Zac sort par la porte-tourniquet centrale. Il est instantanément giflé par le vent qui descend du canal. Tel un personnage de film, il relève le col de son manteau contre sa nuque. Certains soirs, gris et morne, comme celui-ci, revient à la nostalgie du pays. Il y pense souvent à Bellary quand l’automne est là. Cette fois, il rêve même de monter dans un avion pour aller retrouver la chaleur de sa terre.
Bien sûr, l’entretien ne s’est pas mal passé. Les compétences de Sanders parlent pour lui. Il a ce qu’il faut. Ils le rappelleront. Vigile c’est du pipi de chat, après avoir fait plus de dix ans en unité spéciale d’intervention. Le temps est passé tellement vite. Zac est entré dans la police avec un idéal. Il la quitte sans idéaux. Triste ? Non. C’est la loi de ce boulot. Pour être efficaces, ils doivent devenir des guerriers. Megara l’avait mis en garde. Elle avait compris, bien avant lui, comment tout cela se terminerait. Elle avait sans doute bien fait de partir avant.
La trentaine entamée, sa bande decsimée, son job aux oubliettes… Tout est réuni pour faire une crise de la quarantaine en avance. Zac se glisse dans une ruelle pour s’allumer une cigarette. Il entend les cloches sonner dix-neuf heures. La soirée est encore jeune. Pas de filature, pas paperasse en retard à boucler. Le seul cadeau de ce licenciement.
Mais enfin, l’inactivité est un poison pour quelqu’un comme Junior. Il se met à gamberger et à faire des conneries. Puisqu’il ne peut pas débarquer chez ses parents tous les soirs, que faire ? La salle de sport semble être une bonne option. Un peu de boxe et d’exercices pour garder l’esprit au calme.
Les épaules rentrées, Zac avance en silence dans les rues de Londres. Il pense à Jean-Baptiste derrière les barreaux. Quelle plaie ! Est-ce que Maxyne accepterait de se porter témoin ? Junior n’a pas encore abordé le sujet avec la slave. Il faudrait. A contre-courant, il frôle l’épaule d’une femme brune. Pendant une seconde ses yeux papillonnent. Serait-ce Damia ? Damia Kapoor. En voilà une fille qui lui a fait tourner le cœur. Après Meg, le loup avait songé à reprendre contact avec l’indienne. Mais, il s’était découragé seul.
En même temps qu’avait-il à perdre ? Viviane avait appris les raisons de sa mise à pied. Le jour même, elle lui envoyait un message pour dire ``chao''. Voilà qui s’était fait vite. On se réveille avec une vie et on se couche sans rien. Sanders appelle donc sa vieille amoureuse. Entendre la voix de la détective lui laissa le cœur chaud. Damia fait partie de ces rares personnes qui savent ce que cela veut dire d’être un Exilé. Ils ont ça en commun. D’un commun accord, ils se donnent rendez-vous dans un des bars clandestins. Hors de question de faire disette!
Le Black Lion vient tout juste d’ouvrir. Il n’y a pas beaucoup de monde. C’est calme. Tant mieux, Zac a envie de discuter. Il trouve une table de deux et se pose avec un bon scotch in the rock. En attendant, la belle, il se replonge dans des souvenirs d’enfance. Ce n’est pas si désagréable que ça de penser à l’ado qu’il était. Jadis.
-“ Hey. Salut. Bonsoir. ” Il porte un pull à col roulé noir, un pantalon de ville noir. Une tenue classe quand on connaît sa garde robe de badboy. Il faut bien que les origines se manifestent de temps en temps. Zac reste le fils de deux esthètes bien élevés. -“ Je t’en prie. Installe-toi. Ça fait … un bail. ” La montre à son poignet est un cadeau paternel. Il a encore le bracelet offert par sa jumelle. Quelques cheveux blancs peut-être ?
Zac observe sa comparse de soirée. Damia est une belle femme depuis toujours. Son charisme l’a attiré dès les premiers émois. Il sait pourquoi. Cette fille est magnétique. -“ Qu’est-ce que tu prends ? Je t’invite! ” lui dit-il taquin et souriant. Leur complicité d’antan veut se ramener à la table. -“ Ca faisait un moment que je voulais prendre de tes nouvelles. Alors ? ” Voilà qui est ouvert. Madame choisira ce qu’elle veut aborder avec lui ce soir.
Assise au volant de ma Jaguar, je feins de feuilleter un magazine féminin, lunettes de soleil sur le nez et l'air passablement dédaigneux sur le visage alors qu'en fait je suis en filature. C'est drôle à quel point les gens s'imaginent toujours que la filature ce sont toujours des flics bedonnants engoncés dans un trench, chapeau sur le nez, tentant d'avoir l'air discret... et bien sûr, à force de voir les films, c'est ce que les gens cherchent et s'attendent à voir... Alors qu'une femme qui est sur le siège passager d'une voiture, magazine en main et musique à la radio n'éveille pas les soupçons : elle attend quelqu'un, elle a peut-être accompagné un membre de sa famille à un rendez-vous, ou mille autres excuses qui font qu'ils passent à côté de moi sans me voir, ou en remarquant juste ma voiture... Autre raison pour laquelle j'ai choisi un bolide pareil... la première étant que c'est jouissif à conduire, mais l'autre est de détourner l'attention... si on observe la carrosserie, on s'en fiche un peu de ce que fait la nana à l'intérieur, et à quoi elle ressemble... ils se rappelleront juste d'avoir croisé une belle Jag dont il parleront avec leurs amis et leurs collègues, n'imaginant pas qu'une détective privée puisse avoir une bagnole aussi voyante...
Puis ma cible arrive. Je ne bouge pas d'un pouce, continuant à faire semblant de lire en feuilletant les pages glacées que j'ai devant moi, alors qu'elle passe près de mon auto, pour s'engouffrer au domicile de son amant. Avec les clés. Grâce à mon informaticien préféré j'ai caché de minuscules caméras aux alentours de la porte de l'immeuble et même à l'intérieur, me permettant de tout avoir sur vidéo sans avoir besoin d'un appareil gigantesque qui me grillerait à coup sûr... Je sors ma tablette, cachée derrière mon magazine et observe la vidéo le montrant toquant à la porte du jeune homme du deuxième étage, être accueilli par un baiser passionné, avant que quelques minutes plus tard des bruits très équivoques se fassent entendre dans mes écouteurs. Merveilleux, un flagrant délit comme je les aime ! Et une heure après, quand ma cible quitte le nid adultérin je rentre dans l'immeuble, vais sagement récupérer toutes les petites caméras de la taille d'une punaise ou d'une boite d'allumettes et les range soigneusement dans mon sac, avant de remonter en voiture et me frayer un chemin vers le centre pour retrouver Zac.
C'est étrange de me dire qu'il m'a contactée le lendemain du jour où j'ai découvert que son père, que je connaissais depuis que j'étais gamine, était un espion... Et voilà que le fils sort d'un brouillard dans lequel on s'était laissés, à part les quelques messages de bon anniversaire ou bonne année. Il avait fait sa vie, j'avais fait la mienne, et c'est seulement grâce à ma mère que j'ai appris que lui aussi était venu s'installer à Londres... mais on ne s'y était jamais croisés. Il avait son boulot et ses enfants, d'ailleurs ça m'avait fait bizarre de m'imaginer qu'il était devenu papa... pour moi il resterait l'éternel ado beau gosse et un peu rebelle qui faisait trembler mes jambes à chaque fois qu'il posait son regard sur moi mais que j'avais dû laisser derrière moi pour poursuivre mon plan. Et puis j'ai reçu un message qui m'avait surprise par la réaction qu'il m'avait provoquée... comme un battement de coeur qu'on rate et le souffle légèrement coupé. Décidément, vingt ans après il avait toujours un petit effet sur moi, ce qui m'avait amusée et effrayé aussi, moi qui avais toujours mis un point d'honneur à ne dépendre de personne.
Un rendez-vous, un besoin de parler. C'est ce que j'avais compris via les quelques messages échangés avant qu'on en arrive là, à ces retrouvailles, et même l'endroit où on doit boire un verre m'amuse, à savoir un bar clandestin un peu chic près duquel je me gare. Je range mes affaires dans le coffre, attrape mon sac à main et juchée sur mes escarpins, dans une robe de couturier sobre et élégante je pousse la porte, le cherchant du regard. Bien sûr je le reconnais tout de suite, avant de remarquer les petits changements alors que je m'approche : le visage plus creusé qui a perdu ses rondeurs enfantines, des cheveux gris qui parsèment sa tignasse toujours en bataille... mais toujours le même air de sale gosse.
