Les temps étant ce qu'ils étaient, Helen ne faisait plus son footing quotidien dans Hyde Park comme elle en avait naguère l'habitude avant de rejoindre son bureau. Entre la pollution et surtout son agression, elle se contentait de la salle de sport toute proche du palais de justice, tous les jours de la semaine, ou presque. Et ce matin, elle avait même un peu trainé sur le tapis de course, menant l'engin et son cardio dans leurs derniers retranchements.

Depuis quelques mois, elle éprouvait ce besoin de presque s'épuiser physiquement. Cherchant à calmer ainsi tout ce qui foisonnait dans son esprit. Même son mari avait remarqué la chose, d'autant qu'elle avait perdu quelques kilos à s'entrainer ainsi. Elle qui n'en avait assurément pas vraiment besoin. Mike lui avait même conseillé de consulter quelqu'un peut-être, car lui non plus n'était pas dupe. Cela avait commencé juste après l'enlèvement qu'elle avait subi...

Pour l'heure, c'était une procureure douchée, apprêtée et remontée comme un coucou suisse, encore sous l'influence des endorphines de ses récents efforts, qui déboula dans le palais, prête à affronter une nouvelle journée de boulot. Son pas décidé faisait claquer ses talons hauts sur le marbre du hall, ne manquant pas de souligner son arrivée. Et comme elle détestait être importunée avant d'avoir bu son café du matin, Helen avait pris l'habitude d'appeler son mari, ou faisait comme si, s'il n'était pas disponible. Téléphone vissé à l'oreille, au moins, personne n'osait l’interrompre.
En passant devant son assistant, elle attrapa le mug de café qu'il lui avait préparé en le gratifiant du signe de tête usuel qui servait également à le saluer. Pas la peine d'insister, il le savait aussi, elle n'avait pas bu son café ET elle était au téléphone!

La magistrate fit donc son tout droit habituel pour débouler dans son bureau, comme de bien entendu sans aucune cérémonie. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver son ancienne élève assise à son bureau, et visiblement faisant comme si elle était chez elle!
Le sang de Richards ne fit qu'un tour, et pourtant c'est d'une voix tout à fait maitrisée qu'elle mit fin à sa conversation.
- Je dois te laisser, chéri, je te rappelle plus tard.

Encore à quelques mètres du bureau, elle s'était stoppée net, toisant du regard une Jessica Keenan qui allait devoir plaider sa cause, même si aux yeux de la procureure, c'était plutôt une cause perdue!
- Je peux savoir ce que tu es en train de faire au juste?

Même si son bureau faisait état de sa maniaquerie et de sa rigueur, plusieurs dossiers y étaient déposés, oeuvre de Phil, son assistant qui lui avait sorti ce qu'elle avait listé la veille avant de partir. Mentalement, Helen se remémorait ses demandes, cherchant ce qui pouvait être éventuellement sensible...

En attendant, l'assistant ne perdait rien pour attendre d'avoir laissé une partie adverse dans son bureau sans surveillance étroite!

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— The end is coming. Feat Helene Richards —

Tel un vif-argent, Keenan referme le porte-document qu’elle a sous les yeux. Elle lisse l’aplat de noir de la main. Malgré toute sa contrariété d’être prise en flagrant délit, son visage est parfaitement neutre. Le métier a pénétré jusque dans ses cellules. Elle est capable d’arborer ce masque très sophistiqué, pour dissimuler ses intentions. C’est avec la décontraction d’une comédienne qu’elle tisse son bobard.

_ « Justement, je te cherchais. » Répond-t-elle avec le plus naturel des aplombs. Elle attrape son téléphone en se levant. « J’ai besoin de tes lumières. » Prise le fait, Jessica ne voit pas l’intérêt de fuir le lieu de son crime. D’ailleurs cela ne ferait que renforcer l’impression de faute. Or la belle n’éprouve pas le début du moindre remord. La culpabilité ne fait pas partie de son champ de lecture. « Ca concerne Lyov. Mon stagiaire. » Le jeune homme est toujours sous sa tutelle au cabinet. La période de stage s’est vue prolongée par quelques magouilles. Keenan se retrouve encore avec lui sur les bras. Il faut bien l’occuper.

