Edward avait la dernière affiche faîte par la direction. Le médecin n’était pas trop aimé par eux… Hammer ne savait plus faire des courbettes et agissait avec eux comme il agissait avec tout le monde. Sans doute pas très bien. Ed’ avait abandonné le côté social et ça se ressentait. L’urgentiste n’avait plus d’ambition pro’ de toute manière. Mais là, tout de même, la direction s’était surpassée. Venir aux urgences pour seulement les vrais problèmes ? Connaissaient-ils la réalité ? Pensaient-ils vraiment que les patients pouvaient attendre deux, trois, quatre vois cinq heures pour quelque chose qu’ils ne leur étaient pas importants ? Oui, le médecin reconnaissait qu’il y avait parfois un caractère difficilement supportable de voir des petites interventions engorgées les urgences, mais c’était important pour ses patients. Déjà que certain(e)s attendaient le dernier moment pour venir, les culpabiliser comme ça risquait surtout de retarder les prises en charge. Le médecin éteignit sa cigarette, prit le paquet de flyer et les jeta à la poubelle. Ils en referaient, mais il n’y aurait pas d’affiches ou de flyers de ce style pendant sa garde. Peut-être que le médecin aurait un avertissement, mais de toute manière l’hôpital avait trop besoin de lui pour le virer.

La blouse blanche comme uniforme, le médecin n’eut pas le temps de se poser plus de questions quand il fut interpellé. On ne courrait pas, ne criait pas, et ne portait pas les patients de la sorte. Ici, c’était un cas d’urgence. Hammer ne se posa pas plus de question, il ouvrit un box et invita l’homme à poser Jessica sur le lit. Le protocole d’entrée n’était pas respecté, mais ça serait un problème à régler plus tard. « Que s’est-il passé ? ». La question était posée mais les symptômes et le passif de l’avocate parlaient pour elle. C’était probablement une overdose. Ed’ utilisa le bouton d’appel et commença à ausculter la rousse. Chose rare, le médecin fit plus de communication qu’à son habitude. « Jessica, c’est Docteur Hammer. Vous êtes aux urgences et je m’occupe de vous. Je vais vous ausculter. » Si l’avocate n’était pas en capacité de réagir pour le moment, le médecin savait qu’il y avait un risque de violence. Il connaissait assez l’avocate pour le savoir. Edward était en lui-même peureux à ce sujet et n’avait vraiment pas envie de se prendre une mandale.

Un infirmier se présenta au boxe et le médecin lui donna une série d’ordre rapide. Il fallait agir vite. La situation se dégradait. La jeune femme était en train de souffrir. Ses râles le rappelaient. Mais Hammer ne pouvait rien lui donner sans avoir plus d’information. Il demanda à son accompagnant « Restez avec moi et tenez-lui la main. » Qu’il essaie de la rassurer… Et qu’il soit là pour la maitriser au cas où. Hammer n’était pas confiant. Il ouvrit un des placards de la pièce et en sortit un kit de dépistage rapide. C’était un équipement professionnel, typiquement prévu pour cette situation. Les mains gantés, Edward attrapa doucement le visage de sa patiente. Il ne voulait pas paraître menaçant. Il fit l’effort d’expliquer « Kennan, j’ai besoin de récupérer un peu de salive avec ce coton de tige pour savoir qu’est-ce qui t’as été administré. » Il assura « ça va aller vite. ». C’était un geste médical intrusif et vu le caractère de la patiente, ça pouvait être compliqué. Hammer lui ouvrit la mâchoire et utilisa le coton de tige pour aller chercher de la bave du côté de la joue. Une fois le précieux liquide récupérer, Hammer retira le coton de tige et ses mains. Il n’avait pas envie de se faire mordre. « Voilà, c’est fini. »