Salut toi...
Je ne sais pas trop ce qu'on va faire maintenant : une accolade? Une bise à la française? Juste un sourire? C'est un peu étrange et je n'aime pas ne pas savoir quoi faire alors dans le doute je me contente de sourire, poser mon sac sur la chaise vide à côté de moi, ôter les lunettes de soleil de ma tignasse et poser mes mains aux ongles soigneusement vernis sur la table. Je l'observe une seconde avant de pencher la tête sur le côté, fronçant légèrement les sourcils.
Merci... Et je vais prendre la même chose. On voit que tu as gardé les mêmes habitudes de gentleman que ton père... Je l'ai revu récemment à Paris tiens, j'y étais pour le boulot et on s'est croisé pour un événement mondain... Ca m'a fait plaisir de le revoir. Même si j'ai des nouvelles régulièrement de la part de ma mère et mes grands parents... tu les connais.
Je passe encore une seconde à le contempler, remerciant le serveur qui dépose le verre devant moi, et après avoir fait tinter les glaçons un instant, un sourire en coin s'affiche sur mes lèvres.
Alors... qu'est-ce qui ne va pas? Ne le prends pas mal mais quelque chose me dit que tu ne m'as pas appelée après toutes ces années pour me parler de la pluie et du beau temps... En plus il est relativement tôt dans l'après midi pour prendre quelque chose d'aussi fort, et dernier point... je connais cette tête, et clairement quelque chose te préoccupe. Alors... si tu vidais ton sac?
Je lui souris plus franchement, m'amusant de sa réaction avant d'avancer mon verre, trinquant avec lui, et écoute sa réponse.
Le compliment aristocratique est devenu un jeu. -” Mmm. Oui.” réplique l’ex-flic d’une voix un peu lointaine. La mention des anciens de Damia fait appelle à un passé commun. Un passé que Zac ne sollicite que peu depuis qu’il a été expatrié en Angleterre. Ses grands-parents sont tous décédés. Joy et lui ne les ont pas connus. La relation intergénérationnelle était compliquée. Alors, il connaît plus cette vieille dame qui a moitié élevé son ennemie. -” Comment vont-ils ? Ils ont ralenti ? ” Les yeux bleus-gris s’attardent une seconde sur le sourire de son interlocutrice. -” Tu as résolu le cas ?” Bien entendu lord de Lascelle s’est gardé de parler de sa petite virée en France. Il n’y a qu’une seule raison pour qu’il consente à quitter leur mère et le fief. Zenon doit avoir eu une piste concernant l’attaque.
-”... bien joué Sherlock. ” Le visage de Sanders se détend légèrement. Il a un sourire en coin. Pour sûre la belle Kapoor n’a pas volé sa réputation. Son nom est connu dans le métier. Zac l’entend de temps en temps dans les ombres de Londres. -” Je n’ai jamais réussi à te cacher un truc.” Un point faible qu’il a avec la gente féminine. D’abord sa mère lui faisait révéler tous ses secrets. Sa jumelle n’a qu’à le scruter pour qu’il crache le morceau. Et puis Damia… Eh bien, c’était Damia. -” Ouais. Je traverse une sale période.” Sans doute la pire période depuis son divorce. -” Ca fait un petit moment.” Les trois années passées ont été plus que difficiles.
Zac frappe le verre pour trinquer. Il vide le contenant d’un quart. Il prend un temps significatif pour observer sa vieille amie. Maintenant qu’ils sont là et qu’elle l’écoute, Junior ne sait même pas par où commencer. D’ailleurs, où en sont-ils restés tous les deux ? -” Je suis radié de la police. Ils m’ont viré. Ils nous ont choppé là où on ne devait pas être. ” D’aussi loin qu’ils puissent chercher… Zac a toujours été deux choses Chevalier ou Policier. Assez tardivement, il s’est réconcilié avec ses racines paternelles. Mais, cela fait-il de lui un gentleman ? -” Cette fois pas de retour en arrière possible.” La Strike a flirté avec la Loi pendant une décennie.
Zac frotte l’arrière de son crâne. Ses cheveux ont été coupés et tondus deux jours plus tôt, par sa mère. Des années que la comtesse et lui n’avaient pas eu ce moment d’intimité. Le voilà qui fait une pause. -” Tu me connais. Quand je suis désoeuvré je fini par faire des conneries.” Le repli au manoir est temporaire. Juste pour retomber sur ses pieds. Le temps de trouver un plan B. -” J’ai besoin de faire un truc. Autre chose que couper le bois, réparer la toiture. Tu vois ? ” Bien sûr, filer un coup de main à ses vieux n’est pas une mauvaise idée. Mais, ce n’est pas un plan d’avenir. Il reprend une bonne gorgée. Histoire de se donner un peu de temps. Parce que demander de l’aide ça n’a jamais été son fort au loup indien. Mais, comme il n’a pas envie de replonger, de retourner en enfer… autant venir se réfugier auprès des quelques anges du passé.
La rumeur de la musique arrive à percer la bulle. C’est un standard qui vient de par de là l’Atlantique. Il se souvient alors de leur adolescence. Les jours de moussons, quand ils passaient l’après-midi allongés dans la bibliothèque à écouter les vinyls. Junior se gratte la barbe, souriant distraitement. Il arrête le verre à ses lèvres et rit tout bas. -” Tu te souviens ? ” Le thé épicé et les biscuits au sésame qu’Yvette déposait sur la table basse à leur du goûter.
C'est drôle de me sentir aussi... incertaine face à ces retrouvailles. Depuis que je me suis lancée j'ai traité avec des chefs d'entreprise, des ministres, des politiciens, des hommes d'affaires, et à chaque fois j'ai pu travailler avec calme et l'esprit clair... Mais là... la puissance avec laquelle je me retrouve propulsée vingt ans en arrière en Inde me surprend. Je ne pensais pas que l'idée de le revoir, et ensuite le voir vraiment puissent avoir un tel impact sur moi... Il faut croire que la page n'était pas si tournée que ça bien qu'il ne se soit jamais rien passé de torride à part quelques baisers maladroits, du genre à laisser de la bave sur le menton et les genoux qui tremblent.
Je me suis même posé la question de ma tenue, y prenant un soin particulier sans trop savoir pourquoi, me demandant si telle robe risquerait de faire trop apprêtée, ou telle autre trop négligée... avant de finalement adopter pour une tenue qui me ressemble, un peu ma signature : une robe droite près du corps sans être moulante, et des escarpins hauts sans être indécents. Puis je le vois, le bad boy au blouson en cuir, qui a très bien vieilli... et pendant une seconde j'ai peur qu'il ne me trouve trop vieille... c'est con hein? J'ai envie de me gifler d'être si mièvre alors que lui ne veut me voir que pour une affaire, pas pour se rappeler du bon vieux temps autour d'une pinte et d'un curry qui ne sera jamais aussi bon que celui de ma grand mère... Enfin, je m'installe et la joue abordable sans déborder d'enthousiasme.
Mais c'est drôle, en quelques secondes j'arrive à lire à nouveau en lui ce que j'y lisais quand on était que des gamins, ce qui m'amuse. Les choses n'ont pas tant changé on dirait... et je lui en fais la remarque avec un sourire aux lèvres alors qu'on savoure notre verre. Je hoche la tête en écoutant sa question et ris doucement avant de me pencher légèrement en avant.
Si je t'en parle, je devrais te tuer... C'est secret défense.
Je me rassieds un peu plus dans le fauteuil assez confortable et tente de le cuisiner sur ses motivations, espérant quand même qu'il me dise que ce n'est pas uniquement pour le boulot, et je ris à nouveau quand je vois que j'ai tapé juste. Même si mon sourire disparaît quand je l'écoute, et que je comprends que les choses ne sont pas aussi roses pour lui qu'elles le sont pour moi. Mes affaires marchent bien, ma réputation est au top et je suis loin d'avoir des problèmes d'argent, alors je ne vais pas me plaindre. Je prends une légère gorgée de mon verre alors que lui en a déjà bu presque la moitié, autre signe que les choses ne vont pas fort, pinçant les lèvres en apprenant qu'il s'est fait virer de la police.
