Ainsi que je m’en suis confiée à vous Parrain, voilà deux semaines, que j’ai repris le chemin paroissial. Nous nous sommes organisées avec Poppy pour que j’ai une matinée en semaine. Je n’allais pas faire cela le dimanche, alors que c’est la seule matinée que Prem et moi avons en commun. Je trouve déjà que nous manquons de temps en famille! La vie de travailleur n’est tout de même pas la même que la nôtre. Il est vrai que je regrette cette liberté temporelle. J’en viens à penser que les gens travaillent trop! J’en deviens plus sensible à ce que dit le premier ministre à propos du travail, des salaires, et toutes ces questions sur lesquelles je ne m’étais jamais réellement interrogée. J’apprécierai d’en discuter avec Tyrgan et même votre épouse.

J’ai parlé avec Iris de mon besoin de calme et de spiritualité. Je crois bien qu’elle s’en ait trouvée amusée. Il est vrai que lorsque nous étions adolescentes je cherchais plutôt à occuper mon esprit à autre chose. Les litanies m’ennuyaient plus qu’elles ne me réconfortaient. Mais, nous pouvons changer d’avis, n’est-ce pas ? Je crois que ma sœur comprend tout de même ce que je cherche. Sa nouvelle maternité la fatigue encore beaucoup. Elle n’a pas encore l’énergie pour aller à l’Office. C’est donc moi qui vais la retrouver, dans leur demeure après la messe.

Le divorce fait que je ne suis plus en odeur de sainteté dans notre Eglise. Mais je ne peux aller ailleurs qu’à Winchester. C’est ici que ma foi s’est nourrie dans ma jeunesse. J’ai vécu des moments très intenses entre ces pierres. Je ne peux tout rejeter. Je ne le veux pas non plus. Cela fait partie de mon histoire. Je veux apprendre à être fière. Même si j’ai fait des erreurs et que je n’ai pas été la plus honnête ou la plus courageuse.

Je garderai toujours le souvenir de la cérémonie de mariage. La beauté de la salle et la magnificence des vitraux. Je me suis sentie si humble et chanceuse d’avoir le droit de me présenter dans cette superbe chapelle. Là où beaucoup de nos ancêtres étaient venus. A présent, je me sens encore plus petite sous la voûte. Je me suis assise en fond de salle pour ne pas attirer l’attention. Je ne tiens pas à me faire remarquer. J’y étais venue dimanche, exceptionnellement, Prem et Dalia me rejoindraient chez les Blakemore.

Une fois le sermon achevé, j’observe les autres femmes se lever, pour aller vers le confessionnal. D’abord, j’avais pensé devoir reprendre mes confessions selon les formes. J’avais dû le faire chaque semaine pendant des années. Petite fille c’était une grande source d’angoisse. Je m’imaginais que Dieu serait très en colère et me refuserait le Paradis parce que j’étais montée en selle comme un garçon, ou bien parce que je ne m’étais pas rendu au cours de chant pour rester lire sous le châtaignier.

Je me détourna de la chapelle du pécheur pour chercher la personne qui m'interpelle. Ce visage m’était familier. Je savais que je l’avais vu. Je fouille donc ma mémoire. -”... Miss Cross ? … Holly ? ” Je ne l’avais pas vue depuis au moins quatre ans… Elle était passée de petite-fille à jeune femme. Sans compter qu’elle portait l’Habit et que cela tranchait radicalement avec mon image d’elle. Je ne savais pas qu’elle avait rejoint les Ordres. -”Comme vous avez grandi ! Mais oui, bien sûr, appellons-nous par nos prénoms. Je vous en prie. ” J’eu un demi-sourire. J’aurai pensé qu’elle soit sur le point de se marier avec un gentilhomme. Le Seigneur avait-il donc ravi son cœur ?

Elle savait que je n’étais plus Baronne de Crawley. Je supposa donc qu’elle savait que j’étais répudiée de la maison Hanovre et que je n’étais plus héritière. La naissance de Dalia a été cachée le plus possible. Je ne voulais pas que les mauvais esprits parlent de notre Trésor. Je suis certaine que vous comprenez cela Parrain. -”Je vais bien. Merci. Très bien même.” Ce qui était une réalité. Le travail était fatiguant. Mais, la préparation du mariage me remplissait de joie, et la vie avec Prem et Dalia est belle. -”Oh. C’est un lieu important pour moi. Oui. ” Je lui souria, laissant mon regard aller dans la grande salle. -”Je m’y suis toujours sentie… en sécurité.” Je n’avais jamais été aussi bigotte qu’au cours de ma première année de mariage. Edward ne pouvait pas aller contre ma dévotion. -”J’aime y passer du temps.” Je posais les mains sur mon bas-ventre, retrouvant malgré moi, la posture adéquate. -”Cela m’aide à réfléchir. ” Je suppose qu’elle devait comprendre cela.

