Oh my love, can't you see yourself by my side?
No surprise when you're on his shoulder like every night
Oh my love, can't you see that you're on my mind?
Don't suppose we could convince your lover to change his mind
So goodbye…

La musique s’arrêta brutalement. La mélodie sifflée avec insouciance par Tyrgan fut remplacée par une exclamation de douleur. Happé par le bras que l’on tordit dans son dos, la surprise était totale. Tellement que le temps de comprendre ce qui se passait, il était plaqué contre un arbre. Tenace, Tyrgan se débattu, tenta de libérer son bras, en se tordant de tous les sens, mais entendre un glissement métallique près de sa tête, et sentir le tranchant de la lame sur sa gorge le pétrifia pour de bon.

Il allait mourir en jogging, un t-shirt informe sur le dos et des baskets boueux aux pieds.

Son assaillant eut la décence de s’approcher et de se montrer. Un inconnu, évidemment, qui l’observait, ou plutôt l’examinait d’un air prédateur. À moins que ce ne soit un fou à lier échapper de l’asile, cet homme n’avait pas choisi de le tuer par hasard. Quelque chose l’envoyait précisément ici, et ce n’était certainement pas pour faire des remarques sur la sécurité de son domaine.

Je ne croyais pas en avoir besoin.

Il avait des ennemis, certes, mais on parlait de certains Lords de la Chambre, de vieux-croutons, ou quelques familles de noblesse anglaise. Il y avait également beaucoup de vieilles rancoeurs parmi les clans, mais on parle de choses qui se sont passées il y a des centaines d’années… Alors qui?

Tyrgan sortit alors de sa torpeur.

C’est mon frère qui vous envoie, c’est ça?

Ça ne pouvait être que lui. Il était au courant des lacunes de sécurité du château, de l’heure à laquelle il faisait son jogging. Personne ne le détestait plus que lui. C’était à lui que sa mort profiterait le plus. Son frère avait engagé un mercenaire pour lui faire la peau. Tyrgan serra les dents. Au fond de lui-même, il savait qu’il aurait dû être plus prudent, plutôt qu’espérer que Kenneth se reprenne en main. Il y avait longtemps que tout était trop tard pour lui.

Dites-moi combien il vous a donné et je vous donnerai le double contre ma vie. Sinon, faites en sorte de ne pas bâcler votre coup, dit-il avec aplomb.

Depuis toujours, la mort était glorieuse, chez les Campbell, ce qui expliquait peut-être l’insouciance totale que le duc accordait à sa propre vie, et sa non-peur de la mort. Sa vie aurait seulement été courte, et pleine de regrets… Tyrgan leva les yeux vers la cime de l’arbre.

Tyrgan retenu son souffle, mais on ne lui trancha pas la gorge. Au lieu de cela, l’inconnu recula de quelques pas, et rangea sa lame. Muet d’étonnement, le duc s’écarta de l’arbre, et fixa l’homme, les yeux ronds comme des soucoupes. Alors que l’assassin parlait d’un ton imperturbable, Tyrgan, lui, était en état de choc. Qu’est-ce qui venait de se passer bon sang?!

Serrant les dents, Tyrgan suivit l’inconnu en direction du château. Il venait de prendre conscience que la forêt derrière le château n’était pas des plus sécuritaire pour sa propre vie. Cependant, l’idée d’avoir ce genre d’individu au château ne lui plaisait guère. Particulièrement en ce moment, alors que son neveu était au château. Rose lui avait demandé de garder son fils éloigné de Londres, le temps que les choses se calment à l’hôpital et dans les rues. Dire qu’il avait pensé passer un bon moment avec Archie, il devait maintenant s’occuper de ne pas se faire assassiner chez lui!

Je ne pensais pas que mon frère aurait eu les couilles pour le faire. Pour engager quelqu’un pour me tuer. Sale petite merde, pesta-t-il dans sa barbe alors qu’ils traversaient le jardin. Maintenant, taisez-vous, je ne veux pas alarmer les domestiques. Laissez-moi faire.

Alors qu’ils approchaient des escaliers de pierre lisse menant à l’intérieur du château, Tyrgan vit son neveu en pyjama pousser la porte. Accélérant le pas, le duc s’empressa pour saluer un Archie tout endormi, essayant d’avoir l’air le plus normal possible.

Salut Archie, bien dormi? Tu me cherchais?

Oui… Je peux avoir des Lucky Charms?