_ « Je cherche l’anale les premiers juristes. Selon l'archiviste, il serait chez toi depuis deux ans. » Certains documents ont été mal numérisés, mal référencés dans le centre de documentation. On ne peut plus se fier qu’au papier. Ce mensonge est suffisamment proche du réel pour être crédible. C’est un des talents avérés chez les manipulateurs de premier ordre. « Tu étais au courant qu’ils ont supprimé ce cours du programme de troisième année ? » Jess le sait parce qu’une de ses anciennes camarades de promotions est devenue professeure indépendante. Elles l’ont évoqué par hasard lors d’un pot la semaine précédente, une chance. Car autrement, la formation de ses futurs rivaux est loin de l’intérésser. « Je le fais bosser sur l’historique depuis que je sais ça.» Elle est revenue devant le bureau et tire une chaise pour se poser dessus.

_ « Tu m’offres un café ? » propose donc la rouquine décidément très à l’aise dans son rôle.

La procureure toisait du regard son ancienne élève qui, elle n'en doutait pas une seconde, avait pris son air de petit ange bien intentionné. Pour autant, Helen n'était pas dupe une seule seconde et sa posture était là pour le faire comprendre à son vis à vis. C'était au moins l'avantage de se connaître depuis tant d'années, les deux femmes se lisaient surement aussi bien l'une l'autre.

Même si à l'instant, elle ne le laissait guère paraître, l'aînée ne pouvait s'empêcher d'admirer l'aplomb de la rouquine. Rien à dire, plus le temps passait et meilleure elle était. Assurément, Helen était convaincue qu'elle pouvait faire encore bien mieux professionnellement, vu son potentiel. Potentiel que la procureur avait détecté depuis quasiment leurs premiers échanges.

Alors que la jeune femme lui répondit donc sans gène aucune, Helen prit son temps avant de lui rétorquer calmement.
- A te trouver ainsi ici, j'aurais pourtant cru que je n'étais pas le centre de tes recherches. Ne pouvant réellement empêcher un léger sourire en coin à la fin de sa phrase.

Non, elle n'aimait pas ça, mais c'était de bonne guerre, et pour tout dire qu'elle n'ait pas eu une certaine curiosité aurait presque été décevant quelque part. Le tout était que chacune garde suffisant de respect l'une pour l'autre pour ne pas dépasser les limites. Helen appréciait avoir Jessica comme adversaire, mais il ne fallait assurément pas qu'elles soient ennemies un jour...

L'avocate exposa alors la raison première de sa venue en redonnant sa place à la procureure qui d'autorité la reprit! Avant de s'assoir, elle fit signe à sa cadette de prendre place en face d'elle si elle le souhaitait.

Alors qu'elle l'écoute, Helen jetta un coup d'oeil sur le dossier refermé quelques instants plus tôt avec hâte. Dossier quelque peu sensible, en effet. Mais pour ce qu'elle en savait, Jess ne travaillait pas avec le cabinet en charge de l'affaire. Et même si elle ne savait évidemment pas tout, la procureure estima qu'il n'y avait pas trop matière à s’inquiéter. Pour autant, elle prendrait en compte que certains éléments avaient pu être dévoilés, et construirait son réquisitoire en conséquences.

A son exposé, Helen hocha affirmativement la tête, avant de répondre.
- Effectivement, j'en rédige la nouvelle version. Par contre, j'avais demandé à ce qu'une copie soit laissée à disposition en attendant, en mentionnant la refonte prochaine.

Le genre de choses barbantes à souhait, et qui demandaient pourtant une somme considérable de travail, mais qui était assez loin d'être la priorité de la procureure.

