait assuré la survie d’ouvriers anglais. Cela lui allait. Un sourire approbateur se dessina lentement sur son visage. -“ Tu as préservé les plus en difficultés… ici. C’est important ça. ” Un comportement brave qui faisait un bel écho dans l’âme de Rebecca. Elle se sentait en accord avec ce raisonnement. Alors, en plus du reste, Vincent était engagé. -“ J’apprécie que tu m’en parle et pas que je le découvre par hasard. … Écoute, on sait tous les deux à quel point le Brexit a créé le chaos. ” Il y avait des conséquences qu’ils n’avaient pas résolus. Cela allait prendre des années. -“ Honnêtement, je respecte ta prise de position. Je ne suis pas sûre que j’aurai fait mieux dans ce genre de situation.

Rebecca attrapait un sac de toile, qu’elle attachait à son épaule. Les halles étaient là. C’était la fin du marché. Il y avait moins de monde. Certains commençaient à remballer. C’était une petite bulle campagnarde dans la grande ville. Le cultivateur vers qui ils allèrent, reconnaît sa cliente. -“Tu veux quelque-chose Vincent ? ” Elle faisait comme à son habitude, intégrant l’Ecossais avec naturel. Le maraîcher était loquace, parlant de l’état des cultures, des difficultés, Rebecca écoutait avec attention, faisant de l’échange un équilibre entre débat politique et légèreté. -“J’ai bien envie d’aller voir le petit libanais. ” Tranquille Becca attira son ami tout au long de ses envies.


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01.08.21 11:51
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Vincent avait glissé les mains dans les poches avant de hausser les épaules sur cette dernière remarque concernant Vittoria. Oui, elle était source de bonheur et d’angoisse, mais Vincent avait failli à plusieurs reprises dans sa tâche de père. Il ne lui en voulait pas, pas du tout. Il éprouvait une immense tristesse, elle-même amplifiée par la solitude. Il contenait aussi une sourde colère, mais celle-ci ne s'échappera jamais, car elle ne se dirigeait que contre lui-même.

Malgré cette discussion difficile, Vincent passait un agréable moment avec Rebecca. Il admirait sa simplicité. Quand elle s’adressait aux commerçants, elle ne jouait pas la comédie, elle semblait si naturelle qu’il se faisait discret pour l’observer, les écouter, les commerçants et elle.

Jack ? se demanda-t-il. Il ne connaissait pas assez bien Rebecca. Un instant, il s’inquiéta que ce soit son compagnon, mais elle proposa de lui faire rencontrer son frère.

— Jack ? Jack Clark ! Oh ! Jack Clark est ton frère. Oui, Peterson, je comprends. Pour Jane… Oui…

Les mots de Vincent étaient confus, désordonnés, mais ils révélaient son cheminement de pensée. Vincent ne parlait jamais de sa vie privée, mais pour autant, il avait une oreille attentive à ses collègues. Plusieurs ont divorcé, toutes celles qui ont gardé leur nom marital l’ont fait pour leurs enfants. En tout cas, les propos de Rebecca à propos de son frère l’amusait. Jack Clark avait des qualités, mais comme Vincent le disait si bien :

— Rencontrer Jack ? Euh, si toi tu y tiens, avec plaisir. Mais moi, ce n'est pas lui que je viens écouter.

Vincent avait déjà entendu quelques discours de Jack Clark. Il ne manquait ni d’éloquence ni de charisme, mais ses discours ne touchaient pas l’homme d’affaires, encore moins le dirigeant d’entreprise. Du point de vue économique, les idées de Vincent avaient plus d’accointance avec les conservateurs, même s’il ne mettra jamais un bulletin conservateur dans l’urne.

— Non merci, je ne cuisine plus.

Drôle d’aveu de la part de Vincent. La cuisine faisait partie de sa vie précédente. Il aimait inviter du monde quelques amis en petit comité à la maison et cuisiner tout en mangeant autour de l’îlot de leur gigantesque cuisine. Il ne cuisinait pas pour de bonnes raisons. Le goût, les saveurs comptaient, mais il aimait surtout les retours qu’on faisait à sa femme : Tu as épousé l’homme parfait. Et il cuisine en plus ! etc. etc.

