Sur le terrain les équipes dressaient le bilan de cette nouvelle attaque. Personne n’avait encore utilisé le mot. Il était pourtant dans tous les esprits. Ce qui ne faisait que renforcer sa puissance symbolique. Était-ce de nouveau un attentat terroriste contre Londres ? Les indépendantistes avaient-ils fait le coup ? Ou bien étaient-ce ces fous d'anarchistes ? Quelques mois à peine après que l’université de St James soit restaurée en son entier ! Alors qu’ils sortaient à peine d’un été caniculaire. Ils n’avaient pas besoin de ça.
On pouvait facilement imaginer les Unes du lendemain dans la presse nationale… et mondiale.

Le maire de la ville arrivait sur le lieu du drame. Un bataillon de conseillers virevoltant autour de lui, pour millimétré ses prises de paroles, auprès de la population. Sa présence faisait parler. La BBC lui tendait un micro, pour qu’il transmette toute son ardente bataille, contre les organisations radicales du pays. Dans sa bouche un discours éloquent avec exposition d’un solide plan de sécurisation de la ville. Les esprits les plus affutés ne manquent pas de noter, toutes les similitudes, avec son prédécesseur conservateur.
Le Royaume venait de trembler et les idéaux d’être ébranlés. Encore.

Les habitants du district étaient coupés de la zone de temps qu’elle soit déblayée. Mais cela n'empêchera pas les réseaux sociaux de s'enflammer. Les théories du complot, les analyses scientifiques amateurs et surtout la recherche de personnes “disparues”, occupaient le plus fort des discussions. Pour l’instant, les secours avaient pris en charge des blessés. Il n’y avait pas eu de corps découverts dans les décombres. Mais, dans ce genre d'éboulements, on ne pouvait être sûr de rien avant plusieurs jours.

Junior avait été en contact avec Louisa quelques secondes avant l’explosion du bâtiment. Leur communication avait été rompue. Depuis, il n’arrivait plus à la joindre. Cela l’inquiétait… beaucoup. Aussi, quand il avait aperçu le dos d’Hans près du van de l’équipe de démineur, il n’avait pas hésité une seconde. La Strike avait été dissoute. Pour autant, il était encore un agent (sous couverture) au service de la police. Il serait sur cette affaire. Exceptionnellement.

Pour ne pas cramer cette couverture “Ian” devait faire attention. Il affecta donc une attitude décontractée en évacuant les lieux. Il allait falloir s’organiser rapidement. Zac prenait donc son téléphone pour rédiger un SMS à l’attention de Lowri. Il lui demanda de le retrouver à un point de rdv loin des oreilles indiscrètes. Ils allaient avoir besoin de ses compétences sur ce coup! Puis, il donna le même lieu à son patron officieux.

Dans le quartier du palais de Justice, il y avait plusieurs buildings pour bureaux disponibles à la location. Sanders avait un cousin éloigné qui bossait dans le milieu. Benji lui avait filé un double de clefs, pour qu’il puisse utiliser les espaces, de temps en temps. Principalement pour faire des soirées avec les potes des groupes de paroles.
C’était l’endroit parfait pour former une petite cellule de crise sans attirer l’attention sur eux.

L’Anglais, retirait sa veste, quand il vit l’Allemand. -“Salut Hans.” Ils ne s’étaient pas vues depuis quelques semaines. -“ J’ai des éléments à te donner.” C’était du confidentiel. Surtout c’était lié à l’infiltration en cours. Il y eu un bruit dans leur dos. La silhouette de la voyante se dessinait à contre-jour. JB ne pouvait pas venir pour le moment. Ils étaient au complet. -“Hello Lowri. Justement j’allais commencer.” Il annonça au commandant en retraite. -“Elle bosse avec moi.” Point.

Il tira une chaise pour se poser dessus. Son dos voûté par le poids de son angoisse fraternelle. -“J’étais au téléphone avec Louisa. C’est elle qui avait la bombe dans les mains. ” Être factuel pour l’instant. Ils auraient le temps de faire des hypothèses ensuite. -“Je n’ai plus de contact depuis l’explosion… ” Leur annonça-t-il, non sans lancer un regard à sa collaboratrice mystique. Pour savoir ce qui s’était passé. Ils devaient d’abord retrouver Louisa Lorca.

La lumière du jour filtre mal à travers les baies vitrées de l’immeuble, qui sont occultées par des cartons. Mais, au moins, les caméras de surveillance installées dans le quartier ne peuvent pas capter leur présence. Pour un ex-striker, il est vrai que les planques rudimentaires sont courantes. Zac a fait au plus pressé dans ces conditions particulières. C’est en croisant le regard atterré de la voyante qu’il saisit sa maladresse. Il est trop tard pour changer de lieu.

