Which of the two is recruiting?

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Le patron du bar posa la chope qu’il nettoyait avec un linge pour jeter un coup d’oeil à la carte que le nouveau venu venait de poser devant lui. Puis, il écouta, stoïque, le récit de guerre, semblable à beaucoup d'autres qu’il avait déjà entendu depuis qu’il avait ouvert le bar. Trapu, Maurice de Chez Maurice avait la carrure d’un tonneau de bière, des bras courts mais épais comme des troncs d’arbres. Dans sa jeunesse, il étalait ses adversaires au sol d’un seul coup de poing, mais aujourd’hui, il laissait cet art à de plus jeunes que lui.

D’un regard, il jaugea le trentenaire, remarqua qu’il avait des tatouages sur les mains, plus communs que ceux de Maurice, ancrés à vie sur son visage. Une larme noire sous l’oeil droit, A.C.A.B au-dessus du sourcil gauche. Maurice zyeuta ensuite derrière l’artificier. Comme de fait, le récit avait attiré l’attention de Dallas. Maurice lui fit un signe de tête approbateur, et Dallas se leva finalement pour rejoindre le nouveau venu.

Dallas regarda la carte de Ian avec plus d’intérêt que l’avait fait le patron du bar. «Un expert en explosif hein? J’imagine que si tu cherches du boulot ici plutôt qu’à Pôle emploi, c’est que t’as pas envie d’être un gars productif. Ou que t’es nostalgique», supposa le vétéran. «T’as pas un boulot de jour?» On peut sortir le gars de l’armée, mais pas toujours l’armée du gars. Il y avait plein de raisons de passer à autre chose, sauf que les souvenirs restaient toujours, et surtout les mauvais.

«Maurice…Deux bières, s’il te plait», l’apostropha Dallas, avant de revenir à Ian. «Alors, c’est quoi ton histoire?» Ça lui donnerait un moyen de savoir si continuer la conversation en valait la peine ou pas. C’est de gens mentalement stables qu’il voulait. Mentalement et physiquement d’ailleurs. Il ne voulait pas non plus de délinquants ou de vétérans en manque d’action. Ceux-là n’avaient pas de conviction ou de volonté. Beaucoup aimaient vanter leur talent et leurs mérites, sans avoir le courage d’agir quand il le fallait. Ian avait donc intérêt à bien répondre.

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«T’as quelque chose contre les vigiles?», demanda Dallas, à demi amusé par la réticence du nouveau venu face au boulot que lui avait proposé le gouvernement. Selon lui, c’était toujours mieux ça que d’être au chômage ou à la rue. Visiblement, Ian aurait préféré quelque chose de plus prestigieux. Ce n’était pas une mauvaise chose; les gens avec de l’ambition avaient leurs atouts, à condition de rester humble. Qu’est-ce que ce type aurait préféré avoir comme boulot? Garde du corps pour un ministre?

En même temps, Dallas comprenait le sentiment. Il avait pensé la même chose au début, peu après son retour au pays. D’un signe de tête, le vétéran remercia Mau quand ce dernier leur apporta leur bière. Quand Ian mentionna son dégoût pour le roi, Dallas jeta un oeil au petit portrait de la vieille Reine que le propriétaire gardait toujours derrière le bar, par nostalgie justement. Pour bien des gens, elle avait été comme une sorte de grand-mère. La grand-mère du pays. Depuis son décès, les gens ne se gênaient plus autant pour critiquer la monarchie. Pourtant, Ian donnait l’impression qu’il était nostalgique d’un temps beaucoup plus lointain. «Désolé de te l’apprendre, mais le Roi ne fait qu’approuver les décisions du gouvernement. Il pourrait ne pas être là, ça ne changerait rien», lui dit Dallas. La vieille Reine était peut-être aimée du peuple, mais c’était autre chose pour ses héritiers. «Donc t’es nostalgique de quoi? De la bonne vieille monarchie où le Roi faisait tout ce qu’il voulait?»

Est-ce qu’il était monarchiste finalement? C’était tout à fait possible. Beaucoup dans cette pièce l’étaient, peut-être parce que le gouvernement ne leur plaisait pas et qu’ils estimaient que tout serait moins compliqué si une seule personne, un leader fort, dirigeait tout.

