La succession de deux courtes nuits se sont fait sentir au réveil de l’avocate. Le taxi, qui la dépose dans la rue perpendiculaire au palais, n’a pas le temps de s’arrêter tout à fait, que la jeune femme ouvre la portière au vol. La course est envoyé sur le compte personnel et réglé d’un clic par Chloé. Jessica lisse la robe pour annuler un faux plie, avant de se pencher pour saisir la sacoche noire. Elle claque la portière avec énergie, puis se tourne vers la bâtisse en posant ses solaires sur son nez. Elle porte une des dernières créations que lui a envoyé son ancien manager de mode. Il continue alors qu'elle a quitté ce milieu il y a presque vingt ans.

L’été est une saison agréable au Palais. La cadence est ralentie par les départs en vacances des uns et des autres. L’atmosphère est un peu plus calme. Les gens sont globalement plus détendus. C’est pour ça que Keenan part souvent dans les derniers. Elle attend fin août, sans impatience, trop heureuse de profiter du terrain. Elle entame la montée des marches de son pas régulier et vif songeant au retard à rattraper. Un sourire amusé à l’idée de l’audience qu’elle va faire contre ce cher Peter.

Ses yeux félins accrochent la silhouette qui est quelques marches devant elle. Tyler est déjà de retour. Il est vrai qu’elle n’a pas repris des nouvelles, occupée qu’elle a été à gérer James et ses intérêts personnels. Jessica snobe l’agent en service. Elle entame une petite diagonale pour passer à droite du jeune homme. Sachant qu’il est assez fin pour l’identifier sans un mot prononcé, Jess s’amuse à faire planer sa présence autour de lui, sans se signaler. Ils auront le temps de se voir plus tard.

Une fois au bureau Jessica entame la journée de travail plus vite que les autres jours. Elle s’occupe d’abord de prendre connaissance des emails. Cela fait une semaine qu’elle attend le dossier d’un expert en balistique. Il n’y a rien non plus ce matin-là. A ce rythme ils ne vont pas pouvoir avancer dans la défense avant la prochaine audience. Peut-être finira-t-elle par faire un appel à d’autres services. L’occasion de taquiner Andrea. Une option qui la séduit.

_ « Chloé. Tu vas en commission. Va chez le fleuriste. Trouve-moi un beau bouquet. Fais-le monter chez le Juge Tyler. Bien sûre l’avocate ne manque pas le sourire retenu de sa protégée. Elle sait très bien ce qu’elle et la bourrique de Jones font dans leur dos. C’est plus amusant qu’autre chose. Enfin tant que cela reste bonenfant. « Sur le carton fait inscrire “Les lions vous attendent”. La miss fini de tapuscrit la commande et s'enfuit aussi vite. Keenan reprend son dossier, avec un petit sourire, amusée elle aussi.

C’est bien plus tard dans la journée que maître Keenan se retrouve dans le voisinage du Juge prodige. En sortant de la salle de conférence elle lance un regard en direction de la porte close. Mélanie sera là en chienne de garde. Ce qui ne sera que plus amusant. Après tout, peut de personne sur cette Terre lui doivent d’être encore en vie. Cela mérite bien une petite salutation. Jess pousse la porte de son assurance naturelle.

_ « Du calme “Mél”. Je viens lui donner le sourire. Pareille à la dernière fois Jessica n’attend pas de feu vert. Elle avance dans la salle sas et entre telle une reine sur le territoire du rescapé. Vraiment dommage qu’il ne puisse pas la regarder, car elle aurait été curieuse de voir s’il aurait pu se laisser aller à la trouver belle. Amusée, elle attire un fauteuil dans son dos et s’y pose aussi désinvolte qu’une romaine au banquet.

_ « Vous ais-je manqué ? Le cherche-t-elle d’une voix joueuse. Elle a une moue amusée, incline du chef comme pour donner elle-même la réponse. Son regard de tigresse capture son aura fatiguée et calme. Il n’est pas encore remis. « Vous auriez dû rester chez vous. Conseil avisé lorsque qu’on évolue dans une fosse comme celle-ci. Enfin Léandre le sait. « Vous êtes conscient que vous me devez au moins un dîner après tout ce qui s’est passé ? Les pions n’arrêtent jamais d’avancer ici bas.

Le sourire de Keenan se défait d’un rien à la remontrance de son hôte. Elle n’est pas tellement vexée mais plutôt étonnée par cette prise de position. Léandre joue le mâle avec elle ? L’homme en mal d’autorité et de pouvoir. Bien qu’elle conçoive la complexité de la situation pour lui elle ne saisit pas bien. Comment peut-il envisager que ce genre d’ordonnance orale ait un effet sur elle ?

_ « “Mme Jones”. Tu peux m’apporter un verre d’eau. Demande alors l’avocate, qui fait une rotation de quart, pour croiser le regard de la jeune femme.

La voix a beau être amusée le regard est plutôt froid. Keenan n’ignore pas ce que la greffière pense et elle ne se prive pas de le lui faire comprendre. Sans aller jusqu’à évoquer une guerre froide c’est belle et bien une bataille en dilettante. D’autant que la protectrice oublie facilement qui a sauvé la vie de son admirable Juge.