Il s’approcha de la jeune femme pour la rassurer. -“Salut je ne pouvais pas dire grand chose par téléphone. ” déclara-t-il sobrement aux deux personnes présentes. Étant donné ce qui venait de se passer en ville, Junior applique le protocole de base. Zéro prise de risque. D’aucun le traiterait probablement de paranoïaque ou bien de complotiste. Mais, quand on a côtoyé la pire espèce du genre humain pendant dix ans, on apprend la prudence.

Il allait de soi que l'exaspération du commandant était partagée. Sanders avait besoin d’une accréditation spéciale pour avoir le droit d’aller fouiller dans les décombres des fondations du palais. En même temps, aller fouiller la zone à découvert lui ôtait toutes ses chances de conserver sa couverture. Or si “Ian” disparaissait c’en était terminé de l’infiltration et de l’enquête de fond.
Autrement dit: il était bloqué.

Bien entendu, le chef de l’opération méritait une explication. Néanmoins, l’infiltré opta pour une version sobre de la vérité. -“ Lowri est consultante depuis un peu plus de deux ans. Je l’ai sollicité sur pas mal de dossiers. Notamment sur des cas de disparition. Elle est douée pour retrouver les gens. J’ai totalement confiance en elle. ” Normalement, se porter garant pour l’autre suffit à valider sa présence. Quoiqu’il en soit, c’est en regroupant ses forces que l’enquêteur fait acte de transparence. Zac adressa un sourire encourageant à la voyante.
L’Allemand avait l’air sévère mais il était juste. Elle n’avait pas de souci à se faire.

Il se tourne ensuite face à l’ami de son père. -“Pour préserver ma couverture. ” La vie de Louisa est en jeu actuellement. Sanders ne voulait pas perdre de temps. Le temps était le pire ennemi dans les cas de disparition. Hans le savait aussi. Or, il n’avait pas le temps d’attendre que la vigilance de la Cellule se relâche pour parler avec son supérieur. -“Je sais que ce n’est pas idéal.” Ceci dit, ces deux alliés avaient spontanément répondu à son appel. C’est bien qu’ils avaient conscience que c’était important.

-“Dès qu’on aura retrouvé Louisa on pourra comprendre ce qui vient de se passer… chef.” Le simple fait que Zac marque la hiérarchie était la démonstration de son inquiétude personnelle. Lorca avait trouvé sa place dans la meute. Elle était une sorte de petite sœur pour lui. Il voulait la retrouver le plus vite possible. De toute manière, ils avaient besoin d’elle pour coincer Jackson et ses pions. C’était leur meilleure chance pour l’instant.

Ce que Sanders venait de passer sous silence fût allégrement exposé par la concernée. C’était bien ainsi, il n’y avait qu’elle pour expliquer correctement de quoi il en retournait. Enfin, convaincre un cartésien de la trempe de Wittenbach ne serait pas une sinécure.
Avec une preuve par exemple, elle toucherait la corde policière du vieil homme. Il ne pouvait objecter contre la réalité. Ce n’était ni l’avarice, ni la gloire, qui étaient à la base de son action. Lowri agissait par morale, par sens du bien commun. Autrement dit, le carburant de chaque agent qui travaillait au New Scotland Yard. A quelques exceptions près.

-“Chef… elle a raison. Chaque minute compte.” Marmonne-t-il en allant à la table de réunion. Il tira une des chaises pour se poser face à la sorcière. La capitulation tacite du commandant tira un petit sourire au trentenaire. -“Je l’ai vue faire. Ça peut être déstabilisant mais y a des résultats. ” Résuma ainsi l’ancien flic.

Les précautions dont il faisait usage étaient les mêmes pour Junior. Il fallait garder la tête froide. Non le système juridique anglais n’était pas prêt à incorporer l’ésotérisme parmi les preuves à charge. Tout le monde en était bien conscient ici.
Il y avait donc moyen de bosser ensemble.

-“Au téléphone elle était sonnée, confuse, paniquée. Je crois qu’elle ne savait rien.” L’échange avait duré moins de cinq minutes, dans des conditions détériorées. Sanders n’avait pas eu le temps d’approfondir. Il avait cherché une solution sur le vif. Pour autant, Louisa semblait sincère. Il ne la pensait pas capable de mentir aussi vertement.

