Le point négatif avec le monde du surnaturel, et surtout les esprits, c'est qu'ils n'ont pas de montre et de calendrier. Les concepts de date précise, de rendez-vous, de vie privée ou d'affaire personnelle leur sont totalement étrangers, et parfois ils se manifestent au pire moment... Comme là... Alors que je me réveille en plein milieu de la nuit pour aller boire un verre d'eau, je retrouve mon sac de lettres posé sur le comptoir de la cuisine, alors que je l'avais laissé dans mon sac à dos. Bon je suis habituée à ce genre de choses et ça ne m'étonne pas, j'ai juste appris à prendre ça au sérieux depuis le temps, et surtout à ne pas les ignorer, car comme le dit ma grand mère : si on ignore les demandes ou les avertissements des esprits, bientôt ils ne vont plus s'embêter à venir te voir, ils iront chez quelqu'un d'autre qui, lui, va les écouter. Et toi tu n'auras plus rien. Je me rappelle de cette phrase qui résonne souvent, et qui me fait accepter chaque manifestation avec plus ou moins bonne volonté même si c'est pas toujours le moment. Et si le sac s'est matérialisé à un endroit où je ne peux pas le rater, c'est qu'il y a une raison... et une importante.
Je déglutis, un peu inquiète quant au résultats du tirage, et retiens mon souffle alors que je plonge la main dans le sac de tissu si banal mais qui referme tant de promesses ou d'avertissements. Et comme toujours la règle : plonger, refermer sans chercher à compter ou à choisir... les lettres que je remonte sont les bonnes parce que c'est ainsi et qu'une force qui me dépasse l'a décidé pour moi. De toute façon je ne suis qu'un intermédiaire, une voix, un portail entre les mondes... Je sens les petits carrés de plastique contre ma paume et je ressors ma main, déposant ensuite les lettres sur le comptoir, avant de prendre une seconde pour les remettre en ordre.
Highgate. Il va se passer quelque chose à Highgate? Oui. Est-ce que ça va être grave? Oui.
Je sens ma gorge se nouer un peu, et mon coeur battre plus vite. C'est la malédiction du messager : apporter de mauvaises nouvelles et savoir qu'elles vont ruiner des vies et des destins même si heureusement il y a des moments où au contraire je peux aider, guider et soulager. Sauf que visiblement, pour cette conversation ce n'est pas le cas. D'une main un peu tremblante je fais un nouveau tirage.
Est-ce qu'il va y avoir des morts? Oui.
Ok là j'aime pas ça, vraiment pas ça...
Quand est-ce que ça va se passer? Soir. Ce soir? Oui. Est-ce que je vais devoir y être? Oui. Est-ce que je vais être en danger?
Et là, alors que ça n'est jamais arrivé et que ça n'existe pas, je sors du sac un jeton sur lequel figure un point d'interrogation. Il n'y en a pas dans le jeu. Je déglutis et attrape mon téléphone pour envoyer un message à Zac histoire de le prévenir que quelque chose ne tourne pas rond, luttant avec mon bras dans le plâtre pour tapoter au final comme les vieux, du bout de l'index et je le repose, troquant le verre d'eau pour un café. Vu ce que j'ai appris, impossible que je me rendorme, de toute façon.
Du coup je ne suis pas très fraîche quand j'ouvre la boutique, l'esprit et le corps un peu pâteux, au ralenti, à la fois à cause de la fatigue et à cause de la nouvelle que j'ai apprise, cet incident mystère qui va survenir mais dont je ne sais rien à part qu'il va y avoir des morts, que je vais devoir y aller et qu'en plus je cours un risque une fois sur place... Je lutte avec le rideau de fer, me hissant sur la pointe des pieds pour le pousser le plus haut possible, avant de retourner l'écriteau face "ouvert" vers l'extérieur, et attends mes premiers clients en allumant quelques bougies et préparant ma traditionnelle tisane que j'offre. A une main c'est moins facile mais je me débrouille doucement, et j'ai presque tout terminé quand j'entends le carillon de la porte tinter, me faisant lever le nez de la liste des commandes à faire, et souris en reconnaissant Manus. C'est un habitué des séances, et aussi quelqu'un de torturé, portant sur lui le poids du sang et des larmes... Ce qu'il a fait précisément? Je n'en sais rien et ce n'est pas à moi de le savoir mais j'ai rarement lu autant de douleur dans les yeux de quelqu'un... Il doit être préoccupé pour qu'il vienne aussi tôt... Et il est immédiatement suivi d'un autre type, à l'aura tout aussi sombre. Est-ce qu'ils ont frayé dans les mêmes eaux, tous les deux? Je n'en sais rien... mais je fais assez confiance en Manus pour ne pas m'inquiéter de la présence de ce type qui ressemble plus à un garde du corps... Je hoche la tête à sa demande.
Oui bien sûr il est encore tôt... Je peux décaler l'ouverture d'une demi-heure si ça te va? Et ton ami, est-ce que tu veux qu'il vienne avec toi? Sinon il peut attendre ici...
