Une journée de merde.

C'était certainement la meilleure façon de décrire les dernières heures qu'avait passé Javier. En ce moment, ça avait l'air de lui coller à la peau, ou sous la botte. Dans tous les cas, il était d'une humeur terrible et les litres d'alcool qu'il avait englouti n'avaient pas aider à le rendre plus jovial. Si on était honnête, c'était sans doute même l'inverse.

Pourtant, elle n'avait pas si mal commencé que ça, cette journée.

Certes, il y avait plus excitant que de passer des heures en planque mais il en avait l'habitude. Non, ce qui lui avait fait péter un fusible c'était surtout de l'avoir vu lui. Lalo Salamanca. Cet enf*** avait à peine montrer le bout de son nez et cela avait suffi pour faire partir en vrille Javi.

Comment lui en vouloir cependant ? L'homme s'était tenu à l’autre bout de leur jumelles, heureux et frais comme un gardon. Pire encore, à voir comme il n'avait jamais été aperçu à cet étage, il semblait même qu'il ait eu le droit à un surclassement. Ce qui voulait dire qu’alors qu’il aurait dû croupir en prison, à purger sa peine pour tout ce qu’il avait fait, le chef de Cartel se la coulait douce dans le cinq étoile d’en face. Le texan ne pouvait s’empêcher de ruminer à cette image.

Il aurait dû la lui foutre entre les deux yeux, cette balle. Il aurait rendu service a beaucoup de monde. A commencer par lui-même. Au lieu de cela, il avait préféré faire confiance à la Loi et son système juridique. Pour cette erreur, il se détestait. Et ce, même si un part de lui voulait encore croire en cette dernière. Il ignorait même, en réalité, s’il tuerait ce con*** s’il en avait l’occasion. Seul l’avenir lui dirait. En attendant, il était reconnaissant de ne pas avoir les compétences d’un sniper, car ce jour-là, il aurait surement tiré. Et avec autant de témoins, autant dire que cela ne serait pas passé inaperçu.

Au lieu de cela, il attendit patiemment que son shift soit terminé pour s’éloigner de là. Et il avait beau n’être à Londres que depuis peu, il savait déjà parfaitement où se rendre pour se noyer sous l’alcool. Il avait même réussi à dégoter un de ces bars clandestins qui proposaient des jeu d’argent. Exactement ce qu’il lui fallait.

Malheureusement, s’il avait compté les cartes - ce que les mafieux avaient tendance à prendre pour de la triche - et gagner pas mal à cette table, il fut déçu de seulement se faire mettre à la porte. Certes, cela n’avait pas été de manière délicate mais il avait besoin de plus. Il avait besoin de s’en prendre plein la gueule. Pour que la douleur physique prenne le pas sur celle qui faisait rage dans son esprit. Et même ça, cette journée de merde ne lui accordait pas.

C’était donc titubant, légèrement débraillé et les cheveux en bataille, qu’il cherchait les clés de son appartement. Elles étaient forcément là, dans sa poche de veste, mais l’alcool le rendait quelque peu… lent. Par contre, cela n’affectait en rien son odorat. Et il y avait des odeurs qu’il aurait reconnues entre toutes. Et ce même avec un cerveau a la ramasse. Ce n’était certes que du cannabis, mais il avait vu suffisamment de jeunes commencer par ca et finir aux drogues dures, qu’il l’avait totalement en horreur aussi.

Se retournant pour faire face à l’homme qui venait d’arriver sur le haut de l’escalier, il vit rouge. Peut-être qu’il l’aurait finalement, sa mise sur la gueule. Il s’approcha, même si on aurait sans doute plutôt appelé ça charger, et retira le joint de la bouche du pauvre voisin avant de le jeter au sol et de l’écraser. Et même s’il était ralenti par la boisson, cela ne le gêna pas pour attraper le gars par le col, le visage fermé. Menaçant. Il ne put s’empêcher de remarquer à quel point ces yeux étaient vitreux.

