En cette fin d’après-midi, Léandre ne savait pas à quoi s’attendre. Lorsqu’il avait envoyé les fleurs et le parfum de Jessica, Tyler ne s’était attendu à rien. Il avait imaginé que l’avocate laisserait ce message pour mort, qu’elle ne réagirait rien. Mais cela avait été tout le contraire. Plus le temps avançait, plus Léandre avait du mal à comprendre l’avocate. Jessica Keenan était une femme complexe. Elle l’avait rejeté pour finalement revenir vers lui. Léandre avait le mérite d’avoir été clair et direct dès le début, mais la Rousse ne semblait pas savoir ce qu’elle voulait. Mais Tyler était patient. Le bouquet qu’il avait envoyé reflétait bien son état mental, il était serein et avait de l’espoir pour cette nouvelle année.

En arrivant à l’adresse indiquée, Léandre n’avait pas été surpris. Jessica Keenan était une grande héritière. Elle avait énormément d’argent et il était logique qu’elle ait un logement reflétant son niveau de vie. Tyler ne pouvait s’empêcher de faire la comparaison avec son propre appartement… Et ce n’était pas bien glorieux. Mais Léandre était de ceux qui avait pris l’ascenseur social. Ils ne venaient pas du même monde.

Léandre se manifesta et fut poli avec l’homme assurant la sécurité du bâtiment. Le juge n’était pas surpris, Jessica avait été séquestré et s’était retrouvé dans une sorte de chasse à l’homme. Il était logique, voir nécessaire de mettre une telle sécurité.

En arrivant dans l’antre de la lionne, Léandre sentit clairement l’odeur du luxe et du tabac. Il y avait aussi le parfum plus discret qu’il lui avait offert. Il la salua « Bonjour Jessica. ». Il avait le sourire et était calme. Tyler était réellement heureux de de nouveau rencontrer cette femme. Il éprouvait aussi de la curiosité. Le fait de ne pas pouvoir voir le logement le frustré un peu, était-ce colorée ? Et avait-elle tout choisi elle-même ou fait appel à une décoratrice d’intérieure ?

Devant la proposition, Léandre répondit « La première solution me va parfaitement. ». Tyler lui laissa son manteau, appréciant d’être guidé dans son univers. Léandre avait gardé son traditionnel costume malgré le fait que cela soit dimanche. Cela faisait parti de son image et il était nécessaire de la conserver. Tyler avait conscience d’avoir une apparence physique qui faisait jeune… Et il n’avait pas envie de passer pour un gamin.

Le canapé était confortable, tout comme l’était la chaleur qui tranchait avec les températures extérieures. En cette saison, Léandre restait particulièrement vigilant. Avec le smog, Tyler avait essuyé déjà quelques plâtres niveau santé, il n’avait pas envie de se retrouver de nouveau clouer au lit. Il accepta la proposition de la Rousse « Volontiers. ». Un café serait des plus agréables. Et pour le reste, Léandre n’éprouvait pas du doute par rapport à la qualité du produit.

Assis, les jambes croisées, Tyler répondit « Plutôt mouvementée, mais au résultat positif. ». Le mouvementé était peu dire. Léandre avait dû affronter ses propres démons, faire face à son traumatisme. Mais de toute cela, il en ressortait plus fort. Léandre avait tout de même choisi d’être de nouveau suivi par une psychologue. Sa greffière avait d’ailleurs remarqué qu’il avait des rendez-vous réguliers à l’extérieur. Lorsque Mélanie lui avait posé la question, Léandre avait simplement répondu qu’il avait rendez-vous avec une personne charmante.

Au niveau professionnel, tout le palais allait finir par être au courant des événements. Le procès de Lorca pour l’assassinat du père de Léandre finirait par se faire. Et Tyler allait tout faire pour que cet homme soit durement puni. Le magistrat avait aussi l’intention de jouer que ce procès afin de gagner en influence. Léandre pouvait gagner sur tous les tableaux.

Conscient que sa réponse était un peu lacunaire, Tyler poursuivi. « Sur le plan plus personnel, la fin d’année a été calme mais c’était ce dont j’avais besoin. ». Léandre avait été un fêtard, mais depuis l’accident, sa cécité l’avait naturellement exclu du monde de la nuit. Son handicape rendait cet univers hostile… Et comme il ne supportait plus l’alcool non plus, Léandre avait contraint de changer ses habitudes. Il avait passé le jour de Noël avec sa belle-mère, Victoria ainsi que son compagnon actuel. Léandre avait par la suite aussi rencontré le nouveau compagnon de sa belle-mère et il avait été satisfait qu’elle se trouve enfin de nouveau quelqu’un. Archi Tyler était mort depuis plus de dix ans, Florence devait aussi refaire sa vie. Léandre avait profité des fêtes pour le jauger. Cet homme était un peu idiot, mais pas méchant, c’était l’essentiel.