Depuis qu’il vivait seul, il ne mangeait plus qu’au restaurant et, le soir, son assistante variait les fast-foods et les lui faisait livrer par ses propres employés, ceux de son entreprise de livraison. Il ne cuisinait plus donc. Pourtant, il avait aimé, lui aussi était un être plein de contradictions. Il découvrit une autre facette de Rebecca et s’effaça un peu pour l’observer, presque comme un journaliste, un journaliste conquis. Elle ne feignait pas. On sentait qu’elle avait ses habitudes et ces habitudes-là ne pouvaient pas être dictées par l’unique désir de gagner quelques voix. Elles venaient souvent ici par plaisir, par désir, parce que c’était sa vie à elle. Il appréciait d’autant plus son invitation à partager cet instant. Il l’écouta discuter sans l’interrompre.

Sur le chemin du libanais, il reprit une discussion interrompue par les courses.

— C’est vrai que les Français s’en sortiront mieux. L’Europe est une force.

Il ne voulait pas mentir, même pas par omission.

— Mais ce n’est pas la raison de mon choix. Sur un plan économique, c'est paradoxal, j'avais plus de chance en France. Je ne vais pas paraître des plus modestes, mais je me surpasse en période de crise. Je savais contre l'avis de tous que j'avais plus de chance que cela marche ici, au Royaume Désuni, au Royaume de la Crise.

Et preuve de cette crise : l'étale du poissonnier ! Vincent ne cuisinait plus depuis longtemps, il n’avait pas acheté de poisson depuis un bail, mais il se souvenait des tarifs et puis il avait eu des sociétés de pêche. Un simple coup d'œil aux tarifs du poissonnier lui confirma l’inflation. Peu d’Anglais peuvent encore s’offrir du poisson frais. Le pays allait dans le mur et ce séminaire serait sans doute intéressant à plusieurs titres. Il garda la suite de ses réflexions pour lui-même, car il serait plus à même de juger sur place. Il écoutait le maraîcher parler de ses difficultés. Il faisait preuve d’humilité et de combativité. Vincent sourit, mais n’entra pas dans la conversation pour mieux écouter Rebecca. Allait-elle parler du premier fléau ? Le Brexit. Du second ? Le No-Deal. Ou bien du troisième ? Le dérèglement climatique.

Avant d’entrer chez le Libanais, Vincent demanda à Rebecca :

— Connais-tu un homme ou bien une femme politique qui va leur avouer qu’on va tous droit dans le mur ?
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07.08.21 12:08
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-“ C’est ça pour Jane. ” Bien que sa fille chérie donnait parfois l’impression, de se moquer de ce genre de choix, leur lien était solide. Elles avaient toutes les deux un franc caractère et Rebecca voulait simplement lui faire profiter de son expérience. Qu’elle n’ait pas à passer par les mêmes déconvenues. -“ … Je ne vois personne. ” C’était une précision qu’elle avait envie de lui donner maintenant. Inutile de créer des malentendus. Cela faisait un moment que cette femme n’avait pas fait de rencontre qui lui donne envie d’aller les plus loin que quelques belles soirées. Mais, cela ne voulait pas dire qu’elle n’en avait pas envie. Elle préférait la vie de couple au célibat. Seulement, son expérience la rendait sûrement un peu trop hermétique à quelques compromis. -“Eh bien alors on verra si l’occasion se présente ou pas. ” Mais cela faisait plaisir de savoir que pour cette fois, elle n’était pas uniquement un intermédiaire pour approcher le Parti. C’était devenu une dérive avec le temps. D’autant plus que toute sa famille avait le nez dedans.

Rebecca adressa un sourire compatissant à Vincent. C’était parce qu’elle était maman qu’elle cuisinait pas mal. Dès que Jane allait chez son père, les repas devenaient beaucoup moins élaborés. La cuisine était faite pour être partagée. -“Je comprends. ” Peut-être auraient-ils un peu de temps, en Écosse, pour cela. Si le week-end avait bien lieu. Ce serait une bonne idée se disait-elle.

-“ Hm. Tu es un vrai entrepreneur donc. ” Becca se fit plus neutre, car ce mode de raisonnement n’était pas le sien. Elle n’était pas une carriériste. C’est bien pour ça que Jack avait plus de poids dans la balance. Elle ne pensait pas à l' individualisme non plus. Elle pensait et agissait pour le plus grand nombre. Pour que les inégalités de classe soient enfin effacées. C’était un but auquel elle donnait du sens. -“Est-ce que ça marche ? ” C’était une vraie question. Elle était curieuse de savoir s’il faisait parti des gagnants de la Crise. Il en fallait bien.

Sans doute inspirée par leur échange, Rebecca se montra encore plus pédagogue et précise que d’habitude devant le cultivateur. Expliquant à lui comme à Vincent pourquoi ils se retrouvaient encore une fois en inflation en 2026. Ils eurent droit à un lot d’abricots offerts. Peterson les confia à son compagnon de route, non s’en en déguster un au passage.

