Le retour de Hans après de longues vacances en Allemagne avait été annoncé quelques jours avant sa venue au poste. Son intérimaire lui avait fait un bilan de la situation avant sa venue officielle, notamment en ce qui concernait la mafia Serbe et les Anarchistes, où dans les deux cas, il n’y avait eu que peu d’avancées. Hans continuait de croire en Lemoine et Maxyne pour faire des progrès de leur côté, mais côté Anarchistes, il n’avait que peu de pistes, et Hans avait peut-être une idée pour y remédier.

Peut-être, seulement peut-être, car convaincre le principal intéressé de prendre les rênes de l’enquête risquait de ne pas être simple. Ils ne s’étaient pas quittés en bons termes, mais comme sa mère, Zac avait été têtu, alors, Hans considérait ne pas avoir eu le choix. Renvoyé pour insubordination. Quant à la Strike, elle ne manquait à personne. En tout cas, pas à Hans. Il n’avait jamais voulu de cette équipe et de ses moyens douteux pour faire appliquer la loi. L’Allemand espérait seulement que Zac avait pu réfléchir à ses actions : protéger des policiers corrompus comme Lemoine ne donnait rien de bon.

Le dossier de Lemoine avait été mis à jour d’ailleurs. Hans ne pouvait pas faire comme si leur sauvetage à l’Ambassade et leurs dissimulations de preuves et de témoins n’existaient pas. Heureusement, la seule à avoir eu de la jugeote, Maxyne, avait fini par tout lui expliquer, ainsi que l’origine de sa réticence à faire confiance à la police, ce que Hans pouvait comprendre. Lemoine était donc libre, pour le moment, et son dossier était confidentiel. Il le demeurerait tant qu’il était sur l’affaire Serbe.

Pour le dossier de Zac, Hans avait dû le chercher dans un tiroir des affaires classées. Il n’était pas aussi épais que celui de Lemoine, mais il restait bien garni. Zac, qui avait accepté de venir le rencontrer dans son bureau, ne devait pas être dupe quant à la raison de sa demande. Hans se demandait seulement ce que le jeune Sanders-DeLascelle en penserait.

«Bonjour Zac», le salua-t-il lorsqu’il entra dans son bureau. «Assied-toi, je t’en prie». Hans se leva, laissa Zac prendre prendre, et referma la porte de son bureau. «Comment vont tes parents? Et ta soeur?» Hans avait eu vent de la venue au monde du premier petit-fils de Zenon et Amélia, même s’il ne l’avait pas encore rencontré. Il avait cependant eu à faire à Dalia, ce Noël. La petite avait charmé tout le monde. Surtout sa grand-mère, qui n’avait fait aucune rechute ou crise pendant la venue des Hadid. Hans aimait taquiner Alex en disant que la présence de Dalia la rajeunissait peut-être.

Quoi qu’il en soit, à son départ d’Allemagne, la Princesse d’Hanovre allait aussi bien qu’elle pouvait allait, si on oubliait sa tristesse de le voir partir. Hans aussi avait été triste de partir. Il avait trouvé cela étonnant d’ailleurs. Il avait toujours vécu pour son métier, mais aujourd’hui, son travail n’était plus ce qu’il avait de plus important dans sa vie, et cela se voyait dans son attitude : plus détendu, moins abrasif, et surtout, moins inquisiteur. Il continuait de croire qu’il fallait faire les choses dans les règles, mais l’époque de surveillance de ses policiers était terminée. Du moins, il essayait de faire confiance.

«Et toi, quoi de nouveau dans ta vie?». On parlait souvent de Joy, Amélia et Zénon, mais Zac aussi devait bien avoir des choses à raconter. Il avait peut-être même appris de ses erreurs. «Que fais-tu exactement, ces derniers temps? Te cherches-tu toujours un travail, ou as-tu trouvé quelque chose?». Après tout, il ne manquait pas de ressources, ni d’intelligence pour remplir le poste qu’il souhaitait. Zenon était tout de même son père, alors en tant qu’ancien militaire mais aussi comte anglais, il devait être bien connecté. Il n’y avait pas de honte à se servir de l’influence de ses parents, si c’est ce qu’il avait fait. À sa place, Hans aurait fait la même chose.

