Monsieur l’inspecteur, si je puis me permettre, puisque je suis citée directement dans le texte. J’ai laissé des indices. Le premier étant resté un bon moment sur la table de nuit de ta “Princesse” numéro uno. Rylee, attention, je ne l’accuse pas. Je dis juste que, que tu me crois ou pas JB, j’ai retenu tes cours. Enfin les révisions pour être exacte. Les Sanders ne sont pas des parents lambda. Est-ce que tu les connais ? A par le passage éclair au mariage de Zac et Megara… je crois bien qu’ils ne sont jamais venus ici. Qui sait, ça va peut-être bien changer.
« T’as capté. C’est la merde. » Se contente de répondre Junior à son supérieur. Il tâte la tasse sans vraiment la voir. Il fixe le vide. L’esprit vivote dans un océans de pensées négatives. La drogue sert normalement à briser le mouvement. C’est bien pour ça que le jeune désespéré est retourné dedans. Avant cette épineuse affaire tout allait bien. « Ca aurait pas dû se passer comme ça. » Un geste d’humeur manque de faire tomber le couvert qu’il cogne au passage. Un long reniflement aide à évacuer la trachée des fluides corporelles.
Zac ne dit rien. Il ne discute pas ce que lui dit Jean-Baptiste. La rébellion prend une énergie qu’il n’a pas. Il ne le met pas en pratique pour autant. Car en plus du fait qu’il n’a pas faim… Il a en lui cet acide qui le ronge. La culpabilité qui provoque des raisonnements basiques et inébranlables. Lui… manger ? Alors que sa soeur est entrain de vivre l’enfer quelque part sur Terre. C’était tout simplement absurde.
L’inspecteur Lemoine agit comme le fait tout soignant. Même le plus amateur qui soit aurait son attitude. Tout comme Sanders a la réaction préméditée du toxico à qui on arrache son “plaisir”. Au fond de son regard se devine une peur animale. Celle d’être tombé dans le piège. Le piège de la dépendance physique. Les barreaux de la cage se resserrent. L’homme qui panique intérieurement cri.
« J’e te dis que j’ai pas faim putain. Rend moi mes clopes. » La forme n’est pas aimable. Cependant le ton est beaucoup moins agressif qu’à l’arrivée. C’est tout ce qui montre que le fou est revenu sur le plancher. Il regarde vers le meuble où est posé son dû. Se lever pour aller les récupérer. La fatigue lui a déjà coupé les jambes. « Sérieux, j’demande rien. Une clope c’est pas la mort. »
La bienveillance du Français devient un sermon. La voix calme et autoritaire, l’impératif présent, le regard intransigeant. C’est une remise en place dans les formes. Une chose que Mr Sanders aurait du faire si son fils ne lui avait pas dissimulé la gravité de la situation. Junior ne peut se donner l’alibi de son état. La contrariété déforme son visage fatigué. Il rentre les épaules, un peu plus à chaque ordre asséné. Il pose les coudes sur la table. Il scrute les oeufs avec une sorte de dégoût.
« J’arrive pas à dormir. » La jambe droite s’actionne en marteau-piqueur. Le sol de la cuisine grince. Il attrape la fourchette la plus proche. Les poumons se gonflent puis se vident d’un coup. A croire que manger est une torture. L'estomac est vide depuis plus de trois jours. Rien ne reste longtemps. Mais, il obéit au chef. Il ingurgite une bouchée.
[iTon corps, Zac est le reflet de son mental. Beaucoup plus que moi. Je sais que là tu te sens comme un enfant malade. Tu penses à Matthews et sa mère. Ouais, tu fais connerie sur connerie avec le gamin.[/i]
« Dis rien à Meg. J’veux pas qu’elle sache. Elle va s’vénére. » Tentative d’une autre bouchée. Le ventre de Sanders proteste vigoureusement. C’est le son de la faim. « Tu pourras prendre Matt la semaine prochaine ? Steup ? » Lui demande-t-il encore en SOS.
