Mon cher oncle, j’aurais bien besoins de vos conseils en matière de vie maritale. Permettez que je vous conte la dernière tempête que nous venons de traverser. C’était au moment de la célébration des douze ans du Prince Georges. Nous nous sommes disputés une nouvelle fois. Edward m’imposait de porter les couleurs de la Baronnie (hideuses au demeurant), alors que je me réjouissais d’avoir l’opportunité d’aller à la Cour sous mon vrai titre. Il sait que pour une femme comme moi, fille de la Maison d’Havanore, être appelée baronne de Crawley est une humiliation. J’ai l’impression qu’il prend plaisir à me rappeler ma chute… J’en ai pleuré de rage mon oncle. Ne m'a-t-il pas épousé parce que je suis la fille de ma Mère. Parce que je suis Princesse de Monaco ?

Je n’avais plus envie d’y aller. Iris n’y serait pas, retenue par ses études sur la côtes ouest américaine. Bon sang, comme je l’enviais à cet instant d’être libre comme l’air. Je m’en voulais aussitôt. Vous non plus vous ne seriez pas là. Où étiez-vous ? Dans quelle dangereuse aventure ? Je n’aurais pas même le plaisir d’arborer nos couleurs. Il n’y a rien de futile, quand on se trouve, dans cette fosse aux lions. Ce mariage avait peut-être rassuré mon cher Père. Je ne sentais rien d’autre qu’un dôme de plomb m’enmurer un peu plus chaque jour. En plus de cette conscience d’avoir été la monnaie d’échange qu’on oublie.

J’avais trouvé une idée pour excuser mon absence. Mais lorsqu’il l'apprit Edward se mit en colère. Je n’avais jamais vu dans cet état. Quand il a attrapé mon bras et la serrer si fort. J’ai eu peur de lui. J’ai eu peur de ce qu’il pourrait faire. Pour le calmer, j’ai donc cédé et porté la robe qu’il attendait. Voyez-vous ce qui se passe mon oncle? Vous m’aviez juré qu’une fois mariée je pourrais vivre librement même dans le secret. Alors que je suis dans une incessante bataille pour rester moi-même. Et si j’en venais à l’oublier ?

Nous avions pris la plus belle des voitures. Tommy était rentré de congé expressément pour nous conduire au Palais. J’étais rassurée de voir ses épaules. Il était sans aucun doute mon seul véritable allié ce soir. J’étais déterminée à profiter de ma punition. Je cherchais même, ce qui pourrait contrarier Edward, en représaille de sa dictature conjugale. Ce serait une douce vengeance. Cela occupait fort bien mon esprit. J’en retrouvais un semblant de calme. Nous avons fait la parade devant les grandes portes. Je crois que l’on devrait nous desservir des oscars à nous aussi.

Nous nous sommes retrouvés dans la coursive du deuxième étage. Il n’y avait que petit marquis et autre petite noblesse, tandis que je voyais Père et Mère plus loin. J’en pestais intérieurement. Ils ne pouvaient faire les beaux que parce que la fortune d’Edward les avaient aidé. Je ne montrais rien et tenait mon rôle attendant le moment le plus opportun. J’entendis alors une voix familière derrière mon épaule.

“Tyrgan!” Bien sûre qu’il serait invité! Je n’y avais même pas pensé. J’avais arrêté d’attendre après son sourire à force que nous nous manquions au cours des derniers mois, des deux années passées. Le titre effaçait instantanément mon sourire et gâtait un peu ma joie de le revoir. Sa taquinerie et son sourire me rappelait notre vieille complicité. Je penchais ma tête vers lui pour sourire et médire. “ N’est-on pas là pour ça ? ” J’avais très rapidement compris que ce genre de soirée était là pour valoriser la couronne et absolument rien de plus. Je posais ma main sur la sienne pendant notre baiser. J'aspirais un peu de notre air commun. Déjà je me sentais moins seule.