Pour ce qui était du jour de l’an, Léandre l’avait passé en tête à tête avec son fleuriste et cela s’était bien passé. Tyler n’était pas quelqu’un de compliqué à ce niveau.

Léandre retourna la question à la Rousse « Et vous Jessica ? Comme s’est déroulé le retour sur vos terres ? ». Le juge n’avait pu louper les conversations entre Mélanie et Chloé. Les deux pipelettes avaient comme sujet préféré Jessica. L’assistante de l’avocate s’était montrée de plus en plus curieuse niveau information.

Avec le sourie, Léandre commenta « Je suis heureux que le parfum vous ais plus. ». Il se mariait parfaitement bien avec sa peau. Tyler avait mis du temps à choisir, tout simplement car il avait eu quelque chose de très précis en tête. Il avait voulu un parfum qui ne soit pas forcément classé comme féminin, qui ne soit pas racoleur et qu’il y ait un composé cuir. Tout cela devant se marier avec l’odeur spécifique de Jessica. Il avait mis du temps à chercher et à choisir, tout simplement car il voulait lui faire un cadeau parfait et adapté à elle. Léandre savait que financièrement, il ne pourrait jamais la surprendre, mais en trouvant quelque chose qui lui correspondait vraiment, il en avait eu la possibilité.

Léandre écouta attentivement le commentaire de Jessica. Oui, il allait mieux. Le juge ne pouvait pas affirmer que cela allait durer, il se savait aller en avant d’évènement qui allait lui être difficile. Tyler allait marqué la justice avec les caractéristiques liées à la vision aveugle… Il savait aussi que tout procès allait être très difficile. Le juge n’avait pas encore réussi à en parler à sa belle-mère. Cette femme était aussi victime de ces terribles évènements, mais il n’avait pas pu se résoudre à lui gâcher les fêtes avec ça. Sans compter qu’elle arrivait enfin à se poser de nouveau avec quelqu’un. Ce n’était pas le comportement le plus honnête, mais c’était le plus protecteur.

Tyler entendit Jessica se lever, attraper quelque chose. L’aveugle pouvait entendre les bruits liés à l’argenterie. Léandre prenait toujours son café sans sucre. Ne le détectant pas, il n’avait aucun intérêt d’en consommer. Tyler attrapa la tasse, appréciant grandement la boisson. Il était bien installé et appréciait l’instant. Il faisait doux dans l’appartement de l’avocate.

Léandre se fit silencieux. Il écoutait l’avocate, se rendant bien compte qu’ils étaient tout deux avares de mots. Il était évidement que Jessica avait vécu moultes aventures et avait nombres d’anecdotes par rapport à ses vacances, mais tout était résumé bien rapidement.

A la question de l’avocate, Léandre répondit du tac au tac « Vous êtes parfaites comme ça. ». Un idéal qui ne pouvait convenir qu’à peu de personnes, mais de toute façon Tyler n’était pas comme tout le monde. Devant la deuxième question, Léandre eut un sourire malicieux. Derrière ses lunettes noires, ses yeux transmettaient le même sentiment. « Sans rien. ». Totalement nue. Le juge n’était pas original, mais l’aveugle ne pouvait que difficilement donner une réponse sérieuse. La mode, les différentes tenues vestimentaires lui étaient peu accessibles. Il appréciait certaines textures, en exécré d’autres, mais dans un univers où le visuel primait, Tyler était perdu.

Jessica enchaine rapidement. Elle se leva de nouveau pour finalement lui tendre un objet. Léandre posa la tasse de café sur la table, puis attrapa l’objet. Très vite, Tyler identifia la boite. Il y découvrit le contenant, mais il dû demander l’aide l’avocate pour avoir le nom de l’artiste. Le braille n’était pas courant sur les CD, Léandre devait faire rajouter une étiquette à chaque fois. Quand il se rendit compte ce qu’il avait dans les mains, Tyler se mura dans le silence. Il était touché, vraiment. Pour un amoureux de la musique comme lui, c’était le meilleur cadeau qu’avait pu lui faire l’avocate. Il ne s’était réellement attendu à rien, mais Jessica avait fait quelque chose. Elle avait fait jouer ses contacts pour lui offrir quelque chose d’unique. Ce n’était qu’une avant-première, le côté précieux e l’objet finirait par disparaître. Mais le juge était réellement touché par ce cadeau. Un échange de regard aurait tout dit.

Léandre ferma le boitier, puis le posa sur la table. Le juge se leva, puis posa une main sur le bras de Jessica, puis il remonta, cherchant à localiser correctement son visage. Il l’embrassa sur la joue. « Merci. ». Il s’éloigna, retrouvant alors sa place. Il expliqua « Cela me touche. ». Pour ce qu’était l’objet mais aussi ce que cela impliquait. Elle avait fait un effort, même minime, et avait pensé à lui.

