Le sang coule
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La voiture de Dallas traversait le brouillard à toute allure. Il y avait peu de conducteurs dans les rues de la ville aussi tôt le matin, au moment où les étoiles disparaissent. Les rares lumières qui s’échappaient de fenêtres d’appartement isolé semblaient avalées par le noir de la nuit, froides et minuscules.

Arrivé à la morgue, Dallas n’aperçu aucune lumière, mais il n’y en avait pas moins de l’activité à l’intérieur. Quelle chance que Gustav puisse leur ouvrir cet endroit, si pratique dans ce genre de circonstances. Circonstances que Dallas aurait préféré éviter, mais on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, comme on dit. Quelle chance également d’avoir Edward. Infiniment mieux qu’un vétérinaire. Fiable en plus. Quant à David… eh bien, il était l’un des plus enthousiaste, après Magenta, et Jaune.

Dallas laissa sa voiture dans le parking derrière le bâtiment. Il savait par où passer, pas où aller, pour se rendre jusqu’à eux. Ce n’était pas le premier blessé et ce ne serait pas le dernier. D’une main, Dallas repoussa l’une des deux portes à battants. Les néons au plafond donnaient à son visage sévère un aspect encore plus dur. Étendu sur le dos sur la civière de métal, le petit perdait rapidement du sang, mais Edward s’était déjà occupé de la perfusion. Gustav était aussi blafard que s’il avait été lui-même touché. Il n’avait pas été endurci par la guerre, comme Dallas l’était.

Bien qu’Edward adressa sa question à Gustav, Dallas prit la peine de répondre pour lui. «Ça, c’est l'œuvre d’une 22 millimètres à tête ronde», dit-il, la voix dénuée de la moindre hésitation. Pour perdre autant de sang, il fallait forcément que la balle ait pénétré profondément les chairs, mais la plaie n’était pas béante comme celle qu’on retrouve sur les victimes des munitions de fusil de chasse. S’ils agissaient vite, il pouvait encore être sauvé.

Dallas tapota l’épaule du gamin. Même s’il était à demi dans les limbes, il pouvait encore ressentir leur présence. Le vétéran roula ses manches jusqu’à ses coudes et entrepris d’apporter forceps, scalpel et autres outils chirurgicaux à Edward. Puis, il reporta son attention sur Gustav. «C’est la dernière fois qu’on tente quoi que ce soit chez les Irlandais», promit-il, une colère contenue dans la voix. Frustration dirigée contre lui-même, pas contre Gustav. «Qu’est-ce qu’il s’est passé?»

Les Italiens, avec qui Dallas avait toujours eu d’excellentes relations, avaient été les «sponsors» de l’attaque, en quelque sorte. Depuis que Desmond avait brûlé les centaines de milliers de dollars contenus au Pawn Shop, l’organisation était au plus mal, financièrement. Il avait eu un petit retour sur l’assurance, mais les objets qui valaient le plus, Dallas ne les avait pas déclarés, puisqu’ils étaient illégaux, ou volés. Les Italiens avaient alors proposé à Dallas une somme importante, à condition de viser spécifiquement les Irlandais. Un marché qu’il n’aurait pas dû accepter, mais il ne referait pas la même erreur deux fois.

Le sang coule
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Dallas regarda Gustav comme s’il venait de s’adresser à lui dans une autre langue. «Comment ça ‘’plus nombreux que prévu’’?», dit-il en dévisageant le visage pâle de son confrère. «Ça ne vous a pas passé par l’esprit de partir en éclaireur AVANT de vous jetez sur eux?» Peu importe que l’information ait fuité ou pas, c’était de la pure débilité que de se lancer dans une mission sans savoir ce qu’il y a en face. Le pire c’était qu’il savait ce qu’il y avait en face, et pourtant, ils avaient quand même foiré la mission. «Depuis quand on attaque la mafia irlandaise avec deux gars putain?! Use your got damn brain for fuck sake!»

Était-il censé s’occuper de tous les plans d’attaques maintenant? Comme s’il avait que ça à foutre! À cause de leur connerie, le petit jeune étendu sur la table allait peut-être bien passer l’arme à gauche, malgré les talents de Hammer. Malgré l’envie d’engueuler davantage Gustav, Dallas se tut, à la demande d’Edward.

Finalement, l’urgentiste réussit à maîtriser l’hémorragie. Bonne nouvelle sans doute, mais Dallas restait peu optimiste. Il sortit de la poche de sa veste une enveloppe contenant le paiement dû à Edward, et le lui tendit. Peu importe que White vivait ou crevait, il avait fait son boulot comme il l’avait pu. «Merci doc», lui dit-il d’une tape sur l’épaule. Moins à cran que tout à l’heure, Dallas s’empêcha de reprendre là où il avait laissé la conversation entre lui et Gustav. Cependant, il n’allait pas s’excuser de son ton.

