Ce fut finalement Louisa qui toucha son épaule la première. Bon joueur, Desmond accepta sa défaite en levant les poings. Elle boxait depuis plus longtemps que lui après tout. Ce n’était pas exactement une surprise, même si elle prétendait ne pas être concentrée. Elle l’impressionnait déjà depuis longtemps. « T’as quand même gagné Blondie. Bien joué », dit-il en reprenant à boire. Contrairement à elle, s’il continuait la boxe, ce ne serait pas pour se défendre… même s’il gagnerait sans doute à savoir comment bien placer deux ou trois droites. Il trouvait surtout ça très fun, et Rix gagnait largement le titre de la prof la plus cool qu’il connaissait.

Desmond leva la main pour taper la main de Rix. « C’était vraiment cool Rix, merci. Je reviendrai ». Surtout s’il y avait un bar en plus! Toutefois, en comprenant que Rix ne les rejoindrait pas, et les laisserait seuls, un éclair de panique traversa les yeux de Desmond. Qu’allaient-ils bien pouvoir se dire? Ils s’étaient entendus pour prendre le temps de bien se connaître avant de consentir à quoi que ce soit. Mais bordel? Comment on fait ça?! Avec la présence de Rix, au moins, il avait l’impression que les probabilités de dire une connerie devenaient minuscules, mais là… Si seulement les chaperons n’étaient pas passés de mode.

Il retira ses gants de boxe pour les redonner à Rix, et descendit du ring, suivi de Louisa. « On se retrouve ici? Faut que je passe au vestiaire ». Il était vidé, et c’était exactement comme ça qu’il aimait se sentir. Y’a rien de mieux pour se vider l’esprit. Sauf que là, les mécaniques de son cerveau chauffaient à pleine vitesse sous la douche.

Comment on prend le temps de connaître quelqu’un? Quel genre de questions faut poser? Comment ne pas avoir l’air complètement stupide? Puis merde, elle sait déjà que je suis stupide, se dit-il en sortant de la douche.

La stratégie était peut-être de la laisser parler en premier, finalement, décida-t-il en enfilant ses vêtements propres. Quoi que… Elle croirait peut-être qu’il ne s’intéressait pas à elle. Dans tous les cas, il ne fallait surtout pas parler de sa cicatrice, même s’il était curieux.

En sortant des vestiaires, il rejoignit Louisa, et la suivit sur le chemin du bar. Desmond demeurait auprès d’elle, d’abord silencieux, nerveux. Puis, le silence lui fut intolérable rapidement. « Hey, je voulais te demander… » Desmond n’ayant pas prévu la fin de sa phrase, il demeura silencieux quelques secondes. Il avait forcément un truc à lui demander, mais quoi?… « T’as fait réparer son scooter depuis la dernière fois? »

S’asseyant aux côtés de Louisa, Desmond essayait de rester concentré sur ce qu’elle disait. Était-ce vraiment une bonne idée qu’elle le ramène chez lui? Est-ce qu’il devrait l’inviter à entrer? Peut-être pas, non, décréta-t-il finalement. Elle y verrait sans doute une tentative de sa part. Il pourrait tout aussi bien refuser qu’elle le ramène, mais il ne voulait pas qu’elle pense qu’il la fuyait non plus. Peut-être réfléchissait-il trop… « Hum, ouais. Ouais pourquoi pas. Si je peux éviter le métro », dit-il en esquissant un sourire. Examinant les différentes options disponibles au bar, il choisit finalement un berlingot de lait au chocolat. « J’aime pas le soda », expliqua-t-il pour justifier son choix digne de celui d’un enfant de 6 ans. « C’est pas que j’aime pas le goût, c’est plutôt les bulles que j’aime pas. Je sais pas pourquoi. En plus après je fais que roter ».

Sans surprise, Louisa avait deviné que quelque chose le préoccupait. Elle avait vu clairement à travers lui. C’est sans doute ce qui arrive, quand on se rapproche de quelqu’un. On finit par les connaître si bien qu’on peut les déchiffrer. Desmond n’arrivait pas à décider s’il trouvait ça terrifiant ou mignon. D’autant plus que la question était délicate, mais il ne lui mentirait pas en prétendant qu’il ne savait pas de quoi elle parlait. Un muscle dans sa joue tressailli lorsqu’il serre sa mâchoire. Il jeta un regard à la blonde, et prit une gorgée de son lait au chocolat. « J’ai bien une question, ouais », avoua-t-il « mais je te la poserais plus tard, si tu veux bien. Je te jure que c’est pas important de toute façon ». Il ne voulait pas prendre le risque de la poser, et de ruiner la bonne ambiance qu’il y avait entre eux. De toute façon, il y avait bien d’autres questions, moins risquées.

