La plupart du temps les esprits me laissent tranquilles, ou alors attendent une séance de spiritisme, seule ou pour un client pour se manifester. J'ai parfois des impressions et des sensations, parfois c'est un signe un peu plus direct comme une tache d'eau sur une lettre précise du journal, le rond de ma tasse entourant un nom ou un article, une tache de marmelade qui souligne du texte… De petits signes, anodins pour la plupart, mais que j'ai appris à lire et à comprendre grâce à ma grand-mère. C'est elle qui toute petite m'a appris à comprendre mon dos et le guider, l'accepter et l'utiliser sans que j'aie peur, sans que je sois submergée. Une voix à la fois comme elle l'a beaucoup répété.
Surtout j'ai appris à ne pas les craindre, à voir en elles ce qu'elles étaient : des âmes perdues, apeurées, parfois en colère, mais qui sont surtout coincées. A moi de leur apporter ce qu'il fallait pour franchir la barrière séparant ce monde de l'autre et leur donner la paix. Souvent c'est un message à transmettre, une action inachevée à compléter, et en quelques heures, quelques recherches sur Internet et quelques coups de fil, ça peut être réglé. Quelques fois plus épineux, mais c'est rare… car chacune de ces âmes que je n'ai pu aider me hante. Pas tous les jours bien sûr, mais j'y pense régulièrement et je pense que ça sera le cas jusqu'à la fin de mes jours.
Cette nuit là je dors paisiblement dans mon lit, Pirate mon chat borgne à mes côtés, quand je sens un courant d'air froid sur mon épaule. Je grogne, me retourne, et dans une semi-inconscience me rends compte que je suis sous la couette, et donc incapable de sentir un coup de vent. Je sursaute, rouvrant les yeux et me redresse. C'est là que je remarque une présence face à moi, au pied du lit. Je ne sais pas si c'est un homme ou une femme mais je sens de la douleur et de la tristesse. Un esprit, et un esprit perdu on dirait…
J'essaie de lui parler, mais en quelques instants j'entends quelque chose se renverser avant que la silhouette brumeuse disparaisse, face à un Pirate au poil hérissé qui crache sur le vide. J'allume la lumière, m'extirpe de sous les couvertures avant d'aller contempler l'étendue des dégâts. Un verre renversé sur ma table basse, qui est composée d'une vieille carte de Londres sous une plaque de verre. La tache est concentrée sur une zone de forêt pas loin de Londres. Je prends note de la zone, éponge rapidement l'eau avec un vieux tshirt et retourne me coucher.
Le dimanche je profite du fait que la boutique soit fermée et monte sur la selle de ma moto. Le temps est beau, je roule sur des routes sinueuses bordées d'arbres centenaires et l'air sent la mousse humide. Le genre de moment où on se sent vivant, appartenant au monde. Puis dans la zone délimitée par la tache d'eau de la veille je me gare, coupant le contact et rangeant mon casque une fois sur le bas côté, m'arrêtant près d'une aire de pique-nique. De là je sors mon pendule, ferme les yeux, et me concentre, faisant glisser la chaînette entre mes doigts, laissant la pointe d'améthyste bouger librement. Ce n'est clairement pas mon instrument de prédilection, contrairement à ma grand mère qui a un lien très puissant avec le bijou celte trouvé près d'un tumulus et qu'elle utilise comme pendule depuis toute petite. Sauf qu'ici les lettres ne me sont d'aucune utilité, et il me faut un outil pour me montrer concrètement le chemin.
Je marche environ cinq minutes, guidée par la flèche pointant fermement dans une bonne direction comme un chien de chasse ayant repéré une proie, et je ne m'arrête que lorsque le pendule fait des cercles, sans bouger d'un côté ou de l'autre. C'est ici. La terre semble un peu plus agitée qu'ailleurs, mais c'est peut-être simplement un passage de sangliers, ou des gens ayant cueilli des champignons... Une chose est sûre, je préviens Zac, qui fait jouer ses anciens contacts dans la police afin d'envoyer une équipe.
