Le jeune homme avait repris les cours pendant un cycle et le nouveau stage chez Jessica enfin, maître Keenan s’annonçait plus sportif encore que le précédent. Il était sensé avoir progressé. Sensé. Le mot était important. Certes, il avait effectivement fait des progrès, il avait suivi les cours, et n’était pas si mauvais que ça. Le truc c’est qu’il avait aussi enchainé les périodes compliquées, à manquer de sommeil parce qu’il passait ses nuits à apprendre avec Arsène Lupin, qu’il se pétait les yeux avec Tom à améliorer leur programme sans parler de ces cambriolages qui entre la préparation et l’exécution ne lui laissait guère de temps et puis, il y avait eu ces missions pour le Directeur des Hôtels. Il avait bien bossé, mais peut-être pas assez ses cours. Les autres élèves eux faisaient des petits boulots directement en lien avec ses études pas lui. Enfin… Il pourrait soutenir probablement la défense d’un voleur. Il soupira, stressé. Le premier jour du stage avait été intense et Jess… Maître Keenan lui avait dit qu’il devrait dormir quelques heures supplémentaires s’il voulait être d’attaque. Il ignorait ce qu’elle lui préparait mais il allait bien vite le savoir.

En arrivant dans le bureau il resta bouche bée. Une tenue d’avocat plaidant l’attendait, repassée et tout. Sous les conseils de l’assistante il enfila la dite tenue et s’empara du dossier qu’on lui avait demandé de potasser la veille. Il se demanda, maître Keenan n’allait tout de même pas l’embarquer avec lui au tribunal ? Légalement il n’avait pas le droit d’y aller tant qu’il aurait pas passé son barreau… alors ? Une autre surprise l’attendait cependant, se rendant dans la salle de réunion du cabinet il put voir Maître Keenan en tenue, l’air sérieuse qui l’attendait. Il la regarda surpris, ne comprenant pas trop ce qu’il se passait. Il resta interloqué quelques secondes ne sachant pas trop comment jouer la partie ni ce qu’elle attendait de lui. Devait-il… jouer l’avocat ? Il n’avait jamais entendu parler de représentation mais maintenant qu’il y songeait, c’était logique d’un certain côté. Il savait que sa patronne aimait qu’il soit dynamique, pro-actif, en bref qu’il soit capable de deviner ce dont il s’agissait. « Bonjour maître, on va jouer un procès ? » fit-il avec sa candeur habituelle accompagnée d’une petite moue qui animait sa bouille d’adolescent pas vraiment fini. Lèvres pincées, demi sourire, l’air d’un angelo en somme, ça compensait les approximations et erreurs non ? Le numéro marchait souvent mais rarement avec sa patronne et il devrait le savoir depuis le temps.

Le jeune homme obéit sagement aux ordres et s’assoit direct. Avec maitre Kennan il a vite appris qu’il valait mieux ne pas se poser de question et être réactif, alors il s’exécute, curieux de voir la suite. La jeune femme porte la robe d’avocat de la cour, elle lui glisse sous le nez un dossier épais dont le titre lui évoque des gros titres qu’il a cru voir passé enfant, se souvenant de ses parents parlant de cet arnaqueur. Ses parents s’étant échappé de la Bratva n’étaient pas du genre à voir les criminels sous un bon jour aussi le portait qu’ils en avaient fait à l’époque n’était pas glorieux. Il se doutait néanmoins qu’il valait mieux ne pas trop se reposer sur ses souvenirs et plutôt lire ce dossier d’autant qu’elle lui donna vingt minutes seulement ce qui lui paraissait peu. « D’accord. » Il était inutile d’argumenter sur le fait qu’il avait peu de temps pour penser à un plaidoyer. Il était plus encore inutile d’argumenter le fait qu’il était timide, sur ce point, elle avait entièrement raison. Le jeune homme sortit son téléphone portable et lança le chrono, il ouvrit le dossier et le parcourut, il lu des noms de victimes, des sommes, des transactions, les témoignages de ses fils l’incriminant, et puis, les aveux du client. Lisant aussi vite qu’il put, Lyov constata qu’il lui restait encore quelques minutes en zieutant son téléphone portable.

