Si ma grand-mère ou même ma mère nous entendait parler toutes les deux, elles défailleraient probablement. Elles sont des femmes cartésiennes jusqu’à la racine des cheveux. Je me souviens qu’il était interdit d’évoquer ce genre de monde “caché” à la maison. Le manoir était vieux. Il y avait certains endroits où je pouvais ressentir comme des présences. Maintenant que je connais quelqu’un comme Lowri, je me dis que mon intuition est peut-être la bonne. Il y a peut-être d’anciennes présences entre ces murs.

-“Si tu as trouvé un moyen de … communiquer avec eux, alors c’est que c’était prévu. ” Me dis-je à voix haute. Je m'abstiens d’évoquer Dieu devant elle. J’avais eu assez de leçons d’histoire pour ne pas avoir envie de mêler le Clergé et la sorcellerie dans mes paroles. Il existait encore des organisations fanatiques à notre époque. Ce qu me sidère, moi qui suis élevée selon les principes d’équilibre et de tempérance. -“C’est amusant … Nous avons plus de monde en commun que l’on aurait pu le penser. ” Lui soufflais-je. Il y avait Peter et Christian… nos amis cachotiers. Maintenant le fils de Zenon pour nous relier.

-“ On ne se voit plus non. Plus depuis qu’il a renoncé à reprendre le titre de son père. ” Lui répondis je le plus naturellement du monde. Ce ne fut qu’après avoir parlé que je me rendis compte que je pouvais lui paraître nébuleuse. Qui, aujourd'hui, connaissait les origines de Zac et de sa sœur Joy ? -“ Son père est le Comte d’Avon… Peter ne te l’a peut-être pas présenté. Il est rarement sur Londres. ” Je réfléchis et je me souviens du gala. Les de Lascelle étaient venus pour ce week-end à Crawley, tout comme toi et Lowri. -“Il était là avec son épouse pour le gala. ” J’essayais de lui faire une description physique des deux exilés. Ils avaient le teint plus halé de par leur lieu de résidence.

Je dois bien reconnaître qu’une petite douche est actuellement le summum du luxe. Lowri se fait aussi accueillante pour cela que pour le reste. Je me retrouve dans sa prévenance et sa douceur à mon égard. Cela me fait du bien de retrouver quelqu’un qui me protège et me veut du bien. Je la remercie et savoure la détente sous l’eau chaude. Je songeais à la dernière douche prise en compagnie de Prem. J’en éprouvais tout à la fois ma passion et ma crainte pour lui. Qu’allait-il devenir mon courageux journaliste ?

Je pliais la serviette et mes vêtements et les posais sur une chaise. J'ai pu sentir les parfums orientaux monter autour de nous. Ce choix culinaire était judicieux. En connaissant Prem j’avais aussi rencontré sa double culture. Il avait des parents indiens. J’aimais en savoir plus sur eux et sur leur pays d’origine. Lowri me faisait une fleur. -“ C’est absolument parfait comme cela Lowri. ” Je la retrouvais elle et Pirate sur le canapé. Maintenant que mes muscles étaient délaissés je me sentais un peu ramollie. Mais, je fais de mon mieux pour conserver ma posture, comme on me l’a enseigné.

Peut-être pourrais-je m’arranger pour faire un don à la boutique. Si je m’arrangeais comme il faut Edward n’en saurait rien. Ce serait ma manière de remercier cette âme charitable pour sa précieuse assistance. J'ai pris l’un des plats entre mes mains et en respirant les arômes. -“ J’aime de plus en plus cette cuisine… ” Je voulais apprendre à cuisiner d’ailleurs. C’était assez nouveau pour moi.

-“Un film ? Pourquoi pas oui. Je ne regarde pas souvent de film. … Pourrais-tu me montrer ton favoris ? ” Cela me donnerait un peu de culture, tout en me permettant de découvrir ses goûts. Je plaquais mon dos contre le dossier du sofa. Doucement, je débutais ce repas tardif. Les premières bouchées me firent un bien immense. Je me sentais renaître! -“ Tu ne peux pas t’imaginer… comme cela me fait du bien d’être ici. ” Lui avouais-je le coeur réchauffé par la reconnaissance.