Je lui rendis un aimable sourire. -”Qu’en est-il pour vous ?” Vraiment, j’étais étonnée qu’elle ait renoncé à la vie normale. -”La vie monacale vous convient ? ” J’étudiais plus précisément son visage. Par certains aspects elle me faisait penser à Iris. Je ressentais une certaine bienveillance envers les filles plus jeunes. Mon instinct de sœur aînée en était probablement la cause.

Eh bien, eh bien, que le temps passait vite. C’est chaque fois que je fais une rencontre épisodique que cette réalité se fait devant mes yeux. Miss Cross n’avait pas eu vent des événements des douze derniers mois, si ce n’est plus. -”Elle est allée à Sydney et elle a eu son diplôme. ” Lui confirme-je dans un sourire. Ma chère petite sœur est la plus futée d’entre nous. Je l’ai toujours su. Je me disais souvent qu’elle ferait une grande carrière dans la diplomatie. Plus grande que celle de notre père. Ou bien qu’elle deviendrait une ingénieure exceptionnelle. -”Elle a épousé Arthur Blakemore. Ils viennent d’avoir une fille. ” Une réalité dont j’ai encore un peu de mal à me remettre. Ma mémoire me montre encore cette femme à l’âge de l’enfance qui courrait après les grenouilles. Maintenant, elle aussi avait une fille. Léonore Blakemore qui serait appelée à être une grande dame. -”Il me semble qu’elle se porte très bien. ” Par mon choix, Iris ne serait ni ingénieure, ni diplomate. Elle serait la Princesse d’Hanovre…

-”Non. Je l’ignorais! ” Je n’aurai pas songé une seconde que cette jeune femme soit si importunée par la survie de mon âme. Au contraire, j’aurai pensé qu’elle m’aurait repoussé dans les rangs de l’enfer. J’avais été une infidèle… Dans notre monde le Divorce était un sacrilège divin. J’avais renoncé à un serment sacré. J’étais une pécheresse. -”Je vous en remercie sincèrement Holly. ” Je ne pouvais pas lui parler d’Edward et de sa violence. Nous étions dans la Maison de Dieu. Nous n’étions pas non plus des “amies”. -”Il semble qu’une partie de vos prières ont été entendues. ” Il y avait tout de même un point que je peux évoquer. -”Je me sens bien mieux à présent. J’ai enfin trouvé son Amour.” Si le Baron m’évoquait Lucifer alors oui Prem était un Ange miséricordieux. Il m’avait offert le plus bel objet d’amour inconditionnel: notre enfant.

Holly Cross était une personne attentionnée. Je le ressens à sa manière de prendre en compte mes besoins. Peu de personnes faisaient aussi naturellement attention à autrui. -”Vous êtes vraiment adorable. ” Lui dis-je en toute sincérité. J’eu une pointe de regrets à ne pas être revenue plus tôt. Ma vie aurait été moins dure avec une oreille aussi attentive. -”Je ne suis pas certaine que Messire l’Evêque soit très heureux de me voir. ” Ce n’était rien contre le fait qu’il soit son père. -”Ceci dit, l’idée d’une retraite… Pourquoi pas ? ” Je ne savais pas quand je pourrais le faire ou même si je le ferai. Mais ça n’empêchait pas d’en parler avec Prem.

J’eu une profonde hésitation. Je ne pouvais justifier ma réaction. Mon sourire se figeait tant j’étais confuse. Il y avait quelque-chose dans la réponse d’Holly qui me perturbait. J’avais eu une drôle d’impression. Un peu comme si j’entendais ma propre voix quand j’affirmais un mensonge. Au cours de mon mariage avec le Baron j’avais été obligée de feindre le bonheur et l’enthousiasme. J’étais devenue très bonne dans l’art de prétendre que tout allait bien…

-”Je comprends oui. ” Affirmais-je avec douceur. Je lui souriais avec beaucoup plus de complicité. Mon intuition me soufflait que la vocation n’était pas la première raison de ses vœux. Si je n’avais pas été la fille aînée j’aurais probablement considéré cette option. Non pas divorcer d’Edward, mais aller rejoindre Dieu. Cela aurait été très bien accepté. -”D’ailleurs toute femme doit avoir le droit de choisir à qui dédier son amour.” Je m’approchais et je saisis ses mains. -”Je vous trouve bien courageuse Holly. ” Ne pas vouloir d’un mari imposé devait-il la priver de mariage tout court ? J'espérais tout simplement qu’elle n’allait pas avoir de remords.