Cette habitude de tout foutre en l'air... Oh oui, c'était la merde, un résumé parfait de ce que devait penser tous les membres de l'équipe qui avaient été mis au courant. Il se frottait lentement la barbe, tout en fixant le plus jeune de son équipe. Cela lui retournait un peu les tripes, aussi de le voir comme ça, de le voir aussi mal en point, qu'il foute sa vie en l'air à nouveau, à cause de ce qui était en train d'arriver. JB se baissait pour attraper le couvert qui avait volé, tout en laissant Zac se défouler, le laissant passer sa frustration, puisqu'il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire. Il le laissait grogner, il le laissait s'énerver, c'était une façon comme une autre de faire passer les problèmes, pour pouvoir le remettre ensuite tranquillement sur le droit chemin.
Sanders pouvait bien lui grogner contre aussi pour ce qu'il était en train de faire, JB n'en avait rien à faire. Il était habitué. Il savait aussi que Zac ne le mordait pas, plus même, depuis un moment déjà. Ils avaient vécus tellement de trucs tous les deux, qu'il connaissait le respect qu'il pouvait avoir pour lui. Et finalement, devoir le priver de certaines choses, l'obliger à en faire d'autre, pour qu'il se retrouve, valait bien quelques insultes. Le français n'était plus à cela prêt. Sans être le dernier des habitués à ce genre de comportement, il savait que ce n'était pas sincère, que c'était le manque, la fatigue et la frustration qui faisait réagir son interlocuteur ainsi.
- Fais pas chier, Zac, t'es pas en situation de demander quoi que ce soit. Tu fais ce que je te dis et tu la fermes. Grogna à son tour le chef d'équipe. Peu enclin à lui céder quoi que ce soit. Ta clope, tu l'auras quand tu seras mieux. Au moins ne mentait-il pas, son subordonné aurait réellement droit à sa pause clope, mais pas à l'instant.
Les priorités pour Lemoine étaient claires et pour le moment, ce qu'il voulait, c'était pouvoir le remettre très sérieusement sur pied. Fallait pas déconner, si ce dernier voulait retrouver sa sœur, il fallait qu'il redevienne le flic teigneux qu'il savait être, sans avoir des grammes et des grammes de came dans le nez.
- On va faire en sorte que tu puisses dormir un peu, j’veux pas te voir sur le terrain avec cette tronche de déterré. Continue de manger, ça va t'aider. Même s'il ne voulait pas, même s'il risquait de vomir à chaque bouchée, JB ne le lâcherait pas. Parce qu'il savait que c'était ainsi qu'il fallait faire et qu'il devrait se battre aussi. Voilà tout. Chaque chose en son temps et ils y arriveraient, tous les deux. Ce n'était pas la première fois, l'expérience aidait donc notre homme à aider le sien.
- Je lui dirai rien... mais faudra bien que tu le fasses, elle sera vénère, quoi que tu fasses, de toutes les façons. La relation entre les deux était compliquée et comme souvent, Jean-Baptiste se retrouvait avec la demande de garder le petit. Il n'avait rien contre, il était prêt à le faire, comme toujours. Parce qu'il adorait Matt' entre autre. Ok, ok, je m'en occuperai. Mais en échange, tu vas prendre soin de toi aujourd'hui, termine ton assiette et au lit. Vu l'épuisement du corps, quoi qu'en pense Zac, on pouvait parier qu'il allait très clairement finir par se faire avoir par Morphée, ce n'était pas vraiment possible autrement. Fais-moi confiance. Lâchait-il avec un petit sourire, tout en lui posant une main sur la nuque, paternel.
Oui, tout ce que JB voulait maintenant, c'était l'aider à se remettre sur pied. Pour la suite, ils aviseraient.
Junior se retrouve réduit à faire une négociation enfantine. Négocier une cigarette plutôt qu’un peu d’oeufs brouillés. Peut-être est-ce mieux qu’il ne s’en rende pas compte. L’état est déplorable. Il n’est pas en meilleur état que les autres paumés de la de la banlieue qu’il coince pour petit trafic de stup’. La chute est vertigineuse. Il n’a fallu qu’une inspiration pour retomber dans la spirale. Tandis que pour sortir du cycle infernal il faudra des mois. En réalité c’est une vie entière qu’il faut pour se tenir loin de l’addiction. C’est une lutte quotidienne contre soi-même. Il se sait faible. Zac le sait. Puisque depuis plus de vingt ans il se fait violence pour ne pas partir dans les extrêmes. Il sait aussi que sans eux, sans sa soeur, sans Meg, il est moins courageux.
