Quand je suis dans mes créations, plus rien ne compte et tout le monde le sait. Ma famille a abandonné de me courir après pour avoir des réponses rapides à leur sms ou bien leur appel, ils savent que la seule chose qui peut me faire sortir de mes tableaux est la sonnerie de mon agenda alors ils se contentent de le remplir des obligations familiales en prévoyant toujours une marge de sécurité le temps que je réagisse, me lave et les rejoindre. Quant à Angus, Sully ou Nathan ils viennent me nourrir quand ils voient l’heure du repas qui passe sans me voir apparaitre, présence plus ou moins silencieuse (le moins étant pour Nathan) qui apparait pour me dire « Il est l’heure de manger » avant de disparaitre. J’ai une note au Four Birds et je soupçonne quelque peu Angus de ne pas y inscrire tous les repas alors je laisse toujours un peu plus et je lui offre les tableaux qui lui plaisent, toujours heureuse de pouvoir le remercier de tout ce qu’il fait pour moi depuis le temps.

Les derniers mois ont changé beaucoup de choses pour ma famille et moi-même. Elevée dans la noblesse mais en branche lointaine j’ai toujours profité des avantages sans vraiment en avoir les inconvénients. On m’a appris à me comporter correctement dès toute petite pour ne pas froisser les susceptibilités de mes oncles, tantes et cousins et je l’ai fait, plutôt malléable comme jeune femme tant qu’on me laisse vivre des mes passions. Ce que ma famille m’a toujours laissé faire comme j’ai toujours joué le jeu. Aujourd’hui la mort de mon oncle change la donne, nous nous retrouvons la famille héritière suite à la bataille de ma mère et les obligations deviennent plus nombreuses mais j’ai gardé ma liberté de peindre car cela ne fait pas d’ombre à ma famille. Les miens aiment cette fibre artistique qui n’anime mon frère et moi et sont plutôt fiers d’avoir une fille qui commence à être bien connue.

Je suis en train de travailler mes ombres quand tu frappes et suis bien trop concentrée pour réagir tout de suite à ta présence, consciencieuse sur cette nouvelle création que j’espère bien pouvoir exposer au prochain vernissage de la galerie. Quand tu finis par te racler un peu la gorge je sursaute, poussant un petit cri de surprise, avant de faire tomber mon pinceau et ma palette, collant de la peinture absolument partout sur les pieds de mon chevalet et le sol. « Oh non !!! » Zut zut zut ! Je regarde mes chaussettes montantes en laine qui n’ont pas résisté à cette explosion de couleurs, heureusement qu’elles en ont l’habitude. Je me retourne en repoussant une mèche de mes cheveux blancs et remontant mes lunettes sur mon nez, me faisant une belle trace de peinture violette au passage sur le front. « Oh bonjour ! Non non, je ne vous ai juste pas entendu entrer. » Je m’accroupis pour ramener mes affaires, attrapant un grand tissu déjà plein de couleurs pour nettoyer un peu les dégâts au sol avant de tout poser sur le petit tabouret et de venir vers toi. Je repousse de nouveau une mèche, me remettant de la couleur sur la joue, avant de te sourire. « Merci beaucoup, Angus a bien fait de vous dire de venir. » Je te tends ma main avant de réaliser qu’elle est pleine de peinture aussi je te tends plutôt mon poignet. « Je suis Jill Howard. On se connait n’est ce pas ? » Je suis sûre de t’avoir déjà vu mais je ne sais plus où. En attendant je reprends le tissu pour m’essuyer les mains avant de le coincer dans la poche arrière de mon short.

Je rosis légèrement quand tu m’expliques qui tu es. Bien entendu, la famille Evans, j’ai beau tout apprendre des familles nobles pour être capable de me présenter correctement, je n’ai pas encore tous les visages en mémoire. « Oui bien sur, je m’excuse de ne pas vous avoir reconnu, je suis distraite parfois. » Parfois ? Souvent même mais nous n’en sommes pas à ce niveau là d’intimité pour faire de l’humour, surtout quand il s’agit de la noblesse aussi je me contente de te tendre la main. Le protocole voudrait que je fasse une révérence mais nous ne sommes pas entre Duc et Duchesse mais entre « hériters » et pas les aînés aussi je me permets de faire cela plus franchement, espérant que cela ne pose pas de soucis. Tu ne sembles pas être là en tant que représentant de ton père vu ta tenue décontractée donc je mise pour me comporter de même.