Léandre attrapa de nouveau sa tasse, puis il demanda « Vous devez bien avoir quelques anecdotes sur le gratin américain, enfin sur celui de Los Angeles. ». En réalité, Léandre s’en fichait bien. Tout e qu’il souhaitait, c’était qu’elle raconte quelque chose… et dans l’idéal, qu’elle partage enfin quelque chose avec lui.

Léandre se contenta à répondre. « Je n’oublie jamais rien. » Tout comme Jessica lui avait un jour sauvé la vie ou comment en avait pu le jeter. Calme, le juge se demandait à quel point l’avocate était consciente de son comportement. Elle ne savait pas ce qu’elle voulait… ou alors il y avait quelque chose dans ses mécanismes internes qui la bloquaient. L’analyse n’était que superficiel, Tyler le savait pertinemment. Mais au moins, cela évitait l’explication que Jessica s’amusait juste avec lui. Certains s’amuser à dire que souffler le chaud et le froid était le meilleur moyen pour garder un amant. Léandre était en total désaccord, il trouvait cela malsain au possible. Mais ici, Léandre était amoureux. C’était la première fois qu’il ressentait des sentiments aussi forts.

Le juge répondit calmement, un peu plus froidement qu’il ne l’avait voulu. La remarque de Jessica n’avait pas été la bienvenue. « Non, merci. Je l’écouterai au calme. ». Il se justifia « Je ne veux pas disperser mon attention. ». Ce qui était vrai. Pour Léandre, écouter de la musique était une activité à part entière.

La remarque de Jessica était juste, Tyler ne lisait pas ce genre de journaux. Il avait déjà du mal à avoir assez de temps pour ce qu’il souhaitait. Ecouter des rumeurs, c’était vraiment perdre un temps précieux. Léandre expliqua tout de même « C’est que je cherche à comprendre. ». Son monde à elle mais aussi pourquoi des jeunes femmes comme Mélanie et Chloé passaient tant de temps à discuter de ces sujets.

Jessica lui proposa de prendre un biscuit, mais Léandre refusa poliment. Il expliqua « Je ne mange pas de sucre. ». C’était probablement aussi pour ça que le juge n’arrivait pas à prendre suffisamment de poids. Mais Tyler ne le détectait pas et n’éprouvait donc aucune satisfaction de manger de tels éléments. Le plus généralement, cela avait très mauvais goût pour lui, lorsque ce n’était pas infame. Un jour, Léandre avait échangé avec un cuisinier à ce sujet. L’homme lui avait alors expliqué que le sucre était un bonheur important et que de ce fait, il fallait se poser la question si cela valait le coup de vivre. Tyler avait encore ce genre de remarque à travers de la gorge. Il y avait tellement d’énergie dépensé par les valides pour dire qu’ils préféraient mourir avec un tel handicap… Et le tout sans rien faire pour rendre la vie des autres plus simple. C’était exaspérant.

Jessica avait donc un frère, marié, avec une certaine Kate. Léandre nota l’information intérieurement. Il y avait l’air d’avoir scandale sur scandale, une véritable série à suivre. Ce qui ne devait pas forcément très agréable à vivre. La question de la Rousse était largement pertinente. Léandre eut un sourire « Je ne sais pas exactement… Parlez moi de ce dont vous avez envie. » Il s’avança, répondant alors enfin au geste de l’avocate. Léandre posa une main sur le genou de la rousse. Tyler n’était pas pressé, profitant de cette fenêtre de dialogue. Mais il savait que tout dérapait très vite avec Jessica. Il s’amusa à demander, par pur provocation « A moins que ça vous effraie ? »

Devant la proposition de Jessica, Léandre refusa poliment « Non, merci. ». Un café lui avait suffi. Il se sentait bien. Il demanda, amusé « Ha oui ? Et qu’est-ce qui vous fait dire ça ? ».

Il comprenait Jessica, bien mieux que qui conque sur ce point. Il s’en amusa « Dans ce cas-là, on se souvient bien mieux des pires criminels et des juges qui les ont confrontés… Les avocats n’ont que peu de place dans l’Histoire, à moins qu’ils s’inscrivent dans la politique. ». On se souvenait d’Al Capone et du juge James Herbert Wilkerson, mais aussi des avocats qui avaient changés des lois, comme Badinter en France. Mais Jessica avait de quoi être fascinante, elle était connu et reconnu dans les médias. Il ne manquait pas grand-chose pour qu’elle marque définitivement les mémoires. Peut-être fallait-il une fiction, un film, une série, un roman. Les hommes de lettre n’avaient pas besoin de beaucoup romancer sa vie pour qu’elle soit étonnante et marquante.

