L'Anglais avait la curiosité sur le bout de la langue. Est-ce qu'elle cachait quelque chose sur sa peau de porcelaine ? Ou au contraire, est-ce qu'elle n'était que ça, une porcelaine toute lisse, toute douce, sans aucune imperfection et tâche d'ancre à déplorer ? À sa manière, elle avait probablement quelque chose auquel elle s'accrochait en souvenir bien ancrée. Néanmoins, il put réellement répondre à sa question. Est-ce que ça l'aidait vraiment ? Il embellissait le tout, oui, mais l'aide, il ne l'avait jamais trouvé. Il n'était même pas certain que celle-ci existent bel et bien d'ailleurs. Dans son cas, il se savait déjà damné pour l'enfer. Alors, une quelconque aide, non. Ce n'était fait que pour se rappelait. Au cas où qu'un jour sa mémoire viendrait à défaillir au point de tout oublier. Si seulement. Il le souhaiterait presque.

Tobias laisse effleurer son doigt sur le haut de son verre. Doucement il en fait le tour plusieurs fois, tandis que ses yeux restent fixés sur la belle demoiselle. Vraiment, ce genre de femme on en croise que si peu dans sa vie, qu’elle devienne aussi précieuse qu’une pierre et tout aussi tranchant qu’une lame. Un alliage des deux qui, bizarrement, se retrouvent être extrêmement dangereux.
Son doigt cesse soudainement son petit tour quand il sent son pied contre son mollet. Quelques secondes, pour marquer la surprise, puis reprend comme si rien ne s’était passé. Il ne sait toujours pas sur quel pied danser avec elle, tant il ne connait pas sa réponse définitive. Il joue la carte de la prudence, même s’il ne nie pas que cela reste très agréable. C’est un peu comme le jeu du chat et de la sourie. Mais qui est qui ?

« Étonnement, je ne suis que très peu surpris que l’exigence soit un trait favori par ici. Qu’il s’agisse du corps ou non d’ailleurs. »

Un petit rictus se dessine sur le coin de ses lèvres. L'exigence est déjà palpable dans son travail, que cela en soit de même sur son corps ou bien dans sa vie, ça ne surprend que très peu le psychologue. L'inverse l'aurait probablement bien plus alarmé à vrai dire.

Le trentenaire tique faiblement à cette question qui sort d'outre-tombe. C'est quelque chose qui n'a pas l'habitude d'entendre, ni même de prendre le temps de réellement y répondre à vrai dire. En règle générale il est celui qui pose les questions et qui se débrouille avec finesse pour éviter de devoir y répondre et les évite avec une agilité déconcertante. Mais aujourd'hui il se fait avoir, il tombe dedans et peut réellement fuir comme à son habitude.

« Aurore. »

Une pointe mélodieuse dans la voix, la nostalgie mise au placard depuis bien longtemps, trop longtemps même. Le temps s'est grandement écoulé depuis la dernière fois qu'il avait prononcé son nom. Sur une tombe bien loin de l'Angleterre et la vingtaine à peine passé. Un peu moins usé par une course effrénée.

« Elle était différente en tout point à ma mère d'aujourd'hui, si je puis dire. »

Aurore n'était pas Evelyne. Et Evelyne n'était pas Aurore. Là-dessus, il n'y avait aucun doute possible. Le creux était immense sur bien des points, entre la classe sociale, la vie, les aspirations, les choix et les dépendances que l'une ne connaissait guère comparé à l'autre. Tobias se gardera bien d'avouer que l'activité favorite de sa génitrice consistait à écarter les cuisses pour qu'il puisse se nourrir, sa sœur et lui, d'autre chose qu'un triste paquet de pâtes et obtenir un cartable d'école plus convenable. L'image était bien à milieu de ce qu'on pouvait imaginer de lui, de la famille qui l'accompagnait et qu'on croyait être réellement la sienne.

« Je sais que je n'en donne pas l'air, mais je ne suis pas né avec une cuillère en or dans la bouche. J'aurais aimé porter le nom de Fitz à ma naissance, mais on ne choisit pas d'où l'on vient n'est-ce pas ? »

Personne n'avait la capacité de choisir d'où il provenait. S'il avait pu le choisir, probablement que sa mère serait encore de ce monde et son géniteur n'aurait pas pris la fuite avant même que les jumeaux ne viennent fouler cette terre. Certainement qu'il aurait eu la famille idéale, pas d'enterrement, pas de placement en maison d'accueil, pas d'adoption foireuse à plusieurs années pour finalement être bien heureux. Les choses auraient été plus simple, trop simple et il n'aurait pas franchi une ligne rouge. D'un autre côté, il n'aurait pas l'occasion de porter fièrement le nom de Fitzgerald. Il ne serait pas autant entouré de personnes bienveillantes et son axe de conduite n'aurait peut-être pas été aussi droit. Tobias ne pouvait plus vraiment avoir le temps des regrets sur tous ces sujets-là. C'était ainsi et il s'en contentait.

