Florence s’écarta de la fenêtre au moment où son beau-fils passa la porte de l’immeuble. Elle passa son regard sur la pièce pour s’assurer que rien ne pourrait être sur son passage. Elle avait beau faire attention, elle redoutait d’oublier quelque-chose. Maintenant, elle avait arrêté d’aller sur le palier pour le voir monter la fin de l’escalier. De même, elle se retenait d’anticiper ses mouvements. Archi lui disait souvent qu’en le couvant elle ne lui rendait pas tout le temps service. Mais c’était tellement difficile de regarder affronter les difficultés sans rien faire.

-« Bonjour mon chéri. » Elle posait sa main sur son bras, avant de faire le tour pour prendre son manteau de sur ses épaules. Cela lui permettait aussi de savoir où en était son poids. Elle était inquiète qu’il ne se nourrisse pas bien quand il était contrarié. -« Oui. » C’était une semaine sans trop d’histoires. Ce qui était bien. Elle accrocha la veste au porte-manteau. -«Rebecca est venue déjeuner. » Cela avait été un moment plutôt agréable. Les filles n’avaient même pas parlé du boulot. Cela lui avait fait du bien. C’était vrai qu’ellle voyait moins de monde depuis la mort de son mari.

Doucement, Mrs Tyler donnait son bras, pour qu’ils se rendent dans la cuisine. Le thé chaud était sur la table. Les biscuits sans sucre étaient posés dans la petite assiette à fleurs bleues. Tout était toujours pareil avec elle. Florence aimait ce petit rituel. Elle ne voulait pas en changer une once. -« Et toi ? Cela a été ? Comment vas-tu ? » Léandre pouvait essayer de lui cacher des choses. Il était son fils. Elle pouvait ressentir quand il était perturbé. Cela faisait quelques jours qu’elle avait la sensation que quelque chose n’allait pas. Mais, elle avait aussi appris qu’elle ne pouvait pas l’interroger. C’était à lui de décider s’il voulait ou non se confier.

Florence faisait donc l’ouverture et lui laissait le choix. Pendant ce temps, elle les servit de son bon thé maison.

Florence ne l’avait peut-être pas porté, ne lui avait pas donné la vie, néanmoins, elle connaissait son fils. Il était son enfant bien plus sûrement que tout le reste dans ce bas-monde. Elle pouvait donc dire quand il lui mentait. Ou bien quand il ne lui disait pas toute la vérité. -« Mmm, le travail fait râler. » Léandre lui parlait régulièrement de cette femme, une employée de la police. Elle l’avait croisée quelques fois. Victoria lui faisait une bonne impression et elle était contente de la savoir dans la vie de son fils. -« L'ascenseur est réparé ?» Elle faisait attention à ce qu’il lui racontait pour pouvoir suivre les aléas de l’une et de l’autre.

Sous couvert de légèreté, il y avait une petite tension chez le Juge. Lui qui allait mieux depuis quelques semaines. Il lui donne l’impression d’être à nouveau nerveux. Florence y était sensible. Elle se raisonne avec force pour ne pas le presser de questions. C’était à Léandre de décider. Mais comme c’était difficile de se taire. -« Et quoi ? » Même si la maladie de Léandre était stabilisée, c’était une source de préoccupation. Sa belle-mère était dans des associations pour aidants, et abonnée à des revues. Elle espérait encore que la science fasse un miracle… un jour.

Un soupçon s’allumait dans un coin de l’esprit de la comptable. C’était une conversation à laquelle elle s’était plus ou moins préparée. Archi lui avait fait promettre de ne pas en parler avec Léandre. Même si Florence ne trouvait pas cela honnête, elle s’était pliée à cette volonté. -« Je me doutais que tu viendrais avec cette question un jour. » Elle disparaissait de la cuisine pour se rendre dans le salon. Elle retrouvait les papiers officiels. Ils étaient sous forme papier, bien rangés dans une pochette en carton. La cécité de Léandre faisait qu’elle n’avait pas eu à le dissimuler davantage aux regards.