Devant la constatation de l’avocate, Tyler répliqua « Je ne changerai pas, en effet. ». La corruption avait beau monté au plus haut de l’institution, Léandre ne changerai pas à ce niveau. Il avait ses valeurs et c’était ce qui lui avait permis de rester droit, même lors des plus grands moments de doutes. Peut-être était-ce qui finirait par le faire sombrer, mais c’était un risque. Léandre préférait aller dans une direction, quitte à se tromper, plutôt que de se perdre.

Léandre était concentré sur Jessica, le fait de ne pas pouvoir croiser son regard lui manquait. Il aurait aimé pourvoir mieux la sonder, mais aussi garder ce contact permanent. Un genou contre elle, il y avait quelque chose, mais ce n’était pas pareil. La réponse du juge fut rapide et limpide « J’aime cette idée. ». Il se baissa vers elle, puis chercha sa main avant de prendre les doigts de la Rousse entre les siens. Il les ramena contre sa joue. Il aurait aimé la voir. Tyler s’expliqua « Je n’attends rien de vous Jessica.» Pas d’engagement, pas autre chose non plus. Léandre n’était pas quelqu’un qui voulait s’engager. Ce n’était pas quelqu’un qui aurait un jour une famille. Ce n’était pas le mode de vie qui lui correspondait.

Il eut un sourire, puis posa la main sur ses genoux, gardant toujours celle de la Rousse entre ses doigts. « Enfin, je dois nuancer mon propos. Je ne vous demande qu’une seule chose » Léandre se fit sérieux, bien plus sérieux qu’il ne l’avait jamais été. « Dans peu de temps, une affaire personnelle va ressortir. Ne vous mêlez pas à ça. Et surtout ne défendez pas la partie adverse. ». Léandre était calme, il annonçait ce qu’il allait se produire. « Je vais la détruire. » Si le juge pouvait être dure, il faisait appliquer la loi et il agissait selon ce qu’elle dictait. Il prenait le parti de la justice, il n’y avait alors rien de personnel. Ici, c’était totalement l’inverse. Tyler allait quitter sa place dominante pour entrer dans la fosse. « Je serai contrarié que vous soyez dans le lot. ». Qu’importe qui se trouverait en face de lui, qu’importe les affects qu’il pouvait avoir, Léandre détruirait tout ce qui allait l’empêcher d’atteindre son objectif. Tyler avait enfin la possibilité de mettre hors d’état de nuire l’enfoiré qui avait tué son père et qui l’avait rendu aveugle. C’était personnel. Les règles n’étaient plus les mêmes, l’objectif non plus. Léandre savait être méchant, cruel et impitoyable et c’était ce qu’il allait être. Il ne pourrait éprouver de la satisfaction qu’à la mort de la partie adverse... Et cela dans tous les sens du terme.

Léandre eut un sourire devant cette réponse toute trouvée. L’intuition n’est pas féminine, ni masculine, du moins, le juge n’y croyait pas. Mais il ne la relança pas. Ils allaient se braquer et ce n’était pas la peine d’en arriver là.

Jessica était dans le juste, mais Léandre n’avait pas envie de déballer sa vie privée en public. Tyler essayait de dépasser cette histoire. Le juge ne voulait pas être constamment renvoyé au fait d’être aveugle. Cela faisait partie de sa vie, certes, mais il n’était pas que ça.

« Non, je ne vais pas entrer en politique. ». Il s’expliqua « ça ne m’intéresse pas. ». Le pouvoir était un motif suffisant, mais il préférait y accéder en étant haut fonctionnaire. Tyler appréciait les mécaniques de la justice. Il était à sa place. Il concéda à la rousse « Je garde tout de même vôtre idée. ». C’était pertinent, cela pouvait être un outil puissant.

La confirmation de Jessica n’était pas surprenante. Des deux, c’était lui qui avait le plus à perdre au niveau émotionnel. Il était amoureux, réellement. Il se demandait si l’avocate avait déjà éprouvé ce sentiment… Mais aussi pour quelles raisons elle avait fait le choix de ne rien ressentir. Tyler pouvait rationnellement expliquer les choses, mais c’était beaucoup trop douloureux de s’amputer de la sorte. Jessica restait énigmatique. Léandre avait bien remarqué qu’il y avait des failles chez elle. Elle avait des blessures qui ressortaient par moment. Mais le juge ne pouvait rien dire. Ce n’était pas son rôle. Il avait été témoin des réactions disproportionnées de l’avocate. Elle n’acceptait aucune critique.