“Moi aussi.” J’éloignais mes doigts à regret. Tyrgan est l’un des rares hommes que je voudrais protéger du mauvais esprit de mon cher époux. “ Tu serais beau même avec une perruque! Mon petit Capt’ain.” Je le taquinais gentiment. Une lueur de malice me venait au souvenir de l’un de nos jeux d’enfance. Nous avions fait l’abordage d’un navire marchand. La fine lame de la Piraterie. J’étais son second.

Je regardais la basse-coure. Mais tout cet éclat ne me procurait pas le même plaisir que les autres fois. “Moi ?” J’affichais mon air le plus léger. Je forçais un sourire et même un petit rire de gorge. Devant Tyrgan, plus que devant les autres Ducs, je voulais rester la belle et sulfureuse Violet. En y jouant, je l’étais à nouveau. “Un peu des deux. Mais maintenant que tu es là surtout du second. Alors je t'interdis de m'abandonner ce soir.” J’observais son profil. C’était un bel homme. Il aurait pu être marié depuis longtemps. Mais, j’étais secrètement et inutilement heureuse qu’il ne le soit pas. “Tu dois me raconter tes dernières aventures… puisque tu n’as pas su me les écrire.” Je ne lui en voulais pas tant. Mais pouvais-je lui cacher ma nostalgie de notre complicité passé ?

Serait-ce cela qu’Edward attendait de moi son épouse ? De la modestie ? Ce n’était par la vertu cardinale dont on m’avait fait la leçon principale. Les sermons de Père Andrew résonnait avant tout comme une ode au droit Divin. Un droit que nous avions de naissance selon les textes. Je n’ai jamais bien saisi ce concept. Que peut-il bien y avoir de Divin en moi ? Je ne le sais toujours pas alors que j’ai trente ans déjà. J’avais simplement pouffé avec lui. Mais à quoi bon relever. Lui comme moi connaissions mes défauts…

Je souriais cherchant comme c’était terminé notre aventure de piraterie. Avait-on eu le trésor du marchand ? Ou nous étions fait couler par la marine royale ? Je préférais penser que nous avions gagné. Je devenais dans son sillage la présence d’une ou deux jeunes filles à marier. Je reconnaissais l’une d’elle pour avoir fait des classes ensembles. Je devinais dans son regard un mélange de contrarié et de défiance. Les demoiselles sont pirs que des furies quand elles sont en chasse de leur futur.

“ Il est vrai que la demie mesure n’a jamais fait partie de tes talents. Ou des miens. ” Nous étions des êtres entiers. Des phoenix. Il n’y avait que mon éducation pour avoir contrôlé cette flamme que je sens souvent brûler en moi. Celle que vous avez toujours vu mon Oncle. Celle-là même qu’Edward n’aime pas. “ Je te pardonne. Mais seulement si tu me garde au moins une valse ce soir.” Il ne pouvait pas s’en tirer à s’y bon compte. Et puis j’avais envie de danser mais pas avec Edward.
Étonnée, que Tyrgan nous tire du beau monde, je le suivais avec un sourire intrigué sur les lèvres. Je l’interrogeais du regard alors que le brouhaha autour de nous s’amenuisait. Nous n’avions plus quinze ans et ne pouvons nous cacher pour une partie de cartes. Un jeu que je regrettais souvent maintenant. Je lui trouvais un comportement étrange. Qu’avait-il à surveiller ainsi ?

“ Oui. Un peu… Que se passe-t-il Ty’ ? ” J’avais beau ne pas être aussi empathique qu’Iris, j’étais soucieuse quand cela concernait une personne proche. Tyrgan était de celles-ci. Qu’importe que notre relation se soit distendue. Il avait sa place dans mon coeur pour toujours. “ Quoi ?! Ken !? ” J’avais réussi à maîtriser mon intonation et contrôler mon cri. Il n’en restait pas moins que j’étais sous le choc. “ … mais ” Bien sûre les frères Campbell n’étaient pas aussi complice que nous l’étions Iris et moi. Mais tout de même… l’assassinat ! Je n’en revenais pas. C’était proprement incroyable. Pourtant, pas un instant je n’ais pensé à mettre ces mots en doute.