Et qu'attends-tu de moi? Tu aurais besoin d'un job? Si oui, qu'est-ce qui t'intéresserait?
En voilà un tournant inattendu et je le plains. Je le lis dans ses yeux et le vois dans sa posture... il est mal, il est perdu et il n'y a rien de pire qu'un Zac en roue libre. Sans garde fou pour lui éviter de sombrer. Sauf que si je connaissais bien l'ancien Zac, mon ami d'enfance, c'est presque un étranger que j'ai face à moi, quelqu'un dont je ne connais pas les vingt dernières années en détail, quelqu'un qui n'a pas connu les miennes non plus... est-ce qu'il aime toujours ce qu'il aimait avant? Est-ce qu'il réagit toujours de la même manière face aux mêmes choses? Quelque chose en moi est fâché à l'idée de n'être là que parce qu'il cherche un job, mais une autre partie de moi se dit que s'il est venu vers moi, c'est peut-être tout simplement parce qu'il me fait confiance et qu'il sait que je pourrais l'aider... Alors, soyons rationnelle. Je laisse passer quelques instants à faire lentement tourner le liquide dans le verre avant de croiser son regard.
Je pense que je peux te trouver quelque chose... J'ai souvent besoin de gens pour être en planque, prendre des photos, poser des micros et autres... Ca devrait être dans tes cordes non? Et peut-être que pour certaines missions tu pourrais me servir de garde du corps... si ça te dit bien sûr...
Je fronce les sourcils en entendant à nouveau ce rire chaud que j'aimais tant, et voir un sourire sur ses lèvres fatiguées. Pendant un instant je ne comprends pas de quoi il parle avant de reconnaître la chanson et rire à mon tour.
Oh oui, les après midi pluvieux dans le salon chez tes parents... et nous qui regardions de vieux James Bond avec ton père quand il faisait vraiment un temps à ne pas mettre un chat dehors...
Depuis le licenciement, Zac s’est coupé du monde. C’est plus ou moins volontaire. Il a toujours été grégaire avec cet instinct d’appartenance à une meute. Joy est sociale. Lui, il aime être dans un entre soi. Sans JB et sans les deux autres, c’est la colonne vertébrale de son monde qui est brisée. -” Secret défense ? Quoi tu bosses pour le MI6 ? ” plaisante donc Zac dans un demi-sourire.
Ce n’est pas si anecdotique que cela. Le SIS emploie pas mal de monde pour amplifier le réseau d’informations. Kapoor est talentueuse dans son boulot. Elle vient de confirmer qu’elle a croisé le comte d’Avon sur le terrain. Imaginer Damia et son père faire une équipe provoque un mélange d’amusement et d’envie. Zac n’a pas caché à Zenon et “H” son désir de travailler avec l’organisation britannique.
-” Bosser en fait, c’est ça qui m'intéresse. ” Les investigations de Damia sont souvent connectées avec le monde qu’il connaît.
Ce serait un bon moyen de retomber sur ses pieds, tout en restant dans un domaine qu’il maîtrise. Junior sait qu’il est un bon flic. Hans ne peut pas lui dire le contraire. La Strike n’est peut-être pas ortodoxe mais elle à fait sa part! Personne ne peut nier ça. Pas même Ormes et toute sa clique de bureaucrates. Rien que d’y penser Zac sans sa rage intérieure remonter d’un cran.
Il lance un regard à la brune et ajoute avec une certaine complicité: -”Et puis, ça serait sympa de bosser ensemble. ” Viven aurait dû être une allée dans l’adversité. Mais l’urgentiste a plié bagage plus vite que son ombre. Ils se sont quittés un peu comme ils s’étaient trouvés. Concernant Damia c'est différent. Rien n’a jamais fini entre eux. Ils ont pris des voies différentes. Ils ne se sont pas fâchés. La vie a simplement mis de la distance entre eux.
-”Garde du corps. Wep. Je ne l’ai pas fait officiellement. Mais, je sais faire. ” Tout le reste est sur le CV d’un bon Striker. Il ne compte pas les heures passées dans la voiture à planquer. -” Je peux faire tout ça sans prob’. ” Ça peut même faire penser à du sur mesure. Autrement dit, c’est une proposition bien plus alléchante que le poste de gardien de nuit, ou de vigile en bâtiment. Zac sent qu’il a eu raison de suivre son intuition.
Maintenant qu’il connaît le secret de son paternel, il y a pas mal d’ironie à songer à leur enfance. Un Moor un Lazenby ne sont plus autant des héros de la fiction. Ce ne sont plus tant des idoles populaires. Puisque Zac ne peut pas être certain que Damia est au courant, il s’abstient d’approfondir ce sujet avec elle. Il se doit de respecter la promesse faite au paternel. Même si… Kapoor pourrait peut-être les rencarder sur Sharma ! -” Je voulais avoir les punchlines de Brosnan. … On était gamins!” Des ados qui avaient des attentes pour l’avenir, de l’espoir. Junior se demande où est passé tout cela à présent. -” C’était facile. … ” Zac n’a jamais eu envie de quitter Bellary. On l’y avait obligé.
Dans un mouvement de recul, il redresse son dos douloureux. La boxe lui fait du bien. Mais, il en fait trop. -”Je suis partant. ” lui confirme-t-il sans trop se poser de questions. -”Merci Mia. … Vraiment. Tu me sauves. ” lui dit-il en faisant de l’humour. Ceci dit, ce n’était pas si éloigné d’une réalité. Sanders avait besoin d’aide. La nécessité d’être dans l’action est puissante.
Un peu soulagé d'avoir trouvé une sortie de secours, Zac se détend davantage. Même son visage paraît moins cireux. Il en faut peu pour sauver une âme des enfers finalement. Lui ne demande qu’à être un chevalier servant. Est-ce dire que la base de l’individu est inaltérable ? Le loup solitaire boit encore un peu plus de son doux poison. Il observe la belle Kapoor. Il la regarde comme on regarde un beau tableau. Emu, sans oser le toucher. Vraiment, comme quand ils avaient quinze ans. -”T’es toujours aussi belle en tous les cas. ” lui dit-il, en lui souriant.
Pendant une seconde de silence confortable mais en même temps étrange je l'observe, et je suis curieuse de sentir cette sensation de puissance que je ressens... lui, lui que j'idéalisais, lui qui m'a fait éprouver mes premiers émois de jeune fille, le premier qui a fait battre mon coeur plus vite, le premier aux yeux de qui j'ai eu envie d'exister et d'être belle. Je n'aurais pas tout fait pour une faveur de sa part non, j'ai toujours eu ma fierté bien placée, mais j'attendais des attentions de sa part, d'un sourire, d'un geste, de ces petites choses qu'on partageait juste nous et qu'il n'avait avec personne d'autre, ni avec sa soeur, ni personne... des blagues, des références...une sorte de langage fait de mots, de rites et d'habitudes... et maintenant c'est lui qui est à ma merci. Aux abois. Lui qui me demande un service, sans quoi il serait à la rue, ou tout du moins dans la merde.
C'est drôle mais en l'observant je me rends compte que je ne l'ai jamais vu en position de faiblesse. Je l'ai vu faire des conneries, les regretter, se faire engueuler et punir, mais je ne l'ai jamais vu paumé et perdu... comme s'il avait perdu sa crânerie indestructible de sale gosse à qui jamais rien de grave ne pourrait arriver... Comme quoi... Et ça me fait bizarre de le voir comme ça. Comme s'il avait perdu un peu de sa magie ou son aura, en le rendant plus touchant et plus accessible... C'est pour ça que j'accepte rapidement. L'idée de l'avoir près de moi, de passer du temps ensemble me plaît, même si j'ai peur qu'on n'ait pas la même complicité, qu'on soit devenus des étrangers qui s'agrippent aux lambeaux de quelque chose qu'ils n'ont plus et qui leur file entre les bras, comme on tente de ramener une couverture chaude à soi... Ca me ferait mal de voir qu'on est devenus à ce point différents pour ne plus arriver à s'entendre, mais je ne le saurai qu'en tentant l'aventure et en acceptant de travailler avec lui tout comme vivre sous le même toit.