Auprès d’elle, Léandre répondit calmement « L’idée m’est séduisante. ». Il attrapa la main de Jessica, l’empêchant de remonter plus haut. Il ne pouvait pas lui dire non alors qu’elle avait la main au niveau de son entre-jambe. « Mais c’est non. Ma décision est déjà prise. ». Il ne changerait pas. La raison était très simple. C’était un aveu de faiblesse de sa part. Léandre voulait avoir recourt à un avocat qui soit bon techniquement mais au caractère faible. Le risque était que ce professionnel prenne un ascendant direct sur le juge… Tyler allait être dans une situation de très grande fragilité émotionnelle. C’était donné de outils pour pouvoir le manipuler plus facilement. Léandre ne pouvait accepter de donner de tels armes à Kennan. Les requins se nourrissaient de sang et le juge n’avait pas assez de confiance en elle pour se mettre dans cette situation. L’intuition de Jessica avait peut-être vu plus juste qu’il ne l’avait prévu.

Léandre essaya d’arrondir les angles « Mais je vous remercie pour cette proposition. ». Il ne voulait pas la vexer… même s’il estimait que c’était vraiment mal parti. « Je ne remets pas en cause vos compétences. » Il marqua un temps « Je sais que vous êtes le meilleur avocat du Royaume-Unis. » Il le pensait sincèrement. Lorsque Jessica était de la partie, Léandre savait que le niveau du procès en devenait forcément plus élevé. Tyler avait commencé à admirer Jessica depuis ses bancs d’université. Et à chaque fois qu’il avait été confronté à elle, il n’avait jamais été déçu. Léandre libéra la main de l’avocate.

Ses genoux contre les siens, Léandre essayait de sauver la situation. La médiatisation n’était pas ce qu’il cherchait. Le juge voulait se faire connaître à travers ses compétences, pas par rapport à ce qu’il avait vécu. C’était peut-être encore trop frais. Il n’avait pas son deuil comme avait pu le faire sa belle-mère. Tyler connaissait ses forces et ses faiblesses, dans ce cas il avait peur de ne pas réussir à tenir le choc. Léandre s’était construit une vie, il ne voulait pas tout perdre maintenant. Par rapport à cette affaire, le juge ne se faisait pas confiance. « Faîtes-moi cette faveur. ». C’était la solution la plus simple. Il n’avait pas envie de se brouiller avec l’avocate. Mais s’il fallait arriver à ce niveau, il le ferait.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Musique d'ambiance

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

— Black sunday. Feat Léandre Tyler —

Bien entendu, la Tigresse a de bonnes idées. La fourberie et la largesse morale étendent les perspectives. Lorsque quelqu’un n’a pas de problème à tordre les règles c’est tout un monde qui s’ouvre. Mais, ils sont peu à accepter ce simple état de faits. Le petit prodige finira par s’en rendre compte quand son éthique deviendra trop lourde à porter sur l’échelle du pouvoir.

_ « Gardez-là oui. Vous m’invitez à vos futurs cocktails. » Fit l’avocate joueuse. En fonctionnaire où en politicien Tyler côtoie ceux qui font les lois. Il a l’avantage d’être un anglais. Là où la nationalité de Keenan lui ferme assurément des portes. Elle intrigue mais aussi elle rend suspicieux les grands noms. Mais, elle peut user d’intermédiaires. Il y a au palais des collègues qui portent sa parole vers les bonnes oreilles. Cela demande un peu plus de temps. Mais c’est aussi plus distrayant.

Jess retire instantanément sa main de la prise de Léandre. Elle s’écarte d’une dizaine de centimètres. Un peu agacée par la frilosité dont elle est le témoin. Cet homme lui paraît trop ambivalent. Il ne sait pas ce qu’il veut. Ce genre de comportement a tendance à réveiller son sarcasme naturel.

_ « C’est pour ça que vous ne voulez pas que je prenne le cas. Parce que je suis la meilleure ? » Lui renvoie-t-elle sans avoir à hausser le ton. Ou à montrer de la froideur. Car elle sait que c’est la raison en effet. Il ne la prend pas à dessein. Ce qui veut dire que le dossier doit être intéressant.

_ « Je vous la fait. Une faveur en appelle une autre. Je viendrais vous trouver … Léandre Tyler.» Voilà qui permet de ne pas perdre ce dimanche après-midi, totalement.

Les promesses de Jessica sont du genre qui ne s’oublient pas. Elle-même n’oublie pas tout ce qu’elle sème au fur et à mesure de ses combines. Elle a un registre des services prêtés au long de sa carrière. Elle sait qui a une dette envers elle. Ce qu’elle aime c’est s’en servir pour débloquer des situations. Un système qui a fait ses preuves. Il le fera encore. D’autant plus maintenant que ce juge a mis un pied dans le Réseau.