« Y’a le patron qui organise une soirée dans son camp de chasse, dans quelques mois. C’est pas la porte à côté, et y’a plusieurs heures de route à faire, mais l’endroit est vraiment sympa. C’est au bord d’un lac, y’a pleins de trucs à faire, et tout le monde apporte sa tente. Y’a même de quoi faire des feux de camp. Ça serait vraiment cool que tu viennes ». La pension de retraite des anciens militaires était assez confortable, il fallait dire. Ce n’était pas les îles Fidji, mais ça changeait de l’ambiance de la ville. Et ça faisait de petites vacances pour tout le monde. « Y'aura pas que nous deux hein », précisa-t-il, pour éviter qu'elle ne méprenne ses intentions. « Dallas invitera ses potes aussi. T’aimes le camping? Les trucs en forêt? »

L’expression troublée de Louisa face à son refus lui fit presque regretter de ne pas avoir posé sa question. Il n’y avait qu’à espérer qu’elle voit sa sincérité. Le sujet était potentiellement délicat, le genre qui pouvait plomber la bonne humeur qu’ils avaient en ce moment tous les deux. Ça faisait une éternité qu’ils ne s’étaient pas parlé normalement, de tout et de rien. C’était trop agréable pour le risquer maintenant, après un si bon moment passé ensemble.

Desmond haussa les sourcils lorsqu’elle confessa n’être jamais sortie de la ville. Louisa révélait parcimonieusement son passé, depuis qu’ils se connaissaient. Il savait que ces parents n’avaient pas été les meilleurs pour elle, et même, c’était un euphémisme. Il savait qu’elle avait vécu dans la rue et en famille d’accueil. Voilà l'étendue de ce qu’elle lui avait partagé. Ainsi, personne ne l’avait traînée en vacances au bord de la mer, ni emmenée faire du camping. Étrangement, cela lui fit chaud au cœur de savoir qu’il serait le premier.

« Vraiment? Raison de plus pour que tu viennes alors », argumenta le jeune homme en souriant. En sachant maintenant que Louisa n’avait pas eu cette chance, il désirait encore plus qu’elle le suive. Son cœur fit un bond dans sa poitrine lorsqu’elle lui dit oui, et il lui offrit son sourire le plus rayonnant. Il n’avait pas été aussi emballé depuis longtemps, sans doute depuis l’acquisition de l’opale par Dallas. « Génial. Dallas acceptera, c’est sûr, t’en fais pas pour ça ». Il ne pouvait tout de même pas lui refuser ça. Dallas avait pour habitude d’inviter ses collaborateurs, et Louisa, en quelque sorte, en faisait partie. D’autant plus que Dallas faisait confiance à Desmond, et Desmond, faisait confiance à Louisa.

« Ah! Effectivement, c’est un peu compliqué », dit-il, en riant. Il ne riait jamais, car personne ne le faisait rire, sauf quand il était vraiment heureux. Là, il n’avait pas l’impression que d’être heureux. Il se sentait léger, comme si d’un seul coup, la fatigue de l’entraînement s’était évaporée. « On peut faire autre chose que de la baignade, si c’est pas ton truc. Comme se balader dans la forêt par exemple. Ce que j’aime bien, c’est aller dans les grottes et les cavernes. Y’a des trucs trop bien à voir! J’amène toujours un kit de pioche quand j’y vais ». Spéléologue amateur, Desmond espérait toujours tomber sur un gisement particulier, ou une trouvaille insolite à ramener en souvenir. La noirceur et l’humidité ne lui faisait pas peur.

Desmond eut un sourire rayonnant, trop content que Louisa le questionne sur son sujet favori. « C’est sûr qu’ici, le sol est moins riche qu’en Australie, au Brésil ou en Tanzanie, mais y’a des trucs sympas ouais. Après, faut savoir quoi chercher. Ce n’est pas parce que ça ne brille pas que ce n’est pas précieux, ou rare… Ou simplement trop cool à voir. Comme le [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]! » Cette pierre n’avait pas une grande valeur marchande, mais ses formes et ses couleurs impressionnaient toujours Desmond, quand il en trouvait dans la nature. « Ce qui se vend cher, c’est surtout les pierres précieuses, parce qu’elles sont assez résistantes pour être façonnées, pour en faire des bijoux. Moi, je préfère les gemmes à leur état naturel ».

Pour ce qui est de la question des chauves-souris, Desmond la rassura tout de suite. « Normalement les chauve-souris sortent de leur grotte l’été. Si je vois qu’il y en a, je les laisse tranquilles par contre ». Dans les cavernes bien aérées, ou celles bien profondes, il n’y a pas trop de problèmes. Desmond haussa les épaules « Je ne t’oblige pas à me suivre si ça te chante pas. Sois bien à l’aise surtout. Je suis juste content que tu viennes », lui dit-il, souriant. Il comprendrait qu’entre ça, et prendre un bain de soleil près du lac, elle préférerait la deuxième option.

Ils terminèrent leur boisson, et Desmond eut enfin l’honneur de monter avec Louisa sur son scooter, cette fois en tant que passager. À défaut d’avoir autre chose pour s’accrocher, Desmond entoura la taille de Louisa de ses bras, et une douce chaleur envahit sa poitrine. Il regretta presque de se retrouver devant chez lui. Avec Louisa dans ses bras, il était juste bien.

Desmond descendit du scooter. Il sembla hésiter un moment à dire quelque chose. Puis, il lui dit : « Merci », avec un sourire en coin. Il avait du mal à détacher ses yeux d’elle. Pourquoi lui proposer d’aller en vacances avec lui, alors qu’il aurait simplement pu lui proposer d’entrer? Il en avait tellement envie, mais ils s’étaient promis de prendre tranquillement les choses. Avec un pincement au coeur, Desmond s’écarta finalement « À plus Blondie. On se revoit bientôt », lui promit-il, en lui envoyant la main.