▬ C’est illégal, cabrón ! »

Pando

Si les mains qui virent se plaquer contre ses poignets et la beuglante qui suivit ne furent pas une surprise, la suite le fut davantage pour son cerveau qui baignait dans le jus. Le coup mal placé fut suffisant pour lui faire voir des étoiles, et même lâcher son interlocuteur, mais pas suffisamment pour le faire désaouler, malheureusement. Pas entièrement du moins. Et pas assez pour arrêter sa connerie. Pourtant, pour le moment, il se recourbait sur lui-même, tachant de retrouver une respiration régulière. Pour ne pas dire une respiration tout court. L'autre avait rater le centre, mais cela faisait tout de même un mal de chien.

Inspiration. Expiration. Inspiration.

Ce ne fut que lorsque l'autre homme reprit la parole qu'il redressa la tête. L'alcool, tout aussi illegal. C'était quand même une sacrée loi de merde qu'avaient mis en place ces rosbifs, il n'y avait pas à dire. Et techniquement, il avait le droit à une bouteille par mois, donc pouvait-on réellement parler d'illégalité ? Bon, celui qu'il avait consommé ne venait pas de sa ration personnelle mais il n'avait pas à le savoir. De plus, son état actuel ferait sûrement un excellent poster pour les soutiens de la prohibition absolue. Après tout, il était rond comme un ballon et venait d'agresser un homme. Certes, dans sa soupe d'alcool qui imbibait son cerveau, la consommation de drogue était une raison suffisante pour légitimer son action mais il était agent des forces de l'ordre. L'image qu'il reflétait à l'instant n'était certainement pas la meilleure. Loin de là. Toutefois, il était encore bien trop saoul pour entendre raison. Et son compagnon d'infortune n'arrangeait pas la situation.

La mention d'appeler les flics aurait dû le degriser, après tout il aurait été dans de beaux draps, mais il ne put qu'en rire. Ma situation était cocasse, il n'y avait pas à dire. Il aurait pu repondre en toute mégalomanie "La police c'est moi" mais cette idée des plus débiles fut rapidement écartée. Notamment par la suite des paroles déblatérées faca à lui.

Il voulait lui d'enfoncer la gueule.

Il avait certainement choisi la mauvaise personne, et assurément le mauvais moment, pour une telle menace. Javier qui se tenait encore legerement courbé jusque là se redressa. Sur son visage, un sourire à mi chemin entre le menaçant, le satisfait et le complètement ivre, irradait. À croire que c'était tout ce qu'il cherchait. A ce qu'on lui pété la gueule. Ou du moins essaye. Maso direz-vous ? Sûrement.

En attendant, ce fut un « Ah oui ? J'aimerais bien voir ça. » qui lui échappa, suffisant au possible. Il n'y avait plus qu'à espérer que l'homme en face de lui serait un peu plus mature. Ou juste moins con. En attendant Javier se mit en garde. Du moins il esseya. Tant bien que mal. Et plutôt mal.

Pando

Le cerveau de Javier avait beau baigner dans l'alcool, il n'en était pas imperméable aux réactions face à lui. Si l'homme avait menacé de lui d'enfoncer la gueule, le flic ne tarda pas à se rendre compte que ce n'était que des paroles en l'air. Son attitude trahissant son absence d'envie de se battre, confirmé par son mouvement de recul. Le karma semblait vouloir l'empêcher de se faire refaire le portrait ce soir-là et... il en était déçu, pour ne pas dire frustré.

Pour autant, le joint étant détruit, il ne voyait pas de raison d'agresser davantage son interlocuteur. D'autant plus que ce dernier avait raison, il tenait difficilement debout. Même si c'était davantage la faute de ce monde qui tournait autour de lui que la sienne.

Baissant sa garde, le texan pris appuie de sa main contre le mur pour rester stable. Et surtout debout. Il n'en lâchait pour autant pas l'affaire. Levant un doigt quelque peu accusateur, il fixa d'un regard froid — et un peu groggy — le médecin :

▬ Mierda... Que j’te reprenne pas à fumer cette merde alors. Ou aucune autre drogue. Sinon... »

Sinon... Il ne savait pas ce qu'il ferait. Sûrement parce que son cerveau était actuellement en train de se concentrer très fort pour maintenir ses jambes droites sous lui. Et n'y parvint plus rapidement. Se laissant glisser le long du mur, il le fixait toujours, menaçant. Menaçant mais complètement ivre, l'effet était donc quelque peu... comique, même si l'urgentiste ne devait pas trouver tout cela très amusant.

