On disait souvent qu’à force de vivre à côté de quelqu’un on en prenait des tics. Walsh en était un bon exemple. Il était aussi calme et tranquille que le vieux loup norvégien. Il n’aurait pas imaginé être un quarantenaire aussi posé. Pourtant, il se retrouvait à attendre son jour de congé et les petits rituels qui allaient avec. Seul moment, où il avait accès au luxe de faire ce qu’il voulait, et au rythme désiré.

D’abord, pouvoir prendre un vrai petit déjeuner, avec le lard et les œufs baigné dans du fromage. Non pas un de ces casse-croûte pris sur le pouce. Le tout en prenant connaissance des résultats sportif de la semaine écoulée. Il suivait surtout le baseball dont il avait été joueur. Ensuite seulement prendre une douche, se préparer pour sortir, sans avoir à regarder l’heure. Le costume était rangé. Il était plus simple de nature. Une veste en jeans lui suffisait. D’ailleurs, il aimait être un anonyme. Il savait, qu’il serait précisément onze heure trente, au moment où il passerait devant la banque nationale.

Oui, Hector aimait se fondre dans des décors familiers. Là où il n’y aurait ni surprises, ni pressions, pour le dérouter. C’était son plaisir, son bonheur même, que d’être routinier. Il ne restait pas dans la city. C’était encore trop proche de son lieu de travail. Il se rendait à pied dans un quartier plus calme. Parce qu’avec le temps, il aimait le calme aussi. Il aimait aussi flâner dans ces villes où ils voyageaient.

Il y avait un pub irlandais qu’il aimait bien. Il s’y posait pour prendre un déjeuner. Quand il faisait assez beau il mangeait à la terrasse. Le patron ne lui donnait plus la carte tant il connaissait les habitudes du rouquin. En presque deux ans, sur Londres, Hector n’avait pas changé une seule fois sa commande. La même bière blanche en chope. Le même plat de mouton aux haricots qui lui rappelait la cuisine de sa mère. Le même morceau de tarte aux pommes, dont la seule fantaisie était d’être accompagnée d’une boule de glace les jours de chaleurs.

Repus et détendu, le garde du corps allait s’acheter un café à emporter dans un coffe shop. Il entreprendrait ensuite une promenade à travers les parcs. Il en connaissait par cœur les noms, les chemins, les fleurs et les SDF. Cette mécanique bien huilée lui permettait de se reposer l’esprit. Il pouvait enfin décrocher, des questions, des projections, des soucis du boulot. Il se coupait pour un temps de ses responsabilités et des menaces. Il appréciait aussi la solitude à laquelle il n’avait pas accès le reste du temps.

Bien qu’il faisait en sorte de passer devant la même boutique en fin de journée, avec le simple espoir de voir le temps de quelques secondes la silhouette de la personne qui se trouvait derrière le comptoir de vente. Il ne savait rien, ni son nom, ni son âge, ni même s’ils se seraient plu. Mais, les sourires et les gestes posées avaient un charme qu’il ne pouvait lui-même expliquer. Il venait tout juste de quitter l’angle de la rue alors que seize heure approchait. Walsh allait donc rentrer chez lui et se poser devant un film avant de préparer son dîner.

L’attaque avait été aussi fulgurante que traître. Hector s'était fait surprendre en plein jour. Il n’avait fallu qu’une inspiration pour que son corps ait le bon réflexe. Une pulsion d'adrénaline montait droit vers le cerveau reptilien. Il bandait les muscles, résistait, cherchant à donner un coup de coude à son assaillant. Mais l’autre était tout aussi rapide et tout ce que l’Irlandais pu faire fut de retrouver l’équilibre. Il cherchait de quoi avoir une prise sur son adversaire mais retrouva le contact du béton brut.

Tout de suite sa main descendait à sa hanche. Mais il se souvint alors qu’il était sorti sans révolver. Il n’avait pas non plus pensé au cran d'arrêt en partant. Il était sans arme. La sensation du métal sur sa gorge allumait tous ses signaux d’alarme au maximum. Il sentait un homme le coincer. Il cherchait la meilleur parade quand la voix le laissa interdit.

- ‘ Apophis. ‘ Walsh retrouvait instinctivement le calme. Son dos se détendit, maintenant qu’il comprenait ce qui se passait. Il n’était pas en danger de mort. C’était sa fierté qui venait de se prendre un sacré coup. ‘ Bien joué.‘ C’était dit avec beaucoup de mauvaise grâce, car il avait l’aigreur de l’échec à la bouche. Mais, il n’était pas du genre à aller contre les faits. Le pari était perdu...