A propos de son implication avec les anarchistes c’était encore plus nébuleux. Zac ne l’avait pas encore évoquée lors de ses rapports, car il n’avait rien de précis. Il ne fonctionnait pas avec des informations qu’il n’avait pas encore vérifiées. Et il n’allait pas non plus parler au nom de JB.
Cependant, les premiers éléments de son enquête allaient dans ce sens. -“ Le MI 5 l’a mise sous surveillance. ” Le bureau de la sécu intérieure ne faisait pas cela pour des personnes innocentes. -“ L’agent en charge du dossier n’a pas répondu à mes coups de fil. ” Rétorqua Sanders sans amertume spécifique. Les informations étaient compartimentées. Les gars n’étaient pas du genre à partager. A moins qu’on leur force la main.

-“Si tu peux intercéder chef ? ” “Ian” tire un vieux calepin de son blouson. Il consigne les infos dans un langage codé qu’ils ont inventé avec sa jumelle. Un mélange de panjabi et d’amérindien. -“Wachevski. ” Olivia Wachevski [ [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] ] une nana qui semblait occupée!
Il planque de nouveau l’objet. Il s’enfonce dans le siège, mains dans les poches. -“Je connais la petite. Si elle est avec c’est fou c’est pas par idéologie. Nan. Ça colle pas. ” Il racle sa gorge pour la dégager. Il y a tout le temps une crève de fond quand il fume beaucoup. Il voulait dégager sa voix.
Non, Zac ne croyait pas en la culpabilité de la jeune femme. L’explication était ailleurs. Il se tourna sensiblement en direction de Lowri, l’encourageant de manière indirecte, à faire de sa magie.

Le commandant en chef eut la réaction que l’on pouvait espérer de lui en de telles circonstances. Zac ne parvient pas à totalement réprimer son sourire. Pendant les dix ans dans la Strike, il avait observé le rapport de force entre les services. Il y avait aussi des histoires d’ego, des rancœurs, des tensions politiques.
Quand cela avait été nécessaire, notre homme n’avait pas eu de mal à se servir de ces éléments. La fin justifiait ce genre de moyens. -“ Ouais. A ce stade, chef, faut accorder les violons. On risque de perdre du temps. ” Rajouta l’infiltrer pour allumer la flamme qu’il venait d’allumer.

Sanders sentit le regard de la jeune fille. Il remarqua son mouvement infime et répondit au signal en se rapprochant de la table. -“ Vas y Lowri. Nous t’écoutons.” Conclut l’ancien flic. Les compétences de la jeune femme n’étaient pas à prouver. Même s’il n’y avait pas une explication scientifique derrière. Junior a renoncé à trouver la raison de ce savoir-faire. Certaines choses étaient inexplicables pour l’esprit humain.
Il allait l’écouter et agir en fonction.

Un complot élaboré contre Louisa. Cela n'annonce rien de bon pour la suite. Zac ressent le frisson de l’angoisse contre sa nuque. Il redoutait la suite. Il appréciait cette jeune femme. Elle avait une place spécifique dans la vie de Lemoine. Sa mort…
La question d’Hans résonna aussi dans l’esprit de son subalterne. -“... Ils ont dû la dissimuler, je suppose. ” Maintenant les engins pouvaient être de taille modeste. Assez pour entrer dans un colis fictif. Il n’était pas impossible de se faire berner. Cela démontrait le degré de détermination de ce groupe. C’était inquiétant.

Mais, s’ils tiraient dans cette direction, le commandant avait raison. Louisa avait été démasquée. L’attaque l’aurait visé elle. N’était-ce pas un peu gros pour éliminer une seule personne ? Ils auraient pu faire ça de manière plus discrète. -“Ils se débarrassent d’elle en montant une attaque par le même coup… mmmm. ” cela impliquait donc de faire une enquête interne. Découvrir ce que savaient les Anarchistes. Etant donné son lien avec la jeune femme Sanders allait devoir la jouer fine. Très fine. -“Si c’est ça on a intérêt à réagir vite.” Il allait en parler au père d’adoption rapidement.

-“ J’ai ça. Bouge pas! ” Tel un diable sorti de sa boîte, il attrapa son sac pour en extirper un plan papier de la zone. Il y avait posé ses symboles et fait des projections de recherche. Si Lowri pouvait les orienter ce serait un gain de temps précieux pour les équipes. Il la déplia pour l’étaler devant la voyante. -“ Montre-nous. ” Après une telle explosion Louisa devait être blessée. Elle avait besoin d’assistance.