Aurore manquait à Tobias, oui, comme toute mère qui pouvait manquer d'une façon ou d'une autre à ses enfants. Néanmoins, plus autant que le petit garçon qui avait besoin de ses bras réconfortant. Alors, il haussa vaguement les épaules, laissant une réponse légèrement floue.

Il porta son verre à ses lèvres, ses iris qui fixèrent la demoiselle avec attention tout appréciant la curiosité qui s'échappait de sa personne. Probablement trop de curiosité alors qu'il n'avait pas pour habitude dévoiler tant de trait de son aspect personnel. Il se devait d'y mettre un frein avant que celle-ci ne s'aventure davantage sur un terrain glissant. Et puis, parler des différences ou des similitudes entre ses mères... le simple fait d'y penser donner à son corps une sensation quelque peu désagréable. Comme une alerte, quelque chose qu'il valait mieux ne pas tenter.

« Parlez-moi plutôt de vous. »

Une gorgée avalée, le verre déposé. Toute son attention s'accorda à cette jolie rousse à ses côtés.

« Vous avez une grande famille me semble-t-il, ou du moins, un grand nom. Je ne doute pas que ce soit quelque chose d'imposant sur vos épaules. »

Ceci doit être une réelle partie de plaisir, quoi de plus agréables qu'un nom important à porter sur les épaules. Le moindre faux pas et vous voilà sous la rampe des projecteurs. Une plaie au final et sans vraiment avoir la possibilité d'être en paix.

« Je me suis toujours demandé si vous aviez des frères ou bien des sœurs. »

Est-ce que la rouquine profitez d'une grande fête de fin d'année avec une multitude de cadeau au pied du sapin rien que pour elle, ou bien au contraire, il fallait partager la moitié avec le reste d'une fratrie aussi longue qu'un bras ? Tobias ne s'était jusqu'à présent pas posé la question.

« Je n'ai pas souvent eu l'occasion de voir votre famille au grand complet pour le remarquer. »

Tobias avait probablement croisé ses parents au moins une fois, en passant à la vite, mais pour le reste, cela n'était qu'un grand mystère. Et en gentil homme bien respectueux, il ne s'était pas permis d'aller fouiller dans sa vie pour connaître la réponse à cette question. Elle était au fond sans importance, ce n'était qu'une façon comme une autre d'entamer la conversation. D'un autre coté, il évitait ainsi d'apporter toute l'attention sur lui et de répondre à des choses dont l'envie n'y était pas forcément.

Il porta doucement son verre contre ses lèvres, profitant des dernières gorgées qu'il lui restait, tout en écoutant attentivement le récit de sa voisine. Un petit sourire moqueur à l'évocation du “syndrome de riche”, gardant sa remarque pour lui, quand bien même il ne l'aurait pas appelé ainsi. Jessica avait donc un frère. Il ne s'attarda pas à comprendre si cela était une bonne ou une mauvaise chose, laissant le côté psychologue au placard avant que cela ne le démange. Il n'était pas là pour examiner son comportement, mais bel et bien connaitre la personne appuyée sur ses talons hauts.

Et finalement, elle lui donna la sensation que, tout comme lui, mieux valait ne pas s'engouffrer davantage sur le sujet. Aucune famille n'était réellement parfaite. Il y avait toujours tout un tas d'ordure qui traînait dans le coin et qui ne disparaissait pas réellement, même après avoir durement nettoyé.

« Je vois et je n'insisterais pas. Au moins je sais maintenant que les cadeaux sous le sapin sont divisés en deux. »

Un début d'information, c'était bien tout ce qu'il voulait savoir au final. Le reste pour l'heure ne le regardait pas. Et puis, Tobias fut ramené bien vite au centre même de ce rendez-vous improvisé. Il se rappela alors qu'il y avait bien une raison derrière le diner.

« Eh bien, je mentirais en disant que cela ne m'intrigue pas un peu. D'un autre côté, vous avez apporté un dossier qui attend sagement sur le rebord de la table. »

Le brun le montra d'un simple regard. Bien qu'il n'évoquât pas sa présence jusqu'à maintenant, il ne l'avait pas oublié pour autant. Ceci était tout de même ce qui avait engendré cette rencontre en dehors de son bureau qu'il trouvait bien trop spacieux. Suivi du jeu de flirt qui ne passait aucunement inaperçu.

« La question serait plutôt “que faut-il choisir ?”. Le plaisir ou le travail ? Allier les deux ne font jamais bon ménage malheureusement. »

Ah, la belle erreur, il s'en souvenait encore...

« Mais peut-être pouvons-nous continuer à discuter encore un peu avant de faire un choix définitif. Votre compagnie m'est très agréable, ce serait dommage d'y mettre fin aussi rapidement. »