La réaction de mon amie fut tout à fait compréhensible. Il était certain que les jumeaux de Lascelle sont tout à fait hors-norme. Je savais que cela ne plaisait pas à mon père. Mais, je ne pouvais m’empêcher de les envier par certains aspects. Parrain leur avait offert une grande liberté. Là où Iris et moi avions eu moins de latitude d’action. Raison pour laquelle je me retrouvais dans cette embarras. -” Oui Zac a grandi loin de Londres et il n’est pas tellement les traditions. Mais ça ne change pas le fait que c’est le futur comte d’Avon. ” La prévenance de cette sorcière me toucha profondément. -” Tu es très attentionnée. Merci beaucoup de me proposer tout ça. Pour le moment, je préfère que ce soit juste toi et moi. Quand la situation sera plus normal, je verrai. Prem aimera les rencontrer, je pense. ” Chaque chose en son temps. Je crois bien qu’avant de pouvoir savourer l’idée d’un dîner entre “amis” il fallait déjà que mon cher journaliste soit tiré d’affaire.

J’aurais presque ris. On aurait dit qu’elle prenait du plaisir à me faire agir selon ses codes. C’était distrayant. -” Oh. ” Son imprécation me fit monter du phare aux joues. Lowri était très différente des autres jeunes femmes de mon entourage. Elle me surprenait à chaque fois que nous avions un échange. -” D’accord… me “vautrer”. Je peux essayer. ” Cela allait à l’encontre de tout ce que nos précepteurs nous avait enseigné. Ma professeure de danse classique aurait hurlé de nous voir faire. Ceci dit, cela faisait du bien de ne pas faire comme d’habitude. Depuis que Prem et moi nous côtoyons tout avait été fissuré. Mais cette fissure avait du bon. Je voyais beaucoup plus de choses maintenant.

Le Seigneur ne m’avait pas encore abandonné. Il devait voir en cette jolie magicienne une sorte de protectrice. Je ne pouvais me l’expliquer autrement. Elle avait un coeur en or. -” Tu es vraiment gentille Lowri. ” Lui dis-je nouveau avant de souffler sur le plat pour le refroidir. -” … moi aussi, je suis bien contente d’être là… au moins cette affreuse attaque aura un point positif. N’est-ce pas ? ” Mon naturel optimiste était totalement à plat. La peur que je ressentais pour mon chéri était plus forte que le reste. Mais, Lowri était un petit point lumineux au milieu du noir.

Cette fois, je parvins à sourire. -” Non non. Regarder la télévision. Ce que tu veux! Tant que ce n’est pas une allocution royale… ” Autrement dit le seul programme que mes parents acceptaient de regarder sur une télévision. Nous n’y avions pas recours sinon. Maintenant que je voyais Prem, je comprenais bien que cela m’avait coupée d’une partie de la culture populaire. J’étais curieuse de découvrir ces films et ces émissions que les anglais et anglaises aimaient.

Manger m’avait fait beaucoup de bien. Je sentais mon ventre se détendre. Lentement, je déposais les couverts. Je me glissais sous le plaide que Lowri m’avait amené. Il était douillet. Je me sentais entourée par une vague de chaleur. Mon rythme cardiaque se stabilise de lui-même. -” Que ça fait du bien. ” Le bruit de fond de la TV se transformait en bourdonnement dans mon oreille. Je ne comprenais plus ce que disaient les personnes derrière la caméra. Mais, ce n’était pas bien grave. C’était tout de même une présence.

Sans que j’y prenne garde, mes paupières s’alourdissaient de fatigue. Bien entendu, je chercha à lutter contre la pesanteur. Nous étions en pleine journée et j’étais en compagnie. Ce n’était pas le moment de… s’assoupir. Plus j’essayais de rester éveillée et plus cela me paraissait compliqué. Finalement… les bras de Morphée m’enlaçaient.