La discussion avec le maraîcher était encore dans son esprit. Elle avait la sensation que l’arrivée de son Parti au pouvoir n’arrangeait pas réellement les choses, pas encore. Il faudrait un an, sûrement deux, pour voir les premiers effets de leur politique. Mais en attendant, les plus modestes triment. -“... ” Becca ne lui répondit pas. Elle n’avait pas la bonne réponse. Autant croyait-elle profondément aux idées défendues par son Parti, autant était-elle prudente concernant celui qui venait de remporter le scrutin. Faire de la politique et être un homme politique étaient deux points différents selon elle. -“ Aucun qui ne sera entendu. ” Que ce soit Jack ou d’autres, ils étaient trop bruts de vérité pour être écoutés. -“Personne n’a envie de l’entendre. ” Le visage de Rebecca venait de changer, moins doux, plus sérieux. -“L’être humain a une fichue capacité au déni. ” Après un silence de dépit, la jeune femme retourna la question. Encore plus curieuse de connaître la lecture politique d’un noble écossais. -“ Et toi, qu’est-ce que tu crois ?” Vincent allait peut-être lui apporter un point de vue assez différent pour la rendre un peu plus optimiste.

Un sourire un peu résigné aux lèvres, Becca se tourna vers la boutique. Elle s'apprêta à poser la main sur la poignée. -“On déjeune ensemble ?” Cette conversation méritait du temps et un bon vin de table. -“Ce sera de la cuisine simple. ” Rebecca n’était pas une grande cuisinière. Elle se débrouillait, dans le quotidien. Il y en aurait pour une personne de plus. Ce serait toujours meilleur qu’un fast-food. La seule chose était de ne pas manquer l’heure pour amener Jane à sa leçon de hip-hop au centre social. A moins qu’elle y aille en bus pour une fois.

Rebecca lui laissa le temps de se décider le temps de faire la course chez le libanais. Elle ressortait de là, se demandant où elle avait mis sa clef de voiture. Surtout où était-elle garée ? -“ Même l’O.N.U. a tiré la sonnette d’alarme l’année dernière. Tu as vu les statistiques. ” Ils étaient dans le pétrin. Une fois les sacs équilibrés Peterson se mit naturellement en mouvement vers son véhicule.

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14.08.21 12:11
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Des frissons parcoururent l’échine de Vincent quand elle précisa ne fréquenter personne. Pourquoi cette nouvelle le réconfortait-elle autant ? Il lui jeta un coup d'œil en coin et admira cette fraîcheur qu’elle dégageait. À cette agréable sensation succéda ensuite une douche froide. À nouveau Vincent avait le sentiment de se retrouver sur des montagnes russes. C’était son quotidien d’entrepreneur. Les sensations sont là, une forme de soulagement de la savoir célibataire, une douche froide quand elle l’a décrit comme un “vrai entrepreneur”. Vincent a travaillé en France. Là-bas, plus qu’ici, on déteste les entrepreneurs, on les compare sans gêne à des esclavagistes. Et le ton avait troublé Vincent, de la retenue, moins de spontanéité.

— Si ça marche ? Oh pardon…

Décontenancé, Vincent avait un instant perdu le fil de l’échange.

— Oui, ça marche.

Vincent ne s’étendait pas, car c’était bien là le problème. Ça marchait du feu de Dieu. Plus le climat se détraque, plus on a besoin d’électricité que ce soit pour le chauffage ou la climatisation. Dans un cas comme dans l’autre, lutter contre les extrêmes nécessite de l'électricité, donc du charbon. Plus on brûle de charbon, plus le climat se détraque. Difficile de s’étendre sur les bénéfices de l’entreprise. Plus tard, sûrement, quand il reparlerait de politique.

Il regrettait sa question sur le mur. Il n’y avait pas de bonne réponse. Une politicienne allait se jeter dans la brèche et prétendre qu’elle oserait parler, qu’on ne la forcerait pas au silence. Promettre, oui. Le faire, impossible. Alors, plus tard, par défaut, elle justifiera que ce n’était pas le bon moment. Ou bien, elle serait un peu plus honnête et répondrait que cela ruinerait sa carrière. Quelque soit la réponse de la politicienne, Vincent la regarderait ensuite différemment. Avec moins d’admiration.

La politicienne révéla son for intérieur et la franche réponse stupéfia Vincent. Aucun qui ne sera entendu. Il se répéta cette phrase et regarda Rebecca d’un œil neuf, plus étonné que jamais. Ces différentes confessions le surprirent encore un peu plus.

— Ce que je crois ?