Dallas écouta attentivement l’histoire de Ian, qui ressemblait un peu à la sienne. Lui aussi était allé au Moyen-Orient. En Afghanistan. «Pourquoi tu t’es engagé?». Lui, l’avait fait par conviction, par sentiment du devoir envers son pays, par envie de le protéger contre les menaces, les terroristes. D’autres l’avaient fait par dépit, ou parce qu’ils n’avaient pas d’autres options. Dans tous les cas, personne ne savait vraiment dans quoi ils s’embarquaient.

Dans ce que dit Ian, Dallas y trouva beaucoup de vrai. Il n’avait pas l’air fier de son service. Ni de la raison pourquoi on l’avait envoyé là-bas. Le pétrole était évidemment en cause, sous prétexte que la démocratie était menacée, bien entendu. Le récit de torture le dégouta particulièrement. «Putain de merde», lança-t-il en fronçant le nez. «Désolé que t’ait vu ça, mais j’ai pas envie de tout savoir. J’ai vu suffisamment d’horreurs, j’ai pas envie d’imaginer les tiennes mec».

Dallas avait beau être désensibilisé à la vue d’un cadavre, ou au fait de tuer quelqu’un, il n’était pas sadique au point de vouloir y être exposé. Ce qu’il faisait avec les Anarchistes était un moindre mal. Contrairement à son temps dans l’armée, cette fois, il le faisait pour quelque chose. Il avait un véritable but. Puis, une balle dans la tête est une mort douce après tout. Tout de même, cette histoire de torture venait de l’ébranler. Dallas aurait tout donné pour que certains souvenirs n’existent plus. «Les décisions sont peut-être prises ici, mais elles sont quand même merdiques», affirma-t-il en buvant une gorgée de sa bière. «Que ce soit un roi tout-puissant ou le gouvernement qu’on a en ce moment, ils nous enverraient quand même là-bas pour tuer tout ce qui bouge».

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Voilà qu’Ian disait bien vrai. Dallas approuva d’un signe de tête. «Le Brexit, c’est qu’une loi de plus pour restreindre nos droits. Vivre en société, c’est pas suivre des règles instaurées par une poignée d’élite». Petite élite qui n’en avait rien à foutre du peuple. Qu’ils soient de gauche ou de droite, c’est du pareil au même. «Ils veulent nous faire croire qu’on est dans une démocratie, mais on a notre mot à dire qu’une fois tous les cinq ans, et encore». Qu’une espèce de course de chevaux réglée par les sondages, le commentariat et le découpage du peuple en clientèles. Les médias finissent d’influencer le vote et les gens se retrouvent à voter par dépit plutôt que par conviction, parce qu’en votant par conviction, on perd toujours son vote.

Lui aussi avait été aveugle. Il avait fallu qu’il atterrisse au fond de l'Afghanistan avant de comprendre que personne au gouvernement ne se souciait du peuple. «Pour défendre la démocratie et la paix», dit-il, ironique. «Dans les faits, c’était pour mettre le feu et le sang, tant qu’on a du pétrole et qu’on installe un pantin à la place d’un chef». Bref, le colonialisme déguisé en sauvetage.

Tant qu’on n’a pas vécu tout ça, impossible de voir à quel point les gouvernements n’ont aucun sens. Dallas s’était engagé parce qu’il croyait vraiment en la paix. «On s’est servi de nous», résuma-t-il en buvant une gorgée de bière. «Mais on n’a pas à rester les bras croisés». Il donne une tape encourageante sur l’épaule de Ian. «Et t’as bien raison. Ce qu’il nous faudrait c’est que les gens se soulèvent, mais ça fait si longtemps que le peuple se soumets qu’il ne se souvient plus ce que c'est que de lutter. C’est confortable, le statu quo. Ça fait plaisir de voir que t’as réussi à ouvrir les yeux».

Convaincu par le discours de Ian, Dallas fit signe au barman de lui passer un papier et un crayon, puis il écrivit une adresse, une date et une heure. «Tu m'impressionnes mec. Je peux pas te donner un job, mais si ça t’intéresse, mon association organise des soirées, et on y discute de nos idées. On veut du changement, on veut affronter la déroute capitaliste, et on tente de réveiller le peuple. On se mobilise. Je pense que ça peut t’intéresser». Il fallait voir si Ian se mélangerait bien au groupe. Ce serait un vrai premier test. Ensuite, s’il était toujours convaincu, il les rejoindrait, et ils pourraient passer aux choses sérieuses.