Quelques jours plus tard, la santé du secrétaire s’était améliorée. Bien que l’amélioration ne concernait surtout que sa santé physique, mentalement… c’était tout autre. Il allait être pris en charge par un nouveau médecin, un psy qui allait l’aider. Enfin, Arthur n’y croyait pas trop à tout ça. Il avait douloureusement écouté la presse, mais surtout le silence et la solitude. Il allait bientôt devoir sortir, bien qu’il n’ait aucune idée de quoi faire. Le secrétaire était totalement perdu.
Arthur était assis, en train de lire le journal, quand il vit la lady. La salle de repos était desert. Il n’y avait qu’eux. “
Vous êtes revenu…” Il eut un sourire sincère. Aussi terrible et étonnant que cela pouvait être, cette femme lui était un rayon de soleil à cet instant.
Oui, la Princesse d’Hanovre revenait vers lui. Elle avait passé les jours qui avaient suivi leur conversation, à rechercher un employeur pour M. Cooper. Cela s’était avéré moins compliqué que ce qu’elle s’était imaginé. Car, il y avait en fait des alliés dans des endroits inattendus.
Violet :
Oui. Je suis revenue. Bonjour M. Cooper. La jeune femme avait un panier sous le bras qu’elle s’empressa d’aller poser sur l’une des chaises vides. Je sais qu’ici la nourriture n’a rien d'appétissant. Je vous ai fait une tarte aux pommes. La fatigue étreignait encore le corps de la maman. Mais, elle avait les traits moins tirés. Elle vivait en décalé, au rythme des besoins de sa fille et n’avait d’autres projets que celui de passer cet hiver 2027 avec les siens, Prem et Dalia.
L’odeur de la tarte aux pommes arriva jusqu’au blessé. Arthur se sentait… non pas heureux, mais plus apaisé. Il vivait une période difficile et cette visite était un moment de lumière. Le secrétaire eut un sourire. “
Merci…”. En voyant la tête de la tarte, l’homme demanda “
C’est une tarte maison ? L’avez-vous… faîte vous-même ?” Cette question était absolument renversante pour le secrétaire. La noblesse ne savait pas se faire couler un bain… alors réaliser une tarte aux pommes semblait impossible.
Madame Crawley avait bien changé. Cela se ressentait même au niveau de son aura.
Violet :
Oui. Et oui! Cela fait partie des choses que j’apprends depuis que je suis partie. Une des nombreuses choses qu’elle découvrait depuis qu’elle n’avait plus de vie de château. Son mode de vie avait changé de façon radicale. Mais cela lui convenait sur beaucoup de points. Ceux qui étaient plus compliqués étaient adoucis par l’amour et la sécurité qu’elle trouvait auprès de son compagnon. Violet :
Et, ceci est pour vous. Je sais que c’est un peu en avance. Mais je voulais être sûre que vous l’ayez. La tradition voulait que l’on offre un cadeau aux domestiques pour la Noël. Violet trouvait ce moment particulièrement important lorsqu’elle habitait avec ses parents. La boîte contenait des baumes médicaux pour les brûlures, un chapeau de grande qualité pour protéger la tête et une paire de gants solides.
La lady avait vraiment changé. Cela aurait été impensable dans sa vie précédente. Arthur fut aussi agréablement surprise par le cadeau de celle-ci, la tradition avait été respectée… bien que le secrétaire ait perdu son rôle. L’homme se redressa, il y avait le cadeau devant lui, accessible. Arthur avait perdu sa main directrice. Il était maladroit avec sa main gauche, ne pouvant absolument pas non plus utiliser le moignon de sa main droite. Heureusement pour lui, la boîte était fermée avec un beau nœud, si bien qu’il n’y avait qu’à tirer doucement pour accéder au contenu.
Doucement, il souleva le couvercle et observa ce qu’il y avait à l’intérieur. Le matériel était de haute qualité, mais au moment de prendre la paire de gants, Arthur eut l’impression de recevoir un uppercut. Il était sonné. Il avait perdu une main. Une de ses mains avait été arrachée par un explosif. Il aurait voulu pleurer, mais n’en avait pas la force. Tous ses muscles étaient tétanisés. A cet instant, il aurait voulu cesser d’exister. Devenu pâle, sa main restante tremblante, il arriva à articuler “
Vous vous moquez de moi ?” Sa vie était foutue de toute manière.