«Content de l’entendre», répondit-il en apprenant que tout le monde se portait bien chez les De Lascelles. «Tu sais si tes parents sont occupés samedi prochain? Je voudrais passer les voir avant de rentrer». Au pire, il pourrait peut-être croiser Zenon au club facilement, tout comme Caleb. Il ne serait pas contre frapper des balles sur le terrain de pratique, ou peut-être essayer de les convaincre de faire quelque chose de plus cardio, comme du jogging, si l’un ou l’autre n’avait pas mal encore quelque part. Quant à Amélia, il aurait même osé dire qu’elle lui manquait aussi. Bref, un dîner quelque part s’imposait.

À son tour, Zac s'enquît des nouvelles d’Alexia, et Hans considéra l’ancien policier avec surprise. Toute sa vie, il s’était arrangé pour que l’affection mutuelle entre lui et la Princesse demeure secret, mais en peu de temps, les choses avaient changé. Tous ceux et celles qui s’étaient opposés à eux étaient morts, et les quelques-uns qui restaient n’allaient pas les empêcher de faire ce qu’ils voulaient, c’est-à-dire, être ensemble.

La santé de la Princesse était à lui seul un tout autre sujet. «Bien», répondit le commandant, avant de soupirer. «Gentil de ta part de prendre de ses nouvelles». Que Zac soit au courant ou non des problèmes de santé d’Alexia, valait mieux éviter d’entrer dans les détails. Comme tout le monde, Alexia avait sa fierté, et elle préférait que sa santé reste dans le domaine privé. Hans s’était assuré que les personnes nécessaires soient au courant, mais pas plus.

Heureusement, ils changèrent vite de sujet, et Zac parla de sa nouvelle moto. «Tiens, voilà une chose que tu as en commun avec ton père. Il adore recevoir des moyens de transport en cadeau. Enfin, lui c’est des voitures et des bateaux, mais bon, chacun votre affaire». Hans n’en avait jamais compris l’attrait d’ailleurs, mais si cela leur faisait plaisir et qu’ils respectaient le code de la route, tant mieux pour eux.

Lorsque Zac lui demanda s’il s’ennuyait à la campagne, Hans secoua la tête. «Figures-toi que non. J’en suis moi-même étonné, mais c’est la vérité. Ce n’est pas la même chose, mais je m’habitue. À vrai dire, je suis ici seulement pour préparer mon remplacement». Jamais il n’aurait pensé dire ça il y a un an. Il était encore en forme. Relativement. Et Londres avait été sa ville d’adoption pendant plus de trente ans. Il avait travaillé à la rendre plus sûre et faire payer ceux qui le méritaient. Il n’avait eu que son travail pendant toutes ses années.

Aujourd’hui cependant, Hans avait autre chose. Quelque chose auquel il accordait beaucoup plus d’importance que tout le reste. Bien sûr, Alexia devait le trouver insupportable quand s’asseyait pour lire et qu’il ne pouvait pas rester en place, mais ils finissaient toujours par trouver l’équilibre. Maintenant qu’ils pouvaient être ensemble, Hans n’avait aucune envie de la quitter pour continuer à demeurer commandant. Alors autant laisser la place à quelqu’un d’autre.

Toutefois, Hans tenait à mettre ses affaires en ordre avant de prendre sa retraite de la police. «Je voudrais vous mettre en charge de la mission concernant les Anarchistes. Ça vous tente, ou pas?», lui demanda-t-il, sans plus de cérémonie. Inutile de tourner autour du pot, surtout avec ce garçon, qui comme sa mère, se méfiait de tout.

Cela va sans dire, Hans allait appeler. Jamais il n’arrivait chez quelqu’un à l’improviste, de toute manière. Il pourrait informer Zenon et Amélia de la santé d’Alexia, et Zenon pourrait en informer Oliver. De toute manière, il n’y avait que lui qui arrivait encore à lui parler. Oliver s’était mis tout le monde à dos. Cela n’avait rien de surprenait vis-à-vis de Hans, avec qui il ne s’entendait déjà pas du tout, mais ni Violet, ni Alexia ne lui adressait la parole. Iris le faisait peut-être. Hans aurait pu en être désolé pour lui, si Oliver frapper dans les côtes en apprenant la décision de sa femme de quitter le pays, et d’emporter Hans avec elle.