Je me surprends à lui proposer ça, sans y avoir vraiment réfléchi, et je suis curieusement contente qu'il accepte tout aussi rapidement. Peut-être est-ce le signe d'un nouveau et beau départ? D'une nouvelle personne que je puisse avoir près de moi, et en qui je pourrais avoir pleinement confiance? Car même avec Jessica je sais que si le boulot doit se mettre entre nous elle choisirait le boulot et moi aussi. Avec Zac ça pourrait être différent... et quelque chose me pousse à tester.
J'avoue que ça pourrait être sympa... mais ma vie maintenant ne ressemble pas du tout à celle que je menais chez ma famille en Inde tu sais... Et il y a peut-être des aspects de moi, de ma vie ou de ce que je fais qui ne te plairont pas. Je préfère te prévenir, je dois parfois faire des choses un peu sales pour obtenir ce que je veux... Juste que tu sois au courant... je ne suis plus aussi gentille qu'à l'époque.
S'il savait ce que j'ai fait pour en arriver où je suis, ma vengeance planifiée sur plusieurs années, et ce que j'ai pu faire dans mon métier... est-ce qu'il me regarderait différemment? Et en même temps s'il s'est fait renvoyer de la police c'est que lui aussi a fait des trucs peu reluisants... Mais il sera toujours temps d'en discuter plus tard. Pour me donner une contenance pendant que je réfléchis je bois quelques gorgées avant d'entendre son compliment. Pourquoi? Il veut se faire bien voir? Marquer des points pour que je ne change pas d'avis? Ou est-ce qu'il est vraiment sincère? Je suis un peu perdue alors je repose doucement mon verre maintenant vide et souris.
Flatteur... Par contre je vais devoir y aller... j'ai un boulot sur le feu. Pointe toi demain soir chez moi à 19h, on pourra dîner et je te montrerai tes nouveaux quartiers. Ca te va?
Je glisse un billet sous mon verre, referme mon sac et me relève lentement, me penchant pour déposer une légère bise sur sa joue mal rasée.
A demain Zac...
Je lui lance un dernier sourire avant de pousser la porte et regagner la grisaille londonienne, un étrange sentiment d'euphorie et d'inquiétude se bousculant dans mon esprit. Surtout que j'ai menti, je n'ai pas de rendez-vous mais il me fallait un peu de temps pour réfléchir, souffler un peu et voir les choses froidement au lieu de laisser l'ado en moi refaire surface et me pousser à faire des conneries... Alors je retrouve ma Jaguar et roule jusqu'à mon hôtel particulier de Belgravia. Là, j'annonce à Ahrun, mon assistant, que quelqu'un d'autre va venir vivre ici quelques temps, et qu'il s'occupe de préparer son arriver du point de vue sécurité : nouvelles clés, nouveau code pour l'alarme et toute la panoplie. Puis je descends dans ma piscine et passe un long moment à nager nue dans l'eau tiède, jusqu'à être assez fatiguée pour avoir juste envie de dormir.
La journée du lendemain est assez pleine pour ne pas avoir trop de temps pour penser à l'arrivée de Zac, même si je commande indien pour le dîner. Et à l'heure dite, habillée d'un ensemble en soie élégant mais décontracté j'ouvre quand il sonne à la porte et souris en le voyant, un sac de sport à la main.
Bonsoir Zac. Entre je t'en prie...et bienvenue chez toi.
Je le laisse entrer avant de refermer la porte, et l'emmène sur la droite du hall d'entrée vers la partie privée du rez-de-chaussée. Je lui fais signe de s'asseoir alors que je me laisse retomber sur le grand canapé moelleux.
Pose ton sac là, je te montrerai ta chambre après, à moins que tu ne veuilles la voir maintenant?
Junior fait ainsi un effort conscient pour ne pas siffler sa boisson en moins d’une demie heure. Comme dans chaque période de creux, les faiblesses reviennent à la charge. Si le boulot dans l’unité spéciale l’a amené sur des terrains glissants, Zac avait probablement déjà un trait addictif. Il attrape une cigarette pour avoir les mains occupées. Un geste purement automatique qu’il a observé pendant des années chez nul autre que la Comtesse d’Avon en personne.
-”Pour ce genre de job, tu ne peux pas être gentille. Ça ne marche pas. ” Lâche le loup, sans paraître ému. Après dix ans dans la boutique, il sait aussi de quoi il parle. En sortant des classes, il était jeune et naïf. L'idéalisation du métier avait pris un sale coup. -”Pour avoir les pourris faut “devenir” comme eux, comprendre leur façon de pensée, leur méthode, pour les prendre à leur propre jeu. T’inquiètes. On a tous fait des trucs pas nets pour payer les factures. C’est ça London. ” Marmonne l’agent gris dans un constat tranquille. Ni honteux, ni fier, il considère ce qu’il a fait ce qui devait être fait.
-”Peut-être qu’un jour on se racontera nos sales coups… ” Tel les anciens combattants qui partagent leurs souvenirs. Bon, ici ce ne seront pas des faits de gloire. Zac n’est pas un héros. Il n’a rien de son père le super espion. Ni même de sa mère qui rentre dans le lard des terroristes. Mais, il a essayé.
Zac aimerait continuer plus longtemps la conversation. Mais, il n’y a que lui que personne n’attend. Il lève une main tranquille pour faire signe à la belle de filer. Au moins, il voit ce que cela fait de se faire planter pour une urgence. Bon Prince il arrête le geste pour que Kapoor reprenne son billet. C’est sa tournée. -”Demain 19h00, dîner chez toi. Okay. Ça roule Damia. … Bon courage pour ton boulot. ” Le baiser le prend par surprise. Il a un sourire. -” A demain Damia… ” Répond donc le nouvel employé, en suivant la belle panthère du regard. Un sourire se pointe sur ses lèvres. Il secoue doucement la tête alors qu’il sent son coeur amoché reprendre un peu de vie. Alala Damia Kapoor.
Les vingt-quatre heures suivantes sont assez étranges. Sanders se réveille tard. Il déjeune avec ses parents au manoir. Bien qu’une partie de lui a envie de leur parler de sa trouvaille, il s’abstient. Par prudence, Zac attendra. Le repas du soir confirmera ou non s’il a fait un appel intelligent. Pour la première fois depuis des jours, Junior prend du temps pour prendre soin de lui. Il taille la barbe. Il demande aussi à sa mère de lui couper les cheveux. Ils font ça dans la cuisine. Le Time de la veille étalé sur le sol. Il y a peu de mots échangés.
***
Belgravia est un quartier que Zac connaît de par ses racines familiales. Zenon de Lascelle a des connaissances dans cette zone de la capitale. Ceci dit, cela fait longtemps que l’ex-flic n’y a pas mis les pieds. Il gare sa moto en sécurité avant de faire la fin du chemin à pied. L’hôtel particulier de l’Indienne lui ressemble. Est-ce les grands parents qui lui ont donné les fonds pour un tel lieu ? Ils n’en ont jamais réellement parlé quand ils étaient ados.
-”Salut. ” Cette fois, sous le blouson, il y a des habits un peu plus élégants. Bien sûr ce n’est pas un entretien d’embauche. Ceci dit, Zac est un peu un caméléon. C’est pour ça qu’il était bon en infiltration. Ses yeux lui ont appris comment se fondre dans le décor. Maintenant il sait pourquoi… -”MercI ” Lui répond-t-il en se penchant pour un baiser sur sa joue. Comme la dernière fois.
Rien ne presse. Il est encore tôt. -”Nop c’est bon merci. ” Une chambre est une chambre. Ce n’est pas ce qui attire son attention. Junior a dormi dans des piaules pourries et des palaces. Il s’en moque comme de sa dernière chemise. Il laisse le sac de sport sur le tapis. Puis, il se fond dans le canapé d’en face. -”Ils sont bien ces canap’. ” Le regard gris bleu passe de la belle à la pièce. -”T’as l’air bien installée. ” Tant mieux, car Junior se doute qu’elle a trimé pour en arriver là.
Très vite, il fait tomber le blouson. Il vire les chaussures. -” J’ai parlé de toi à mes vieux. Ils t’embrassent. ” Bon, les détails ce sera pour plus tard, des deux côtés. -”Ça te va bien ce truc. ” Lui fait-il la remarque. Quand il ne connaît pas le nom de la tenue, il dit “truc”. Ça évite de se faire reprendre.