Voyant la pâleur de M. Cooper, Violet s’était levée, pleine de sollicitude. Violet :
Comment ? Me moquer ? Mais non bien sûr. … J’ai pensé… J’ai pensé que cela protégerait votre blessure du froid. Violet sentit son ventre mordu par l’anxiété et la culpabilité. Elle avait voulu le faire par elle-même, sans avoir besoin de demander conseil à quelqu’un. Mais, il était clair qu’elle était incapable de prendre une bonne décision seule. Violet :
Je suis vraiment… désolée M. Cooper. Elle avança la main pour écarter la paire de gants. Violet :
Je vais retirer ça. … Pardon. La poitrine de la jeune femme se gonflait. Elle connaissait cette sensation. Ce n’était pas l’endroit pour se mettre à pleurer. Elle inspirait à fond, se maudissant de sa bêtise et de sa sensibilité.
Le secrétaire resta longuement silencieux, observant la lady. Elle avait l’air sincère dans sa démarche. Elle ne s’était réellement pas rendu compte en réalisant ce cadeau. Arthur était choqué. En fait, il n’y avait rien de réellement étonnant. La compassion était une chose qui s’apprenait et la noblesse ne s'embarrassait pas de ce sentiment. Il était en colère, amère aussi contre cette femme. A cause d’elle, à cause de son ex époux. Le secrétaire avait toujours été d’un tempérament tranquille, mais la douleur changeait un homme. Il commenta amèrement. “
Vous apprenez…” Mais apprendre à compatir ne venait pas aussi vite qu’une recette de gâteau. Les yeux de la lady témoignaient pourtant d’un réel regret. Arthur n’arrivait pas à dire autre chose. C’était trop pour lui de l’excuser d’avantage.
Après un très long silence, il demanda “
Est-ce que vous avez pu trouver une place pour moi ?” Aussi gentille qu’elle pouvait l’être, la lady et lui avaient un marché.
La froideur du blessé fit l’effet d'une gifle. Violet aurait mis fin à cet entretien sur le champ. Cependant, elle avait réellement besoin de son témoignage pour avancer dans le dossier. Elle fit donc de son mieux pour garder contenance, sourire: Violet :
Oui. J’en ai une, chez les Staunton. Les de Stauton était une famille respectée de la noblesse. L’une des plus ancienne baronnie du royaume. Violet les avait convaincus. Violet :
Ils sont prêts à vous prendre dans leur service. Dès que vous pourrez sortir d’ici… Les médecins ne disaient rien. La jeune femme ne pouvait que supposer un temps de guérison.
Dans un temps qui n’avait pas été défini. Arthur avait l’impression qu’il ne sortirait jamais de l’hôpital. Il avait la sensation qu’il n’y aurait pas d’après. “
Vrai-vraiment ?” Aurait-il réellement une place ici ? Le secrétaire avait bien du mal à le croire. Il était en train de passer du chaud au froid. Il demanda tout de même “
Avez-vous une preuve ?” La secrétaire avait mis dans ce marché sa loyauté et une bonne partie de son honneur dans la balance.
Violet :
Oui. Une lettre de lady de Staunton.Je vais vous la montrer. La prudence de M. Cooper était logique. La jeune femme comprenait. Elle posa son sac à main sur ses genoux pour en extraire une enveloppe A4 dont elle tira une lettre manuscrite et signée par la noble. Violet :
Voilà ici, regardez. Elle posa la feuille sur la table à roulette et la fit glisser vers lui pour qu’il puisse vérifier par lui-même.
Arthur prit délicatement le document. Le secrétaire était maladroit et lent. Il prit le temps de lire, de vérifier l'authenticité de la lettre. Bien qu’il soit sur la défensive, le secrétaire ne pouvait que dire qu’elle était vrai. Il l’analysa longuement puis termina par relever les yeux vers la lady. “
Vous avez fait votre part de marché, c’est à mon tour désormais…” De trahir. De trahir un homme qui n’avait pas hésité à le virer dès le moment où il avait perdu une main. Cet explosif avait été à destination du baron d’ailleurs… Arthur souffla. Puisse Dieu et les ses ancêtres lui pardonner. “
Monsieur le Baron n’a jamais vu d’autre femme en dehors de votre mariage…mais…” Le secrétaire s’arrêta un instant. Il hésita puis continua finalement. “
De jeunes hommes oui.” Le pavé venait d’être jeté dans la mare. Si le baron apprenait qu’il venait de le trahir, alors Arthur craignait pour sa vie.