Je suis surprise de ton mouvement pour essuyer la peinture sur ma joue mais te laisse faire, remontant avec mon poignet mes lunettes de nouveau. « Merci mais n’allez pas vous tâcher, je vais aller me nettoyer le visage. » Surtout que la peinture ne part pas si facilement. Je te souris doucement quand tu me présentes tes condoléances, de la tristesse passe sur mon visage sans que je ne cherche à la cacher. Même si nous n’étions pas particulièrement proches avec mon oncle il restait mon sang et la condition de leur disparition est tragique. Ma tante était dure mais une femme juste et mes cousins bien trop jeunes pour mourir. « Merci cela me touche. » Parce que je sais que ta famille a déjà fait le nécessaire aussi tes pensées me vont trop au cœur. « Je ne sais pas s’il y a un âge acceptable pour mourir mais ils étaient bien trop jeunes. Mes cousins avaient tellement de projets, la vie est bien terrible parfois. » Si terrible…

Je chasse mon chagrin d’un petit sourire avant d’aller vers le point d’eau de ce qui était anciennement une cuisine et commence à nettoyer mon visage, remarquant que la peinture y est bien étalée désormais. « C’est une chose d’avoir été élevée dans les règles de la noblesse et une autre d’être la famille héritière en effet. Mes parents m’ont tout appris mais cela restait très ponctuel. Aujourd’hui c’est une stature de chaque instant à garder et j’avoue être loin d’être infaillible mais cela viendra avec le temps. » Je ne m’en inquiète pas trop. « Mon frère et moi sommes dans le domaine des arts tous les deux, notre ainé est plus dans la politique comme Père donc nous avons tous trouvé notre place. » Et vu que nous avons désormais une bonne renommée mon frère et moi notre famille accepte que nous gardions ce côté artistique. Cela fait une bonne réputation aux nôtres vis à vis des familles comme les Evans par exemple qui sont liés à ce domaine.

Je reviens en essuyant mes mains, te rejoignant devant mon dernier tableau. « Tout a fait, votre père a apprécié plusieurs de mes toiles et m’a proposé d’exposer il y a une année désormais. C’était une occasion en or. J’expose dans une galerie de Londres dans deux mois, j’ai encore quelques toiles à travailler avant d’être prête. » J’avais prévu plus d’expositions mais les changements dans la famille m’ont donné autre chose à penser et mon style s’accommode mal au deuil. J’ai deux œuvres en hommage aux miens d’ailleurs, je les dévoilerais lors de cette exposition. « Vous désirez voir d’autres toiles ? » J’en ai deux ou trois que je peux montrer avec plaisir si c’est ce que tu désires. « Vous étudiez dans l’évènementiel si je me souviens bien n’est ce pas ? Cela se passe bien ? » Je vais chercher une bouteille de smothie que Nathan m’a ramené quelques heures plus tôt. « Vous désirez quelque chose à boire ? Je pense que c’est mangue, banane, kiwi, ananas… Et soja. J’ai du en oublier… » Enfin ça donne une idée.

Je te laisse observer les peintures, nous servant deux verres du dernier smoothie que m’a apporté Nathan, ne sachant pas exactement ce qui se trouve dedans. Les garçons connaissent mes gouts aussi ils ne me posent même plus la question et préparent mes repas et pauses gourmandes comme ils en ont envie. Parfois je fais testeuse aussi mais je le réalise après, quand Angus me demande ce que j’ai pensé de la nouvelle boisson. Cela m’amuse je dois bien l’avouer. Et puis j’ai une confiance totale dans les garçons du Four Birds, cela fait longtemps désormais qu’ils gardent un œil sur moi, toujours adorables. Je ne connais pas encore bien la petite nouvelle mais Nathan m’a dit que c’était une amie aussi je n’ai pas d’inquiétude, elle est certainement charmante aussi. Il faudrait que je prenne le temps d’aller discuter un peu avec elle mais mon emploi du temps s’est considérablement rempli depuis l’évolution des miens.

« Non mon frère cadet est sculpteur mais il a déjà exposé pour votre père. Attendez je vais vous montrer. » Je vais chercher mon téléphone. Enfin… J’essaie de le retrouver comme je peux car je suis un poil bordélique et finis par le dénicher sous un chiffon. Je souffle dessus, essuyant l’écran sur mes chaussettes montantes avant de le déverrouiller pour te montrer quelques sculptures. « Son atelier est ici aussi mais je ne peux pas vous montrer ses nouvelles pièces sans son accord. » Comme il travaille aussi sur sa prochaine exposition et que ses [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] du moment sont déjà dans une galerie. « Il expose en ce moment dans une galerie du centre. » Je te montre les photos de ce qu’il expose en ce moment pour que tu puisses y aller si tu le désires. Nous aimons tous les deux parler des œuvres de l’autre, ayant toujours partagé cette passion depuis tous petits même si je mets beaucoup plus de couleurs dans mes œuvres. Cependant nous aimons les courbes aussi bien l’un que l’autre.

