Kathaleen devait reprendre. Ce matin, normalement. Elle s'était rendue devant la caserne en métro, sentant le stress la gagner. Depuis bientôt sept mois qu'elle n'y avait pas mis les pieds, elle n'avait eu de cesse de rêver de cet instant où elle pourrait passer les portes de sa deuxième maison et enfiler son uniforme. Pourtant, elle n'avait jamais réussi à traverser la rue. Elle était restée là, plantée sur le trottoir comme une idiote. Entrer lui avait semblé un fossé impossible à surmonter. Elle en aurait hurlé. Donner ainsi raison à son père, admettre qu'elle était incapable de retourner là où elle avait travaillé avec lui, Steven, ça la mettait en rage.

Aussi, après une bonne heure après être restée là, après avoir envoyé un message pour dire qu'elle était souffrante aujourd'hui et qu'elle ne pourrait pas venir pour cette garde, elle était rentrée chez elle retrouver son chien. Myriam était dans sa propre caserne. Pour le malheur de la jeune pompier, les deux soeurs ne travaillaient pas au sein de la même unité. Sans doute un arrangement de leur père, mais Kath se demandait si se faire transférer dans un autre endroit ne serait pas plus facile afin de reprendre du service. En attendant, il lui fallait trouver quelque chose à faire de sa journée.

Elle avait sorti rapidement Syrius le matin, préférant garder la grosse sortie au parc canin pour plus tard dans la journée, lorsqu'il y aurait d'autres chiens. En attendant, elle avait fait un peu de ménage, s'était rendue à la salle de sports pour se défouler aussi surtout et avait fait un peu de shopping. La jeune femme aurait donné n'importe quoi pour que les bars soient ouverts et aient le droit de servir de l'alcool. Pour autant, elle avait conscience que dans son état, c'était mieux que ce ne soit pas le cas. D'ailleurs, Myriam ne la laissait même pas boire le litre mensuel autorisé. C'était dire si son ainée la connaissait bien.

Autant dire qu'elle avait eu hâte de ressortir Syrius en rentrant avec une nouvelle paire de bottes à talons. Ce qu'elle avait fait, prenant la direction du parc canin. Elle n'était pas certaine de tomber sur quelqu'un qu'elle connaissait à cette heure-ci, mais au moins y aurait-il d'autres chiens avec lesquels son berger australien pourrait jouer.

Elle ne connaissait pas son passé. Tout ce qu'elle savait, c'était ce que Myriam lui en avait dit six mois plus tôt lorsqu'elle était arrivée un soir avec une boule de poils de 9 mois. Il a été abandonné devant la porte du refuge. Il était maigre et vsiblement mal nourri, effrayé par tous les bruits. C'est Sofia qui m'a parlé de lui et m'a proposé d'aller le voir." Sofia, une amie très proche de sa soeur et qui connaissait très bien Kathaleen. De fait, si au départ la jeune femme n'avait pas voulu s'attacher au chiot, celui-ci avait eu tôt fait de comprendre pourquoi il était là. L'intelligence des bêtes... Ou le fait qu'elle soit tout le temps à la maison en dehors de ses heures de thérapie ou de ses séances de sport. Toujours était-il que le chiot s'était mis à la suivre partout dans l'appartement, lui apportant la laisse lorsqu'il avait besoin de sortir, alors même que Myriam était là. Si la brunette avait soupiré au départ, fait les gros yeux, elle avait fini par s'y faire et le chiot avait même commencé à dormir sur son lit, pelotonné contre elle. Finalement, il était le seul sur l'épaule duquel elle pleurait. Elle ne l'aurait jamais avoué à voix haute, mais elle était reconnaissante à sa soeur pour ce cadeau. Syrius était la seule chose qui la maintenait à flot depuis six mois. S'occuper d'un autre être vivant avait du bon.