“ Bien sûre oui...” Bien sûre que je comprenais bien sa défiance. D’instinct je commençais moi aussi à surveiller les alentours. Si le fait de se confier à moi le mettais en danger je ne le supporterais pas. Je me rapprochais de lui pour pouvoir parler plus bas. “ … Tu dois en parler à la police… ”

Je plantais mon regard dans le sien. Je lui souriais rassurante. J’acceptais ses excuses et les évacués d’un signe de tête. Ce qu’il vivait était plus important que mes “chamailleries” avec Edward. De ce que j’en savais il n’avait pas encore prévu de devenir Veuf! Sous le coup de l’émotion je levais une main pour caresser la joue de mon petit Duc, oubliant la prudence et mes secrets.

“ Non tu as bien fait de m’en parler. … Je connais un bon détective privé. Il pourrait t’aider à en savoir plus. Je peux lui demander un rendez-vous. ” Je n’avais qu’à passer un coup de téléphone. L’homme viendrait en toute discrétion je le savais. J’avais déjà fait appel à ses services. Une enquête sur mon fiancé avant notre mariage. Je voulais savoir dans quoi j’allais embarquer. Je n’avais pas été déçu du voyage mon oncle, vous pouvez me croire. “ Je sais… retrouves moi aux écuries la semaine prochaine… mercredi … à 15h00. J’aurais eu le temps de le contacter. ” Je n’allais certainement pas rester statique pendant que la vie de Tyrgan était menacée. Avoir une autre personne que moi de qui me soucier me faisait du bien.

En regardant Tyrgan, me faire un baisemain, j’avais soudainement réalisé quelque-chose. C’était que personne ne m’avait traité avec cet égard depuis longtemps. J’en frissonnais secrètement. Même lors de mes plus tristes calculs, je n’avais su anticiper mon isolement. Peut-être finirais-je comme nombre de mes consoeurs, à supplier un de mes employés de maison, de venir faire les hommages qu’un homme doit à une dame ? Le gentil jardinier ne s’était pas caché de me trouver jolie et… Quelle horreur! Cette pensée fugitive s’était effacée à l’instant où il relâcha ma main.

-“ Je comprend. ” Lui répondais-je en douceur et avec toute la compassion que je pouvais. Car oui, je comprenais fort bien devant quel dilemme le placerait une telle démarche. J’en étais consciente. Mais à mes yeux sa vie avait plus de valeur qu’un florissant commerce de spiritueux. Nous n’étions pas des gens de noblesses comme le sont ceux des Légendes. Nous n’étions que des hommes et des femmes fait de chair, d’os… et mortels. “ Mais, il s’agit de ta vie. Tyrgan.”

J’extirpais doucement de l’air de mes poumons quand il acceptait mon plan. S’il y avait une chose que je pouvais lui reconnaître c’est qu’il m’avait toujours écouté. Qu’il avait toujours pris en considération mon avis et mes idées. Ce qui était beaucoup trop rare dans ce petit monde étriqué dans lequel nous avions grandis tous deux.

-“ Je bastion de toutes nos révoltes !” J’en rajoutais un peu. J’en faisais un peu trop parce que ce sujet m’avait rendue nerveuse. Parce que je craignais pour lui. Surtout parce que je souhaitait adoucir ses propres angoisses par un soupçon de légèreté. “ Je t’enverrais un message. Mais oui, c’est un homme de confiance. ”

A la mention de la chute de légendaire du Capitaine je pouffais un peu de dérision. Je venais doucement lui prendre le menton et constatais que la marque était encore là.

-“ Je me souviens oui. Père m’a punie pendant un mois !! ” Ce qui n’avait fait que renforcer mon amour de la rébellion contre les parents et l’envie de les contrarier. J’avais été autrement plus fâchée d’apprendre que Pégase avait été lui aussi interdit de sortie. La pauvre bête n’avait rien fait de mal, si ce n’est m’obéir en laissant Tyg monter sur son dos. “ Depuis as-tu guéri de ta peur ?” J’étais persuadée qu’il n’en avait rien fait. Je n’avais pas oublié les nombreuses négociations que j’avais dû mener ne serait-ce que pour tenter. Mais comment faisait-il pour échapper à la chasse à courre ?