« Je peux faire également des recherches internet ? Il est possible que certaines informations ne soient pas contenues dans ce dossier, des choses que le client a pu révéler uniquement à son avocat ? » demanda-t-il en relevant la tête vers la rouquine. Bien sûr il pourrait tricher ainsi, mais il doutait de trouver des images du procès ou encore carrément une citation du plaidoyer, ce qu’il espérait plutôt c’est de découvrir des informations supplémentaires, personnelles relatives au clients, le genre d’informations qui font les choux gras des journaux mais qui peuvent attirer la sympathie du jury ou même du juge car il croyait se souvenir que dans le droit américain, en plaidant coupable, on coupait court à un grand procès s’étalant sur plusieurs jours. Possiblement que Madoff avait même fait une tractation avec le FBI car c’était ce dernier qui l’avait arrêté et ces aveux rapides paraissait justement l’être un peu trop aux yeux du jeune homme.

Maître Keenan était impitoyable. Lyov étant son stagiaire depuis quelques mois maintenant le savait, pourtant, il n’aurait pas choisi un autre cabinet. Il savait qu’elle le pousserait au maximum et qu’elle lui ouvrirait un tas de porte. Elle était dure certes, mais parfaite en réalité. Et c’était justement ce dont il avait besoin. Alors, quand elle accepta tout en lui retirant trois minutes au chrono, il se contenta de hocher la tête, perdre de précieuses secondes dans une vaine tentative de négociation serait idiot. « D’accord. » fit-il simplement en sortant son téléphone portable, en quelques clics il tomba sur des informations juteuses. La question étant, est-ce qu’au moment du procès il aurait pu exploiter ces informations ? L’affaire avait été médiatisée et l’était encore, à chaque fois que quelqu’un s’adonnait aux mêmes malversation, on faisait mention à l’affaire originale, et puis, il y avait les tentatives d’appel du désigné coupable, de la famille, en clair, il venait de trouver la stratégie. Restait à voir si cela passerait ou non. Un sourire lui dévorait le visage mais il savait qu’il ne pouvait se contenter de quelques articles, il devait avoir des informations fondées, et il finit par trouver sa poule aux œufs d’or, le regard brillant il releva le nez quand elle lui dit stop. Il avait déjà tout ce dont il pensait avoir besoin. C’est certain qu’il aurait pu relire le dossier encore une fois mais il pensait avoir trouvé L’élément qui pouvait sauver son client d’une trop lourde peine.

Le jeune homme essayait de cacher le sourire qui dévorait son visage, de le retenir de toutes ses forces, au moins il ne sautillait pas partout comme s’il venait de prendre des amphé. La jeune femme prenait position, la tête haute, le regard droit, avec ce côté froid et détaché qu’elle avait toujours. Il n’avait encore eu l’occasion de la voir plaider, les étudiants en troisième année n’avait pas le droit d’assister à la cour ce qui était bien dommage. Il savait qu’elle ne lui ferait pas de cadeau et qu’il avait intérêt à tout donner. « Bonjour madame la juge. » Car c’est le rôle qu’elle prenait en cet instant. « Je vais plaider coupable, votre honneur. » fit-il en ayant un sourire qui se voulait pas trop prépondérant. Son client avait fait des aveux au moment du premier interrogatoire, impossible de revenir là dessus. Aucun tribunal ne prendrait au sérieux un non coupable après les sacro-saints aveux, tout le monde le savait. Et comme il n’avait pas été maltraité, qu’il n’avait aucune suspicion de violence policière… Non, il avait une autre stratégie en tête. « Mon client, comme vous le savez, a avoué et ce dès les premières minutes de l’interrogatoire. Votre honneur, à mon avis, mon client regrette ce qu’il a fait, et je vous prouverais qu’il a mal agit parce qu’il avait peur pour sa famille, voyez-vous, mon client est malade. »

Il l’avait surpris, il le vit dans l’expression sur son visage étonnamment placide d’ordinaire, et ce petit sourire furtif mais néanmoins visible sur ses traits. Lyov en eut un bien plus large sur les siennes en réponses, un sourire brillant de fierté qu’il tenta de camoufler aussitôt sachant qu’elle préférait qu’il soit impassible comme elle l’était. Cela faisait parti des nombreux conseils qu’elle lui donnait, et il ne doutait pas que chacun d’eux soit bons, mais sa bouille expressive avait été jusqu’à présent sa meilleure arme, c’est grace à cette bouille là qu’il entrait dans n’importe quel immeuble, qu’on lui ouvrait toutes les portes sans une once de méfiance. Mais il était là pour plaider et suivre les règles et conseils donnés par son maître de stage et son mentor. Il avait prit un risque, c’est vrai, mais tout bien considéré c’était la seule manœuvre objective qui pouvait tenir face à un juge, et elle devait certainement le savoir avant de le lui soumettre. Il avait évité l’erreur de débutant, il allait devoir ensuite utiliser son argumentaire et espérer qu’il tiendrait.

