L’écran holographique 28° alors que 7h00 n’a pas encore sonné au clocher d’en face. L’épisode caniculaire débute de plus en plus tôt chaque été. Le centre climatique a donné des recommandations. Ce sont les mêmes d’année en année, à quelques virgules près. Elles compensent temporairement les effets de la chaleur. Mais, la transition écologique tarde à être mise en place. La question climatique est souvent reléguée au second plan. Toujours submergée par une nouvelle crise industrielle, un plan social à faire dérailler, une corporation à apaiser. Il a toujours “plus urgent” que ça.
Peterson ne se cache pas devant la vérité. Elle même a pris conscience des choses assez tardivement dans son propre processus. Sans doute trop occupée, à lutter pour reprendre les outils de production au grand patronat, pour se poser la question de l’usage de ces outils. Mais, maintenant les yeux de la syndicaliste sont grands ouverts. Vincent l’aide à parfaire toutes ses connaissances sur les dégâts planétaires. L’appel a émané de l’ONG 350 et Friday for et futur, à la suite de l’annonce de trois décès la veille. Suivi presque aussitôt par les associations locales, dont l’observatoire.
Les services de l’ordre ont dû réagir vite, tout comme les instances syndicales. Pour une fois la synergie débarque de la base. La dernière fois, c'était au moment de la COP ! C’est là où Becca a vu la jeunesse investir la rue. Le frémissement sur les réseaux sociaux annonce une bonne mobilisation. Aussi la trentenaire renforce les rappels concernant la sécurité. Ils demandent plus de bouteilles d’eau. La Croix-Rouge et les services de santé sont sur le coup. Cela risque d’être une belle journée d’action!
Il faut que tout se passe bien. Les Londoniens ont encore en tête les coups de feu de l’ambassade Serbe. La population en a assez d’avoir peur de son ombre. Rebecca entend leur désir de sortir “gueuler”. Le Parti envoie deux mecs pour couvrir la manifestation médiatiquement. Ils captent l’ambiance juste avant le départ du cortège. Ils envoient les images partout sur les canaux. Il est à peine 8h00 et le bloc encombre un bon ⅔ de la rue. C’est bon signe!
Rebecca se met en tête de cortège. Avec son t-thirt blanc, le brasard vert, la peinture sur le visage, elle se fond dans la masse vindicative. Elle envoie une photo à sa fille, Jane et à son compagnon de vie. l’Anglaise a déjà repéré des visages. Mais, et c’est la bonne nouvelles, des inconnu.es par centaine. Elle tend l’oreille. Les slogans fusent de toute part. -" Air ! for our ! childrennnn! " Airpod à l’oreille, elle écoute aussi le canal du staff organisateur. Les forces de l’ordre sont bien présentes aussi. La vigilance est à tous les niveaux.
-" Air ! for our ! childrennnn! " Devant, la voiture active les hauts-parleurs. Un bénévole de Greenpeace prend la parole pour énoncer les chiffres de l’année. En 2028 ça va chauffer!
Même en ayant organisé la marche tôt le matin, les températures sont hautes. Le Smog rôde autour du centre-ville. Becca circule entre les lignes pour filer des bouteilles d’eau aux manifestant.es. Elle scrute les visages, repère ceux qui ont chauds et les redirige vers les collègues. Il faut que tout se passe bien. La musique, les vociférations, les slogans sont forts. La vindict est puissant. C’est un élan qui donne la niaque. -" Air ! for our ! childrennnn! "
Une agitation se produit sur sa droite. Alors la syndicaliste oblique pour aller voir. Une jeune femme vient de s’évanouir. Ni une, ni deux, Becca demande aux amis de celle-ci de la déplacer en bordure. Dans le même temps, elle appelle le numéro d’urgence. Aucun risque inutile aujourd’hui. Il faut que tout se passe bien. -" L’un de vous reste avec nous. Les autres vous pouvez continuer. On s’en occupe. " Rebecca attrape un mouchoir en tissu et le mouille pour ensuite le poser sur le front de la cinquantenaire. En même temps, elle guette les pompiers.
28° à 7h du matin. Le réchauffement climatique ne cessait de s'accélérer et honnêtement, cela faisait peur à la jeune femme. Pour autant, il y avait certaines actions qu'elle ne pouvait pas soutenir. La manifestation de ce matin, au contraire, participait à celles qui avaient l'entier soutien de la pompier. Pourtant, elle ne s'y rendrait pas. En tout cas, ce n'était pas prévu. Aujourd'hui, elle était à la caserne. Elle n'avait eu d'autre choix que d'y retourner et c'était son jour de reprise. Impossible de reculer davantage le moment de sauter le cap. Son nouveau capitaine était carrément venu la voir chez elle, ayant compris que c'était la peur qui l'empêchait de traverser la rue pour reprendre le travail. La peur, ou l'appréhension. Il lui avait promis qu'ils iraient doucement, pour l'instant. S'il y avait un feu, il ne serait pas pour elle. Elle aurait, plutôt, des missions de secours: accidents, malaises, ce genre de choses. On ne pouvait pas dire qu'elle avait très bien pris la chose, mais elle se devait de l'accepter. C'était déjà un pas en avant. Le plus compliqué, toutefois, c'était que son fiancé avait été son capitaine, jusqu'à sa mort et voir quelqu'un d'autre à cette place était hardu, pour la brune. Ce qui l'avait un peu surprise, néanmoins, c'était qu'il ait proposé que Syrius devienne la mascotte de la caserne et qu'il l'accompagne là-bas. Bien sûr, il ne pourrait pas venir sur les interventions. Néanmoins, c'était un soulagement pour Kath que d'avoir la présence du chien sur son lieu de travail. Elle l'avait remercié, et avait attendu qu'il soit parti, quelques minutes après, pour prendre l'animal dans ses bras et pleurer contre son échine. Lui, le seul témoin de cette fragilité, de cette blessure encore béante.