Oui, il avait raison. J’avais un talent pour ce sport là. J’avais un vrai talent. Vous souvenez-vous mon oncle ? Comme ma belle “Athéna” et moi pouvions voler haut dans le ciel ? Combien j’aimais ça. Combien j’aurais aimé… Je lui souriais de nouveau flattée et réchauffée par ses douces paroles. J’avais donc si cruellement manqué d’affection ? Ou était-ce parce qu’il était l’auteur de ces palabres que je me sentais comme une jeune fille ? Je ne le sais pas.

Mais sa curiosité me ramena une fois de plus à ma condition réelle de “Baronne de Crawley”. Fort heureusement, après deux années de mariage, je savais mieux faire, mieux mentir. Je peignais donc un sourire amusé sur mon visage. Je lui faisais un regard taquin. Un qui cacherait parfaitement ma profonde amertume. Car vous savez bien vous mon oncle… comme ce domaine et pâle, brusque, sans attraits aucun après la vie chez Père et Mère.

-“Elles sont correctes.” Je ne pouvais dire autre chose sans prendre le risque de me trahir. Je n’avais pas non plus envie de lui mentir plus que le nécessaire. “ Tu dois t’occuper à trouver ton épouse. Tu n’auras pas le temps de venir me voir au domaine.” Lui disais-je alors pour le décourager un peu. J’avais beaucoup trop honte de ma demeure. Je n’avais pas envie qu’il constate de ses propres yeux toute ma déchéance. Non pas lui… Je voulais qu’il conserve de moi cette image lumineuse de la Princesse Violet. C’était sans doute puéril. Mais je n’avais plus grand chose maintenant pour alimenter ma propre estime.

J’avançais lentement dans ce couloir près de lui. Je me reprenais à lui caresser le bras sans y réfléchir. Je cessais tout de suite pour ne pas nous mettre dans l’inconfort. Je m’étais toujours demandé s’il avait su ? Que moi Violet j’aurais été heureuse d’être une duchesse. Je souriais de ma faiblesse de coeur de petite fille. C’était idiot. Il ne fallait pas y penser. A force d’agiter le passé...

-“ Je pourrais te présenter quelques unes de mes bonnes amies ? ” Je lui glissais une petite oeillade taquine même si ma proposition était sincère. Je connaissais bien notre génération. Je pourrais lui épargner quelques maladresses et lui faire gagner un peu de temps. Peut-être qu’Iris aurait envisagé la chose si elle n’était pas déjà promise au jeune Leicester ? “ Une qui aime les fêtes.” Diable comme cela me manquait… les fêtes. Edward n’y avait aucun goût. Il n’aimait pas que j’y aille seule. Moi qui avait un tel plaisir à chanter et danser.

-“Hum. Alors. Peut-être. ” Je n’avais pas assez de courage pour lui dire “non”. Ne serait-ce que parce que j’avais envie de le voir, de le revoir et de passer du temps en sa compagnie. Il me suffirait de prévoir les choses suffisamment tôt pour que le Baron ne soit pas là.

Je regardais son profil alors qu’il reconnaît de lui-même que la question d’une alliance devient prégnante. Nous n’avons pas beaucoup d’années d’écart lui et moi. Certes vous me direz qu’en tant qu’homme la chose pouvait être tardive. Cependant, à la suite de ce qu’il venait de me confesser dans ce couloir je ne pouvais m’empêcher de voir un mariage comme une nouvelle protection sur sa personne. Une sorte d’assurance vie contre Ken et tous ceux qui voulaient lui nuire. J’hésitais, mais ne partageais pas cette réflexion avec lui, car je sentais que le sujet le rendait nerveux en l’état. Je ne voulais pas qu’il se sente plus acculé encore.