A peine arrivée dans le parc canin, elle détacha la laisse du collier de Syrius qui partit droit retrouver un certain beagle de leur connaissance. Une des rares compagnies que Kathaleen pouvait apprécier lorsqu'elle avait besoin de solitude. Parce qu'il savait, lui aussi, ce qu'elle pouvait ressentir. Après un dernier regard vers les deux chiens, elle s'approcha de l'homme qui lui tendait une cigarette. "Merci." Elle n'en prenait pas souvent. En général, lorsqu'elle faisait la fête, ou que ça n'allait pas. Là, clairement, elle ne faisait pas la fête. Donc... "Je n'ai pas pu y retourner. Je le ferai demain. Et toi?" répondt-elle. Il n'était pas idiot. Il saurait à quoi elle faisait référence.

"Il ressemble à quoi, le nouveau?" enchana-t-elle.

Un cavalier king charles? La brunette regarda autour d'eux et repéra rapidement le fameux chien dont parlait Edward. Il devait avoir sensiblement le même âge que Syrius, mais, parce qu'il y avait un mai: "Ah mon avis, il va rapidement se calmer. Ce sont des chiens qui ont pas mal de problèmes cardiaques, je crois." D'autant qu'il avait l'air un peu dodu. Minon, mais dodu. Pour l'instant, en tout cas, Syrius ne lui prêtait aucune attention, trop occupé qu'il était à jouer avec son pote. Kathaleen, de son côté, reporta son attention sur le médecin. "Oui, ça viendra." dit-elle. Elle n'avait pas réagi dans l'ordre à ses réponses, ayant besoin de procéder avec le fait que ça viendrait, que ça finirait par rentrer dans l'ordre. Il fallait que la jeune femme digère, craignant de ne pas y parvenir et de devoir changer de caserne pour cela. Arriverait-elle à passer la porte de la caserne qu'elle partageait avec son fiancé? Elle n'en était pas certaine. Par bien des côtés, la jeune femme aurait préféré qu'il l'ait quittée. Par manque d'amour ou parce qu'il avait rencontré quelqu'un d'autre. Elle détourna le regard, dissimulant la larme au coin de son oeil.

Ne pas pleurer. Ne pas montrer sa faiblesse, sa fragilité.
Tirer une latte de la cigarette qu'elle avait acceptée d'Edward.... Et se rendre compte qu'elle ne l'avait pas allumée.
L'allumer et tirer la latte. Laisser la nicotine et le goudron pénétrer ses poumons, les empoisonner, avant de les expirer par le nez.

Elle ne fumait pas régulièrement, et heureusement. Sinon, elle aurait sans nul doute reflété parfaitement l'expression "fumer comme un pompier". Elle aurait certainement été du genre à allumer une nouvelle cigarette sur le cul de la précédente. L'alcool c'était mieux. L'alcool, c'était... Interdit. Merde. Kathaleen poussa un soupir, avant de se tourner à nouveau vers l'urgentiste qui répondait à son tour à la question qu'elle lui avait posée. "Je crois qu'il y a beaucoup d'emmerdeurs, en ce moment." Ou bien c'était son humeur des derniers mois qui la rendait plus sensible à la connerie humaine. Il suffisait de voir comment elle réagissait quand elle entendait des gens louer les actions des Anarchistes.

De nouveau, la jeune femme secoua la tête, préférant essayer d'oublier pour quelques instants les lourds souvenirs qui lui donnaient l'impression d'avancer pieds et poings liés dans la vie. "Ah oui? L'apprentissage je passe bien?" demanda-t-elle avant qu'Edward ne lui explique pourquoi il voulait apprendre des tours à son chien. Elle aussi, elle jurait beaucoup. Mais ce qu'elle retenait, surtout, c'était que si le voisin était un connard, cela n'empêchait pas le médecin de lui confier son chien et un sourire ironique lui étira le coin de la lèvre. "Tu n'as pas peur que ça se retourne contre toi? Imagine, du te cognes le petit doigt de pied dans le coin d'un meuble... Je peux te dire que tu vas jurer comme un chartier. Peut-être pas en espagnol, mais qui sait... On a tendance à connaître toutes ls langues, quand on se fait mal quelque part." Pas quand il s'agit d'un coeur brisé, toutefois. Dans ce cas-là, on risquait plutôt de finir muet, voire paralysé par la souffrance.