_ « Si je résume, vous ne voulez pas collaborer au parquet. Vous ne voulez pas non plus du sexe. » Ni professionnel, ni privé, ni intrigues, ni plaisir. Jessica le scrute et cherche des réponses dans ce profil juvénil. Elle ne voit pas ce qu’il est venu chercher ici. Si ce n’est ce CD. Mais peut-être que ce stupide clin d’oeil a été mal placé. « Qu’est-ce que vous faites ici Léandre ? » C’est une question simple. Qu’attend-t-il de ces rencontres en dehors du Palais. Qu’est-il venu chercher dans sa demeure ? Si ce n’est une alliée ou une amante ? Jessica attend la réponse en reprenant du café noir. L’amertume de la boisson lui donne envie de nicotine. Mais, pour ça, comme pour le reste, elle patiente encore un peu.

Jessica avait bien compris la situation. Il avait fallu peu de mots, mais Léandre n’avait pas envie de s’étaler sur cette affaire. Tyler répondit simplement « Je vous l’ai dit, c’est personnel. ». Il aurait voulu que cette affaire se fasse en huis-clos, mais ce n’était pas possible. Il y avait trop d’enjeu pour ce procès. Léandre ne se faisait pas confiance, il n’était pas certain de réussir. Le juge avait déjà eu la preuve qu’il avait atteint ses limites. Lors de sa déposition, il avait fini par s’effondrer et pleurer. Les cauchemars étaient toujours présents, limitant la durée de son sommeil et l’amenant à redouter les moments de repos. Le juge était marqué par les évènements. Il n’y avait pas une seconde où il ne pensait pas à cette histoire. Il était marqué au plus profonds de lui-même. Peut-être était-ce pour ça qu’il avait trouvé l’énergie nécessaire pour réussir.

Le juge n’avait aucun doute sur le fait que Jessica viendrait réclamait elle aussi une faveur. C’était un jeu dangereux. Mais Léandre préférait que cela se déroule de cette manière. Si Jessica se mêlait au procès de Lorca, les évènements risquaient de tourner au dramatique… pour le juge. Léandre avait bien conscience qu’il était jeune, handicapé, à la santé fragile, le tout alors qu’il devait réussir à s’imposer. Le fait de le voir s’effondrer en public risquait de ruiner tout ses efforts. Le faire craquer serait une technique totalement viable pour les avocats de Lorca. Il fallait réussir à décrédibiliser son témoigner, voir le juge en lui-même. Au vu des compétences de l’avocate, elle aurait réussi, sans compter qu’avec leur relation, elle avait plus d’information que nécessaire.

Léandre tiqua devant le comportement de l’avocate. Il répondit simplement « Nous ne sommes pas compris. ». Le juge avait laissé sa tasse de café sur la table basse. Il se leva. Si Jessica était voyante et plus à l’aise dans l’espace, elle n’avait pas le monopole du déplacement. Léandre posa une main sur le siège de la rousse, se servant désormais de cet élément comme point de repère. En se levant, Tyler ne cherchait pas à s’affirmer d’avantage, mais à se rapprocher d’elle. Alors qu’il était derrière elle, Léandre demanda « Vous pensez réellement qu’un homme peut vous dire non alors que vous avez votre main sur son entre-jambe ? ». L’expression tenir quelqu’un par les couilles était très visuel et très vrai. Cette partie anatomique était fragile et sensible, Léandre appliquait simplement un principe de précaution.

Léandre était de l’autre côté du siège, devant Jessica. Il posa une main sur la sienne et l’autre sur les genoux de l’avocate. « Je vous désire Jessica Keenan » Et il l’aimait, mais il ne pouvait pas le dire. Pour le juge, il était évident que leur alchimie fonctionnait en parti grâce à ces sentiments. S’ils étaient ignorés, réprimés, ils existaient. Tyler vient alors l’embrasser dans le cou. Baissée vers elle, il termina par venir s’asseoir sur les genoux de la Rousse. Léandre était un poids plume, il savait qu’il ne lui ferait pas mal. Tyler amena alors une des mains de l’avocate sur son entre-jambe, la laissant reprendre là où elle en était. De sa main gauche, il lui caressa la joue. Ils étaient tout proches. Léandre aurait voulu la voir. Il s’avança vers elle pour lui réclamer un baiser de fougue.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Musique d'ambiance

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

— Black sunday. Feat Léandre Tyler —

Le ciel se teint de rouge crépusculaire et dans quelques minutes la nuit viendra sur la ville. Le salon devient clair et obscur. Les bruits sont assourdis par cette atmosphère de fin de dimanche. Léandre et Jessica se sont échoués sur l’immense lit deux places de la chambre de l’avocate. Le nid d’un ébat confortable. La soie est aussi froissée que l’est leur peau encore tiède. La langueur s’est emparée d’eux telle une mère qui caresse son enfant. Ils sont entre l’éveil et la tentation de Morphée.