Et bingo... à même pas un mètre sous la surface on déterre un corps en décomposition... un corps enterré. Sauf qu'il n'y a aucun moyen de l'identifier, aucune pièce d'identité, rien du tout... Je prends simplement une photo volée avant de filer une fois que la police me laisse m'en aller, et je retourne rapidement chez moi pour tenter de communiquer avec l'esprit tranquillement, et chercher à savoir qui il est, et s'il attend encore quelque chose de moi. Je tire des lettres et j'obtiens un nom que je lie à la morgue, merci Internet. Le soir même je m'y rends, espérant qu'il soit là, et par chance c'est le cas. Je me fais passer pour une cousine lui faisant une surprise pour qu'on me laisse descendre avec un badge visiteur, et je toque à la porte de son bureau.
Gustav? Gustav Brenner? Je suis... je m'appelle Lowri et je suis désolée de débarquer ici comme ça surtout qu'on ne se connaît pas mais je... j'aimerais savoir si vous n'avez pas perdu quelqu'un récemment. Quelqu'un dont le corps n'aurait pas été trouvé...
Profession : Medium, tient une boutique ésotérique
Etat Civil : En couple avec le beau Tyrgan <3
Dim 24 Mar - 16:53
Gustav Brener
THE GHOST WHO WALKS
« Manes nobis loquuntur »
Avril 2029
Le printemps était en train de s’installer sur l’île. La lumière et la nature qui revenait à la vie. Cela réveillait tout le temps des élans d’espoirs et des élans de désespoir. Les sociologues cherchaient à expliquer ce phénomène depuis des années. A cette période, il était assez courant que des personnes sautent dans la Tamise. Il y avait d’ailleurs une jeune femme qui était dans la chambre froide actuellement. Brener s’occupait du dossier administratif de cette Jane Doe, sur les notes de Vivaldi.
Il était le seul en service pour la nuit. La soirée était plutôt calme. Il y avait fort à parier qu’il n’allait pas voir un chat. Cela lui allait bien au fond. Il n’avait pas l’esprit à sociabiliser. Il recherchait cette solitude. Au moins, il était certain ainsi que personne ne serait en danger avec lui. Il n’aurait pas… la vie de quelqu’un entre ses mains. Il n’était pas remonté donner un coup de main aux Urgences depuis… Depuis le drame qu’ils avaient vécu. Gus était brisé de l’intérieur. Il savait qu’il n’était plus capable de voir quelqu’un souffrir.
Le plus dur était de cohabiter avec les émotions et les sentiments, de culpabilité, de tristesse et de honte. La mère de David cherchait à le joindre souvent. La disparition du jeune homme avait été signalée à la police. Ils étaient à sa recherche. Dallas avait caché le cadavre. Mais, il y avait une possibilité que cela ne suffise pas. Gustav avait parfois songé à aller au commissariat pour parler. Mais, il voulait aussi protéger Eddy. Il devait donc se focaliser sur autre chose.
Le rythme de travail nocturne commençait à prendre racine en lui. Tant et si bien qu’il se demandait s’il n’allait pas postuler pour faire exclusivement les trois huit de nuit. Après tout, personne ne l’attendait plus, pour dormir depuis un moment. Ce serait une discussion à voir avec le chef de service lors de son prochain entretien. Gus a encore le temps de voir venir. Il releva le nez du papier pour apprécier un passage de violon dans le morceau. Les notes s’envolaient en lui donnant l’impression d’un petit mouvement céleste. Juste après cela l’alarme lumineuse au-dessus de la porte clignota.
Gustav baissa le casque. Il avait tendance à s’isoler quand il bossait seul. Cela l’aidait à se concentrer et en particulier en ce moment. Il poussa le fauteuil à roulettes d’un coup de talon et se leva dans le mouvement. Une jeune femme se trouvait là. Une inconnue qui portait un badge visiteur. Peut-être une fille des services sociaux de la ville. Elles venaient parfois faire des identifications.