La veille, aucune alliance au doigt de la détective. Ce n’est pas le cas encore ce soir là. Zac en déduit donc qu’elle n’est pas mariée. Il est à peu près sûr qu’elle n’a pas fait de mômes. Comme lui. -”C’est juste nous deux ? ” Lui demande-t-il par curiosité. Son regard ne la quitte plus. Dans cet environnement calme et protégé, le loup peut vraiment prendre le temps de l’observer. L’aura n’a pas changé. Damia est Damia… -”Hier, tu m’as parlé de ton boulot, mais pas vraiment de toi… Quoi de neuf ? Racontes-moi un peu ta vie ? ” D'abord pour bosser ensemble c'est important de se connaître mieux. Mais, c'est surtout qu'il veut savoir. Oui, Zac a envie de refaire le lien avec cette fille-là.
Alors que je lui explique rapidement, très rapidement ce que je fais, ce que j'attends de lui, j'en profite aussi pour l'avertir. Bien sûr qu'il connaissait par coeur la Damia avec laquelle il a grandi, sa voisine là-bas en Inde, la fille a la peau trop claire et aux longues nattes sombres... elle il la connaît encore, il doit s'en rappeler, mais je ne suis plus cette gamine là. Je ne suis plus aussi douce et gentille, je ne suis plus aussi sérieuse et chaleureuse qu'à l'époque... Je me suis réinventée ici, j'ai construit un business, je me suis bâtie une réputation qui court dans les hautes sphères de la politique, la richesse et la célébrité de Londres et ses alentours... Est-ce qu'en me voyant bosser, il va réagir de la même manière ? Est-ce qu'il va toujours voir en moi la gamine d'antan? Est-ce que la femme de maintenant, impitoyable, à la morale flexible, surtout qui sert ses propres intérêts ne va pas lui faire peur? Ou le dégoûter?
Enfin, il n'y a qu'une façon d'en être sûr, et c'est d'en faire l'expérience. Il a l'air compréhensif, et je me doute que lui aussi a du tremper dans des trucs louches pour se faire virer de la task force mais on ne sait jamais... Il y a le dire et le voir... Une de ses paroles, sur le fait de s'échanger nos sales coups m'arrache un sourire et une partie de moi se dit que ça serait chouette de pouvoir vraiment parler de tout ce que je fais et je vis car il y a peu de personnes avec qui je m'ouvre, comme Jessica. Et on en reste là après un baiser, préférant soigner mon départ plutôt que de donner l'impression de celle qui s'attache et qui n'arrive pas à partir... Ménager le suspense.
Voilà donc comment je me retrouve à passer les heures entre le moment où on se sépare et le moment où il sonne à la porte. Un drôle de petit frisson, mélange d'appréhension et d'impatience, alors que le carillon résonne dans le rez de chaussée immense et que je vais ouvrir. Il a l'air d'être un peu plus reposé qu'hier, peut-être qu'il s'est pris du temps pour dormir et se poser un peu? En tout cas je souris à son baiser et m'efface pour le laisser entrer, avant de refermer derrière lui. Je le guide jusqu'au salon où je m'installe dans un canapé, lui faisant signe de faire de même.
Je te sers quelque chose à boire ? Du thé? Une bière? Quelque chose de plus fort? Le dîner arrive bientôt... tu sais que malgré tous les efforts de ma mère et ma grand mère, je suis toujours incapable de faire quoi que ce soit à part passer un truc au micro ondes...
Je souris à son compliment, jetant un coup d'oeil autour de moi, comme pour confirmer que c'est vrai, hochant la tête.
J'ai de la chance oui... les affaires marchent bien. Et si tu aimes ces canapés, tu pourras dormir là au lieu de ta chambre...
Mon sourire s'agrandit quand je le vois ôter son blouson mais aussi ses chaussures, s'installant en tailleur sur le canapé, avant de rire légèrement. J'ai toujours aimé ses parents, qui me voyaient trainer chez eux avec bienveillance et ne me jugeaient pas comme inférieure à cause de mes origines.
C'est très gentil à eux... ça fait une éternité que je ne les ai pas vus. Dis-leur que je les embrasse en retour et que s'ils souhaitent venir dîner ici un soir, j'en serais ravie. Si tu es d'accord toi aussi...
Sa remarque sur ma tenue me surprend, et je sens pendant une seconde mes joues s'enflammer un peu, juste un peu. Et il me faut une seconde pour comprendre la suite de ses paroles, avant de hocher la tête.
Quelque chose de confortable quand je suis à la maison. Mais c'est gentil. Et oui on sera les seuls à vivre ici. En journée mon assistant Ahrun travaille dans mon bureau, mais le soir et les week ends il n'y aura que nous. On ne devrait pas être trop à l'étroit...
Pourtant les questions fatidiques arrivent, et pendant un instant j'hésite. Je profite des boissons pour me donner une excuse pour me lever, et réfléchis à quoi répondre... Je nous ramène deux bières et lui en tends une avant de me rasseoir. Ma décision est prise : autant crever l'abcès.
Après que je sois partie j'ai voulu me venger de mon père. Pour ce qu'il nous avait fait subir, à ma mère et moi. Je suis remontée jusqu'en Grande Bretagne, où je me suis passionnée pour le travail d'enquête sur lui. J'ai payé un de ses garde-chasses pour qu'il piège son arme, et qu'elle le tue. Ensuite j'ai fait du chantage à sa veuve et ses autres enfants pour avoir ma part du gâteau. Cette maison et l'argent qui a servi à me lancer sont cette part...
Je bois une gorgée de bière avant de porter à nouveau mon regard sur lui.
Maintenant tu sais quel genre de femme je suis devenue, et ce que je suis prête à faire. Est-ce que bosser avec moi et vivre ici te tente toujours malgré ce que je viens de te dire? Au moins si tu t'engages, c'est en connaissance de cause.
Fils d’aristocrate et d’une roturière, Zac Sanders a grandi dans le confort et la sécurité financière. Bellary, ville modeste de l'Inde, est devenue un fief naturel pour sa famille. C’est en intégrant la Strike Team qu' il s'est imprégné d’un autre mode de vie. Détaché des biens matériels. A vivoter d’un taudis à un autre. A rechercher l’expérience du manque. Bien plus à son aise dans un ascétisme volontaire. -”Okay. Je fais comme chez moi.” Promet donc le nouveau colocataire.
Ceci dit, les jumeaux sont plus mobiles que leurs vieux. Ils ont la bougeotte. Alors que les de Lascelle prennent de plus en plus à quitter le manoir. Ils se font vieux! -”Ah Bah je ferais le messager. Pas de souci! Ils ne viennent pas souvent en ville.” Lui dit-il afin qu’elle ne s’attende pas à une réaction instantanée. Junior sait que ses parents quitteront l’Angleterre à la première occasion.
Pour ce qui est de lui, il n’en sait rien. Sa nouvelle situation n’est pas encore encaissée. Pas simple de se faire à l’idée qu’il n’est plus un policier. Qu’est-ce qu’on fait quand sa vocation part en éclat. -”Non, je pense pas qu’on sera à l’étroit.” Même si c’était le cas ce ne sera pas un problème. La seule chose que Zac cherche à éviter, c'est la solitude. Sa pire ennemie c’est elle. Quel mauvais coup de la part de Vivien.
Zac va pour goûter le houblon. Mais le récit de son amie retient toute son attention. Il l’écoute et se demande si elle n’est pas en train de lui faire un résumé de Conan Doyle. Une vengeance meurtrière, de la manipulation, de la cupidité, tout est là. Le regard du trentenaire s’attarde sur le visage de l'intrigante. Tout ça est quand même digne d’une courtisane médiévale. Il y a de quoi l'inculquer sur plusieurs niveaux. Oui, avec tout ça, Damia devrait finir derrière des barreaux. -”...” Les mots manquent. Que dire après autant d’infos ?
Un silence poursuit la conclusion de la détective. Un silence interloqué et méditatif. Zac pose la bouteille sur la table. Il passe sa main sur son visage pour effacer ses expressions. -”...” Tout cela est laid. Moche. Damia avait été promise à une vie… lumineuse. Une vie plus belle que cela. Quel dommage qu’elle se soit laissée consumer par son désir de vengeance. -”Merci.” Combien de personnes sont au courant ? Peut-être est-il le seul ? Que faire d’une confession pareille ? Il s’enfonce dans le fond du canapé. Ses yeux lorgnent la brune. Un sourire incertain se forme sur sa gueule de loup. -”Je reconnais que je ne m’attendais pas à “ça”.” Lui dit-il en se grattant la barbe. Le degré de vérité de cette discussion est bien plus haut que ce à quoi Sanders s’attendait. Ceci dit, cela lui donne le niveau de confiance dont il est le dépositaire.