Jessica est très proche de la bascule mais une sonnerie vient la rappeler à l’ordre. Le son strident part du salon et brusque le silence du repos. Il s’impose sans s’arrêter. Impossible de le nier. Impossible aussi de l’ignorer. Pour avoir la paix, il faut s’extraire du chaos des draps soyeux. La blonde se met en mouvement avec l’humeur d’une chatte bougonne dans le corps. Ses pas de velours disparaissent.

_ « |i]Allo.[/i]» Une arrestation pour une conduite en état d’ivresse, insulte sur la voie publique, outrage à agent. Un cas sans intérêt pour l’esprit retors de l’avocate. Mais, l’intérêt est ailleurs. Le père du coupable est un très bon donnateur du Réseau. Une personne à qui on ne dit pas “non”. Jess cherche l’heure et fait un décompte. « Je suis là dans une demie heure.» La conversation s’achève sur des salutations trop cordiales pour être sincère.

Jessica fait le chemin inverse en composant le numéro de son assistante. Le combiné est calé entre l’épaule et la tête, alors que la rousse entre dans la chambre. « Chloé. J’ai besoin que tu m’otienne une ordonnance. Oui. Maintenant. Je sais. Tente le Juge Colman. Il me doit un service pour Novembre. Oui. Je t’appelle quand je suis sur place..» Pendant qu’elles discutent, l'avocate sélectionne une tenue dans le living room. Elle dépose un pantalon tailleur bleu nuit sur le dossier de la chaise de la coiffeuse grand format.

_ « Léandre… réveilles-toi. Je sors. » La tonalité sonne dans le vide, une fois, deux fois. Puis une voix masculine et sèche. « .Je sais, c’est dimanche. Mais je te le revaudrai. Tu le sais. … Cool. Il y a 45 minutes. District ouest près du stade. Sortie … 4. Okay. Non, sur mon adresse pro. On se voit vendredi.. » Le rire de la rousse est très bien joué. La ligne est coupée. Keenan lance le smartphone sur le fauteuil. Elle se dirige vers la salle d’eau mais ralentie sur le seuil. Elle regarde par-dessus son épaule pour voir où en est son partenaire de lit. « Je peux te déposer au passage. Réfléchie. Je vais me doucher. Départ dans 20 minutes.»

Le bruit de l’eau se fait entendre tout de suite après. L’eau est glacée pour un éveiller le corps engourdi, deux fouetter le sang, trois forcer la jeune femme à aller vite. 12 minutes plus tard elle revient habillée. Elle passe un peu de parfum sur sa gorge. Elle cherche sa montre bracelet sur la coiffeuse, les meubles et la trouve sur le sol. Un coup de brosse à crin dans ses cheveux platine. Elle passe un rouge-à -lèvre carmin sur sa bouche séductrice.

_ « Alors ? Je t’embarque ?» Demande alors la rousse, tout en évaluant son reflet dans la glace.

Léandre était allongé confortablement dans les draps. Il se sentait bien. Les yeux fermés, il se laissa aller dans un sommeil profond. Mais une sonnerie se fit entendre dans son rêve. Tyler mit du temps à se réveiller. Il entendait Jessica bouger, parler et se mettre en mouvement. Léandre avait été saisi d’une soudaine feignantise, il n’avait pas envie de bouger.

A l’indication de l’avocate, il eut bien conscience qu’il devait lui aussi se mettre en mouvement. Il se laissa le luxe de patienter quelques secondes de plus avant d’ouvrir les yeux, puis de s’asseoir sur le bord du lit. Il avait l’impression de n’avait dormi que quelques minutes.

Jessica parlait rapidement, elle était pressée et avait eu un pique d’adrénaline. Tyler prit note de ce délai. Il lui fallait se réveiller. L’aveugle se mit en quête de ses vêtements. Heureusement pour lui, Léandre avait depuis longtemps pris l’habitude de bien mémoriser où il posait ce genre d’affaire. Il entendit l’eau coulé dans la douche. Léandre se répara en longeant les murs, les meubles. Il retrouva ses vêtements sans trop de difficulté.

Le juge prit le temps de s’habiller, les gestes encore trop lents à cause du sommeil. La chemise était froissée, il lissa le tissue pour essayer de le rendre un peu plus présentable. Mais même sans ses yeux, Léandre avait bien conscience que ce n’était pas terrible. Il attrapa son téléphone et écouta l’heure. La sensation de n’avoir dormi que quelques minutes n’était pas fausse puisque c’était ce qui était probablement arrivée. Il bailla.

