«Sa mère le lui a peut-être déjà conseillé. Je n’ai pas assisté à toutes leurs discussions». Cela aurait été au moins une bonne chose que sa mère aurait pu faire pour elle, après tout ce que Violet avait vécu. En même temps, il semblait que ni Alexia ni Oliver n’aient pris leur part de responsabilité dans le mariage entre le baron et leur fille. Sans doute parce qu’ils n’acceptaient pas avoir fait partie du problème. Alors, cela aurait été étonnant qu’ils lui prodiguent des conseils maintenant, mais bon. Alexia avait peut-être changé.

Le fait qu’elle accepte Dalia était déjà un progrès. Si ça n’avait pas été le cas, Prem n’aurait jamais suggéré de réconciliations. Mine de rien, Amélia et Zenon avaient été des grands-parents de remplacement idéaux, et Prem espérait que Dalia et Philip puissent grandir avec la même complicité qu’un cousin avec sa cousine. «Bien entendu, laissons-le grandir un peu, ça arrivera plus vite que vous ne le pensez. Parfois j’ai l’impression que c’était hier que je pouvais tenir Dalia dans le creux de mes bras». Sa fille n’était encore qu’un bébé, mais à deux ans, elle savait déjà s’exprimer et comment dire non maintenant. C’était à la fois merveilleux de la voir grandir, et triste que ce soit si rapide.

Il n’osait même pas encore penser ce que ce serait quand elle serait adolescente. Elle ferait des erreurs, des gestes de rébellion, comme ses parents avant elle, et elle en serait toute excusée. «Quand j’ai rencontré Violet, elle fumait, alors oui, ça ne m’étonnerait pas qu’elle ait essayé». Il ne lui avait jamais demandé d’où lui était venue cette habitude d’ailleurs. Il se doutait que, comme lui, la raison devait être insignifiante. Un geste de révolte qui s’était transformé en mauvaise habitude. Cependant, ce dont il parlait était plus grave que ça.

La réaction de surprise de Joy le fit rougir de honte. Prem regrettait ce qu’il avait fait, mais il ne pouvait pas l’effacer. Cela faisait partie de son passé. «J’ai dit à Violet que j’ai fréquenté, mais que je n’avais jamais eu rien de sérieux». En soit, c’était la vérité, mais était-elle incomplète? La réaction de Joy lui laissait supposer que oui, cependant, elle lui amenait des pistes de solutions intéressantes. Considérant que cette période de sa vie était la plus sombre, se remémorer tout ça assombrit son regard.

«Le sexe n’a jamais été tabou dans ma famille. À cause de ma mère, mais de ma culture aussi». Joy avait grandi en Inde, alors, elle saurait peut-être ce qu’il voulait dire, car la relation avec le sexe est bien différente qu’en Europe. Il était encouragé et célébré. Nécessaire, même dans le couple. Une façon de se rapprocher du Nirvana, et de Dieu. Tout cela devait cependant demeurer dans les confins du mariage. Selon les Écritures, l’union des corps de deux âmes qui s’aiment profondément est ce qu’il y a de plus beau. «Quand j’ai rejeté mes fiançailles et tout le reste, j’étais profondément malheureux, et seul», raconta-t-il. Ses parents ne lui parlaient plus, et à part Jasmeet, personne d’autre de la communauté ne lui adressait la parole. Puisqu’il avait rejeté leurs traditions, ils faisaient de même pour lui. «J’imagine que le sexe était un exutoire. Je n’ai jamais cherché davantage que des coups d’un soir. Les escortes offraient un service, une solution rapide à un besoin, voilà tout. J’espère juste que Violet pourra le comprendre».

Il ne l’avait pas trompé. Il n’avait pas fréquenté quelqu’un dans son dos, ou en cachette. Tout cela, c’était avant elle, et n’était pas plus significatif qu’une transaction entre personnes consentantes. Pourquoi coucher avec quelqu’un devient-il honteux dès qu’il y a de l’argent sur la table?

Prem considéra les conseils de Joy avec attention, car elle était peut-être la personne la mieux placée pour le guider. Violet avait changé, mais le sujet restait encore tabou, même pour des personnes en dehors de l’aristocratie. Il devait se dire que, au moins, il ne lui avait pas causé de tort, puisque tout ça s’était passé avant leur rencontre. «Je ne sais pas si ce sera la conversation la plus gênante que moi et Violet auront eu, mais elle en fera sans doute partie. Je pense que c’est important qu’elle sache, parce que je ne veux pas de secret entre nous deux. Pour ça, je devrais accepter sa réaction, peu importe comment elle le prendra». Après tout, si ça lui ferait un poids en moins, ce sera Violet qui devra composer avec cette information. Tout ce qu’il pouvait faire, c’est d’être compréhensif.

Évidemment, il se sentait coupable malgré tout. Non seulement ce n’était pas quelque chose dont il était fier, mais d’avoir omis ces circonstances à sa femme serrait son coeur de honte. «Je vais essayer de trouver le bon moment», promit-il à Joy, qui le mettait en garde contre les coups de tête. «Je veux lui en parler sincèrement. Elle mérite de le savoir. C’est juste que chaque fois que j’y pense, je vois la déception dans ses yeux et… » Prem serra son poing. Il aurait beaucoup de mal à supporter cela. Il lui avait promis d’être le meilleur mari qu’elle puisse imaginer, et il avait l’impression d’échouer.

Attentif au récit de Joy, son coeur souffrait pour elle en l’entendant parler de son agression. C’était une cicatrice qui ne guérissait pas, mais cela étonna Prem quand Joy affirma que parler de sexualité pouvait être libérateur pour les victimes d’abus. Était-ce la même chose pour Violet? Potentiellement. «Je vais garder ton conseil en mémoire. Je pensais que j’en parlais suffisamment, mais peut-être pas. Là-dessus au moins, je suis en terrain connu», dit-il en esquissant un sourire. Depuis le début, Prem mettait un point d’honneur à toujours être doux avec elle. Il la poussait à explorer, à tenter, à exprimer ses désirs et ses envies sans jamais la forcer.

Prem prit alors les mains de Joy avec chaleur. «Tu m’as donné beaucoup de choses sur lesquelles réfléchir, chère Joy. Merci. C’est toujours un plaisir de discuter avec toi. Ça faisait trop longtemps! Parfois, il n’y a que toi et Oscar pour me remettre sur le bon chemin», lui dit-il, l’air moqueur, avant de se lever, et de la saluer une dernière fois en l’embrassant sur la joue. «Je dois y aller. Je suis sûr que le livre fera fureur à la maison. Prends soin de toi mon amie. J'espère que tu me donneras bientôt des nouvelles de ton mariage».