Mais Léandre a décidément pris le rôle du petit chef mesquin. L’arcade sourcilière de la rousse se soulève. Femme de peu d’empathie, elle est capable de faire une démarche intellectuelle pour comprendre l’autre. Mais elle ne va pas plus loin. Quand quelqu’un se montre désagréable elle donne une réponse au moins équivalente en provocation.

Jess se lève et fait le tour du bureau pour se poser à la droite de Léandre. Les fesses appuyées contre le rebord. Exclusivement pour provoquer ce jeune loup et sa mauvaise humeur. Tyler sera peut-être un Alpha un jour mais ce n'est pas encore fait. Il est le Juge mais elle est une femme autonome qui n'aime pas qu'on la gronde pour des broutilles.

_ « Je ne suis pas l’ennemie ici. Gardez votre colère pour la personne qui vous a mis dans cet état. Intime-t-elle tranquillement au jeune homme.

Au jeu de l’autorité Keenan peut aussi se faire entendre. Elle attire son attention, lui saisit le menton et lui fait “regarder” dans sa direction. Une outrecuidance pour beaucoup de monde dans ce mausolée en marbre. Mais Jessica n’est ni Anglaise, ni croyante. Elle se moque de la bienséance. C’est précisément ce pour quoi on la déteste et on l’aime en même temps. « Ne perdez pas votre temps au paraître. Vous n’avez ni l’énergie, ni le temps pour ça. Laissez-les croire que vous êtes faible. Conseil souffle tout bas en petite conspiration de boudoir. Jessica sait une chose. Si on ne sait pas faire la comédie autant ne pas la faire du tout. L'envie de le perturber encore plus la titille fortement et elle sait exactement comment faire. Mais il n'aurait pas la force de réagir alors ce sera pour plus tard.

La main de l’avocate, revient se poser sur son genou, pendant que le regard suit la fuite de Tyler. La façon de se déplacer dans l’espace est si particulière. Tout doit être si particulier. Jessica est trop égocentrée pour faire la démarche de se mettre à la place de l’autre. Elle sait seulement qu’elle ne veut pas vivre avec un sens en moins, ou une mobilité en moins, ou des capacités cognitives en moins. Non, elle laisse cela aux autres. Si par malheur elle devient un jour invalide c’est directement vers la Suisse et l’euthanasie qu’elle s’envolerait.

Mais, ça ne l'empêche pas de trouver Léandre un rien fataliste. Visiblement le fait qu’on ait attenté à sa vie l’a plus traumatisé qu’il ne le faudrait. Elle l’écoute protéger sa paroisse et défendre ses ouailles. Pendant que son attention visuelle est attirée sur le bureau. Jess glisse tranquillement dans le fauteuil du Magistrat.

_ « Je respecte le fait qu’elle est une femme. Et le fait qu’elle vous soit loyale. Ce qui est d’or et déjà compter étant donné le peu de confiance que Keenan peut avoir envers les subalternes. Melanie lui parait aussi fouineuse que les autres. Jess profite de sa place pour observer le bureau de Tyler. Elle caresse la matière du bout des doigts. « Hum. Vous les avez gardé. C’est bien. Remarque la rousse détaillant le bouquet de fleurs. Chloé a bien choisi comme à chaque fois.

Avec un minimum d’explications même Keenan peut saisir l’enjeu d’avoir l’espace ordonné. Elle repousse le fauteuil d’un mouvement de bassin et se lève pour s’écarter du bureau. Après un instant de suspens, la belle prit le temps de replacer le fauteuil contre le bureau. Elle passe par le côté opposé à Léandre.

_ « Il vous suffisait de me l’expliquer. Le tacle-t-elle avec une pointe d’humour qui adoucit la petite pique. Jess n’est pas empate mais elle n’est pas aveugle non plus. Elle voit que Léandre est perturbé, affaibli. Tiendrait-il ne serait ce que deux semaines dans ce panier de serpents… « Maintenant, je saurais.

La main de Keenan alla saisit sa sacoche avec assurance. Le poid du labeur au bout du bras elle franchit les trois mètres qui les séparent. Elle se poste en face de lui. Consciente de son avantage sensoriel elle en abuse pour le regarder sans être vu. Consciente aussi de le troubler, l’Américaine sait combien il serait facile de l’émouvoir. Lentement, Jess approche plus près, elle flâne et susurre au creux de son oreille.

_ « Ca vous a manqué, non ? La taquinerie lancée, elle s’écarte et lui sourit de son impertinence familière. Elle le toise avec un sourire en coin renouvelé. « Bien. Léandre, n’oubliez pas mon dîner. Et puis reposez-vous. Lui claque-t-elle pour mettre effacer définitivement la tension. Elle s’occupera de Jones une autre fois. « A demain donc ! Fait-elle sans se départir de la dérision. Le ménager soit. Mais l’épargner ça non voyons, jamais.