A la deuxième question de son ancienne élève, Helen répondit.
- Oui, j'ai demandé justement de le décaler dans le cursus. Ca me paraissait plus logique, et comme je remets tout à plat, autant ne pas devoir faire une update plus tard. Il y en a assez comme ça, et tout le monde n'a pas tes capacités d'apprentissage.

Et hop, un petit coup de brosse à reluire au passage. De toute façon, c'était sincère pour le coup. Helen enclencha l'Interphone avec son secrétaire du jour.
- Phil, amenez moi le dossier U35-7 s'il vous plait. Dossier qu'elle lui avait rendu la veille au soir d'ailleurs, ils ne devait pas être bien loin.
- Tout de suite, Madame.

Toujours dans l'échange, Helen regarda la jeune femme finalement s'installer devant elle, et passer commande. Après un sourire, la magistrate ajouta pour son assistant.
- ... et du café, merci.

Cela tombait à merveille que Jessica soit venue au final, la procureure voulait justement s'entretenir avec elle d'une chose qui la turlupinait depuis un moment, et dont l'analyse par la rouquine lui serrait à coup sûr bénéfique pour faire son choix final.
- Ca tombe bien que tu sois passée, je voulais justement te voir. Je suis convoquée demain à Downing Street...

L'assistant choisit ce moment pour arriver et les interrompre sans le vouloir, chargé d'un épais dossier bleu, ainsi que d'un pichet isotherme qui pour l'instant ne révélait rien du divin breuvage qu'il contenait et qui à coup sûr finirait d'aiguiser les sens des deux tigresses en présence.
- Merci, Phil. Refermez derrière vous, voulez vous? Et prenez note des appels, je ne veux pas être dérangée, merci.
- Bien, Madame. Votre rendez-vous de 9h est déjà là. Le regard de la procureure glissa sur sa gauche sur la pendule XVIIIème.
- Il attendra. Le ton impératif ne souffrait aucune réponse.

Il était de notoriété qu'on attendait toujours pour la voir, inutile d'être en avance!

Un compliment fusa, relevant un sourcil intrigué chez la procureure, mais une suite moins flatteuse compléta aussitôt la chose. Helen sourit.
- Vraiment Jess, ton art de la flatterie est sans nul autre pareil!

Elle s'étonna toutefois du dernier qualificatif employé, tout en se gardant de le lui montrer. Qu'elle s'encroute dans sa fonction de procureure, oui, mais elle ne voyait pas en quoi s’empâtait... Bref. Il n'y avait pas matière à débattre.

D'ailleurs quand la conversation repartit sur ses travaux en cours, les deux femmes s'accordèrent à nouveau. Helen savait son ancienne élève pointilleuse aussi sur ce genre de choses. Et lorsqu'elle lui indiqua qu'elle avait des remarques à lui faire remonter, Helen l'y invita d'un signe de tête explicite avant d'ajouter.
- Fais donc, ça m’intéresse. Elle savait déjà que ce serait pertinent venant de Keenan.

La conversation entre les deux femmes s'étaient interrompue naturellement avec l'entrée de l'assistant. Même si c'était subtil, le changement d'attitude de son vis à vis qui d'un coup prenait son temps ne trompa guère la magistrate. Pourtant elle le cachait plutôt bien, mais Helen lisait parfaitement l'impatience de Jessica, et surtout le vif intérêt qu'elle avait éveillé chez elle en mentionnant sa toute prochaine convocation par les plus hautes instances du gouvernement britannique.

Y prenant un malin plaisir, la maîtresse des lieux se laissa servir, prenant elle aussi tout son temps. Puis quand elle estima que c'en était bien assez , elle reprit calmement.
- Oui, il semblerait que notre tout nouveau Secrétaire d'Etat à la Justice soit tout aussi compromis que le précédent. Helen secoua la tête, c'en était presque risible, si ce n'était pas si sordide. Figure-toi que celui-ci aurait une nette dépendance aux très jeunes garçons...