Je croisais les yeux de Tyrgan et lisait dans ses yeux la pensée que je venais d’avoir. Ce que j’avais tant désiré à quinze ans me paraissait maintenant absurde. Ce lien si fort qui nous liait ne pouvait être abîmé par ce genre d’arrangement. J’étais quasiment certaine que nous n’aurions plus tout à fait la même complicité si nous avions été mariés.

-“Une à l’instinct maternel. ” Je notais cela dans un coin de mon esprit alors que nous passion le seuil de la salle du bal. Je n’étais pas surprise que Tyrgan recherche les atouts d’une mère chez une future partenaire de vie. Il était si fraternel au naturel qu’il devait avoir l’âme paternelle elle aussi. Je pouvais déjà éliminer une des prétendantes sachant pertinemment qu’elle ne lui conviendrait pas. “Écossaise bien entendu! Prépares-toi je vais organiser des thé. ”

Je lui souriais en silence alors que sa remarque continuait son chemin en moi. Je commençais tout juste à me poser des questions sur ma propre maternité. Edward ayant fait entendre, qu’il voulait un héritier, au plus tard pour l’année à venir, nous nous y essayons depuis le printemps. Je n’étais pas enceinte. Je n’étais pas du tout certaine de le vouloir non plus. Mais je savais aussi que je ne pouvais pas le lui refuser.

Ma main gauche arrivait dans son dos. Je sentais le coton de sa veste d'apparat sous mes doigts. Je posais mes yeux dans les siens. Nos pieds entamaient le pas classique. Je n’avais qu’à laisser mon corps faire. Il suivait une mécanique bien huilée. Mais j’y mettais davantage de goût de retrouver cet ancien cavalier.

-“ Elle va bien!” Je n’avais pas vu Iris depuis que nous avons fêté l’anniversaire de Mère le mois passé. Mais nous nous écrivons et nous téléphonons régulièrement. Je ne voulais pas que la vie nous éloigne l’une de l’autre. Je faisais donc ce que je pouvais pour préserver notre lien. “Oui. Aussi douce qu’une rose. ” Je suis aussi expansive qu’Iris est secrète. Nous sommes deux faces d’une pièce. Je sais depuis longtemps qu’elle est la plus fine de nous deux. Le sourire aux lèvres, de penser à mon petite ange blond, je me rapprochais de lui.

-“Elle termine son stage en Australie dans quelques jours. ” Elle avait déjà fait plus d’études que je n’en ferais jamais. Mais elle avait goût et tête pour ça. Je me sentais gonflée de fierté chaque fois que je pensais à son parcours et à son ambition. Je lui souhaitais de s’échapper de ce mode de vie, notre mode de vie. Raison pour laquelle j’ai concédé à ce vil calcul financier sur ma dote et mon propre avenir. Cela la libérait de toute obligation envers la Maison. “ Tu pourrais aller au domaine cet été. Je suis convaincue qu’ils seront tous bien heureux de te revoir. Tu verras par toi même comme elle a changé. Une vraie petite femme. ” Lui disais-je avec affection.

Je n’étais pas encore une mère mais j’étais une sœur. Je l’enviais sans doute un peu. Mais je l’admirais surtout. Elle était celle qui pouvait faire évoluer notre caste j’en étais intimement convaincue.

-“Comment va ta Rose ?” Un frère ennemi mais une soeur amie n’est-ce pas ? J’aimais beaucoup la fille de la famille. Elle était elle aussi pleine de feu. Je me retrouvais en elle. “ Et ta grand maman ? ” Je n’ignorais rien de leur opinion sur ma famille et sur moi en particulier. Les parents n'étaient plus de ce monde malheureusement. Il y avait encore une grand-mère très... vigilente. J’étais une Princesse éduquée. Je ne prenais pas ombrage.

Je savais qu’Iris serait ravie d'accueillir Tyrgan au château et qu’ils passeraient un bon moment ensemble. Certes, je leur enviais leur liberté individuelle, mais je ne leur en tiendrais pas rigueur. Ils profitaient de ce que j’avais perdu et par amour pour eux j’en étais heureuse. Ils étaient ma résistance. Je comptais acquérir plus de pouvoir et être une lady E. Campbell, en plus jeune et libre ?