Si Léandre était arrivée à retrouver ses vêtements et sa canne blanche, mais il y avait un accessoire indispensable qui lui manquait : ses lunettes. Elles étaient probablement en évidence quelque part… Ce qui pour le juge restait un problème. Il n’avait pas souvenirs où elles étaient. Si Tyler mettait ses lunettes, ne s’étaient pas rapport à un besoin précis, mais c’était pour bien montrer qu’il était aveugle. Il était nécessaire que les voyants puissent le comprendre rapidement. Dans la vie de tout les jours, Léandre était régulièrement limité dans ses actions à cause de ça. Ne serait-ce que dans la rue. Les voitures électriques – devenues particulièrement à la mode avec le smog – étaient une véritable plaie pour lui. Elles n’émettaient aucun son, si bien qu’elles lui étaient invisibles. Dans la jungle urbaine, il lui était plusieurs fois arrivés d’être bousculé par un véhicule, mais il n’avait jamais été renversé.

Les cheveux ébouriffés, Léandre répondit doucement « Si tu peux me déposer chez-moi. » Il ne savait pas où Jessica se rendait, si cela lui faisait perdre du temps ou non. Le juge ne lui posa pas la question, bien conscient que cela relevait du secret professionnel de l’avocate. La semaine de Jessica commençait très tôt en ce dimanche soir.

Pour le reste, ils étaient passé au tutoiement. C’était une bonne chose. Léandre ne le releva pas. Il expliqua « Jessica, je ne retrouve pas mes lunettes. » Ce n’était pas grave en soi, mais il savait qu’en un coup d’œil que l’avocate pourrait les trouver.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Musique d'ambiance

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

— Black sunday. Feat Léandre Tyler —

_ « Je peux. » Répond l’avocate juste après avoir sollicité sa carte mentale de Londres. Contrairement aux présupposés sociologiques, les femmes savent se repérer dans l’espace. Keenan connaît cette capitale aussi bien que les truands qu’elle sort de prison. Elle scrute la chambre à coucher pour s’assurer qu’elle n’oublie rien, tout en allant récupérer la paire de lunettes noire sur la commode. Là où elle les a posées deux heures plus tôt.

Sans attendre, elle vient face à Tyler pour les lui installer sur le nez. Elle lui propose un bras pour avancer dans l’appartement toujours par pragmatisme. Léandre vient pour la première fois. Il est encore dans le gaz. Ils sont pressés par le temps. Il faut donc être efficace. Pour cette raison également, c’est elle qui va chercher leurs manteaux. Elle qui vient dans son dos pour poser celui du juge sur ses épaules frêles. Un dernier tour d’horizon avant de récupérer la sacoche de travail et le trousseau de clefs.

Ils sortent sur un claquement de porte. Jessica termine de passer son écharpe alors qu’ils vont à l'ascenseur. Elle soulève ses cheveux d’un geste automatique. La langueur sexuelle s’en est allée aussi vite qu’elle est venue. Une fébrilité nouvelle habite ce corps reposé. L’esprit est activé et stimulé par l’urgence. C’est ainsi que Jessica existe, à la frontière entre l’excès de contrainte et de liberté.

Une fois dans le hall, elle propose de nouveau un bras pour retrouver le parking souterrain. Il fait froid et humide. Le vent de janvier se fait sentir à travers les habits. L’avocate ignore la tension qui gagne ses mollets. Elle ouvre la porte passager pour son invité et le fait grimper à bord de la grosse voiture. Tout de suite, lumière et musique s'activent. C’est de la pop music américaine qui vient agresser l’ouïe ce soir.

_ « Je te dépose en haut du carrefour. Ça ira ? » Demande-t-elle alors qu’elle enclenche la première. Keenan a une conduite sûre et vive. Elle a un coup de volant franc mais maîtrisé. Elle active la clim pour leur épargner un choc thermique de fin de semaine. Elle baisse la musique pour que ce ne soit plus qu’un fond alors qu’elle conduit en anticipant son itinéraire.

_ « Je vais passer au Rosewood. Mercredi matin. » Elle dit cela en surveillant la chaussée et les piétons qui font ce qu’ils veulent hors de passage cloutés. Elle freine alors qu’un feu mûre passe au rouge. Même si elle est pressée, autant ne pas provoquer un accident de la route. Une fois la voiture à l'arrêt, le clignotant activé, la belle jette un regard sur le profil de son voisin. « Rien à lui dire ? » Tant qu'à devoir faire la posteuse, Jess entend en tirer un bénéfice personnel. Même si le juge n'est pas le plus loquace elle peut tenter.

Le trafic est lent. Il y a un ralentissement quelque part. La raison n'est pas visible sur la chaussée. Pas de camion renversé ou de sang dans la neige. La rouquine prend donc le téléphone pour activer une application de surveillance routière. Le plan du quartier se dessine. Mais l'itinéraire bis est impossible avec le flux. Un sifflement monte des lèvres de l'avocate. Pour autant, elle se contient et attrape le volant à deux mains, fermement.