-”Mais je peux comprendre. ” Sanders a son lot de secrets. Il ne s’est pas gêné pour appliquer la loi du Talion. Son âme n’est pas innocente. Il est loin d’avoir encore un cœur pur. -”Ça ne m’enlève pas l’envie de bosser avec toi. ” La rassure donc le vieil ami. -”... Personne ne peut remonter jusqu’à toi ?” A priori tout va bien, puisqu’elle a pu monter son affaire ici. Ceci dit, prudence est mère de sûreté.
C’est étrange de se dire que c’est toujours nous : Zac et Damia, avec les mêmes têtes à part quelques cheveux blancs et quelques rides en plus… comme si on s’était quittés hier, et qu’on a un peu changé entre temps… et pourtant on est tellement différents… petit à petit le lien qui nous reliait s’est étiré, détendu avant de se briser, nous voyant chacun voguer dans des directions différentes. Mais ce soir on dirait que le destin, ou le karma comme on dit par chez moi, a décidé que les choses devaient changer un petit peu, et nous remettre sur le même chemin.
Mais aura-t-il envie de bosser et de vivre sous le même toit une fois qu’il connaîtra ce que j’ai fait? Que je lui révélerai mon plan qui m’a permis d’en arriver où j’en suis, ou tout du moins à accomplir la première étape qui était de me débarrasser de mon père et d’avoir une partie de son héritage? Je suis sûre qu’une part de lui est toujours persuadée que je suis la même jeune fille beaucoup trop sérieuse avec qui il jouait, celle avec qui il a mangé des pakkoras sur la plage après mon retour d’Europe… pas cette détective froide et calculatrice qui ne s’attache à personne et qui est prête à bien trop de choses pour arriver à ses fins.
Et c’est parce que je n’ai pas envie de voir sa réaction lorsqu’il le découvrira plus tard, lire la désillusion et le dégoût sur son visage qui a pris quelques rides que je préfère crever l’abcès maintenant… Il vaut mieux qu’il claque la porte après deux bières et qu’on en reste là plutôt qu’il se soit installé, que je me sois habituée à sa présence, et que tout change brutalement… J’essaie d’être neutre et factuelle, sans me vanter ou susciter du pathos. J’annonce des faits, des faits qu’il doit connaître sur moi, et rien d’autre.
Quand j’ai fini je le vois qui reste impassible, mais muet… et je peux presque discerner les rouages de son cerveau tourner à plein régime sous sa tignasse en bataille, alors que ses yeux bruns sont toujours posés sur moi. Les secondes me paraissent des siècles et je m’attends à tout, sauf au premier mot qui sort de ses lèvres. Merci? Mais merci de quoi? Puis il sourit, et en un instant un poids dont j’avais ignoré l’existence se s’ôte de mes épaules, comme un gilet pare balles qu’on me retire et j’ai le sentiment de pouvoir respirer plus librement. J’ai retrouvé mon Zac, celui qui n’est pas prompt à juger, et qui ne s’est jamais érigé en « père la morale ».
J’éclate même de rire quand il s’inquiète du fait qu’on puisse remonter jusqu’à moi et je me détends, me rasseyant plus profondément dans le canapé avant de porter la bouteille à mes lèvres pour une gorgée qui a beaucoup plus de saveur que celle précédente.
Tu penses vraiment que je serais une bonne détective si je laissais des traces d’un truc aussi énorme? D’ailleurs si tu en parles à quiconque je nierai, mais tu disparaîtras dans d’étranges circonstances.
J’hésite, pince les lèvres avant de reposer la bouteille humide de condensation, jouant avec l’étiquette qui se décolle tout en laissant échapper un .
Moi aussi je suis contente que tu aies toujours envie de bosser avec moi… D’ailleurs… si on en est à jouer cartes sur tables… Il y a des trucs que je dois savoir sur toi ?
L’ancien flic est désarçonné de voir sa machiavélique amie éclater de rire. Il ne voit pas en quoi ses questions sont drôles. L’affaire, tout au contraire, lui a l’air plutôt sérieuse. Sérieuse à mort peut-il même se dire. La carrière de flic de l’ombre lui a appris tous les dangers qui règne dans le royaume et bien au-delà. Le monde est truffé de monstres.
-”Ca te fait rire…” Note-il en observant le mouvement de la jeune femme. Jusque là Damia a été une panthère sur le qui vive. Là, il voit autre chose. Il voit une lionne qui se met au repos. C’est une vision qui n’est pas sans le faire sourire.
-”Tu penses vraiment que je serais une bonne détective si je laissais des traces d’un truc aussi énorme? D’ailleurs si tu en parles à quiconque je nierai, mais tu disparaitras dans d’étranges circonstances. ” est une réponse digne d’un bon polar, dans lequel les deux personnages se rapprochent, liés par un secret qui les dépassent.
Cette fois, Sanders rit de bon cœur. -”Mh.” Il savait que le commandant de Lascelle n’aurait pas gardé les bras croisés, à la disparition de l’un de ses enfants. C’est encore moins le cas de De Lascelle espion de sa majesté. Le comte a à sa disposition les ressources du MI 6. -”Penche plutôt pour un meutre sucide. ” Il pose la bouteille dans un petit sourire. -”Si tu ne veux pas être pourchassée toute ta vie et “disparaître dans d'atroces souffrances”. ” Lui conseille donc le fils héritier du comte d’Avon.
L’ambiance est bien plus relaxe. Ce qui convient bien mieux à Zac. Il se sent soulagé. Il ne peut pas nier non plus qu’il aime assez la voir sourire. -”Moi aussi je suis contente que tu aies toujours envie de bosser avec moi… D’ailleurs… si on en est à jouer cartes sur tables… Il y a des trucs que je dois savoir sur toi ? ” Un juste retour de la part de la finaude. Junior ferait de même avec n’importe quel partenaire de boulot.
Ceci dit, la Strike team a un code. Ils sont quatre membres. Ils se serrent les coudes quelques soient les circonstances. C’est pour ça qu’ils peuvent compter les uns sur les autres même dans les pires moments. Zac n’est pas prêt à briser sa promesse. Même pour, elle, même pour Damia. Ses yeux bleus-gris la déshabille pour sonder son coeur, son âme:
-”J’ai bossé dans une unité spéciale. J’ai été sur des opé d’infiltration. J’ai dû faire des trucs … hors cadre pour obtenir des infos. Donc… tu dois savoir que j’ai fait des trucs moches, moi aussi… et que j’ai un bon réseau. ” Voilà qui paraît être un bon résumé de sa situation. Il gratte alors à barbe de sa main gauche.
Il ne peut pas parler de la situation de sa famille. Le père a été très clair sur ce point. Même si Zac ne dirait pas non à une discussion avec quelqu’un. JB lui manque terriblement. Les conseils du Français lui manquent aussi. -”L’autre truc c’est que je suis un toxico. Clean. J’y touche plus. ” Précision immédiate afin qu’il n’y ait pas de malaise. -”Mais, faut pas me mettre sur les dossiers de deals. ” La réunion hebdomadaire est un calvaire nécessaire.
Zac a un sourire navré. C’est vrai qu’il est loin du gamin qui rêvait d’être un chevalier ou un soldat. Non, il n’est pas devenu un guerrier valeureux. Il a été un émissaire gris pendant des années. A essayer de faire le bien au milieu du chaos. Personne n’en ressort indemne. -”Je suis nul pour ranger aussi. ” Quand on habite chez une dame, ça semble important à signaler, sur le coup. Même si c’est avant tout une diversion.
Les choses semblent s’apaiser en voyant sa réaction et en quelque sorte ça me rassure de voir que lui non plus n’est plus le jeune ado magnifique mais un peu con et qui aimait jouer au chevalier servant sous ses airs de rebelle. Lui aussi s’est coupé les ailes et a balancé son auréole à la poubelle pour devenir un simple humain, avec des émotions humaines, et qui fait comme il peut avec ce qu’il a. Je craignais ça aussi, un peu… qu’il soit resté le type avec de beaux principes et irréprochable, auprès duquel je me serais toujours sentie « sale » ou diminuée, parce que moi j’ai fait des choses horribles et pas lui… Mais non. On est sur un pied d’égalité, des adultes un peu fracassés et dysfonctionnels aimant évoluer dans un monde qui nous fait tout sauf du bien et qu’on est incapables de quitter pourtant…
C’est comme si, maintenant que cela était fait, je n’avais plus à craindre son jugement ou son regard, et que les choses pouvaient prendre un nouveau départ, un départ avec les personnes que nous sommes devenues, tout en se souvenant de qui on était… et ça me plait, étrangement. J’en ris même, savourant ma bière, ayant l’impression que je ne suis plus obligée non plus de jouer un rôle et que je peux redevenir la Damia d’avant, même un peu.