A présent que j’ai enfreint les lois tacites, je trouve que cela ait moins grave. C’est bien moins sacrilège quand je sais à quoi j’ai échappé. Mon ex-mari m’aurait peut-être séquestrée pour avoir un fils ou tuée un jour de rage. -”Nous pouvons servir Dieu de bien des manières n’est-ce pas ? ” Lui disais-je tant pour lui insuffler de l’imagination, que pour me rassurer moi-même. J'inclina du chef en lui offrant mon plus doux sourire. Notre rébellion féminine faisait de nous des complices! -”Ma fille est née dans “mon péché” et pourtant elle n’est que innocence et amour. ” Alors, la fille d’un évêque devait-elle porter la Robe pour servir le Seigneur ? -”Je vous la présenterai un jour. ” J’étais venue quérir des conseils et voilà que je me m’étais en tête d’aider à mon tour. Oui, Ses voies étaient très mystérieuses.

Ah mon cher Parrain, je dû uniquement à ma longue formation de conserver sur ma face un beau sourire. Pourtant, ma poitrine était serrée par un regret. La cérémonie pour Iris et Arthur avait eu lieu, alors que mes parents et moi, ne vous parlions plus du tout. Dalia était petite. Prem était en colère. La situation était si compliquée et tendue que je n’y avais pas été. -”Il n’y a pas de raison pour que l’on vous prive d’une si belle cérémonie. ” Dis-je, croyant sincèrement que ma malchance ne pouvait pas être significative. Une Soeur dévouée et volontaire était certainement encouragée à participer, sinon à assister aux offices. Je n’osa lui parler de mon remariage. Ce n’était pas par une quelconque honte. Je ne voulais pas la mettre dans l’embarras. Elle n’était pas éduquée pour tolérer mes… incartades. Disons-le ainsi.

Ce que je ne pouvais lui retirer était sa bienveillance. Je croyais en sa volonté de m’aider et d’aider toutes les âmes égarées de la Terre. Cette fois profonde devait être un tel réconfort pour elle. Il est vrai que ma vie me paraissait plus simple lorsque Dieu était le point de mire de mes réflexions. -”Merci beaucoup Holly.”

Ceci dit, il me suffisait d’entendre parler de nos vieilles Régles pour me rappeler pourquoi j’avais été poussée à les enfreindre. Je pense que vous pouvez me comprendre Zenon n’est-ce pas ? Une règle peut paraître raisonnable et en fin de compte être une tortionnaire. -”Oui… quand les règles sont effectivement raisonnables. ” Malheureusement le Saint Père avait une manière de considérer la femme qui ne pouvait pas me convenir. Pas après que Prem m’ait ouvert les yeux sur autant d’inégalités de sexe. Maintenant que j’étais maman d’une fille je ne pouvais plus y adhérer. Je ne voulais pas que Dalia ait des chaînes. Je la voulais libre.

Etrangement, je me retrouve dans sa façon de décrire son mode de vie. Elle avait quitté sa famille pour entrer dans un nouveau monde, un autre monde, un monde différent. En divorçant des Crawley je n’ai pas seulement quitté un mari, j’ai quitté mon milieu. Je ne suis plus une noble, une héritière, une Dame… Certains jours, c’est encore difficile à admettre. -”Je comprends ce que vous voulez dire oui. Vous avez raison, le temps fait beaucoup. ” J’apprenais à devenir une femme roturière tous les jours.

Je ne pensais pas que cela me ferait autant de bien à entendre. Pour autant, les mot de cette adorable nonne m’allaient droit au cœur. Même détachée de ce monde, je ressentais encore, l’envie d’être acceptée et félicitée. Je pouvais me le reprocher intérieurement. Enfin, cela ne regardait que moi et au fond, ça ne faisait de mal à personne. -”Elle s’appelle Dalia.” Rien que de prononcer le nom de notre ange m’amena un sourire aux lèvres. Elle était mon plus précieux cadeau. Le Seigneur était certainement lové dans son rire! -”Dalia mon petit miracle…” J’inspirais donc à fond pour évacuer ma petite appréhension divine. -”Vous avez raison, elle ne peut porter mes fautes, elle est si innocente.”

Doucement, j’écarta la anse de mon sac, pour plonger la main dans la poche centrale. J’y attrapais mon large porte-feuille pour l’ouvrir. Il y avait quelques photos de Dalia et de Prem dedans. Je préfère nettement cela aux photos sur un téléphone. -”C’est elle. Regardez.” Je lui tendais une photo faite dans le jardin un mois plus tôt. Depuis, elle avait grandi, changé, mais au moins Miss Cross aurait une idée. -”N’est-elle pas magnifique ?” Prem et moi ne l’avions pas prévu. Mais, elle s’était faite une place dans notre univers. Je lui tendais une photo d’elle avec son père pour qu’elle puisse se faire une idée de ma famille. -”Et voici son papa.” Je m’approchais, nos épaules se touchaient presque.