Au moment où il allait ajouter quelque chose, les mots lui échappèrent, son attention attirée par le bruit de verrou de la porte en face d'eux.

Pando

Si l'agent n'avait pas été aussi ivre, il se serait sûrement rendu compte d'à quel point il avait l'air plus pitoyable que réellement menaçant. Toutefois, ces neurones-là étaient depuis longtemps anesthésiés par l'alcool. Son regard noir avait beau toujours fonctionner, tout ce qui l'entourait actuellement annulait ses effets ; pour ne pas dire qu'il le rendait d'autant plus ridicule. L'inconscience liée à l'alcool avait ses avantages et ses inconvénients.

Alors que les deux hommes s'apprêtaient à se lancer sans un second round de joutes verbales, la porte face à eux s'ouvrit pour laisser apparaître une jeune femme. Malgré son état d'ébriété avancée, il la reconnu immédiatement. Margarita Morales. Si Javier avait une bonne mémoire des visages, il l'avait surtout reconnu immédiatement parce qu'elle lui faisait penser à sa petite sœur. Autant physiquement que dans le caractère : une petite taille mais un tempérament de feu bien hispanique. En bref, une demoiselle qu'il valait mieux éviter d'emmerder. Et il avait beau n'être arrivé dans son appartement que depuis moins d'un mois, elle lui avait déjà prouvé à plusieurs reprises ; ce qui n'avait jamais manqué de faire rire l'homme actuellement complètement ivre et avachi contre le mur devant elle.

▬ Marga ! S'écria-t-il, heureux de voir un visage familier et bienveillant, à travers la brume. Malgré la joie palpable à son exclamation, il aurait été difficile d'étalement rater le côté geignard qui s'était immiscé dans son ton. Comme s'il avait voulu se plaindre de l'homme qui avait refusé de se battre contre lui.

Il les entendit échanger des paroles, le cerveau bien trop dans le coton pour réussir à en saisir la teneur. Tout ce qu'il comprit c’était qu'on lui demandait de répondre à la question familière du nombre de doigts quand l'homme se baissa devant lui, tellement heureux de devoir se coltiner la tâche ingrate.

▬ Trois ? Hasarda-t-il, peu sûr de lui à cet instant. Peut-être était-ce deux ? Ou quatre ? En tous cas ce n'était assurément pas normal qu'il ait deux tête, ça c'était sûr !

Fixant tant bien que mal le regard de l’urgentiste en face de lui pour ce qui lui sembla cinq bonne minute, puis leva sa main comme pour lui tapoter la joue et finir de le sermonner. Son esprit perdit l'idée en chemin et il finit par le détourner pour observer Margarita à nouveau. Cette dernière, qui les observait interagit jusque-là, leva les yeux au ciel.

▬ Ay dios, te lo juro, estos tipos.... Elle disparut dans son appartement quelques secondes avant de ressortir avec un set de clés à la main. Si Javier avait été plus en forme, il aurait pu attester qu'il s'agissait du double qu'il lui avait laissé, à en croire le porté clé Dollywood qui y pendouillait. Elle s'avança ensuite pour passer le bras de Javier autour de son cou. Je vais le faire rentrer. annonça-t-elle avant de faire une pause pour évaluer Edward, comme si une idée avait germé dans son esprit. ...tu veux m'aider ?

Pando

Alors qu'il avait senti Margarita s'approcher, ce fut finalement l'homme qui se saisit de Javier. Et pour cause, la jeune femme faisait bien trente centimètres de moins que les deux ânes qui avaient manqué de se battre sur son pallier. C'était sans doute pur ça qu'elle avait proposé à Ed s'il voulait l'aider, non ? Prenant appui sur l'urgentiste, trop saoul pour protester, l'agent se redressa tant bien que mal. Et plutôt mal. Il manqua de les faire vaciller tous les deux avant que le blondinet ne les redresse avec fermeté. Il avait beau ne pas être habituellement particulièrement lourd, le fait d'imiter un poids mort actuellement ne devait pas rendre la tâche aisée.