La question se retournait contre lui. Il avait cette mauvaise habitude de répéter les questions pour préparer ses réponses, comme les politiciens qu’il n’appréciait pas, justement !

— Je ne suis pas prêt à l’avouer… répondit-il avec une énigme plus pour lui que pour elle.

Elle lui proposa de déjeuner ensemble avant d’entrer chez le libanais. Il va refuser évidemment. Il ne souhaite pas s’imposer, il a du travail, Vincent ne s’arrête jamais de travailler. Il l’observa commander et aurait aimé mangé un dernier carré d’abricot s’il n’avait pas été si gourmand. En fait, le travail est un faux prétexte. Il se met à la place de June, comment refuser l’Écosse si celui qui vous invite est en face de vous ? Elle devra se justifier et il ne veut pas la mettre à l’aise.

Il regardait Rebecca payer avec sa carte bancaire. Quand elle sortit, il prit certains des cabbats qu’elle portait pour l’accompagner jusqu’à sa voiture ou, si elle habitait à côté, jusque pas de sa porte.

— J’aurais bien aimé.

Il renonçait, il avait déjà annulé son rendez-vous avec Peter, ce malotru ne l’avait pas volé, mais il ne pouvait reporter son rendez-vous avec son avocate d’affaires et l’équipe “bleue”. Ils devaient faire un point sur les fonds nécessaires et la façon de le récolter pour un nouveau projet qui ne plairaient pas à certains Anglais de Westminster. C’est pour cela qu’il s’était rapproché de Tyrgan et c’est pour cela qu’il ne lui avait pas tout dit.

Il resta étrangement silencieux quelques secondes. Cela l'ennuyait vis-à-vis de June. Elle aurait sans doute aimé le connaître pour venir. Il accompagna Rebecca jusqu’à sa voiture et pour poser les sacs. D'un autre côté, aurait-elle pu refuser l'invitation en sa présence ?

— Tu me demandais ce que je crois. Je crois que je ne suis pas d’accord avec toi, quand tu dis que l’être humain a vraiment cette fâcheuse tendance à nier les problèmes. Tu n’as pas tort non plus. Le déni n’est pas une cause, mais une conséquence. Je pense plutôt que l’être humain classe les problèmes par ordre de priorité. Et je ne peux pas reprocher à quelqu’un qui a du mal à boucler ses fins de mois de reléguer la santé de la planète au second plan.

Oui, les statistiques sont alarmantes.

— Mais tant que ce sera le discours du GIEC ou de l’ONU, les mineurs qui extraient notre charbon, ils s’en moqueront de ses statistiques. Et ils sont loin d’être bêtes, ils les comprennent. Ce sera vraiment leur problème quand ce sera le patron de leur pub favori qui en parlera. Et encore, il faudrait qu’ils règlent leur problème du quotidien avant. Et leur “métro boulot dodo” est infernal. Leur métro, c’est ascenseur de 300 mètres. Leur boulot, ce sont des tunnels sombres, des douches froides, des coups, des douleurs d’usure. Ils ne voient pas le soleil de novembre à février. Ils passent parfois de bonnes soirées au pub, mais ils ne peuvent plus y boire de bière parce qu’un scientifico-politico-paternaliste a décrété que c’était dangereux pour leur santé. Ils passent des soirées devant des matchs où on les abreuve de publicités pour des SUV qu’ils ne pourront jamais se payer. Quant au dodo, qui aurait envie d’aller se coucher un dimanche soir quand tu sais qu’une telle semaine t’attend ?

Il pointa du doigt l’un des sacs “à recycler” et ajouta :

— Et à côté de cela, on augmente leurs taxes ménagères parce que les centres de recyclage doivent se moderniser. Je ne peux pas leur en vouloir de mettre un bulletin populiste plutôt qu’un bulletin écologiste. Ils font leur part pour la société, bien plus que leur part. Les politiciens peuvent difficilement agir dans une démocratie, si la majorité des électeurs sont désespérés et votent pour des populistes incompétents. Alors soit on fout en l’air la démocratie, soit on leur donne des perspectives et, surtout, on tient nos promesses.

Il la regarda fermer le coffre et releva les yeux vers elle. Difficile de choisir la première solution en la regardant. Autant avec feu la Reine Elisabeth, il aurait pu verser dans le royalisme. Autant avec ce Roi conservateur, trop engoncé dans sa couronne ce n’est pas envisageable. Il était resté quelques second les yeux fixés dans le regard pétillant de Rebecca, il apprécia s’y perdre, mais il cligna des yeux, visiblement embarrassé :

— J’aurai aimé déjeuner avec vous deux. Disons que c’est partie remise, peut-être en Écosse. J’ai passé une agréable matinée et j’aurai aimé la prolonger.