Je l’écoutais, me raconter sa grand-mère, qui par bien des traits ressemblait à la nôtre. Les dames qu’elles soient Anglaises ou Ecossaises avaient été formées dans le même moule. Je pouvais sans effort entrevoir cette vieille femme donner le thé et les racontars à ses amies. Quand je disais amies je voulais dire par là des “dames de compagnie”. La princesse de Monaco était une reine en son palace, quand bien même était-il aussi passé qu’elle-même. J’avais beau être en admiration face à leur élégance… Il me venait de plus en plus la peur de voir en elles ma propre destinée…

-“ Mère était ainsi avant que j’épouse Edward.” Lui disais-je pour un peu le consoler. Je n’étais pas sûre que cette tactique fonctionnait franchement. “ Tu n’as qu’à te trouver une bonne complice. ” C’était tout à fait possible quand les parents n’avaient pas passés de contrat à la naissance. Je le savais assez avenant pour convaincre une femme. Le tout était de la rencontrer. Je savais que beaucoup de couples mariés faisaient des arrangements afin de concilier devoir et désir. Je le savais car je songeais moi-même à formuler un tel pacte avec Lord Crawley.

-“Je pense souvent à elle. ” Je me sentais bondir dans le passé, dans la salle de danse, en nous revoyant rire devant le grand miroir. J’admirais moi aussi son émancipation. Elle était plus brave que je ne m’en sentais capable. J’étais consciente, qu’elle avait accomplie ce dont j’avais longtemps rêvé, et ce que ferait sans doute mon Iris un jour. En la perdant, j’avais également perdu une grande partie de ma passion pour la révolte. “ Transmet lui mon amitié veux-tu ? ” Je n’avais jamais envoyé mes lettres à Rose, redoutant de ne trouvais que mépris ou pir… indifférence, de cette douce amie.

-“Vraiment ?” Je le regardais dans les yeux. Je me sentais sourire sans parvenir à me retenir. Edward m’avait insidieusement isolée des filles de bonnes familles, jugeant qu’elles n’étaient pas au niveau. Il ne me restait guère plus, que Pearl et Swan, dans ce que je pouvais compter pour amis. Eux aussi près à briser la coutume et quitter les rangs. J’allais être plus seule. “ Je serais très heureuse de la revoir. Oui… Très heureuse. ” A l’instant où je prononçais ces mots, mes yeux croisaient ceux de Baron. Ewdard était de l’autre côté de la piste de danse. Il se tenait stoic, avec l’un de ces regards glacés qui pouvait me statufier sur place. Je me dérobait à son ire silencieuse aussitôt.

Je me décollais aussi de Tyrgan, lui contre lequel je m’étais réfugiée pendant la danse. Je ne voulais pas qu’il perçoive la sombre présence. Je m’en voulais de me laisser intimidée si facilement par un homme. Je n’étais pas fille à me laisser impressionnée. Mais je savais d’où naissait cette nouvelle appréhension. J’attirais mon beau cavalier en bord de piste. Je nous faisais sortir de la zone avec aisance. Je ne m’arrêtais pas avant de trouver une colonnade dans l’ombre de laquelle dissimuler mes traits. Je devais me contenir pour ne pas venir quérir franchement une accolade réconfortante. J’affichais un sourire doux.

-“ Comme j’aimerais remonter le temps parfois Tyrgan. ” Nous aurions toi et moi attendrie le coeur de Ken. J’aurais persuadée Rose de ne pas nous quitter. Ou bien moi, aurais eu l’audace d’être moi-même. Dans les plis de ma robe, je tendais discrètement une main pour caresser des doigts. “ Invite-moi à l’une de tes fêtes ? Oui ? Une pendant laquelle je pourrais danser sans être regardée. Ce serait si bien! ” Je doutais qu’il ose ce genre de chose. Mais je ne risquais rien à le lui demander.