Quant à ce qu’ils devraient faire avec le blessé, Dallas avait sa propre idée, malgré les recommandations de Hammer. «Le petit ne va nulle part». De sa poche, Dallas sortit un paquet de chewing-gum vert, ceux qu’il prenait pour arrêter de fumer. Pas aussi satisfaisant que le vrai truc, mais ça l’empêchait de craquer, et là, Il en avait plus que besoin. Après en avoir jeté trois sous ses dents, il continua. «Si on le ramène chez lui et qu’il canne, ça nous oblige à re-transporter le corps ailleurs. Et puis merde, il est trop faible pour se faire balotter en bagnole où que ce soit». Même si Hammer avait fait un travail de pro, si sa famille ou un proche de White le retrouvait mort, et découvrait ses blessures par balles, ça pourrait attirer l’attention sur eux. «À moins que tu aies une meilleure idée de où on pourrait le cacher en attendant, Gus…C'est le moment d'être intelligent alors fait gaffe à ce que tu va dire».

Le sang coule
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Dallas considéra l’idée de Gustav. Un centre pour soutien aux sans-abri était une bonne idée. Ils ne refuseraient pas quelqu’un en détresse, et cela leur permettrait peut-être d’amener le jeune à l’hôpital, pour qu’il reçoivent des soins plus complets. «D’accord, rendons-nous là-bas», acquiesça finalement Dallas. Il ne restait plus qu’à chercher le brancard. Au moment où il tournait les talons pour aller le chercher, Hammer, nerveux, reprit ses mouvements autour du patient, soudainement pris de spasmes. Dallas figea, et échangea un regard avec le médecin, qui se creusait de nouveau la tête pour savoir ce qu’il clochait. Ils ne mirent pas longtemps avant de le savoir.

Quand Hammer voulu le redresser, le jeune régurita la bile noire de son estomac, corrompue par son propre sang. Aussitôt qu’il vit cela, Dallas su déjà que c’était trop tard pour le gamin. Il avait vu ses confrères et consoeurs de guerre périr au combat de cette façon. S’ils ne pouvaient pas être ramenés à la base militaire à temps, ils étaient condamnés, car seule la chirurgie pouvaient les sauver. Une hémorragie interne, dans le ventre qui plus est, ne pardonne pas.

Hammer fit tout en son pouvoir pour sauver White, alors que Dallas, impuissant, ne pouvait que regarder l’urgentiste échouer. Un pli dur se forma sur sa bouche lorsque le verdict tomba finalement. L’atmosphère déjà lourde devint étouffante par la présence de la mort qui venait chercher son dû, alors que les trois hommes, en silence, n’avaient d’autre choix que la laisser faire. «J’ai de l’eau dans la voiture, je reviens», dit-il, que Hamme réclama à boire. De toute façon, il avait autre chose à ramener ici.

Après avoir récupéré la bouteille d’eau, Dallas ouvrit la valise de sa voiture, et coinça sous son bras une grande bâche. Ce genre d’outil est pratique quand on va aussi souvent dans la forêt que lui. Elle servait à toutes sortes de choses, comme transporter du bois, créer un abri temporaire ou un coin pour s’asseoir sans poser son cul sur les orties et les chardons. Elle servait aussi, de tant en tant, à transporter des cadavres.

De retour dans la pièce, Dallas tendit la bouteille d’eau à Hammer. «Voilà. Vous tenez le coup?». Le vétéran se doutait que tout ça n’était pas facile pour l’urgentiste. Il savait à quoi s’attendre, en acceptant ce job, mais même quelqu’un qui avait l’habitude serait secoué par ce genre d’événement.

Dallas se tourna alors vers le jeune White. Au moins, il avait l’air paisible maintenant. Les traits durs de de l’ancien militaire s’adoucirent lorsqu’il s’adressa directement à lui, une main sur l’épaule. «J’suis désolé gamin. Tu méritais bien mieux que ça. Je t’emmènes une dernière fois au chalet, et je vais te trouver un joli quoi pour passer l’éternité», lui promit-il. C’était la moindre des choses de ce qu’il pouvait faire à présent. «Gus… Quelque chose à dire?»

Les prières et tout ça n’était pas trop le genre de Dallas, surtout parce qu’il avait été élevé comme laïque. Pendant son service militaire, il y avait toujours une petite cérémonie, avec un prêtre, pour rendre hommage aux disparus et tombés au combat. Il avait beau ne pas être croyant, il appréciait ce genre de rituel, respectueux, et plein d’espoir malgré tout.