Je pose mon téléphone pour reprendre nos deux verres et te tendre le tien en revenant devant mon tableau et te posant quelques questions sur toi aussi. « Oh oui je suis déjà venue au Pink en effet. J’y aime l’ambiance et la programmation. » Tout simplement. Je n’ai jamais été ennuyée là bas aussi j’y passe parfois certaines soirées avec des amis. « Je ne sors pas énormément, je peux me perdre bien trop longtemps dans mes créations et en oublier le reste. » Donc j’y passe nombre de mes soirées. « Vous désirez rester travailler là bas ou monter votre propre entreprise ensuite ? » Je ne sais pas si je suis trop curieuse mais je trouve cela très intéressant comme je ne suis clairement pas la plus calée sur le côté gestion de mon travail. C’est d’ailleurs toujours une plaie pour moi, si seulement je pouvais rester juste à créer.

Je souris à ta réflexion sur mes nouvelles toiles, réalisant que j’ai oublié de répondre à une autre de tes questions comme j’étais occupée à te faire découvrir mon frère. « J’ai eu du mal à peindre après le décès des miens, j’ai fait une pause, n’arrivant plus à retrouver mon trait aussi j’ai tenté une nouvelle technique. Désormais je mets du relief. » Tu lui montres qu’il y a des courbes en relief désormais sur certains endroit du dessin. « Comme une envie de montrer que la vie n’est pas lisse, elle est faite aussi d’obstacles qui n’empêchent pas pour autant de créer réellement un ensemble, une osmose. Je ne sais pas si je suis claire. » J’en ris doucement car tu es la première personne avec qui j’en parle comme je n’ai pas encore dévoilé ma nouvelle collection. « Vous êtes la première personne à les voir, mon discours n’est pas rodé. » Je t’adresse un petit sourire mutin. « Si c’est vraiment ce style là qui vous plait je peux vous montrer ce que je prépare pour l’exposition mais il faudra garder cela pour vous. » Puisque tu désires voir mes toiles coup de cœur je ne peux te montrer que les dernières qui me parlent le plus. Je vais retourner une [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] qui est le long du mur pour que tu puisses la voir. « Voici une des dernières. » Je passe la main dessus avec douceur, empathique envers mes toiles.

« Oui je vais aller y exposer aussi dans quelques mois. » Pas pour le moment comme je prépare mon expo et que mon frère est à la fin pour lui. Il a bien vendu donc il doit passer du temps à créer de nouveau mais nous avons prévu de faire expo commune dans 6 mois, le temps de nous remettre à créer. Mon frère est très perfectionniste, il met beaucoup plus de temps à créer que moi et puis le changement de statut de la famille l’impacte plus que moi aussi. La place des femmes dans la noblesse est toujours complexe et je ne suis pas du genre à me battre pour exister, je suis dans une bulle artistique que j’ai créé et que mes parents n’ont pas décidé de briser pour le moment, ce qui m’arrange parfaitement.

« Je n’y manquerais pas et je comprends votre envie de vous former avant de créer. Cela permet de partir avec de bonnes bases. » Même un artiste part rarement tout de suite avec son propre style. Il commence à en tester plusieurs avant de trouver le sien et de pouvoir vraiment se lancer dans ce domaine. C’est complexe et cela prend énormément de temps, ce qui explique que je suis parfois si tête en l’air et surtout peu enclin a sortir pour faire autre chose que peindre. C’est toute ma vie et même si j’aime voir du monde, cela m’a isolé un peu. Je ne m’en plains pas mais le monde de la nuit ne m’est pas particulièrement familier de ce fait. « Le monde de la nuit ne pose pas de soucis à vos parents ? » Cela ne reste pas commun pour un fils de Duc.

Je t’explique pourquoi mes tableaux ont changé et je suis heureuse de voir que cela te plait, tu es le premier à avoir un regard dessus donc cela compte énormément pour moi. Je ne te montre pas les autres, je vois bien tes yeux qui se posent dessus mais je préfère garder quelques surprises quand même. Surtout que tu es appréciateur alors je me dis que cela sera mieux ainsi. « Merci beaucoup je suis très heureuse que cela vous plaise. » Réellement. Je mets tout mon cœur dans mes toiles donc c’est agréable de voir que cela plait autant. « Je pense que c’est surtout difficile pour eux. Je suis une grande étourdie quand je suis dans mes créations aussi j’en oublie mes rendez vous. J’ai de multiples rappels pour ne pas faillir. Ce sont surtout mes frères qui ont eu du changement, moi je suis plutôt sereine vis-à-vis de tout cela. » Même si j’essaie de les épauler autant que je le peux. « L’avenir me dira si je peux continuer ainsi mais tant que je le peux, j’en profite. » Je t’adresse un doux sourire avant d’avoir justement un sms. « Je vais devoir y aller mais n’hésitez pas à repasser si vous le désirez. Ou nous nous croiserons peut être chez Angus. »