Il aurait pu attendre que l’homme le libère de son plein gré. Mais, cela aurait été un peu trop d’ascendant pour ce mercenaire. Tant qu’à être pris au piège Hector voulait voir où en étaient ses capacité de défense. C’était l’occasion de se tester. D’autant qu’il était sûre qu’Apo ne lui ferait pas de cadeau. Le rouquin n’était pas le meilleur au combat au corps à corps. Il avait négligé son entraînement personnel depuis l’attentat. Il était grand temps qu’il remédie à cela.

‘ Tu comptes te servir de cette anecdote ? ‘ La question lui servait de distraction. Hector tentait une contre-attaque, basée principalement sur la force physique et l’effet de surprise là aussi, pour retourner la situation. Il cherchait à fait une passe du pied pour déséquilibrer l’homme, assez pour lui retirer son arme et pouvoir lui faire face. Il préférait se battre yeux dans les yeux.

Hector pouvait au moins espérer conserver une partie de son honneur. Il pouvait se fier à la parole de Cusack. Il n’y avait pas de doute à avoir. Ils venaient du même bastion. Ils avaient la même base fondamentale. Le mensonge n’était pas dans les usages de la “maison”. Ce qui voulait dire que ce malheureux incident pouvait rester dans les annales personnelles.

Ils étaient à moins de trois mètres de distance l’un de l’autre. L’Irlandais remettait correctement sa veste sur lui. Il prenait le temps d’observer son adversaire. Apophis et lui étaient de la même génération. Mais le mercenaire avait l’air mieux conservé…

- ‘ ... ‘ Walsh n’avait rien à répondre. Il était dans l’erreur et il le savait très bien. Il suivait Apo du regard pendant qu’il rangeait ses armes. L’idée d’un face à face était encore présente dans son esprit en effet. Néanmoins ils n’étaient pas sur le terrain le plus intéressant pour ça. ‘ Oui. Mais pas ici. Pas maintenant.‘ Il y avait des clubs, voir même le Rosewood, où il y avait l’espace nécessaire pour un tel entraînement. Ils pouvaient convenir d’un moment pour ça. Ceci dit c’était une conversation un peu trop directe, pour se poursuivre en pleine rue. Mais ils avaient un lieu de repli évident. ‘ Je t’offre un café ? On se prévoit ça dans les bonnes conditions. Viens. ‘ Il avait ce ton naturellement autoritaire de chef d’équipe.

Même si Apo connaissait l’adresse, il n’était encore jamais entré chez Walsh. Ils n’avaient qu’à marcher un peu plus loin pour arriver devant l’immeuble. Les clefs en main le grand roux faisait passer les étapes en silence. Il n’avait rien de particulier à dire pour le moment. S’il avait des questions il ne se priverait pas. Ils arrivaient donc bientôt sur le seuil de l’appartement. C’était un lieu tout en sobriété, propre et ordonné. On voyait que Walsh n’avait pas beaucoup de visiteurs… ou de visiteuses.

- ‘ Café ? Sinon j’ai du thé. Du thé vert. ‘ Hector ouvrait les placards pour sortir de quoi abreuver son invité impromptu. Il avait des gestes ralentis, calmes, posés. Cette rencontre le faisait réfléchir l’air de rien. Quand tu serais dispo pour un petit combat ?

Il n’y avait pas de téléphone fixe dans cet appartement. Il n’y avait pas de télévision. Aucune trace non plus d’un ordinateur portable. Le grand roux n’aimait pas ces outils. Il ne les utilisait que par nécessité. Alors quand il avait le choix, il n’avait rien de tout cela à portée.

- ‘Ok. ‘ Il n’y avait rien de systématique avec le dimanche. Tout dépendait du planning du Norvégien. Parfois la coupure se faisait après seulement trois jours, parfois ce n’était pas avant douze. ‘Je te préviendrais.‘ Deux tasses jumelles, deux cuillères identiques, un sucrier, tout était soigné et même joli. Une vaisselle neutre et sans histoire comme dans tout logement meublé. C’était cela la vie du bras droit de Eirik. Hector ne possédait rien. Si ce n’était la vieille ferme de ses grands-parents paternels, là-bas, au pays. Il ne s'était pas rendu depuis le décès de son père quelques années plus tôt. L’endroit était à l’abandon, probablement mal en point, peut-être même détruit. Il ne savait pas. Il ne voulait pas savoir. ‘D’accord.‘ La porte du frigo se referma doucement sur elle-même. ‘ Un club. Celui que tu veux.‘ La bouteille de lait atterrissait sur la table. La cafetière chauffait tranquillement.