Après cela, il n’avait plus entendu parler de lui, et c’était tout aussi bien. Depuis, Hans se sentait enfin libre, et lui, n’avait pas eu besoin d’avoir une moto. «Mh», dit-il face à l’argument de son ancien collègue. Zenon avait le même. Hans avait toujours soupçonné que son ami préférait dire ça plutôt que d’avouer que c’était pour séduire la gente féminine.

Parlant de gente féminine, il n’avait pas été exclu que, cette fois, ce serait une femme qui obtiendrait le poste. Du moment qu’elle était compétente, Hans n’y voyait pas d’objection. Cependant, les candidatures venaient à peine d’être reçues par l’administration. «Non, je ne le sais pas encore moi-même. Lemoine devrait peut-être essayer, qu’on rigole un peu». Lui qui se vantait d’avoir l’âme d’un chef, le mâle alpha de sa petite meumeute, il aurait un sacré challenge en tant que commandant. Cependant, avec le dossier qu’il avait, c’était mal parti.

Zac, en revanche, n’avait pas un aussi mauvais dossier. Il était seulement un peu trop jeune pour le poste. Il lui manquait quelques faits d’armes, pour reprendre le vocabulaire militaire de Zenon, fut un temps. Dépendamment de la résolution de la mission qu’il souhaitait lui confier, il aurait peut-être des chances. Lorsque Zac lui demanda des détails, Hans lui confia le dossier papier de l’affaire, à l’intérieur d’une chemise. La fille de Lemoine avait des informations, mais elle n’avait pas encore été interrogée en bonne en dûe forme. «Si j’étais toi, je commencerais par poser des questions à Louisa Lorca, la fille adoptive de Lemoine», dit-il en tapotant son stylo sur le compte-rendu de l’affaire. «Elle a travaillé pour Newham’s Pawn Shop jusqu’à ce que la boutique prenne feu. Incendie criminel. Le propriétaire, Dallas Jackson, est persuadé que le responsable est son ancien employé, Desmond Gold. Aucun des deux ne sont dans notre banque de données, donc pas de casier, mais l’un ou l’autre, ou les deux, auraient des liens avec les Anarchistes, d’après Lorca».

Bref, toute l’histoire était étrange. Tout pointait effectivement vers Gold en ce qui concernait l’incendie. Puisqu’il n’y avait aucune trace d’effraction, et que Gold était le seul à avoir la clé de la boutique, hormis le propriétaire lui-même. Cependant, ce dernier n’avait pas trouvé de mobile pour expliquer le comportement de son employé, qui était recherché depuis. «Pour la suite, tu as carte blanche… Enfin, dans les limites de la loi. As-tu l’intention d’essayer de les infiltrer? Il faut dire que les marges de manœuvre sont plus généreuses, en tant qu’agent double».

C’était une expérience que Hans n’avait jamais faite lui-même. Il n’aurait pas pu le faire, il le savait bien. Il fallait être particulièrement habile pour s'immiscer dans ce genre de groupe criminel. Si Zac y arrivait, ce serait tout à son honneur.

Patient comme un pêcheur qui attend le poisson, Hans regarda Zack examiner le dossier, en se demandant s’il allait mordre à l’hameçon. À bien y penser, l’affaire était tout à fait dans ses cordes. Il avait déjà de l’expérience avec les infiltrations, et une affaire comme celle-là devait forcément le rendre curieux, car on savait bien peu de choses sur les Anarchistes. Tout reste à découvrir, ou presque. De plus, sa famille avait été touchée, indirectement, par l’attaque de l’ambassade. Hans se doutait que cet aspect-là le motiverait. S’il réussissait, il en aurait tout le crédit.

«Non, pas exactement», précisa Hans en pinçant les lèvres. «Il n’y a pas eu de témoignage ou d’interrogatoire officiel, mais elle en a parlé officieusement à Lemoine. Tu me connais suffisamment pour comprendre que je veux que tout soit consigné officiellement, et si jamais ce dossier va en Cour, il faudra plus que des ouï-dire». Si Louisa avait été mineure, Hans aurait peut-être accepté la version rapportée, mais elle était adulte, et rien ne valait mieux qu’une déposition en bonne et due forme. Il était peut-être fatigué d’être commandant, mais il y avait certaines choses qui ne changeraient pas. «Enfin, tu la connais un peu non? Louisa? Tu penses qu'elle acceptera de te parler?»