-« Archi aussi s’en doutait… Il t’a écrit une lettre. » C’était dans une enveloppe cachetée qui attendait son heure depuis un certain moment. Mrs Tyler la posait entre les mains de son fils afin qu'il puisse se faire une idée. Bien sûr elle était manuscrite. Archi ne se doutait pas que son assassinat entrainerait les conséquences actuelles. -« Veux-tu que je te la lise ? »

La veuve alla chercher sa paire de lunettes de vue. Elle avait beau avoir connaissance de cette lettre, depuis des années, maintenant qu’Archie n’était plus parmi eux, cela avait une symbolique encore plus forte. Ce ne fut qu’après avoir soigneusement déplié la feuille et caresser son grain que Florence commença la lecture:

-« Léandre, mon garçon,

Je t’écris sans savoir si nous aurons une chance de parler de ce qui va suivre. Je sais que tu m’en voudra de l'avoir dissimulé ces informations. Mais, crois bien que je l’ai fait dans le seul but de te protéger.
Lorsque tu étais encore un nourrisson, Elisabeth et moi étions encore un jeune couple. Nous n’avions pas d’enfant. Je l'accompagnais souvent dans ses voyages. Nous étions au courant de ce qui se passait dans les Balkans. La Serbie était particulièrement ravagée par la guerre et la corruption.
Nous t’avons découvert alors que ta mère venait de décéder. Ton père biologique était pauvre et blessé. Il n’avait pas les moyens pour t’élever.
Babette et moi lui avons proposé de te prendre avec nous. Nous savions que nous aurions les moyens de t’élever. Nous sommes rentrés avec toi. Un ami nous a aidé à faire de faux papiers.
Que nous n’ayons pas le même sang dans nos veines ne change rien. Tu es notre fils. Même si ta mère est partie. Elle l’a fait pour ses propres raisons.
Pour ce qui est de ton père biologique, nous avons conservé un moyen de le contacter. Il faut que tu te rende dans un établissement du district est. Un homme nommé Varkof pourra te donner des informations.
J’espère que tu nous comprendras. Nous avons fait cela pour te protéger mon fils.
Il n’y a pas un jour où je ne sois heureux de l’avoir fait. Tu es mon garçon. Je t’aime et je suis fier de toi.
Ton père
»

Ainsi signait M. Tyler. Florence n’avait pas oublié le jour où il lui avait confié cette lettre. C’était une confession écrite qu’il avait fait quand la situation était devenue plus tendue à son travail. Un peu comme s’il se préparait à un malheur. Si elle avait su ce qui allait advenir, elle aurait sans doute agit autrement. Mais, il était trop tard pour avoir des regrets. La sécurité de Léandre était sa seule priorité.

Cette lecture réveillait tout un tas d'émotions. La comptable faisait de son mieux pour rester calme. -« Oui. » Florence n’aurait peut-être pas les réponses à toutes les questions de Léandre. Néanmoins, elle était prête à lui dire tout ce qu’elle savait de certain. Archi avait dit beaucoup de choses sur cette histoire, quand leur relation était devenue sérieuse. Quelques mois avant de lui faire la demande en mariage. -« Il a cherché à la retrouver. Plusieurs fois. Mais sans résultat. » Cela tenait pourtant à cœur à leur adoré de pouvoir donner un jour ces informations à son fils. Il y avait un dossier papier dans les cartons. Elle n’y avait jamais touché. Toutes ces affaires lui faisaient de la peine. -« Victoria pourrait peut être te transcrire son dossier ? » Ce serait quelque-chose de trop dur à faire, pour cette veuve, même si c’était pour aider leur garçon.

La question de Léandre était compréhensible. Au cours des mois, sa belle-mère s’était posé la question de lui en parler. Mais, elle n’avait pas eu assez de courage. Remettre ce sujet sur le devant ne ferait que marquer l’absence de feu son compagnon. -« … Il est mort et… je ne savais pas si j’avais le droit de trahir leur secret. » Elle baissa les yeux sur ses mains. -« Je ne savais pas quoi faire Léandre. » Ce qui était vrai. Ce secret n’était pas le sien. Elle en avait hérité dans le vouloir.

-« Oui, ça l’est.» Ce qui n’était pas facile à entendre. Florence le comprenait bien. Doucement, elle avançait sa main pour effleurer ton bras. -« Ton père et moi avons essayé d’avoir un enfant, pendant longtemps. » Ils avaient un projet de vie. Ils voulaient construire la fratrie de Léandre. Après trois ans, ils s’étaient résolus à voir des spécialistes. Les médecins avaient trouvé un souci. -« Il ne pouvait pas avoir d’enfant. » Cela leur avait fait de la peine. Ils avaient essayé d’en prendre leur part. Florence avait même proposé d’adopter, officiellement un autre enfant. Mais cela, elle le garderait pour elle.

Elle prenait le temps de réfléchir. -« Non. Je ne crois pas. Si ton père avait d’autres choses à te dire, je ne les connais pas. … Je suis désolée mon chéri.»