- ‘Hum.‘ Walsh tirait une chaise pour se poser. Il laissait son invité disposé à sa guise. Lui se caler le dos sur le dossier et étira ses gigantesques jambes. Il n’avait pas de médailles du mérite. Mais sous la chemise propre-prête son histoire ancrée dans la peau. Une histoire que peu de monde sur cette Terre connaissait réellement. ‘Certainement celle qui a monté le coup de Kings.‘ Ce qui ne le faisait pas sourciller d’un poil. Hector avait trop souvent regardé la Mort dans les yeux pour en avoir peur. Il attendait, patiemment que la Faucheuse vienne lui dire bonjour, ou plutôt bonne nuit.

‘Une guerre de gang et ce sera la guerre civile Apo’. ‘ Voilà précisément pourquoi Hector voulait évacuer son protégé sur Madrid. La ville qui était prévue depuis le début. Mais Jack 2.0 l’avait obssédé, l’obssédait encore, maintenant il y avait la menace d’une attaque. Ca ne simplifiait pas le travail de ce garde du corps. Il se releva pour servir les deux cafés et en tendre un au mercenaire. Il échangea alors un regard. Il lisait chez son interlocuteur le même calme que celui qu’il ressentait à l’instant. Il n’y avait rien qu’ils pouvaient faire contre l’enchaînement des événements. Le mieux c’était encore de réagir. Mais à la différence de lui Apo n’était pas seul. Il avait une famille. Là où Hector n’avait rien, si ce n’était quelques fantômes laissés en arrière. ‘Tu vas rester ?‘ Ce n’était pas le genre du tueur à gage de rester en zone de risque inutilement. Walsh pouvait donc envisager qu’il y avait un contrat encore plus intéressant que sa tête dans le coin. La question était donc de savoir lequel. ‘Qu’est-ce que tu sais sur Maccormack ?’ Un sondage tout à fait informel. Ils discutaient tranquillement. Si les informations devaient finalement être monnayer le tueur à gage saurait bien le signaler.

Hector gardait ses émotions derrière un visage placide. Certaines le trouvaient même froid et distant. C’était l’une de ces déformations professionnelles. Un homme de main se devait d’être impénétrable. Il ne pouvait pas montrer la moindre petite faille. Cela n’avait rien de naturel pour un être humain. Mais à force de pratique cela pouvait devenir comme une seconde peau. Alors impossible de deviner que l’accumulation de toutes ces menaces tendait cet homme.

‘Eirik pense pouvoir l’éviter.’ Ce qui voulait dire façon détournée que Walsh était d’accord avec son interlocuteur. Il avait vue le schéma se faire faire des dizaines et des dizaines de fois. Pour lui Londres était perdue, un an, deux maximum avant l’implosion.

C’était cependant une bonne chose de savoir Apophis dans les parages. Il savait que cet homme gardait la tête froide face. Ils allaient certainement avoir besoin d’hommes comme lui dans un avenir proche. Surtout si le Directeur s'obstinait à rester sur ce bidon de poudre.

‘C’est aussi ma conclusion.’ Le Réseau piétinait face à cette attaque. Cela ne plaisait pas dans les hauteurs. Jamais l’organisation n’avait été prise en défaut en Angleterre. Ils commençaient à devenir nerveux. Quand à Odin c’était différent. Il n’avait pas peur de crever. Il redoutait le chaos provoqué par son trépas. Il venait d’accélérer les recherches pour un remplaçant. Mais Hector doutait fortement que ce soit la solution. ‘Oui.’ Il en avait même négligé les affaires courantes pendant un temps. Le Rosewood était encore un peu sous tension. Ce n’était pas une période tranquille.

‘Il se prépare à disparaître.’ C’était étrange d’entendre un homme comme Eirik évoquer sa mort comme un simple point à planifier dans les opérations. ‘Je me demande si une part de lui n’a pas envie que ça arrive.’ Souhaiter la fin. C’était un poison dangereux pour des hommes comme le Norvégien. Hector n’en avait parlé à personne. Il ne savait pas exactement pourquoi il en parlait avec Apophis. Peut-être pour entendre une contradiction à son raisonnement. Il n’aimait pas toute cette incertitude. Cela rendait sa mission plus compliquée à remplir. Au fond, probablement, se posait-il la question de son propre avenir.

Ils sirotaient leur café dans un silence reposant, quand bien même le sujet était grave, et lourd de conséquence. Hector faisait appelle au souvenir de ses grands-parents. Hommes et femmes taiseux qui avaient regardé, le monde changer, sans la moindre crainte au coeur. Il les avaient toujours beaucoup admiré.