Violet :
Oh! … Oh. La voix manquait. Les joues de la jeune femme prirent une teinte cramoisie. L’esprit perturbé par cette vérité dérangeante. Violet s’agita un peu sur son siège. C’était une information qui pouvait l’aider. Mais, elle savait aussi que les conséquences seraient irréversibles. Face à cela, Violet se sentait divisée. Quel que soit le mal que lui avait fait Edward. Elle répugnait à être celle qui allait briser son image et plus sûrement sa vie. Violet :
Auriez-vous… des noms ? Violet avait cherché à plaire à cet homme tout au long de leur mariage. Elle avait espéré ses regards, ses caresses. Mais, elle comprenait pourquoi ce désir n’aurait pas pu se réaliser. Violet : Comme j’ai été naïve. Le baron n’avait certainement jamais eu l’intention de partager son lit avec elle, ni quoique ce soit d’autre.
Le secrétaire n’osa rien dire de plus. Il se sentait honteux d’être le traître, mais il lui fallait bien vivre. L’homme laissa aussi la noble en encaisser la nouvelle. Pour Arthur, c’était une information depuis longtemps connue. Il s’y était fait. Une partie de lui-même était terriblement inquiète quant à la réaction probable du baron, il allait exploser et devenir encore plus cruel qu’il ne l’était. [color=#00ccff]“Oui, j’en ai plusieurs.” De quoi se créer d’autres ennemis. “
J’ai surtout… enfin, un lieu en tête.” La lady avait fait sa part du marché, le secrétaire se devait de remplir le sien. “
Le club des gentleman a toujours été le lieu privilégié." L’homme soupira avant de donner quelques noms. Il y avait largement de quoi créer du scandale. Arthur expliqua "
À part ma parole, je n’ai pas grand chose à vous donner de plus… il n’y avait pas de correspondance ou autre… le secret était bien gardé.” Avant que le secrétaire ne les vende.
Violet :
Je vois… . Les noms seraient le bon départ. Les noms pouvaient devenir des témoins. Avant, la Princesse aurait simplement envisagé la somme nécéssaire pour acheter la prise de risque de ces jeunes gens. Maintenant, elle savait qu’elle ne pouvait pas raisonner ainsi. Violet :
Pourrais je avoir la liste de ces… personnes ?Arthur n’hésita pas plus qu’il ne fallait. Il était trop tard pour faire un retour en arrière. Il demanda “
Est-ce que vous avez de quoi noter ?” Une fois assuré que c’était le cas, le secrétaire se mit à donner des noms. Il y en avait une bonne dizaine. Si Arthur ne savait pas exactement ce qu’il s’était produit entre ces lieux, il savait qui les avait fréquenté et à qui du courrier ou des objets avaient été envoyés. Une partie de lui éprouvait un plaisir malsain quant à la situation. Le baron, si puissant, si apte à punir, allait pouvoir se ronger les doigts jusqu’au sang. C’était un retour de bâton bien mérité !
Hanovre reposa son stylo. Ses yeux étaient humides. Elle se sentait idiote. Idiote d’avoir vécu dans la crainte de son adultère. Edward ne s’était pas privé. Il avait comblé ses désirs. Il s’en tirerait pourtant. Car il était un homme. Violet sentit un étrange feu naître dans le creux de son ventre. Violet :
Merci. Vraiment, merci. M. Cooper. Elle referma son carnet et le rangea en silence. Tout ceci la faisait beaucoup réfléchir. Violet :
Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Je reviendrai vous voir si vous le voulez ?Arthur éprouvait une certaine satisfaction à savoir que le lord risquait de chuter de toute sa stature… mais le regard de la lady contre-balança cette émotion. Elle trouvait encore la force de la remercier alors qu’il avait laissé faire. Si le baron était une définition de la monstruosité, Violet était à l’opposé. Cette femme, c’était la bonté même. Le secrétaire eut un moment de silence, il répondit finalement “
Oui…” Malgré la difficulté de la situation, il eut un sourire sincère. “
Merci.”
La jeune femme répondit à ce sourire avant de remballer ses affaires. Elle avait les gestes calmes et délicats comme ceux d’une tisseuse. Son dos était bien droit et son regard posé, tout rappelait alors son éducation princière. Violet Hanovre avait peut-être perdu son titre mais il faudrait encore long temps avant qu’elle perde toute sa noblesse.