Une révélation pareille bouleversait la vie à tout jamais. C’était bien ce que Mrs Tyler gardait à l’esprit tout du long. Elle faisait de son mieux pour rester “imperméable” aux attaques de son fils. Bien que la peine puisse provoquer des réactions hors normes. Elle se faisait silencieuse, presque passive, pour que cet homme s’exprime librement dans sa souffrance.

Ce fut spontanément, que ses mains se resserrent autour de lui. Florence le prenait contre son cœur aimant sans une hésitation. Elle le tenait bien fort bien fermement, pour qu’il puisse se laisser aller. De son avis, pleurer pouvait faire du bien. Il fallait laisser les émotions sortir. Les émotions de la veuve étaient là aussi. Finalement, ses larmes aussi se mettaient à couler. Oui, elle aussi avait besoin de pleurer. Archi lui manquait. Elle aurait aimé qu’il soit avec eux maintenant.

-« Aucun de nous n’aurait dû avoir à subir tout cela mon chéri.» Florence voulait qu’il comprenne bien les choses. Les choix d’Amélie et d’Archi avaient eu des conséquences sur tout le monde. Elle, elle n’était que la femme d’à côté. Celle qui avait voulu aider son compagnon à créer un environnement stable et aimant pour son fils.

Ils s’écartaient lentement l’un de l’autre pour parler. Florence ne put s'empêcher de venir retirer les larmes des joues de Léandre. Elle appréhende un peu la suite. Car, maintenant, le juge savait que la journaliste ne reviendrait. Qu’allait-il faire ? Voudrait-il finalement couper les ponts ? Sa main pressait tendrement la sienne. Elle l’écoutait, attentive et attendant de savoir où il voulait en venir.

Sa main libre étouffa un gémissement d’émotion. Les larmes revenaient de plus belle au bord de ses yeux. -« Mais bien sûr Léandre. Bien sûr tu peux m’appeler maman. » Il y avait des années que Florence avait abandonné l’idée. Lassée de lutter contre la colère de ce jeune homme. Maintenant, elle était touchée et heureuse, qu’il lui permette d’avoir une place dans son cœur. -« Je ne t’ai pas porté. Mais, je t’aime autant que j’aimais ton père. » Doucement, elle attirait Tyler dans le creux de ses bras pour un autre geste de réconfort.

-« Merci. J’avais vraiment peur que tu te referme.» Ses mains lui frottait le dos pour le réchauffer en douceur. Elle se faisait la plus aimante possible. Elle voulait qu’il sente combien il était aimé. -« Nous allons avancer. … Je t’aiderai si tu veux faire une enquête. » C’était tout ce qu’elle pouvait lui proposer dans ce domaine. Peut-être que certaines de leurs connaissances voudraient bien les aider. Quoiqu’il en soit, ils avaient l’un pour l’autre.

La veuve trouvait très sain d’entendre ce jeune homme exprimer ses sentiments. Léandre était quelqu’un d’introverti, même de secret. Il gardait énormément de choses pour lui. Ce n’était pas forcément une bonne chose. Il vivait des choses dures et qui devaient être partagées. Alors qu’ils les partagent tous les deux, c'était un début. Florence profitait de leur proximité pour lui caresser le dos. Elle était affectueuse en cherchant à ne pas être pressante ou bien étouffante avec lui.

-« Mh. » Les mots n’étaient pas tout le temps la bonne réponse non plus. La comptable sentait quand il était plus sage de parler ou simplement d’accompagner la parole de l’autre. Un peu comme une compagne de route dont la seule fonction était de soutenir. Elle l’avait fait de nombreuses fois pour le père. Cela lui faisait plaisir de le faire pour le fils. -« Je sais que tu y arriveras oui. » Il avait d’or et déjà démontré son intelligence et son ingéniosité. Avec les indices laissés par son père, il n’y avait pas de doute. Les réponses seraient trouvées.

Florence connaissait Léandre. Elle savait que cette énigme allait occuper une partie de son esprit. -« Oui. Faisons étape par étape. » Son travail serait de veiller à ce qu’il garde bien les pieds sur terre. Que les choses ne dérivent pas. Si possible que des choses comme il y en avait eu pendant le procès ne se reproduisent pas. Ils avaient bien assez souffert comme cela!

Ce moment n’était pas facile. Mais, il était aussi essentiel pour les souder. Ils venaient de passer un cap. La comptable sentait quelque chose se fortifier entre eux. Cela était rassurant. -« Moi aussi je t’aime mon grand. » Sa main passait et repassait dans le dos du juge. Ils n’avaient pas besoin de beaucoup plus que cela. Au-delà des liens du sang, ils avaient un choix. Ils n’en étaient que plus forts.