« Mon client souffre d’une maladie incurable des reins, les médecins affirment qu’il finira pas succomber à cette maladie mais ce sera long et pénible. Comme vous le savez, le système médical est excessivement coûteux pour ce genre de mal incurable, mon client voulait éviter à sa famille et à ses proches de se ruiner pour lui. Ce qu’il a fait… il l’a fait pour sa famille. » Une tactique à la Breaking Bad, la série culte où le héros, Walter White se découvrant un cancer décidait, non pour se soigner mais permettre à sa famille de survivre financièrement à son trépas, de fabriquer de la drogue en usant de ses capacités de chimiste. L’histoire était connue, certes, mais facile à croire au final. Lyov doutait que ce fut là le réel motif de son client dans ce procès fictif. Mais Madoff avait bel et bien vu des médecins avant son arrestation attestant qu’il atteint par ce mal, la chose délicate étant bien sûr qu’il fallait prouver qu’il se savait atteint avant les premiers faits. Il ne pourrait rien obtenir via internet et s’il avait dû plaider en réalité, il aurait dû mener une enquête soignée et poussée. C’était intriguant, vertigineux, plaisant de s’imaginer faire tout cela, et haletant également.

Le jeune homme était fier de sa stratégie, persuadé de sa réussite, surtout s’il y avait un jury. Tout ce dont il avait besoin c’était de les convaincre, le doute raisonnable, qu’envoyer un homme peut-être innocent, ayant peut-être d’excellentes raisons d’agir revenait à ruiner sa vie, celle de sa famille. Jouer sur la carte de la compassion était un réflexe naturel pour le jeune homme qui avait tendance à considérer le monde encore de ses grands yeux encore naïfs. Il observa l’avocate fièrement mais son sourire se fissura quand il l’entendit lui répondre. S’il avait la passion qu’il faut, la motivation qu’il fallait, l’envie d’empêcher des gens d’aller en prison, car il pensait vraiment que la prison était la pire chose au monde et que le crime donnait sa saveur au monde, en revanche, il lui restait beaucoup à travailler pour masquer son jeu. Son visage était si expressif qu’il en devenait un livre ouvert, heureusement, il savait mentir, juste assez quand il s’en donnait la peine, quand il n’était pas submergé par un autre sentiment plus dévastateur, ici la joie. La rouquine brisa l’élan en lui demandant des preuves, évidemment. S’il avait dû mener l’affaire, il l’aurait la preuve, il saurait s’il pouvait mentir devant la cour ou non. Car non il ne savait pas s’il avait été diagnostiquer avant. Mais en avait-il vraiment besoin ?

Il l’écouta et un sourire revint sur ses lèvres quand il prit conscience que ce qui comptait n’était pas qu’il soit ou non malade mais qu’il soit convaincu de mourir, d’être mourant, et que rien ne reviendrait à sa famille. Malheureusement, un homme comme son client fictif avait sans doute une solide mutuelle et aurait pu aisément consulter un docteur. « Je vais bien sûr appeler à la barre son médecin, mais je souhaite également appeler sa femme. » Les époux ne pouvaient servir d’alibi mais ce n’en était pas vraiment un, n’est-ce pas ? Il regarda la rouquine ne sachant si elle allait jouer l’épouse ou s’il fallait l’imaginer. « Madame Madoff, je voudrais vous demander, quel était l’état de santé de votre époux avant les faits dont on l’accuse ? » Il attendit de voir si elle jouait le rôle pour répondre en fonction de sa répartie ou des consignes qu’elle allait lui donner. « Vous… vous allez jouer l’épouse ? » demanda-t-il, trahissant légèrement sa nervosité, pas qu’il craignait de perdre, c’était après tout un jeu, si ce ne l’avait été, il aurait eu plus de cartes en main et plus d’assurance de réussite ou d’échec, mais plutôt parce qu’elle l’impressionnait, lui donnait l’impression à chaque fois que sa vie était en jeu. Ce qui était le cas pour la personne qu’on défendait, et cela, il le comprenait mieux que personne étant donné qu’avec ses activités nocturnes il pourrait bien un jour finir sur le banc des accusés.