Sans attendre, Hammer utilisa le kit de dépistage. Il mit le coton de tige dans un petit cylindre en plastique, l’essora, referma le tube avec une petite pipette. Il l’utilisa ensuite pour faire tomber quelques gouttes sur la plaquette de détection. L’infirmier était revenu avec le matériel, mais Hammer l’arrêta « Stop, je m’occupe de tout. » Ce n’était pas le plus efficace, mais par rapport à la patiente, c’était mieux. De toute manière, le médecin était bien obligé d’attendre les résultats de la plaquette. Le médecin était debout, à côté de Jessica « Je vais poser des électrodes. ». Son accompagnant, Cruiz quelque chose était une personne de confiance. Hammer en avait déjà discuté avec l’avocate. En cas de problème, il n’y avait que très peu de personne sur qui elle pouvait compter. Sans attendre, le médecin déboutonna la chemise de cette dernière ou utilisa plutôt les ciseaux pour les couper. Une fois l’espace dégagé, il expliqua « Attention, ça va être froid. ». Hammer posa les patchs. Il alluma et régla très vite l’instrument. On pouvait reprocher beaucoup de choses au médecin, mais pas ses compétences. Il en profita pour apporter un support respiratoire à la patiente. Un peu d’air en plus n’était pas de refus. Un bref regard permis à Hammer de se rendre compte que la situation n’était pas bonne, mais pas encore catastrophique. Il jeta un coup d’œil à la plaquette et le résultat le fit grimacer. Là, c’était un sacré mélange avec de belles doses. A ce point, si tout avait été pris au même moment, c’était soit de l’incompétence pure, soit de la malveillance. L’infirmier ne sachant que faire était resté devant la porte, le médecin lui demanda une série de produits. Il fallait absolument administrer le remède à l’avocate. Le temps était compté. Hammer récupéra un tabouret, ouvrit un autre tiroir et en sortie de quoi faire une prise de sang. « Je fais une prise de sang. » Il lui manquait des indicateurs. Le médecin piquait vite et bien, il récupéra une fiole du liquide rouge. Il l’étiqueta avant de faire un échange avec l’infirmier. Ed’ récupéra différentes fioles, puis prit la main de sa patiente. « Jessica, serrez-moi la main. » L’ordre simple fut exécuté. Elle était consciente, pour l’instant.

Hammer jugea le poids de l’avocate, regarda de nouveau la plaquette et commença à doser. Si une marge d’erreur exister, elle n’était pas si grande que ça… Surtout quand il y avait de telles mélanges. Le médecin trouva une autre veine dans le bras de l’avocate et expliqua « Je pique de nouveau. » Un premier produit qui allait aider. Mais il ne serait pas assez efficace pour tout contrer. Hammer reprit son petit manège avec deux autres fioles. Le médecin était très attentif. Bien qu’il parût tout à faire assurer, intérieurement il espérait que tout était bon. Les facteurs inconnues étaient trop nombreux pour qu’il se sente à l’aise.

« Non. » Puis devant le regard de détresse de l’accompagnant de l’avocate, le médecin rectifia « Pas tout de suite. Il faut attendre quelques minutes, le temps de vérifier sur les produits fassent bien effet. » C’était une réponse insupportable, le médecin le comprenait bien. Mais l’urgentiste n’avait pas d’autres solutions. S’il lui administré un calmant ou de quoi l’endormir maintenant, il prenait un risque non négligeable. Hammer n’avait pas toutes les informations et il était possible qu’il se soit trompé. Kennan pouvait encore tomber dans un état inconscient et avec un calmant, il était possible que cela la renvoie vers un sommeil où il n’y aurait pas de réveil. Edward tempéra « Encore 5 minutes, et après, je lui donnerai un calmant. » Enfin, autant que cela pouvait être.

L’urgentiste se rendait bien compte que l’avocate n’était plus avec eux. Elle risquait de s’enfoncer dans le délire et devenir aussi plus violente. «Je sais que c’est compliqué, mais il faut tenir 5 minutes, juste 5 minutes. » Jessica était dans un état horrible, tout son corps montrait qu’elle avait peur, qu’elle devait vivre une situation atroce. Le plus rationnel aurait été de l’attacher au lit d’hôpital puis d’attendre, mais les conséquences sur la santé mentale de la patiente risquaient d’être terrible. Il était aussi nécessaire d’éviter les urgences psychiatriques. Kennan ne s’en remettrait pas. Au tant personnellement que professionnellement. Hammer conserva ses questionnements pour lui-même, ce n’était pas la peine d’inquiéter Ludovic plus qu’il ne l’était déjà.

Attendre était insupportable. L’urgentiste prépara un calmant par inhalation. Ce n’était pas la peine d’utiliser une seringue, Edward avait presque échoué à la piquer quelques minutes auparavant.