Allons voir Martha…

À l’intérieur du château, la domestique nommée Martha accourut en panique vers le duc, se confondant en excuse pour ne pas avoir gardé un oeil sur son jeune neveu. Tyrgan lui dit de ne pas s’en faire, et lui demanda d’occuper Archie, le temps de régler une affaire urgente avec… le nouveau jardinier. Franchement, il n’avait pas trouvé mieux. Martha emmena Archie avec elle vers les cuisines, tandis que Tyrgan fit signe à l’assassin-jardinier de le suivre au deuxième étage, dans son bureau, l’un des seuls endroits du château où Tyrgan interdisait à ses domestiques de venir y faire le ménage. Ainsi donc, son bureau était dans un total capharnaüm, ce qui ne le dérangeait aucunement. Cela évitait qu’une ou un domestique un peu fouineur ne fouille dans des documents au contenu délicat. Laissant son invité entrer le premier, Tyrgan referma la porte derrière lui, et se posa devant une bouilloire électrique posée sur une table recouverte de livres et de cartes. Ils allaient être là un petit moment.

Maintenant qu’on ne nous entendra pas ici, expliquez-moi ce qui se passe exactement. Si ce n’est pas vous que mon frère a engagé, qu’est-ce que vous faites ici? Si vous n’êtes pas ici pour me tuer, comme vous dites, pourquoi m’avoir foutu un couteau sous la gorge?! Pour l’effet dramatique?...

Plus il posait des questions, plus il comprenait de moins en moins la situation. Posant le thé noir devant l’inconnu, un excellent Darjeeling 1st flush Singell biologique et équitable, il s’assit finalement à son bureau.

Désolé c’est tout ce que j’ai, dit-il en indiquant le thé. Comment avez-vous su que mon frère cherche à me tuer d’ailleurs?

Était-il censé prendre la parole de cet inconnu comme la vérité? Si ça se trouvait, tout ça était du bluff, et cet homme ne cherchait qu’à obtenir du fric.

Il fallait donc remercier le mercenaire que son frère avait engagé pour avoir manqué de discrétion. Il s’en était fallu de peu. Quant aux intérêts qu’il aurait en commun avec le mercenaire qui était maintenant chez lui, admirant la vue depuis la fenêtre et ignorant totalement le thé qu’il venait de lui servir… ça restait à voir. Quels intérêts pouvait-il partager avec ce genre d’individu? L’homme, évidemment, était nébuleux dans ses réponses.

Pourquoi devrait-il croire un mot de ce qu’il disait? Cet homme lui avait-il sauvé la vie, ou est-ce qu’il le roulait dans la farine?

Tyrgan s’écarta de la fenêtre, ses tasse de thé entre les mains. Se faire dire qu’on est d’une faiblesse terrible faisait mal à l’égo, mais il ne pouvait pas nier les faits. Si cet homme avait été là pour le tuer, comme ce serait le cas pour le mercenaire engagé par son frère, la tâche aurait été facile. Silencieux et absorbé par ses pensées, Tyrgan, le regard fixe, contemplait sa propre inaction, et se mit à réfléchir à se qu’il devait faire ensuite.

Augmenter ma protection ne sera pas suffisant. Il n’y a qu’une personne qui souhaite ma mort, à ce que je sache, et je ne compte pas m’affubler de gardes du corps ou m’équiper d’une armée.

Il était le duc d’Argyll, pas le Roi, pour l’amour du ciel! Tyrgan poussa un soupir.

Je dois me débarrasser de mon frère, dit-il finalement, mais je ne compte pas faire la même erreur que lui en engageant un mercenaire. Cela dit, je veux bien vous payer pour que vous vous débarrassiez de l’autre, si vous le pouvez.

Il ne voulait pas dépendre de quelqu’un pour arriver à ses fins. Cependant, la façon de s’y prendre restait encore à voir. Il doutait de pouvoir le tuer lui-même… ça restait très risqué après tout. Il n’était pas non plus certain d’en être capable. Quoi qu’il en soit, il fallait mettre son frère hors-jeu.

Savez-vous où se trouve mon frère en ce moment?

Tyrgan fixa à nouveau le fond de sa tasse, pensif. Même s’il avait autant envie d’engager plus de gardes que de boire le thé refroidit dans sa tasse, il fallait se rendre à l’évidence. Tueur à sa recherche ou pas, le domaine était déjà mal protégé. Ça ferait sans doute jaser, mais il en allait de la sécurité de tout le monde au château, y compris ses domestiques et Archie. Cependant, avoir un garde du corps personnel lui faisait toujours horreur. Il devrait sans doute revoir ses entraînements militaires, pour ne pas se faire prendre, la prochaine fois qu’on lui sauterai dessus.

C’est mon frère qui est supposé récupérer tout ça. C’est bien pour ça qu’il essayait de me tuer. Si on retire mon frère de l’équation, eh bien, ce sera le Roi.

Quand un détenteur traditionnel d’un duché mourrait sans héritier, le titre était rendu à la Couronne, qui en faisait ce que bon lui semblait. Soit elle l’occupait, soit elle le dissolvait et l’intégrait à un autre duché. Évidemment, il ne pouvait pas laisser cela se produire, tout comme il ne pouvait pas laisser sa place à son frère. Ce dernier avait montré jusqu’où il était prêt à aller pour arriver à ses fins. Son cerveau avait beau être complètement empoudré de cocaïne, ses actions n’étaient pas celles d’un fou. Il avait autrefois sous-estimé Kenneth. Jamais il ne l’aurait pensé capable d’engager un mercenaire pour le tuer. Ça ne lui avait même pas traversé l’esprit. Mais en apprenant que son plan d’assassinat n’avait pas fonctionné, qu’est-ce qui le retiendrait de poser des actions plus radicales? Qu’est-ce qui l’empêcherait de s’en prendre à lui, ou aux gens qu’il aimait?

