Une fois, pas deux

— Ça doit être sympa.
— Bah, on ne voit pas grand-chose.

Elle préférait rester un tant soit peu modeste devant lui. Qu’il n’en vienne pas à se demander d’où venait tant de fonds, ou de réussite.

Alors qu’elle restait contre lui, il lui asséna une nouvelle fois :

— Pas suffisamment pour que tu daigner me recontacter.

Elle s’écarta un peu en soupirant discrètement par le nez. Si ça n’avait pas été ostensible, l’aveugle avait une très bonne ouïe. Elle s’en fichait qu’il ait pu entendre ou pas, s’il était parti pour lui rabâcher ça toute la soirée, il dormirait sur le canapé.

— Il va falloir se faire pardonner.

Elle ne daigna pas répondre. Tu parles. Elle se demandait juste s’il allait lui rabâcher ça toute la journée. Après tout, lui non plus ne l’avait pas contactée et c’était tout de même elle qui était revenu le voir pour renouer ces liens perdus. Il tint tout de même sa main pour qu’elle ne s’éloigne pas trop, mais elle prit quand même la soupe miso, première étape de son menu, pour la mettre sur ses genoux ainsi qu’une cuillère sans se détacher, puis retira doucement sa main pour ouvrir le petit couvercle de la boite en plastique qui la contenait. Elle ne voulait plus parler de ça, elle estimait que comme elle s’était déjà excusée, pas la peine de revenir dessus.

— Tu connais le palais bien mieux que moi… Quelles sont les ragots du moment ? Il y a des choses qui se disent sur moi ?

Elle prit le temps d’avaler une cuillère de soupe avant de lui répondre.

— Sur toi, pas grand-chose. Peu sont ceux qui te connaissent assez pour pouvoir en parler. Il y a juste la blague qui circule sur la justice aveugle, mais rien de plus intéressant. Quand aux autres ragots, il y en a sur tout le monde. On pourrait y passer la soirée. Des gens en particuliers t’intéressent ?

Elle continuait de manger sa soupe en attendant d’être un petit peu calmée. Après tout, pourquoi ce serait à elle d’assumer toute la faute ? Elle avait certes omis être partie à l’étranger quelques fois ces dernières années grâce au réseau des Hôtels particuliers, mais autant ne pas montrer trop l’étendue de sa réussite. Pour vivre heureux, vivons cachés. C’était Léandre le juge, c’était lui qui avait réussi apparemment, et vu ce qu’elle pouvait gagner, déclaré ou non, elle lui laissait la vedette. Elle préférait néanmoins sa position, après tout elle n’avait pas choisi ce métier pour rien.

Ragots de cour

— Les gens se croient drôles à chaque fois… Mais cette blague a été surutilisée.
— Je suis d’accord.

Il laissa une pause avant de reprendre, comme s’il réfléchissait à ceux sur qui il voulait s’informer.

— Pour le juge Blakemore puis pour maitre Keenan.

Elisa sourit et manqua de s’étouffer en finissant sa soupe. Pour un nouvel arrivant, il savait où trouver les meilleures histoires. Ces deux-là étaient sujets à la majorité des discussions au palais. Elle toussa un peu avant de lui répondre.

— Eh bien, pour un aveugle, tu sais viser juste. Je pense que tu as choisi deux pointures dans leur domaine. Blakemore est le genre d’enfoiré qu’aucun avocat ne veut voir diriger son audience. Je ne connais personne avec qui il soit sympathique. Nombreux sont ceux qui veulent des conflits d’intérêts avec lui. Quant à maître Keenan, on est assez similaires toutes les deux, elle est sympa. On n’est pas très aimées ni l’une ni l’autre, mais on s’amuse bien.

L’avocate finit le reste de sa soupe avant de reposer la boite en plastique qui la contenait. Elle enchaîna en prenant la boite en aluminium qui contenait les brochettes. Elle finissait toujours par les sushis, et il lui arrivait d’en laisser quelques-uns. C’était dans cet ordre précis qu’elle préférait ce repas. Léandre lui commençait à manger, et n’avait pas sollicité son aide pour récupérer sa soupe.

— Parle-moi de ce dont tu as envie.
— Hum, j’ai une autre idée. Un honneur que pourrait me faire votre honneur. Si la cour me faisait la cour, je n’aurais aucune objection.

Elle souriait largement, fière de ses jeux de mot et mangea une de ses brochettes en attendant sa réaction. Si elle ne s’abaissait pas à faire des blagues sur le justice aveugle, elle employait des formules plus recherchées, elle continuait de le taquiner sur son nouveau statut. Il fallait reconnaitre que cette blague là l’avait presque faite rire avant qu’elle la prononce.