‘Je ne crois pas aux coïncidences.’ C’était un concept inexistant dans le monde du Réseau. Tout était bien trop calibré pour qu’il y ait de la place pour le Hasard. Ils étaient dans une gigantesque partie d’échec. Eirik avait parfaitement compris qu’en assumant sa démarche il prenait un tel risque. Il n’avait sans doute pas prévu que les choses iraient aussi vite. ‘C’était prévu de base.’ Londres aurait dû être une visite de santé. Six mois, le temps de s’assurer de toutes les parties tenaient leur engagement. ‘L'Éventreur nous a mis dedans.’ Personne n’avait prévu ce coup là.

Sans croire au destin ou bien encore à la fatalité, Walsh n’était pas persuadé qu’il y avait des choix pour eux. Il pensait plutôt à une illusion du choix.

‘Je ne sais pas.’ Il lançait un regard intérroageur vers ce confrère. Avait-il la sensation d’être un homme libre de ses choix ? Avait-il réellement la liberté de vivre comme il l’entendait ? Ou bien était-il prisonnier, comme lui de son savoir-faire ? ‘Des vieux jours. Ouais.’ La question était plutôt de savoir pourquoi faire ? S’il vivait encore ne serait-ce qu’une décennie qu’en ferait-il ? L’Irlandais n’avait personne avec qui partager ce temps. Il n’avait pas eu le temps. Ou bien il ne l’avait pas pris. Peu importe, il était trop tard maintenant. Il n’avait pas de passion qui puisse le motiver à jouir d’une retraite. Il se contenterait sans aucun doute de voir les jours défiler les uns après les autres. Jusqu'à ce que quelqu’un le retrouve. ‘J’irais couper mon bois dans les montagnes.’ Quoique le ton était calme le regard amusé du rouquin trahissait son humour. Il s’adapterait fort bien à une vie d’hermite. Une vie loin des Hommes et de la Mort. Voilà qui lui conviendrait pas mal. Mais, il n’y croyait pas une seconde.

‘Je crois je mourrais sur le terrains, tu vois.’ La tasse vide posée sur la table. Walsh se dépliait, pour aller chercher la cafetière et se servir une seconde fois. Il en proposait à son visiteur. ‘Toi par contre évite de clamser.’ Il se reposait, nonchalant, une main sur le rebord de la table caressait lentement le bois. ‘Je veux être mis en terre au pays. Tu veilleras ? ’ Personne ne savait ça. Apophis saurait se charger de cette mission. Il en était convaincu. Ce n'est pas être fataliste que d'y penser mais pragmatique. Il pensait à ses vieux os oui à sa façon.

Non ce n’était pas dans les cordes du Norvégien de pourchasser un tueur de putains. Le regard que renvoyait Walsh à son interlocuteur abondait dans ce sens. Les deux hommes étaient d’accord sur ce point. Mais ce n’était pas le travail du garde du corps de juger la tactique de son employeur. Il devait le protéger. Bien que Eirik ait confiance en son homme de main, il ne lui demandait pas son avis non plus. Ils devaient donc faire avec cette situation bancale le temps qu’elle allait durer.

De toutes les façons, comme le prouvait cette conversation, l’Irlandais n’avait pas d’autre plan. Il n’y avait pas de meilleur job ou de retraite en perspective. Il était un bras armé. Il se contentait fort bien de ce seul objectif de vie. S’il avait parfois envie d’une présence humaine à ses côtés cela passait. Hector n’avait même jamais profité des services de la Bratva ou de la Triade pour combler ses besoins charnels.

’ Oui.’ Il les imaginait bien à vivre dans un coin perdu au milieu d’une grande forêt. Oui Hector se voyait bien vivre loin de toute civilisation. Car plus le temps passait et moins il aimait les Hommes. C’était certainement l’effet de côtoyer les pirs représentants de l’espèce chaque jour.

’Entendu.’ Hector se demandait pourquoi un simple médecin pouvait avoir autant de valeur. Mais il ne poserait pas la question. Cela ne le regardait pas. Il se contenterait donc de tenir sa promesse comme toutes celles qu’il avait passé au fil des années. Ils s’observaient donc dans le blanc des yeux pendant encore un bon moment. Hommes de peu de mots ils avaient dit l’essentiel des choses. Ils pouvaient se préparer à l'embrasement de Londres en sachant qu’il avait au moins un allié.

’ On se tient au courant.’ Ils étaient de revus car finalement la capitale n’était pas si grande. Même si cette rencontre fortuite venait de lui ouvrir une nouvelle piste de réflexion. Walsh aviserait le moment venu. Il fonctionnait ainsi. Hector raccompagna le mercenaire jusqu’à la porte. Il lui faisait un dernier signe de respect. Dès que la porte se referma il termina son jour de congé absolument comme tous les autres.