-”Gustav? Gustav Brenner? Je suis... je m'appelle Lowri et je suis désolée de débarquer ici comme ça surtout qu'on ne se connaît pas mais je... j'aimerais savoir si vous n'avez pas perdu quelqu'un récemment. Quelqu'un dont le corps n'aurait pas été trouvé... “ Gus sentit qu’il se mortifia de l’intérieur. Le sang dans ses veines se refroidissait brusquement. Une sueur froide envahissait sa nuque.
Il devait rationaliser et vite. “Lowri” ne portent pas d’insigne. Elle n’avait pas indiqué de statue. -”Vous êtes de la police ? ” Il voulait savoir à qui il s’adressait précisément. Dans une partie de son esprit Brener commençait déjà à tisser les liens d’une fable plausible. Bien sûr, il aurait dû être mieux préparé à cette éventualité.
Les sens de Gustav le poussait à observer le vide à la droite de cette étrange visiteuse. Il avait la sensation qu'il y avait ...
Gustav - David
Gustav Brener
CALL AN AMBULANCE!
Messages : 84
Date d'inscription : 01/05/2023
Localisation : Londres
Profession : technicien de la morgue
Etat Civil : Célibataire
Ven 29 Mar - 10:03
Lowri Conway
The Ghost Who Walks
Gustav & Lowri
C'est quelque chose que je déteste faire, car c'est tellement difficile : annoncer une mauvaise nouvelle. La plupart du temps les messages que j'ai à transmettre sont des messages d'amour, les morts voulant principalement rassurer ceux qu'ils ont laissés derrière eux, leur dire que tout va bien et qu'ils n'ont pas à être tristes. Parfois ça s'accompagne de conseils, d'indices sur où est caché un éventuel objet de valeur et ce sont des moments magnifiques que j'ai la chance de pouvoir partager. C'est toujours une joie de voir des larmes de soulagement, d'entendre des mots d'amour et de soutien… je suis fière de faire partie de tout ça, de ce processus… Parfois ce sont de vieux secrets de familles qui remontent à la surface, ou comme maintenant, un décès… surtout que je vais être la porteuse de la mauvaise nouvelle, car le corps n'a même pas été identifié. Me dire que pour la personne que je vais voir, il y aura un avant et un après, et que tant que je me tiens sur le pas de cette porte, tant que ma bouche reste fermée, son monde restera intact pendant encore quelques secondes, avant de basculer. Le changement sera peut-être infime, ou peut-être immense, mais maintenant tout dépend de moi.
J'hésite une seconde, observant le jeune homme travailler, penché sur une table d'examen sur laquelle est installé un défunt, un casque maintenant glissé autour du cou. Je me présente rapidement et attends quelques secondes avant de secouer la tête à sa réponse.
Non… je ne travaille pas pour la police. Je…
Allez, le moment où je vais passer pour la folle de service. Un passage obligé qui passe ou qui casse… Le nombre de fois où je me suis fait hurler dessus, foutre dehors, accuser d'en vouloir à l'argent du défunt ou sa famille… J'inspire profondément et fais un pas vers lui.
Je suis médium. Ca peut paraître dingue je sais mais votre ami… votre ami David est décédé et il est venu me voir. Il cherchait à vous contacter et m'a mené jusqu'à son corps enterré dans les bois. La police devrait vous contacter bientôt une fois que le corps aura été identifié mais il m'a demandé de vous voir. De vous transmettre un message. Je suis désolée de vous annoncer cette nouvelle… Je vous donne mon numéro si vous voulez en parler davantage… ou si vous voulez discuter avec lui. Je… vais vous laisser tranquille pour… pour prendre conscience de tout ça. Et je… je ne demande pas d'argent. Encore une fois je suis désolée pour la perte de votre ami. Il tenait beaucoup à vous pour être arrivé à me trouver et à me faire passer un message… Je… à plus tard Gustav…
Je dépose un papier sur la table à côté de moi et recule, avant de tourner les talons et pousser la porte pour retourner dans le couloir éclairé de néons violents.