Je retourne vers la porte de la boutique, la verrouille et retourne l'écriteau, rajoutant une petite note "Ouverture exceptionnelle à 9h30". Je retraverse le magasin, attrapant mon sac de lettres qui est toujours rangé sous le comptoir pour pousser le rideau de la petite salle adjacente qui me sert à mes séances de divination, un bureau, ou une remise je pense, juste assez grande pour que deux personnes puissent s'asseoir face à face autour d'une petite table, deux vieux fauteuils en velours trouvés aux puces, et les murs sombres recouverts de gravures anciennes ayant un lien avec les plantes, les animaux, l'ésotérisme histoire de donner le ton. J'allume quelques bougies pendant qu'il s'installe, et passe la tête dans le magasin pour m'adresser à son acolyte.
Il y a du thé de prêt si vous voulez... Tisane détox!
Puis me tournant vers Manus je demande
Tu en veux toi?
Je m'installe ensuite face à lui, pose le sac sur la nappe en velours violet et plonge mon regard dans le sien.
Voilà... dis-moi, qu'est-ce que je peux faire pour toi? En quoi tu as besoin de parler aux esprits?
Je sais que je devrais en avoir un peu honte, mais si on bosse dans l'ésotérisme, il faut y aller à fond sinon les clients n'y croiront pas. Alors oui il y a un juste milieu entre la boutique cliché sombre, aux murs lambrissés sombres recouverts d'étagères supportant des bocaux remplis de trucs bizarres, avec des animaux empaillés aux murs, et avec seulement des grimoires et des trucs en latin dans les bibliothèques, et la boutique aseptisée d'une marque de luxe... Personne ne prendra au sérieux une boutique qui en fait trop, mais personne n'osera entrer dans une boutique de sorcellerie qui ressemble à une banque ou un bureau d'assurances... Ils ont besoin d'un décorum, ils ont besoin de l'ambiance et l'atmosphère autant que d'une médium qui a vraiment le don. Dans l'absolu je pourrais aller faire des séances dans des cafés, des bibliothèques mais ça ne marcherait pas. Pourquoi? Parce que sans encens et sans bougies, les gens n'auraient pas eu l'impression d'avoir assisté à une vraie séance. Tout comme la nourriture indienne aura meilleur goût dans un petit restau de quartier avec des statues de Ganesh et des trucs en métal clinquant avec de la musique Bollywood en fond. Tellement cliché, mais ils ont besoin que ce soit authentique pour y croire... C'est exactement pour ça que, même si ma boutique est claire, remplie de couleurs douces, avec des comptoirs de pierres qui ressemblent plus à des présentoirs à bonbons et des livres modernes aux couvertures flashy et colorées, la pièce où je reçois doit un peu plus coller à l'ambiance. Au final ça n'a pas été si long et si cher : un pot de peinture, quelques vieux tableaux, des bibelots trouvés aux puces ou dans les vide greniers et les bougies qui ne sont pas assez belles pour être vendues et qui trouvent une nouvelle vie comme ça...
Et ce que les gens aiment aussi, c'est de leur montrer qu'ils comptent assez pour qu'ils aient l'impression qu'on leur fait une fleur qu'on n'accorde pas aux autres. Comme là, avec Manus, l'homme aux yeux de glace. Le mur infranchissable. Indéchiffrable au point que ça en est presque effrayant, d'avoir une telle maîtrise de soi pour ne rien laisser paraître, peu importe ce que je lui révèle. Enfin bref, oui, retarder de 30 min l'ouverture du magasin ce matin pour lui faire une séance privée va me rapporter plus que d'avoir laissé ouvert et d'avoir accueilli trois clients dont deux ne vont rien prendre, et juste faire un tour.
Bien sûr ça ne me dérange pas, sinon je ne te l'aurais pas proposé! Et Jack, tu peux feuilleter les bouquins et te servir un thé si tu veux!
J'installe ensuite Manus dans la petite salle et prépare l'ambiance, allumant les bougies qui diffusent un parfum d'orange et de cannelle et lui fais signe de s'asseoir alors que je pose mon sac de lettres de Scrabble devant moi. Je me demande ce que Manus fait dans la vie... il pourrait être flic... mais il a cette aura de danger et de charisme qui en impose sans qu'il ait besoin d'élever la voix, une façon de se tenir qui pousse à faire ce qu'il dit, même s'il n'oblige en rien. Je me demande même si Jack est vraiment son ami ou son garde du corps... J'ai plusieurs fois eu envie d'interroger les lettres mais je me suis retenue... c'est important de ne pas aller fouiller dans la vie des autres sans qu'ils l'aient demandé. Et les esprits risquent de ne pas aimer que je "gâche" mon don en questions et recherches inutiles. Je l'écoute ensuite me demander ce qu'il veut et hoche la tête, m'apprêtant à plonger ma main dans le sac quand il change d'avis et je m'arrête.
C'est terrible ce qui s'est passé... et je suis désolée d'apprendre que tu as perdu quelqu'un là bas... vraiment...