Le duc sentit alors le sang se drainer de son visage. Les doigts crispés autour de sa tasse, il se leva brusquement de son bureau. Il s’éloigna du mercenaire, contournant son bureau, ses traits se raidissant d’une expression paniquée.

Je suis un idiot.

Tyrgan ne s’était jamais considéré comme quelqu’un d’imbécile, mais ce fut en le disant tout haut qu’il réalisa à quel point il l’était. Il se mit à faire les cents pas dans son bureau.

Mon frère ne peut pas rester en vie, dit-il, avec un sentiment d’épiphanie. Même en prison, même cloîtré dans un centre de désintox, même à l’autre bout du monde, il pourrait redevenir une menace. Quand j’aurai une femme et des gosses, c’est à eux qu’il s’en prendra. Se sera à Archie ou Rose… Putain, Rose…

Il serrant les dent, craignant soudainement que lorsque Kenneth se rendrait compte que son plan était à l’eau, il tenterait de s’en prendre à leur soeur. Il devait forcément se cacher quelque part à Londres, c’était évident. Rose était en danger. Tyrgan s’arrêta à nouveau pour poser sa tasse sur une étagère. Il plaqua ses mains sur son bureau, et fit face au mercenaire, sa panique se transformant peu à peu en colère.

Même si ce n’est pas l’envie qui manque je ne peux pas m’en débarrasser… le tuer moi même, se corrigea-t-il, une colère contenue dans la voix. Ce serait sans doute la chose noble à faire, mais je ne sais pas si je pourrais vivre avec ça sur la conscience. Je ne sais pas si je pourrais vivre avec ça sur la conscience, en payant quelqu’un pour le faire pour moi. Qu’est-ce que je dois faire selon vous?

Tyrgan n’avait aucun doute que cet homme était bien différent de lui. Comment arrivait-il à fonctionner sans se sentir constamment coupable?

Son frère putain… Il fallait vraiment qu’il en arrive à ce point? D’après le mercenaire, c’était la chose la plus prudente à faire. Avec son frère définitivement hors jeu, l’inquiétude et la peur de voir les gens chers à son coeur être entraînés dans leur guerre fratricide ne le tourmenteraient pas. Mais aurait-il vraiment la paix d’esprit? Sans doute pas. Comme disait le mercenaire, il fallait choisir son fardeau. Soit accepter de vivre dans la peur, soit accepter d’avoir la mort de son frère sur la conscience. La mentalité du tueur à gages réussissait peut-être à l’atteindre, car en rationnalisant tout ça, c’était presque un geste égoïste de sa part que d’épargner son frère pour sauver sa conscience.

Quant au reste, Tyrgan aurait tout donner pour lui donner la raclée du siècle. Tyrgan n’était pas de ces nobles mélancoliques qui rêvaient de “ce bon vieux temps” avec nostalgie, mais dans les circonstances, il aurait voulu affronter son frère, d’homme à homme, dans un duel à mort. Peu importe l’issue, ils auraient eu une mort plus glorieuse que celle à laquelle il condamnerait son frère.

Mais on était en 2025. Tuer son rival n’était plus la norme, et il devrait s’en remettre aux mains d’un inconnu pour l’exécution. Il avait justement quelqu’un dans son bureau qui pouvait réaliser cette tâche, mais il avait besoin de temps. Ce genre de décision ne peut pas se prendre sur un coup de tête. Silencieux, Tyrgan ouvrit la porte de son bureau, et lança au mercenaire.

Je vais chercher votre paiement, je ne serai pas long.

Comme de fait, une minute plus tard, Tyrgan réapparu, une valise en cuir dans une main. Il referma la porte, et posa la valise devant le mercenaire. En ouvrant les deux verrous dorés de la valise, celle-ci s’ouvrit. Des piles de liasses de billet étaient soigneusement disposées en rangée au fond de la valise. Il s’agissait du salaire des ouvriers de la distillerie de Campbelltown, qu’il devait aller porter le soir même. Vu la situation exceptionnelle, la paie arriverait sans doute plus tard que prévu. Il était déjà chanceux d’avoir eu la valise sous la main pour payer le mercenaire.

J’ai supposé que vous ne preniez pas les chèques, donc prenez ce qui vous semble juste, dit-il simplement. En ce qui concerne mon frère, je dois y réfléchir. Si jamais j’ai à nouveau besoin de vos services, comment puis-je vous trouver?

Quelque chose lui disait que ce genre de personne n’était pas facile à rejoindre.