Ils passèrent néanmoins le cadre de la porte d'entrée dès qu’il fut ouvert par l'étudiante. Et si Éd avait voulu en savoir plus sur l'individu qu'il aidait actuellement à marcher — ou plutôt qu'il portait à moitié — il en aurait appris beaucoup. En plus d'être un alcoolique, sa table basse révélait sans doute aucun qu'il était également accroc au tabac ainsi qu'au travail, à voir le nombre de mégots et de dossiers qui jonchaient le dit meuble. Ces derniers dégueulaient même sur le sol. Dire que le texan était impliqué dans son travail aurait été un sacré euphémisme. Toutefois, il n'était clairement pas le seul avec ce défaut dans les prémisses du petit appartement, on aurait été bien hypocrite de le lui reprocher.

La chambre fut rapidement localisée et, contrairement au salon, elle était parfaitement rangée : un lit au carré, un réveil et une lampe parfaitement aligné, pas un article de linge de dépassant de l'armoire. On aurait pu croire qu'elle n'avait pas été utilisé depuis des jours et pourtant... Dieu n'était pas le seul à savoir qu'il en faisait bon usage. L'entrée se fit toujours en titubant et si Javier avait bu comme un trou, il avait suffisamment l'habitude de cet état pour que son corps n'ait pas besoin de régurgiter le poison qu'était l'alcool. Une chance pour le médecin, un peu moins pour le flic, qui allait se manger une gueule de bois bien mérité le lendemain.

Basculant sur le lit, l'américain retira ses chaussures comme il put, usant de ses orteils pour les déchausser. Il lui fallut plusieurs essais mais en fin de compte il put s'installer plus confortablement. Entendez par la qu'il ressemblait à un cachalot échouer sur un océan de draps. Un cachalot certes, mais un cachalot qui était heureux de retrouver sous lui le moelleux qu'offrait son matelas. Ce devait être la l'article le plus cher qu'il possédait mais s’il n'était pas un homme de luxe, il fallait avouer que c'était bien la chose qu'il s'autorisait : un bon lit. Il n'y dormait souvent que peu mais les petits plaisirs de la vie valaient parfois leur prix.

Alors qu'il allait s'endormir ainsi, il sentit le lit pencher d'un côté sous un certain poids. Il rouvrit les yeux qu'il avait déjà fermé, mais ne broncha pas plus que ça lorsqu'on le fit pivoter sur le côté. Il ne s'aperçut même pas d'a quel point Hammer était proche de lui. Pour autant, s’il semblait déjà parti loin, il y avait quelqu'un de bien conscient dans cet appartement qui elle avait bien remarqué la proximité.

En effet, pendant tout ce temps, Marga les avait observé interagir. Moitié inquiète, moitié curieuse, et une troisième moitié qui sortait de nulle part entièrement accaparer par l'événement digne d'un roman à l'eau de rose qui se déroulait sous ses yeux brillants. Il fallait dire que quand on avait été élevée par Abuela Claudia, les hypothèses et les raccourcis romantiques se créaient bien vite dans un esprit. Tout fusait tellement vite qu'elle n'intégra pas tout de suite la question de son voisin.

▬ eh ? Non, aucun !

Elle mit ses mains dans son dos en arborant son plus beau sourire, comme si elle avait peur que son corps tout entier ne trahisse toutes les pensées qui lui traversait l'esprit. Et oh ce n'était pas rien. Tout un roman s'écrivait déjà. Elle trépignait d'aller tout raconter à sa grand-mère mais elle devait garder son calme pour le moment. Lançant un dernier regard au nouveau voisin qui semblait maintenant dormir paisiblement, elle eut soudain une idée qu'elle ne put rattraper avant qu'elle ne sorte de sa bouche ; fardeau des gens impulsifs.

▬ Tu crois qu'on devrait le border ? Pour pas qu'il prenne froid ? Son regard était angélique mais la vérité était qu'elle testait déjà les eaux. Après tout, elle n'avait rien à perdre à essayer.

Pando