Richards était d'autant plus déçue que l' "animal" avait fait ses classes avec elle, et à l'époque ils s'entendaient plutôt bien du reste.
- Cette fois-ci, le cabinet ne veut aucun nouvel impair, ils veulent une femme, et plus précisément je serais sur les rangs.

Pas que Helen n'y avait jamais songé, c'était même assez évident qu'elle serait pressentie à un moment ou un autre de sa carrière. Et à vrai dire quelques années en arrière, elle aurait foncé tête baissée, sans même réfléchir. Mais aujourd'hui, bien des choses étaient différentes. Et la pression permanente qu'elle subissait au quotidien lui pesait de plus en plus.
La procureure soupira avant de lâcher un assez théâtral :
- Mais je n'en ai plus l'étoffe.

Tout ou presque de ce que la fonction impliquait, la rebutait à présent. Ca lui semblait bien au dessus de ses forces actuelles, sans compter ce que cela impliquerait pour son couple.

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— The end is coming. Feat Helen Richards —

_ « Ca doit te manquer, parfois. Non ? » rétorque la benjamine, la bouche retroussée par la malice. Il ne doit pas y avoir grand monde qui ose entrer dans le cadre de la Procureure. La crainte du retour de flamme est bien plus grande chez les perruques que chez les politiciens. C’est à la fois un avantage et un sacré handicap de savoir ce que l’on encourt en s’en prenant à la mauvaise personne. De quoi étouffer dans l'œuf la dissidence.

Le bureau de Richards prend une allure de bunker secret. Jess aime quand cette ambiance. Elle aime le grand jeu de la loi, la partie qu’ils font sur ce plateau gigantesque. C’est en grande partie pour ça qu’elle a passé l’examen du barreau. Londres est un terrain de jeu qui devient de plus en plus intéressant… et dangereux. La rouquine ne peut pas s’empêcher de continuer à prendre des risques -calculés- pour le plaisir de jouer.

_ « … encore. » A force d’entendre parler de ce genre d'affaires, l'habitude s’installe. Comme un médecin qui ne sourscille plus devant un cadavre. Une avocate n’est pas plus dégoûtée par la nature humaine. _ « Personne n’a encore pensé à faire une étude statistique... » Commente la jeune femme avec trop d’indifférence.

Le mouvement “Me Too” a enclenché une enquête dans tous les services publics de la capitale. Mais les pervers sont trop malins pour se faire prendre. Dans certains services, Jess sait que la pression n’a fait qu’augmenter. _ « Eh bien... » Murmure la rousse en scrutant sa mentore. Helen ne serait pas taxée de dépravation sexuelle. « Félicitations! » Pour plusieurs raisons cette nomination est une aubaine. Jessica a besoin d’un coup de pouce. Elle soupçonne que ses affaires avec le Réseau pourraient bientôt se… compliquer.

_ « Quoi ? ! » pour une fois Keenan n'eut pas à exagérer le ton pour être crédible. Le rebondissement est à la hauteur de sa surprise. Où est passée l’ambition de Richards ? Or elle n’était pas assez vaniteuse pour rechercher les paroles réconfortantes d’une de ses anciennes élèves. « Qu’est-ce que tu racontes. » Jess étudie les traits de la cinquantenaire avec attention. Elle se sert très souvent des faiblesses qu’elle découvre chez ses interlocuteurs et interlocutrices. Ceci dit, la fatigue de l’Anglaise n’est pas la bienvenue dans le contexte actuel.« Tu dois y aller. » Nonobstant la nécessité de représentation des femmes, il y a une stratégie de fond. Helen est une des rares collègues qui a assez de caractère face à les Blakemore et autres suppôts du machisme. « C’est ça être progressiste. » C’est exactement ce qu’elle a défendu devant les amphi quelques années plus tôt.

_ « Exige un congé avant la prise de poste. » Lui annonce-t-elle dans un étincelant sourire. « Ensuite tu nous vire tous ces vicieux un à un. » Pour un peu la rouquine aurait pu se sortir une cigarette pour célébrer l'événement d’un pseudo féminisme juridique.