Je l'écoute exposer sa demande et hoche la tête, sortant ma main du sac.
Il n'y a pas vraiment de danger, je t'assure. Ce qu'on voit dans les films, c'est un peu du flan, le fait de ne pas dire au revoir et autres... Mon rapport avec les esprits c'est plus proche... d'un forum d'assistance en ligne si tu vois l'idée. Je pose une question, on me répond, même si parfois la personne que je cherche à joindre n'est pas là ou ne veut pas parler. Je te propose qu'on essaie avec ton ami et si ça ne marche pas on tentera quelque chose d'accord?
Une fois que j'ai l'information je hoche la tête et ferme les yeux. Les flammes des bougies vacillent légèrement alors qu'un courant d'air fait tinter les pampilles de cristal de quelques chandeliers.
Bonjour... J'aimerais parler à Declan, c'est un ami de Manus... est-il là et prêt à parler?
Je plonge la main dans le sac de lettres et la referme sur des carrés de plastique, avant de la ressortir et poser ma pêche sur le velours sombre devant moi.
U - I - O
Je relève la tête et croise le regard de l'Irlandais.
Il est là... que voudrais tu lui poser comme questions?
HRP: alors si tu veux mettre Manus au supplice l'esprit répondra tu le sais déjà.
Invité
Invité
22.06.20 19:48
Lowri Conway
A la recherche de réponses
- Manus & Lowri -
Séance de spiritisme à la boutique.
A force, mes gestes pour préparer une séance sont quasiment automatiques. Je glisse du rideau aux bougies, des bougies à la chaise, et de la chaise à mon sac de lettres, après avoir proposé une tasse de thé à mon client. A cause de murs sombres, la lueur des bougies se reflète sur la boule en verre que j'ai trouvée à IKEA et sur les quelques cristaux et babioles scintillantes qui se trouvent aux murs et sur la table. Et une fois que je suis sûre que l'ami de Manus a de quoi s'occuper, je fais installer le jeune irlandais et lui pose quelques questions sur le but de la séance avant de me lancer. Les esprits errent et circulent tout autour de nous, et si je ne fais pas le tri avant, si je ne sais pas à qui m'adresser et dans quelle direction "enquêter", je peux vite me retrouver dans une situation dangereuse, avec un esprit malin qui peut essayer de me tromper, dans le meilleur de cas, s'amusant à me faire tourner en bourrique, à une vraie menace flippante. Je suis un peu comme le videur à l'entrée d'une boite de nuit, sauf que je suis plutôt petite et pas vraiment taillée pour le combat... Enfin, on commence et on évoque l'histoire de l'explosion à l'université. C'est terrible, une vraie tragédie... Surtout que j'y suis allée, en tant qu'étudiante, et ça m'a fait un frisson très désagréable de me dire qu'à quelques années près, j'aurais pu être sur place. Que des professeurs que j'ai connus, des gens qui travaillent là bas ont peut-être été blessés ou tués... Et vu sa première demande, je me dis que je n'ai pas été la seule à me poser ce genre de questions, sauf que lui a effectivement perdu quelqu'un. Je passe la langue sur mes lèvres avant de prendre une inspiration et appeler l'esprit à qui il souhaite s'adresser, laissant ensuite des mains invisibles guider mes doigts dans le rectangle de tissu, et déposer un "oui" sur le velours noir devant nous sur la table.
Et à cet instant je fronce les sourcils, en sentant comme un froid parcourir mes veines. Une étrange impression commence à me saisir...quelque chose...de mauvais. Quelque chose de dangereux. Mon monde fonctionne surtout sur des impressions et des sensations... je n'ai pas de flashs précis, pas de visions claires d'un moment ou d'un événement... mais juste des ressentis qui glissent dans mon corps sans que je puisse donner une explication... Maintenant je suis habituée, mais c'est étrange d'être un réceptacle d'impressions sans en savoir plus... comme une feuille ballottée par le vent. Et là, je sens que cette personne, ce Declan n'est pas quelqu'un de bien. Il est même dangereux. Je ne dis rien, gardant ces impressions pour moi alors que je me fige en comprenant le sens de sa question. Il sait. Il sait qui a fait ça, il sait qui a commis cet attentat. Je déglutis, essayant de calmer mes mains qui se mettent à trembler et alors que je remets les lettres dans le sac et que je les secoue, je croise le regard de Manus.
Ce n'est pas quelqu'un de bien ou de gentil... Je sens sa haine tout autour de moi. C'est terrible de noirceur...
Ca me prend presque à la gorge, m'empêchant de respirer correctement alors que je plonge à nouveau ma main dans le sac et je saisis la poignée de petits carrés de plastique avant de les déposer sur le velours. Je prends quelques secondes pour les remettre en place et y trouver un sens.
Tu sais
Je croise à nouveau le regard de glace de Manus.
Il te déteste et t'en veux. Je ne sais pas pourquoi mais il t'en veut... son aura... elle pue la vengeance et la colère... Et il est remonté contre toi... Je... Tu devrais faire attention...