Le médecin répondit simplement « Etre là. » Hammer savait très bien que cette réponse était insupportable. L’être humain avait besoin d’être actif pour avoir la sensation de maîtriser la situation. Edward arrivait parfois à occuper les accompagnants d’une façon ou d’une autre, mais là Hammer avait surtout besoin que Ludovic reste là. En réalité, l’urgentiste avait surtout peur que Jessica devienne violente et incontrôlable. Ed savait bien à quel point une personne dans un état second pouvait être incontrôlable, d’autant plus que le doc ne savait pas se battre. Il n’avait vraiment pas envie d’envoyer l’avocate aux urgence psychiatrique. Sans la connaître, c’était ce qu’il aurait fait. Mais Hammer savait très bien les conséquences que ça entrainerait. Edward s’efforçait à rester calme. Est-ce que les produits allaient faire effet ? Il posa ses mains à plat. Hammer était toujours assis, non loin du lit d’hôpital. Il regardait lui aussi l’avocate lutter.

Il y avait tellement de souffrance.

Edward répondit simplement « Plusieurs même. ». Il regarda Ludovic et assura « Je pourrai vous donner tous les contacts nécessaires. » Hammer avait vraiment envie de fumer. L’urgentiste regarda l’heure. Les cinq minutes étaient passées. Le médecin prit le masque et accompagné par Ludovic, le posa doucement sur le visage de la rousse. Le produit termina par faire son œuvre.

L’urgentiste prit une respiration quand il se rendit compte que la situation était gérée. Il attrapa une cigarette et la prit directement en bouche, sans l’allumer. Si le but avait été atteint, la victoire était bien amère. Hammer déplaça son siège et se posa devant le pc de la pièce. L’urgentiste commença à remplir le dossier d’admission. « Il va falloir garder Mademoiselle Kennan en observation pour la nuit. » L’avocate allait beaucoup râler – l’hôpital n’avait pas le charme et le luxe désiré – mais ce n’était pas grave.

Edward prit une feuille d’ordonnance et commença à noter les différents psys qu’on lui avait recommandé. Hammer tendit la feuille à Ludovic et expliqua « Je vais lui en reparler à son réveil, mais si vous réussissez à la convaincre. ». Le médecin eut un petit moment de silence, puis regarda l’avocate. Edward ne connaissait pas toute la vie de sa patiente… L’urgentiste conserva donc ses avertissements pour lui. « Et vous êtes ? » Il expliqua « Je vais demander que Mademoiselle Kennan soit placée en salle de repos. Vous pouvez la veillez si vous le souhaitez. » Le boxe des urgences allait être nettoyé puis occupé par quelqu’un d’autre. Le docteur assura « Ma garde va se terminer au moment où Jessica devrait se réveiller. Je m’occuperai de son bon de sorti. » Si c’était possible. Les toxines arrêtées, l’état de l’avocate ne devraient que s’améliorer… pour ce qui était de l’état physique. Hammer avait la sensation de faire face à quelqu’un qui était au bord du gouffre au niveau psychique. La laisser repartir n’était peut-être pas une bonne idée, mais le fait qu’elle soit interné de force serait dramatique. Il n’y avait probablement pas de bonne décision à prendre, juste une moins mauvaise.

Il n’était jamais facile de voir quelqu’un dans cet état, surtout lorsqu’il s’agissait d’un proche. Le docteur avait lui-même besoin de diminuer la pression, ce qu’il avait fait en prenant sa cigarette. Une pause pour fumer ne lui ferait pas de mal. Edward écoutant, en silence. La psychologie n’avait jamais été son fort, mais il savait qu’il était important de ne pas brusquer les gens. Si Jessica allait mettre du temps à se remettre de tout ça, cet homme avait aussi subi un moment difficile. Etre confronté à une possible mort pouvait amener de sacré trauma. Personne n’était invincible.

L’urgentiste aurait pu répondre plus, mais il se contenta d’un « Il va falloir. » Jessica Kennan était arrivée au pied du mur. Il allait falloir réussir à passe ce cap. L’avocate en était capable, il y avait trop de rage en elle pour qu’elle laisse tomber… Le médecin assura tout de même « Mais ce n’est pas votre responsabilité. » Si Jessica se consumait à en mourir, la fautif ne serait pas son ami. Il y avait des proches que l’on ne pouvait pas sauver. Parfois, la meilleur solution était de se sauver soi-même et donc de fuir. Hammer le savait douloureusement. Cet homme n’avait pas besoin de porter un plus grand fardeau que nécessaire.