Kathaleen était donc en service depuis 6h du matin, et prenait son petit déjeuner avec ses collègues malgré sa gorge nouée. Certains commentaient la canicule, d'autres ne cessaient de lui taper sur l'épaule pour lui souhaiter un bon retour. C'était gênant, cela la mettait mal à l'aise. Pourtant, elle faisait comme si de rien n'était, consciente que son père finirait par l'apprendre sinon.
Ce fut presque avec soulagement qu'elle entendit l'alarme se déclencher et le dispatch appeler l'ambulance pour se rendre sur le lieu de la manifestation. Bien sûr, Kathaleen ne serait pas seule, dans le véhicule de secours. Ils seraient deux. Mais elle ne s'était pas attendue à ce que ce soit son capitaine qui l'accompagne. "Vous faites du baby-sitting, Capitaine?" demanda-t-elle sur le trajet. Il sourit, une fossette se creusant sur le creux de sa joue, du côté de sa passagère. Ignore ce genre de détails, ça ne peut que t'amener dans les emmerdes songea-t-elle, détournant la tête vers les rues qui défilaient jusqu'au site d'intervention. "Je veux juste m'assurer que tout se passe bien pour ta reprise, Michigan. Et tout le monde se tutoie, à la caserne." Sauf qu'elle ne voulait pas prendre le risque de faire sa connaissance. Elle n'avait pas envie de se rapprocher de lui. Heureusement, ils arrivèrent à cet instant, lui économisant une réponse.
Elle descendit du véhicule, ouvrit la porte arrière pour prendre le matériel de premier secours avant de fendre la foule avec son capitaine jusqu'à l'endroit où les attendaient la victime, ainsi qu'une syndicaliste bien connue de la pompier. La jeune femme souffla un coup avant d'enfiler son masque de professionnalisme. "Dites-nous. Que s'est-il passé? Quels sont les symptomes?" demanda-t-elle sous le regard scrutateur de son capitaine.
Le groupe s’est mis en retrait, autant que possible malgré la densité de population au mètre carré. Peterson a tout de suite sorti une bouteille d’eau et une serviette en papier pour rafraîchir le front de l’inconnue. Tous les deux ans elle participait au stage de premier secours pour garder les bons réflexes. Un choix avisé puisque cela a aidé à gérer quelques situations du genre de celle-ci. Mieux vaut toujours être paré pour l’imprévu.
Deux uniformes de devinent au milieu des manifestants en colère. Becca lève un bras pour faire des signes qu’ils les repèrent au plus vite. Ils sont deux, bien assez pour une intervention rapide, cette fois. Le hasard fait que Kathleen Michigan lui a été envoyée. Rebecca se souvient de cette jeune femme. Elle a écouté ses interventions. Mais, maintenant qu’elle la voit, elle se rend compte qu’elle ne l’avait pas vue depuis un moment.
Les deux femmes échangent un regard. -"Dites-nous. Que s'est-il passé? Quels sont les symptomes?" demanda-t-elle.
Un petit sourire détend le visage de l’Anglaise. -" Salut. Kathleen … " La section de Rebecca recrute surtout au sein des services publics. C’est elle qui s’occupe du secteur de la caserne. Depuis, deux, trois ans les adhésions augmentent. Les services de santé sont saturés et les médecins épuisés. Un phénomène qui se retrouve plus ou moins sensiblement dans toutes les branches. Cela fait aussi partie des revendications de cette manifestation populaire. -" Un évanouissement. " L’eau sucrée fait souvent le travail. Il n’est pas forcé de déplacer quelqu’un jusqu’aux urgences. Les deux amis de l’inconnue ajoutent les précisions que la syndicaliste n’a pas.
-" Tiens. " Rebecca a demandé le porte-feuille de jeune femme à ses petits camarades. En plus de la carte d’électrice, des bons d’achats, il y avait une carte d’information médicale: détresse respiratoire. Les hôpitaux publics ont créé cette carte après les premières vagues de smog des années 2000. Un fichier national répertorie tous les patient.es à risque. Lucy Morlay est visiblement l’une de ces personnes. -" Je n’ai pas voulu prendre de risques. " D’ailleurs le teint affreusement pâle de l’inconnue lui donne peut-être raison.
Sur leur flanc est il y a de l’agitation. Un groupe de protestataires échange des mots forts avec des représentants de l’ordre. La foule est attirée par le chahut qui règne. Rebecca observe tout ça d’un œil prudent. -" On ne devrait pas trop traîner. " Pile à cet instant, une détonation tonne à trois mètres d’eux. Par chance ce n’est qu’un pétard. Mais, cela ne fait qu'attiser l’excitation du groupe. Pour bien connaître les phénomènes de ce style Peterson commence à accélérer. Elle ne se sent pas du tout tranquille. Maintenant, c’est son instinct qui lui commande de bouger de là.