« Nan ce qui m’aiderait là c’est une clope. » Maugré le jeune Anglais. Loin de toute mauvaise foi, tant la contraction de ses intestins est désagréable. Il lâche la fourchette. Un raclement de gorge se transforme encore une fois en quinte de toux. Allergique aux médecins, à la médecine Sanders fuit les hôpitaux. Un bilan révélerait toutes ses négligences passées. Un puissant déni retient toute volonté d’auto-préservation. Il ne veut rien savoir.
« Ouais, t’as remarqué ? Toujours remontée comme une pendule. » Le regard dans le vague, le flic se gratte sa barbe humide. Il a dans les yeux le souvenir de la dernière dispute conjugale. Le thème est le même que les dix autres fois. Matt, l’éducation, la gestion, la vie autour de ce gamin. A penser au petit Zac se referme comme une coquille. Il imagine son père le comte. Il devine ses yeux accusateur et son air sévère. Dans l’univers perché Sanders se voit brûler sous leurs mots. Brusquement découragé il lâche : « … je lui avais dit que je ferais de la merde. Vrai ou pas ? » Il bougonne sans vraiment s’adresser à Lemoine. Il n’attend probablement pas de réponse. Il râle comme le font les animaux fatigué.
La chaleur de la paume de Jean-Baptiste a un effet apaisant sur toi. Tu sens une tension dans le haut du dos se dissiper quelque peu. Dans le mic-mac et la confusion tu trouves un point de repère. Il y a cette voix familière. La force tranquille du Français. Celle qui maintient votre meute. Je te comprends. Pour moi aussi c’est un son rassurant. Peut-être un peu moins que la voix de Rylee. Mais quand même !
« Dormir… ouais. » Il parle comme celui qui ne croit plus en rien. Parce que c’est vrai aujourd’hui il ne croit plus en rien. Si ce n’est en ce fils envers lequel il se sent défaillant depuis des années.
Le plat reste à moitié terminé quand Sanders se lève de table. Il lance un regard envieux en direction du paquet de cigarettes. Mais ses mains sont sages. La nourriture faire son chemin en lui. La digestion va commencer et déjà une partie de l’énergie interne est réquisitionnée pour cette étape naturelle. Junior traîne des pieds. Il passe dans le couloir sombre et vide de l’appartement. Le peu de décorations sont arrivées ici par l’intermédiaire d’Izaline. La jeune femme jugeant l’endroit vide et déprimant. La chambre n’est pas spécialement plus aménagée. Megara n’est plus là pour apporter de cette “touche” féminine d’une belle époque.
Ne regardes pas trop l’état de la chambre à coucher JB. C’est un foutoir. Quand je parles de foutoir je veux aussi dire qu’il y a également une paire de drap qui n’est pas de la première fraîcheur. N’allons pas jusqu’à dire que Zac est un coureur de jupons. Disons juste que depuis que tout part en vrille il comble le vide existentialiste par… tous les trous. Reconnaît qu’elle est pas mal celle-là ? De ce que je sais il y a la petite secrétaire du troisième. Ou Angel aussi de temps à autre. Ce qui est bien c’est qu’elles savent toutes les deux à qui elles ont à faire.
« Pt’ain j’ai la tête qui tourne. » Grogne l’animal en se laissant choir sur le lit défoncé. Le sommier grince. C’est un vieux matos que Sanders a récupéré dans une décharge. Il ne voulait pas investir dans de l’ameublement. Ce qui a pour conséquence qu’il doit encore plus mal quand il se retrouve dans une mauvaise période. « Brroarf. » Junior s’ébroue, prit d’un coup de froid. Il attrape vivement la couette roulée en boule au bout du lit pour s’en recouvrir. Il s’y niche, calfeutré, comme la bête dans son terrier.
Il respire fort sous le tissu. Le mouvement des épaules fait un léger remou. Celui-ci ralentit peu à peu. Une fois encore l'Inspecteur Lemoine a évité que tout parte totalement à volo.... pour l'instant. Cependant, l'enquête qu'ils s'apprêtent à poursuivre risquerait bien de tout foutre en l'air.