-”Ils sont mes rayons de soleil.” Je ne pouvais plus concevoir un monde où ils ne seraient pas. C’était cela qui me disait que j’avais fait les bons choix. Mes regrets ne les concernaient jamais. Bientôt, je serai l’épouse de mon cher et tendre. Nous serions toujours des impis, mais notre société ne pourrait plus détourner les yeux. -”Je regrette seulement que mon père n’ait pas la même mansuétude que le Seigneur. Il ne me pardonne pas. ” Lui confessais-je de manière totalement spontanée. Je n’en revenais pas moi-même d’avoir parlé de cela au cœur de cette institution chrétienne. Sans doute était-ce qu’Holly m’inspirait de la confiance ?

Soudainement mon interlocutrice me semble plus âgée que son âge. Elle prend une attitude et à une parole qui ressemble plus à celle d’une vieille Mère. Je ne peux m’empêcher de me sentir un peu déçue. Je préfère les esprits jeunes et la candeur que nous procure notre jeunesse. Mais, peut-être que sa formation religieuse l’a déjà métamorphosée… -”Pourquoi ? ” Questionnais-je tout comme je le faisais avec notre ancien prêtre.

Je pondère mon raisonnement, car tout de même Holly paraît bien déterminée à m’apaiser. C’est très bienveillant de sa part. Je ne pense pas que tous les personnels de l’Eglise soit aussi inspirés. -”Mon véritable destin ? Dans ce cas, il est le seul à le penser, je crois. ” Mais, sans doute est-ce suffisant si c’est lui qui l’a décidé ?

Je leva un regard étonné sur elle. Ce n’était pas la remarque que l’on me fait d’ordinaire. Les gens ont tendance à voir son père en elle. -”Mes traits ? Vraiment ? ” Lui demandais-je touchée et heureuse qu’on puisse voir de moi en Dalia. Elle était mon bébé autant que celui de Prem. Le métissage dont elle résulte l'associe plus facilement à sa famille indienne que allemande. Je ne m’étais pas aussi bien préparée à cela que ce que je croyais.

Cette discussion me donnait un peu plus d’espoir. Surtout que ma conseillère me couvre de compliments. -”Merci pour tous ces compliments Holly. Ils me font chaud au cœur. ” Cela faisait du bien d’entendre une voix positive. En plus d’une personne qui venait de mon milieu et qui était de notre génération. Ce n’était pas commun. Il n’y avait que Iris et Arthur qui étaient là.

-”Nous ne sommes pas encore certains de la baptiser… ” Nous avions convenu d’attendre au moins les trois ans de l’enfant pour en reparler. Le fait que l’on ait été élevé dans spiritualités différentes rendait ce sujet complexe. Ce serait l’objet d’un accord. Je ne prendrais pas de décision sans Prem ni inversement. Mais nous allions bien trouver. Nous en étions à des compromis fonctionnels, il n’y avait pas de raisons.

-”Je l’ignore. ” Père et moi ne parlons plus ensemble. Je ne pose pas cette question à ma sœur. Je ne parle presque pas avec ma mère. Même si les choses sont plus apaisées depuis que je suis allée la voir en Allemagne. J’essaye de prendre ce qu’il y à prendre. -”Je ne sais pas du tout comment il prendrait une visite. Mais, je suppose que ça ne peut pas lui faire de mal… ” Je ne sais pas où en est Papa à propos de ses croyances. Nous étions proches tous les deux. Mais, cette période n’était plus. Il était plus proche d’Iris.

Je ne pouvais pas aller contre le bon sens de la nonne. Le comportement de mes parents n’était pas très charitable. Ils avaient focalisé leur attention sur les règles des Hommes. Ceci dit, cela ne pouvait pas être mauvais de rappeler qu’ils étaient engagés auprès d’une force plus grande. -”Oui, mais pour que cela fonctionne, je pense qu’il vaut mieux ne pas lui parler de moi en premier. Il ne voudra pas écouter. ” Lui dis-je prudente. Un Hanovre buté peut se montrer sourd à la raison. J’en sais bien quelque-chose. Alors, mieux valait prévenir Holly et son père.

En attendant, une possible conciliation divine, nous avions les prières. Je me tournais en direction de la nef centrale pour avoir une vue sur l’autel. Il était magnifique. Il inspirait la grandeur des cieux. -”Tout du moins, nous pouvons prier pour le retour de la paix… ” Peut-être que cela pourrait aider ? Je n’avais rien n’a perdre à essayer.