Le jeune homme regarda l’avocate qui incarnait le procureur et l’invita à faire entrer l’épouse en témoin. Bien sûr la question qui ne fut posée à voix haute mais pouvait se lire dans les regards de chacun était : qui jouerait le rôle de la dite épouse. Lyov s’attendait à devoir la jouer ou alors se fier à maître Keenan mais Jessica opta pour une troisième option et invita son assistante à venir incarner le rôle. Manifestement celle-ci connaissait les exercices de sa patronne. Lyov se demanda combien de fois ce scénario avait été fait, combien de ses prédécesseurs avaient tentés cette approche et surtout, combien avaient gagné ? Une petite pointe d’orgueil joua en lui. Il se refusait à faire parti de ceux étant partis la queue entre les jambes.

Hochant la tête, le jeune homme accepta la proposition de son maître de stage. Chloé prit place et incarna à la perfection l’épouse en question. Avait-elle vraiment assisté au procès ? Ou bien s’inspirait-elle de toutes les épouses qu’ils avaient pu voir au cours des différentes affaires traitées ? « Bien sûr, » fit-il en répétant la question. La jeune femme hocha la tête et commença à se plonger dans le rôle. Dans ce genre d’affaire, le témoin était préparé par la défense afin de coller parfaitement à la stratégie adoptée et résister au mieux à l’attaque du procureur, évidemment. Mais l’assistante connaissait tout cela. Lyov la croyait de son côté, en tout cas, feignant de l’être. « A votre connaissance, avait-il consulté un médecin ? » La question était supposé la lancer mais il l’accompagna d’une seconde afin d’obtenir la réponse désirée. « Et si oui, vous a-t-il fait part des réponses que ce médecin avait pu lui donner ? »

Le jeune homme se mordillait la lèvre, son corps grand, élancé, gringalet, s’agitait presque nerveusement. Ce n’était pas tant de la nervosité qu’un signe qu’il réfléchissait. L’épouse était un témoin intéressant mais qui pouvait toujours être mis à mal par l’accusation. Il ne doutait pas que toutes ces réponses pourraient être balayées, il devait songer à la suite. Ferait-il venir le médecin à la barre ?

Le jeune homme écouta les réponses de l’assistante avec un sourire encourageant. Comme l’aurait fait n’importe quel avocat d’ailleurs. Il hochait la tête, souriait doucement, pas trop, car il s’agissait tout de même d’une maladie incurable et mortelle. Il pencha la tête sur le côté. Le témoin donnait de la matière mais pas celle recherchée. Il ne répondait pas exactement à la question même s’il pouvait apitoyer un jury. Il se tourna vers maître Keenan qui lui demandait ce qu’il cherchait à démontrer. « Je cherche seulement à savoir si madame était au courant pour la maladie de son époux. Ceci afin d’éviter à ce cher médecin de famille de se déplacer à la barre mais je pense que nous devrons le faire. Cependant je pense que madame est la mieux placer pour témoigner de ce qu’a pu faire son mari dans une telle situation et surtout, nous aider à comprendre pourquoi il a agit ainsi. » Il hocha tête. « Oui j’aimerais poser d’autres question à madame si vous me le permettez. » Très poli le jeune homme attendit un signe d’assentiment avant de se tourner à nouveau vers la témoin.

Il s’approcha à nouveau de Chloé et lui sourit à nouveau, le fait est qu’il était plus facile de s’adresser à elle qu’à Jessica, l’assistante était plus abordable mais pas forcément plus tendre en réalité. « Madame, votre mari vous a-t-il paru contrarié ces derniers mois ? Je précise, avant la date du … ? » C’était la date à laquelle les premiers faits avaient été recensés. Les premiers détournements. « Mon autre question concerne votre mutuelle. En possédiez-vous une ? Et si oui, quelle couverture vous offrait-elle ? » Car les soins pour ce genre de maladie sont souvent exorbitant. Mais à dire vrai il n’avait pas besoin de prouver que sa maladie allait endetter sa famille, simplement que son client l’ait cru. C’était ça l’important, ce qu’il cherchait à donner à son client, un motif légitime. Et le graal serait carrément de prouver qu’il n’était pas pleinement en possession de ses moyens au moments des faits. Mais il doutait de pouvoir atteindre ce stade. Semer le doute, gagner la sympathie du jury était néanmoins un bon début.