En voyant Zack glisser la copie du dossier dans son sac-à-dos, Hans comprit que c’était dans la poche, et que l’affaire finirait peut-être par avancer. Le commandant se redressa dans sa chaise pour regarder Zack dans les yeux. «Fais ce qu’il faut. Secoue ce qui doit être secoué, dans les limites de la loi, évidemment. J’essaierai d’être plus flexible s’il s’agit d’une infiltration, mais sur ce coup-là, ne me cache rien. Je m’attends à ce que tu sois transparent avec moi», asséna-t-il, en accompagnant ses mots de tapotements de stylo contre le bois de son bureau. «Est-ce qu’on est d’accord?» Fallait-il lui rappeler pourquoi il avait perdu son boulot la première fois? En aidant Lemoine à dissimuler la relation qu’il entretenait avec Ileana, il s’était rendu coupable d’insubordination et d’entrave à la justice.

Tout ça aurait pu être évité si Hans avait été mis au courant, mais la Strike avait préféré en faire à leur tête. Il espérait que Zack avait changé sa façon de faire désormais. «Tu disposes de 55 000 £ pour l’instant. Si l’enquête progresse, je veillerai à te libérer plus de fonds». Pour convaincre l’administration, il en faisait son affaire. Tout ce qu’il fallait, c’était des preuves que l’affaire avançait bel et bien. «D’autres questions?»

Patient comme un pêcheur qui attend le poisson, Hans regarda Zack examiner le dossier, en se demandant s’il allait mordre à l’hameçon. À bien y penser, l’affaire était tout à fait dans ses cordes. Il avait déjà de l’expérience avec les infiltrations, et une affaire comme celle-là devait forcément le rendre curieux, car on savait bien peu de choses sur les Anarchistes. Tout reste à découvrir, ou presque. De plus, sa famille avait été touchée, indirectement, par l’attaque de l’ambassade. Hans se doutait que cet aspect-là le motiverait. S’il réussissait, il en aurait tout le crédit.

Puisque Zac connaissait déjà Louisa, elle se confierait plus facilement à lui, et l’enquête finirait peut-être par avancer enfin. «Bien», approuva Hans d’un signe de tête. «Commence donc par là, tu trouveras forcément quelque chose». En tout cas, c’est ce que Hans supposait.

Quand le jeune loup lui demanda s’il pouvait discuter du dossier avec la Strike, le commandant eut l’envie viscérale de dire non, mais avant de répondre, Hans se mordit les lèvres. Le sujet du dossier avait beau être sensible, ce n’était pas un secret. L’Allemand était d’avis que le moins de personne au courant, mieux ce serait, les anciens membres de la Strike étaient un nombre restreint. Finalement, il poussa un soupir. «Oui, tu peux, si tu souhaites avoir leur avis», décréta le commandant avec une pointe de lassitude. Même après l’avoir dissoute, la Strike refusait de mourir. «Mais vraiment, je ne veux pas la moindre entourloupe dans ce dossier. Si vous comptez faire quelque chose, vous me prévenez avant».

Hans savait qu’il se répétait mais il voulait être bien certain que ces directives soient parfaitement gravées dans le crâne de Zac pour ne pas qu’il les oublie. «Je te donne une chance parce que je sais que tu es un bon policier». Il voulait bien donner ça à Zac; il avait le même sens de la justice que son père. Il avait été un atout dans ce poste, en dépit d’être sous l’influence de Lemoine. «Mais ce sera la dernière, si je m’aperçois que tu enfreins les lois». L’attitude cowboy de la Strike avait fait son temps. Le poste avait besoin de policiers, pas de mercenaires qui n’en faisaient qu’à leur tête et qui agissaient impulsivement.

«Pour le moment, personne. On a si peu d'informations que l’aide d’Interpol serait une perte de temps et d’argent». Ils n’étaient même pas certains que la cellule dont il était question était en contact avec d’autres. «De l’aide s’ajoutera quand le dossier sera plus étoffé». Et pour ça, il fallait se lancer.

Zac avait au moins une piste, en fouillant du côté de Louisa, deux noms, et des circonstances étranges. C’était peu, mais ça valait tout de même la peine de creuser. Hans se leva de son bureau. «Si tu n’as pas d’autres questions… J’ai beaucoup à faire avant mon départ. Tu peux me rejoindre dès que tu auras des informations», lui dit-il en le raccompagnant à la porte. «Et merci d’avoir accepté ce dossier. Je sais que tu as tout ce qu’il faut pour le résoudre Zac».