Je savais qu’il tiendrait parole envers moi et j’avais confiance en lui. Voilà également quelque-chose dont je pouvais me rendre compte ce soir… Je n’avais plus beaucoup de personnes de confiance dans mon entourage proche à présent. Je ne sais pas comment cela a pu arriver mon Oncle. Vous qui me connaissez, vous savez bien que je ne suis pas une femme méchante. Je me suis astreinte à tenir le rang et les règles, quand bien même je trouvais la plupart d’entres elles de plus en plus absurdes. Les effets de l’âge ? D’une nouvelle maturité ? Je ne sais pas. Mais mes efforts ne me rendaient pas justice. La vérité est là. Je suis plus seule à 30 ans que je ne l’étais à 20.

Pas surprenant que je me mette à rêvasser au passé, à l’insouciance de notre enfance perdue. Je devais paraître pathétique au regard de Tyrgan. Si c’était le cas il ne m’en montra rien. Je lui en fus reconnaissant. Je n’étais pas sûre de tenir si je devais découvrir que lui aussi finissait par ne plus m’apprécier…

Je l’avais attiré sur un sujet léger, en espérant nous cacher à l’un comme à l’autre les couperets de la réalité. Mais il ne s’y laissait guère prendre. J’ignorais si j’en étais angoissée ou soulagée. Nous échangeâmes un regard. Un regard qui me paraissait très long, comme si le temps s’étirait autour de nous. Que devais-je faire mon once ? Me confier à lui ? Ou garder secrète ma triste réalité ? Les femmes ne parlent pas de ce qui ne va pas...

-“ Si je te le dis... ” Je fais une pression plus ferme sur sa main. Mon cœur battait un peu plus rapidement. Je redoutais de faire une erreur en me confessant. J’avais peur des conséquences d’une révélation. Je n’en avais parlé à personne. Même Pearl n’avait eu qu’un demi son de ce qui se passait entre le Baron Noir et moi. “ Jures-moi de le garder pour toi ? ” Il me faisait confiance à propos de son petit frère. Je pouvais l’engager dans un serment similaire… n’est-ce pas ?

Je le tirais vers moi en douceur. Je l'attirait encore un peu plus afin de lui parler dans le creux d’oreille. Je n’étais pas certaine de la façon d’exprimer … ce qui était ma vérité propre. Je ne me l’étais pas encore avouée à moi-même. Je ne voulais pas cependant que mon appréhension enlaidisse les choses. Alors je me lançais:

-“ C’est Edward. ” Je ne sais pas à quel point ils se connaissent tous les deux. Je m’interdit de parler des gens importants pour moi avec lui. Je pense qu’il pourrait s’en servir pour imposer d’autres pressions. Je veux éviter de lui donner des armes contre moi. “ Ça ne se passe pas très bien entre lui et moi.” Le conte de fée était très loin. Je n’avais pas d’allié comme il en rêvait une. Je me serais contenté d’un partenaire neutre. Mais Edward ne l’était plus. Il devenait sombre… accusateur, suspicieux, dominateur. Autant de traits qui me faisaient horreur. “Je crois qu’il me hais Tyrgan. ” Je le disais pour la première fois. Mais ça ne me paraissait pas excessif. “ … je ne sais pas quoi faire.” Parce que je ne pouvais rien faire. C’était cela être une Princesse.

Heureusement, je n’étais pas qu’une princesse. J’étais plus que ça. Même si mes yeux brillaient un peu plus, je lui souriais. Il ne pouvait rien faire à ma situation. C’était comme ça. J’étais mariée. Il fallait que je m’y fasse. Le temps allait faire son effet, comme pour le reste.

-“ … Mais, je vais bien trouver. Nous sommes toujours dans une période d'ajustement” semble-t-il.” Je ne pouvais pas lui dire les choses avec plus de courtoisie. Je ne pensais pas parler de cela avec lui (ou quelqu’un d’autre) et encore moins pendant une soirée comme celle-ci! “ Tout ira bien. ” Même si je ne sais pas, lequel de nous deux, je voulais convaincre le plus. Je déposais donc un chaste baiser sur sa joue pour adoucir notre humeur. “ Allons chercher une autre coupe!”