Oui ça me fait rire… je trouve ça presque mignon de t’en inquiéter… À moins que tu n’aies peur d’être lié au scandale ou de perdre ton tout nouveau boulot, non? Et ne t’en fais pas, j’ai un réseau de gens très chers qui peuvent même faire disparaître un corps si je les paie assez… D’ailleurs je suis plutôt contente d’entendre que tu as gardé des contacts dans la police… J’en ai, mais plus on peut en avoir, mieux c’est, surtout si ce sont des gens que tu apprécies et qui accepteront de te rendre service à toi. Tout le monde n’apprécie pas les détectives dans les postes de police, si tu vois ce que je veux dire…
Je hoche la tête à son aveu sur la drogue. Comme quoi lui aussi est passé par des trucs moches… et je me dis que j’ai eu de la chance, ou assez de volonté pour avoir toujours réussi à me tenir loin de ces saloperies. Peut-être aussi parce que j’ai vu à quel point tout ça pouvait détruire des gens…
Je prends note, c’est bon à savoir. J’ai rarement des histoires de drogue à gérer mais on ne sait jamais. Au moins je prendrai ça en compte à l’avenir…
Puis je ris une dernière fois à sa remarque sur le rangement, avant de désigner ce qui nous entoure d’un léger geste de la main.
Tu imagines vraiment que toutes les semaines je sors l’aspirateur et le plumeau pour m’occuper de cette immense baraque? J’ai une femme de ménage donc le rangement ne sera pas un problème non plus.
Je le regarde un long moment sans rien dire, jouant avec la bière entre mes mains, la faisant rouler sous mes doigts, avant de la poser et me planter face à lui, avant de me pencher pour que mon visage soit très proche du sien.
Et là j’ai terriblement envie d’assouvir enfin le fantasme que j’avais toute mon adolescence… Est-ce que tu le veux aussi?
Un petit sourire se dessine sur le visage du trentenaire. Il aime bien voir le visage de son interlocutrice rayonner ainsi. Cela lui va bien. -”Oui ça me fait rire… je trouve ça presque mignon de t’en inquiéter… À moins que tu n’aies peur d’être lié au scandale ou de perdre ton tout nouveau boulot, non? ” -”Hahah. ” Le rire est si spontané qui couvre la conversation. Junior n’est pas habitué à ce qu’on lui concède une aura. Il est devenu une réminiscence grise de Londres. Aujourd’hui, rares sont les complices qui ne connaissent pas sa réputation. Damia est rafraîchissante. -”J’ai besoin de te rappeler de quel lit je viens ? ” Un hériter avec une bourgeoise cela a fait scandale. Zenon de Lascelle le jeune capitaine de NAVY qui a renoncé à épouser une fille de bonne lignée pour une fille de la campagne, une américaine! -”Nan. J’ai pas envie que tu sois emmerdée surtout. ” Lui dit-il assorti d’un sourire bourré de charme. Avec le temps, il prend des traits de son père celui-là.
Il écoute son amie avec attention. C’est le moment de s’assurer qu’elle n’a rien oublié. ”Et ne t’en fais pas, j’ai un réseau de gens très chers qui peuvent même faire disparaître un corps si je les paie assez… D’ailleurs je suis plutôt contente d’entendre que tu as gardé des contacts dans la police… J’en ai, mais plus on peut en avoir, mieux c’est, surtout si ce sont des gens que tu apprécies et qui accepteront de te rendre service à toi. Tout le monde n’apprécie pas les détectives dans les postes de police, si tu vois ce que je veux dire… ” -”Yep, je vois. Pas de souci. Mon réseau servira pour le taff. ” De toute façon les gars savent que les affaires de Sanders sont variées. La Strike a aussi fait des boulots annexes. Parfois c’était la seule façon pour se rapprocher de leur cible. C’est comme ça que notre loup s’est intégré dans le paysage. -”Je dois t’appeler Patronne ? ” Fait-il humoristique. Il est traversé par une pensée futile. Comme ce surnom peut avoir un aspect séduisant associé à cette nana. Bien entendu, il garde cela pour lui.
D’autant qu’ils touchent alors à un point beaucoup plus sensible. Zac ne cachera pas une information aussi cruciale. Il n’a pas envie de se refaire une chute en enfer. Il ne veut pas se refaire tout le chemin de croix. Son regard s’attarde sur la femme face à lui. Il n’a pas envie de la mettre en danger. -”Ok. ” Pose-t-il alors qu’une tension imprévue s'évanouit. Sous son air bravache, Junior conserve une honte de son échec. Une culpabilité cachée pour le mal qu’il a fait à son entourage. Il note tout de même qu’il va devoir faire attention à ce qu’il laisse traîner. Depuis la rupture avec Vivian, il n’a pas été voir les Filles. Il rechigne à aller taper à la porte de Ruby cette fois. Un peu trop déçu de cet fait largué par une femme qu’il appréciait. Donc, pour le moment, il se contente de la bonne vieille méthode. C’est le plus simple!
-”Et là j’ai terriblement envie d’assouvir enfin le fantasme que j’avais toute mon adolescence… Est-ce que tu le veux aussi?” Une question qui fait apparaître un sourire sur la gueule de loup. Ses yeux détaillent lentement le visage de Damia. La beauté qui se dégage d’elle a encore le don de le troubler. Sa main enrobe sa joue, son pouce caresse sa peau douce. Zac franchit la distance qui sépare leurs bouches pour offrir un baiser à Damia.
**
Le chant d’un pinson réveille Sanders. Une mélodie qui a bercé sa jeunesse. Ses sens le reconnaissent. Les yeux fermés, l'homme laisse son corps sortir tranquillement de sa torpeur. Il repère la chaleur du corps près du sien. Puis le parfum qui se dégage de ses cheveux. Un parfum qui le séduit. Peu à peu, son esprit revient vers les derniers événements…
Doucement, il ouvre un œil et découvre Damia endormie dans son plus simple appareil. Ses mains ont la mémoire des caresses sur sa peau. Un sourire lui échappe en songeant au plaisir éprouvé à vivre ce vieux rêve. A sa plus grande surprise, Zac s’est senti assez en confiance pour être démonstratif. Tendre même. Il se love contre le dos de la détective la ceinturant en douceur. Il pose un baiser sur son omoplate.
-”Qu’est-ce que tu bois pour le petit déjeuner ? ” Peut-être que ce n’est plus du thé. Zac a envie d’apprendre de nouveau. Mieux, il a envie de trouver de la complicité entre eux. Son nez se perd un peu contre la chevelure de Kapoor. Ce sont des odeurs qui le nourrissent d’une quiétude indéfinissable. Lentement, il s’écarte pour s'asseoir au bord du lit. Il repère son caleçon sur le sol et l’attrape pour le passer. A pas de loup, il quitte la chambre de Damia pour aller à la cuisine. Le plus doucement possible, le nouveau locataire commence son excursion dans les rangements. Il trouve de quoi servir un jus de fruit, des tasses, des fruits.
Quand il repousse la porte de la chambre, Zac tient le plateau improvisé. Il pousse une chaise du pied et dépose sa préparation près de sa logeuse. Son regard s’attarde sur elle. Il a un petit sourire. -”Damia ? … je dois récupérer un colis. … Je repasse après. ” Lui laissant le temps d’émerger, le mec prend le chemin de la salle de bain pour un rapide passage en douche. Une bonne humeur inattendue lui donne envie de chantonner.