Le médecin nota intérieurement l’identité de cet homme. Une personne précieuse dans l’entourage de Jessica, une personne rare et un allié pour essayer de la faire sortir de ce bourbier. Hammer n’était fondamentalement pas contre la drogue. Il fallait avoir une consommation raisonnée et Jessica était loin de ce comportement. Il n’y avait d’ailleurs pas besoin de ça pour se rendre compte que l’avocate était dans une spirale d’auto destruction. Il y avait trop de signes d’alerte pour qu’il n’y ait que ça. Le docteur la connaissait. Mais il n’était pas certain de pouvoir l’aider. Il pouvait la pousser, mais après, ce n’était plus dans son champ de compétence.

Le doc se présenta lui-aussi « Edward Hammer, enchanté Ludovic. » Il eut un sourire et essaya de dédramatiser la situation « Ici, c’est Docteur Hammer, mais je pense que nous serons amenés à nous recroiser à l’extérieur. » Pour essayer de faire évoluer l’avocate. L’urgentiste avait fait un choix et il voulait l’assumer jusqu’au bout. Il avait fait le serment d’hyppocrate, il l’avait en parti tatoué sur sa peau, Hammer était consciencieux. Jessica était vraiment en train de couler, et il ne laisserait pas une patience se flinguer de la sorte. Lui s’en foutait bien qu’il la déteste. Puis Hammer avait aussi des armes qui pourraient fonctionner sur l’avocate, entre son rôle de médecin et son lien avec le Réseau, Ed’ trouverait bien une solution.

Bien qu’il ne soit pas addictologue, le médecin expliqua « Cela ne fonctionne pas de cette manière… C’est un projet qui doit être construit sur le long terme et qui ne peut se faire que via la volonté de la patiente. » Hammer s’était bien renseigné. Au-delà de l’aspect professionnel, il avait lui-même besoin de ces informations. Depuis qu’il avait fait sa propre overdose, il avait bien compris que sa propre consommation devenait problématique. Contrairement à Jessica qui pouvait compter sur l’aide de professionnel, Edward était bien isolé. Le secret médical était dépassé par l’obligation d’alerte en cas de danger… Et un urgentiste drogué était un danger. Hammer refusait de perdre son boulot. Jamais.

Envoyer quelqu’un en cure contre sa volonté serait une vraie torture. « Il y a des endroits discrets oui, mais ça ne se fait pas en un mois ou deux, il faut du temps. » Il fallait à tout prix éviter la rechute. Puis si cela pouvait se faire rapidement pour de petits consommateurs, ce n’était pas le cas de Jessica. Se voulant réaliste mais pas non plus déprimant, le médecin expliqua « Les solutions techniques existent, ce ne sera pas un problème. » Ce n’était pas comme si l’avocate était richissime. Le plus difficile et le plus important restaient tout de même la volonté de Jessica. Un déclic était nécessaire, mais un déclic de l’intérieur.

Edward regarda son biper. Il n’y avait pas encore besoin de lui de manière urgente, mais lui avait besoin d’une pause. Mais Ludovic avait peut-être encore besoin de discuter ?

Un sourire, un vrai. Il était rare que quelqu’un ait un sourire comme ça après de tels évènements. Il y avait un quelque chose qui fit que Edward pensa tout de suite à Javier. Son voisin. Cet homme qui était un connard et pourtant…

Le médecin comprenait parfaitement où voulait en venir son interlocuteur. « Je serai là aussi pour vous aider à la convaincre. » Il le fallait. Après, Hammer savait très bien qu’il allait prendre l’argument de sa propre consommation dans les dents, mais ce n’était pas important.

Pour une fois, ce fut le médecin qui fut déstabilisé. C’était pourtant logique « Heu… oui. » C’était la meilleure option. Il fallait être plusieurs pour aider Jessica de toute manière. Edward donna naturellement son numéro privé. « Pour se tutoyer, pas de soucis… mais juste pas à l’hôpital. » Le médecin eut une sorte de sourire pincé « Tout le monde parle beaucoup ici. » Et Hammer détestait être au centre des rumeurs… Il voulait juste être tranquille.

Le bipeur du médecin se mit à sonner. Il était temps de repartir travailler. Le médecin éteignit l’objet et regarda Ludovic « Je serai là à son réveil, pour la sortie. ». Il était temps d’aller voir un autre patient. Il y avait assez de travail pour largement attendre le réveil de l’avocate.