Vincent ne se justifiait pas, il ne le faisait plus du tout depuis le procès de divorce. Il préférait dire ce qu’il ressentait. Il échangea la bise et se permit de poser sa main sur le bras de Rebecca ce faisant.
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20.08.21 10:22
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autour d’un café
Vincent MacAskill


-“ Qu’est-ce qu’il y a ? ” Peterson était une femme observatrice. Elle pouvait voir quand ses paroles avaient un effet sur un interlocuteur. Même si elle et Vincent ne se connaissaient pas encore très bien, elle voyait qu'il venait d’être déstabilisé. -“ Tu t’attendais à autre chose. ” Becca comprenait. Au sein du Parti, comme du syndicat, elle apparaissait comme une “puriste”. Incorruptible, intraitable avec la réalité. Ce qui lui valait autant d’admiration que d'animosité par ses pairs. -“ Contrairement aux apparences, je ne suis pas conventionnelle.

Que le charmant entrepreneur se rétracte n’avait rien d’alarmant. Ce n’était pas évident d’aborder ce genre de sujet. Même dans un espace de discussion sécurité comme le leur. Rebecca préférait l’attente à une dispute stérile. -“ Eh bien rien ne presse. Tu me le dira un jour. Si tu en as envie. Je suis curieuse. ” Concernant les individus qui avaient un minimum de sens de la réflexion, de capacité d’écoute, et de remise en question, tout du moins. Elle voulait croire que l’Ecossais était de ce genre là. Comme ce qu’elle avait perçu lors de leur soirée d’abandon. Elle avait envie de le croire aussi parce qu’il lui plaisait cet homme. Ce n’était pas aisée pour une idéaliste de trouver un compagnon de route. Une vérité sur laquelle Rebecca ne s’attardait jamais plus longtemps que nécessaire. Il y avait bien trop à faire dans cette vie de mère célibataire.

Cependant, elle l’écoutait avec intérêt déployer son argumentaire. Au fur et à mesure, Becca se mit à sourire. Ce n’était pas pour moquer l’avis. C’était parce qu’elle avait la sensation d’entendre son propre discours résonner dans la bouche d’un autre. Ce discours qu’elle tenait depuis dix ans devant son frère. Un discours qui avait du mal à passer dans un organe où la maîtrise des outils de production était la priorité. Ce n’était pas d’endiguer la crise climatique. La survie se faisait jour après jour. -“ Pour une vraie évolution il faut faire intervenir une vraie justice sociale. Celle qui pourra annuler la pauvreté et réduire les nécessités primaires. ” D’abord, Becca avait cru que cette équité se ferait par le travail. Mais le travail n’était plus un outil d’émancipation du plus grand nombre. La mondialisation avait rendu cela impossible. -“ Pour que ça arrive il nous faut une démocratie vigoureuse. ” Le Royaume-Uni était démocratiquement moribond. La classe aristocratique était accrochée à ses privilèges, l’Europe ensuite, l’Occident après… -“ Plus de classe politique. ” En effet, notre amie avait de plus en plus l’idée que les organes politiques étaient défaillants et qu’ils étaient la destruction même de leurs chances de survie. Le problème était qu’elle ne croyait ni en la dictature, ni en l’anarchie.

-“ Tant mieux. ” Rebecca n’allait pas le retenir plus longtemps. Trop bien placée pour savoir que le temps est précieux. Il était un luxe même dans le monde du travail. -“ Pour moi aussi c’était bien. ” La portière du coffre claqua avec fermeté. -“ Avec plaisir de reprendre oui. En Écosse ou ailleurs. J'ai envie d'approfondir tout ça. ” Quand ils se retrouvèrent l’un contre l’autre, Rebecca passa furtivement sa main dans le dos de Vincent. L’étreinte dura trois secondes et pas une de plus. Mais lorsque la jeune femme s’écarta son regard était adouci. Pendant une fraction de seconde, elle n’avait pas pensé à la fin du monde. Juste au plaisir d’avoir pu discuter avec quelqu’un qui ne soit pas de son monde. -“ Bon après-midi Vincent. Je t'appelle dans la soirée.” Ce qui se solda par un baiser sur la joue et un sourire encourageant.

Ensuite la jeune femme fit le tour du véhicule électrique pour aller devant le volant. Une fois dans l'habitacle, les basses des Doors s’imposaient autour d’elle. En regardant la silhouette du lord dans le rétroviseur Becca eut un dernier sourire. Il y avait de l’espoir.



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24.08.21 23:08
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