C'est une étrange excitation qui commence à monter en moi, doublement même... la première est celle de le retrouver, et de peut-être, si les choses tournent bien, de travailler avec lui. On est encore des étrangers, après toutes ces années passées loin de l'autre, lui avec sa vie et moi avec la mienne, nous étant quittés quasiment encore enfants, et nous retrouvant en tant qu'adultes avec nos vies compliquées derrière nous, mais pourtant... pourtant j'y crois. J'espère que ça va marcher, que le lien entre nous va se retisser, sûrement pas le même qu'autrefois, avec l'innocence et la fraîcheur de la jeunesse, mais plutôt teinté de sueur, de nuits blanches et d'alcool mais... j'ai envie d'y croire. Moi qui attends toujours le pire de peur d'être déçue, j'espère sincèrement qu'on va retrouver un peu de ce qu'on avait avant, et créer quelque chose de nouveau... J'ai des amis, bien sûr, mais à part Jess et quelques rares élus, je suis toujours sur le qui-vive, craignant que la moindre chose que je partage puisse se retourner contre moi... Alors qu'avec Zac... peut-être que je pourrais avoir quelqu'un à qui je n'ai pas besoin de mentir, de cacher quoi que ce soit... et de partager quelques soirées par semaine... Ca me ferait du bien, mais il ne faut pas non plus que je m'emballe et que je projette sur lui ce que j'ai envie de voir, et pas ce qu'il est, réellement. Et la deuxième est aussi le fait de bosser ensemble, d'avoir un vrai partenaire sur qui je puisse compter, parce que je compte pour lui, et pas parce que je le paie bien. Enorme différence dans mon métier. Pitié non... mais tu peux m'appeler Dieu. Simple. Sobre. Efficace. Plus sérieusement, Damia ça sera parfait...
Puis, une fois que les choses sont à peu près claires, et qu'il n'y a plus besoin de parler, je laisse autre chose parler : cette envie de lui que j'ai depuis que je dois avoir quinze ans et qui est, à ma grande surprise lorsqu'on s'est revus, toujours présente. Ce frisson de sentir son corps près du mien, la chaleur qu'un regard comme un contact peut provoquer... Je ne m'y attendais pas, que ça revienne avec une telle intensité mais peut-être est-ce lié au fait qu'on n'est jamais passé à l'acte, et qu'à part quelques pelles fiévreuses et des caresses maladroites, il n'y a rien eu de plus. Maintenant rien ne nous retient, et je préfère expédier ça, ou plutôt me faire enfin une idée, pour soit en profiter enfin, soit laisser ça derrière moi et qu'on n'en parle plus... Alors j'attaque, loin de la jeune fille timide que j'étais à ce sujet, et lui expose clairement ce que je veux et que j'attends de lui. Lui, tout simplement. Ce sale gosse ne dit rien, mais à son sourire et son regard je comprends vite qu'il veut la même chose que moi. Et en peu de temps mon canapé accueille nos retrouvailles fort peu chrétiennes, qui se poursuivent en haut, dans ma chambre.
J'ouvre les yeux en sentant un contact contre mon corps nu : deux bras qui m'enserrent la taille et je souris en me rappelant de la nuit passée... C'était presque aussi bien que ce que je m'étais imaginée, ado, dans ma chambre quand je l'observais lire torse nu dans son jardin et autres... avec un délicieux goût de "Reviens-y". Je m'étire doucement, lui tournant le dos.
Du thé noir à l'orange... C'est une boite dorée dans la cuisine...
Je l'écoute alors qu'il s'éloigne de moi, et au bruit du tissu je comprends qu'il se rhabille. Monsieur serait-il du genre à rester pour le petit déjeuner? On dirait bien que oui... J'attends qu'il sorte pour quitter le lit à mon tour, passer mon kimono dans lequel je m'enroule, et surtout me brosser les dents. Rien de pire qu'un haleine à tuer une chèvre pour soigner le romantisme... Je finis tout juste de me préparer que j'entends des pas dans l'escalier et souris, vraiment surprise, quand je le vois s'approcher avec un plateau bien garni. Eh bien eh bien... Je l'aide à poser le petit déjeuner sur le lit, admirant les courbes de son corps d'homme.
Tu me sors le grand jeu on dirait... C'est pour sécuriser ta place et que je comprenne que je ne peux plus rien faire sans toi? Ou par pure démarche désintéressée?
J'ai un léger rire, vraiment impressionnée. Je ne m'attendais à rien, je n'aurais pas été surprise de me retrouver seule dans mon lit à mon réveil : on ne s'est rien promis, alors qu'il reste, et ça, me surprend plus qu'agréablement... Et je porte la tasse fumante à mes lèvres alors qu'il se dirige vers la salle de bains. Fronçant les sourcils, je la repose avant de me lever et le rejoindre.
Tu es sûr que tu ne veux pas qu'on déjeune ensemble, et ensuite vaquer à tes occupations? Je ne sais pas si je vais t'attendre pour manger, j'ai une faim de loup...
Abandonnant mon kimono sur le sol, je me glisse derrière lui et sème de légers baisers sur ses épaules.
Un ancien Striker peut-il encore agir par altruisme profond ? Question qui mériterait une vraie discussion. Junior n’est ni surpris, ni offusqué par le bon sens de son amante. Damia est une femme qui a la tête sur les épaules. Elle connaît le genre humain et ne se fait pas trop d’illusions. Arrivés à ce stade de leur existence c’est un avantage. Oui, cela simplifie la relation. Aucun d’eux ne s’attend à avoir la personne parfaite sous son nez.
-”Tu me sors le grand jeu on dirait... C'est pour sécuriser ta place et que je comprenne que je ne peux plus rien faire sans toi? Ou par pure démarche désintéressée? ”
-”A toi de voir. ” Fait-il, dans un sourire crâneur. Il n’a pas envie de mentir à Kapoor. Il préfère donc qu’elle se fasse son opinion propre. Peut-être se rendra-t-elle compte qu’il n’y a pas de calcul. Damia n’est pas une fille de la nuit. Leur contrat sentimental est bien plus solide que celui qu’il fait avec une copine de passage, une prostituée sympathique.
-”Tu es sûr que tu ne veux pas qu'on déjeune ensemble, et ensuite vaquer à tes occupations? Je ne sais pas si je vais t'attendre pour manger, j'ai une faim de loup... ” L’eau coule juste après. Sanders sourit en coin. Son esprit taquin suppose la raison de cet appétit. Il est secrètement content de lui. Une femme qui a faim mérite toujours d’être nourrie! -” D’acc! ” Il détache le pomo pour partager l’eau tiède avec elle.
Cette douche partagée est un moment tout à fait agréable. Zac se propose pour laver le dos de la belle. Il aime le sexe, comme il aime les câlins. C’est grâce à sa dernière cure de désintoxication qu’il a réussi à renouer avec ses désirs les plus profonds. Celui de se sentir complice avec autrui. Une fois hors de la cabine, il passe une serviette sur sa taille, le temps de sécher. Ses tatouages sont exposés à la lumière crue du plafonnier. -”Ça fait du bien. ” Il pose un baiser sur la joue de la détective. -”Merci.”
Une fois sec, Zac attrape ses habits de la vieille pour les passer rapidement. S’il s’était douté de l’évolution de ce dîner, il aurait prévu un change. Pieds nus, il regagne le dit et attrape sa propre tasse de thé noir à l’orange. Tout en buvant, il regarde Damia. Elle a un charme certain. Lui sent la joie et l’espoir se battre contre son rationalisme forcené. Qui s’imagine, que derrière la gueule de loup, se trouve un mec au cœur sensible ? -”Bien dormi ? ” Lui a un réflexe animal et va vers la chaleur corporelle de l’autre. Viven le disait pot-de-colle.
Un coup d'œil sur sa montre. L’heure avance. Mais, Sanders a moins de motivation pour se mettre en mouvement. Il se serait bien contenté d’une matinée sur canapé à discuter avec Damia. Mais, avant de penser à ce genre de choses, autant savoir quel est l’état d’esprit de la brune. Il n’a pas envie de se prendre un revers. -”... Tu vois la suite comment ?” Direct, c’est ce qu’il faut dans ces situations.
Puisqu’ils débutent une collaboration professionnelle, il est tout de même important de s’accorder sur le fonctionnement. Ca évitera de se compliquer la vie et de se faire des nœuds au cerveau. L’ancien flic a mêlé le pro et le privé dans des relations. Ça a plus ou bien marché. -”C’était très sympa. … ” Honnête, oui, Sanders a aimé. Il prend un truc à manger. -”Ca ne me gêne pas d’avoir les deux. ” Comme cela, c’est la dame qui a les clefs en mains. A elle de lui dire ce dont elle a vraiment envie.
