Le service s’est terminé vers 16H00. Je suis sensé reprendre le lendemain à 8h00. Mais, depuis quinze jours le code du travail est mis à la benne. On bosse beaucoup plus. C’est normal. Quand il y a une merde on est les premiers sur le terrain. C’est nous la première ligne. C’est comme quand j’étais à l’armée. En soi ça ne me dérange pas. J’aime être dans le feu de l’action.

En ce moment, je ne sais pas ce qui se passe dans cette ville, mais tout part en vrille. Les maisons qui prennent feu, les stations de métro qui prennent feu… Sérieux ! Cette ville est un volcan permanent. Je dirais bien que, ça m’arrange. Dans un certain sens oui ça me va… Je suis occupé. J’ai moins à penser. Moins de temps dispo pour de l’introspection à deux balles.

Mais de l’autre côté… J’ai beaucoup de mal à être cent/cent opérationnel. Je le vois bien. Et ça, ça me fait chier. Ca fait un petit moment que c’est comme. Je m’en rend bien compte. Je n’ai pas besoin de retourner voir la psy, pour savoir que ça date de la soirée où j’ai rencontré -revu ?- Lydia ? Il y a une corrélation des événements, qui est simple à piger. On s’est vus. De là tout part en couille dans ma tête.

D’ailleurs, j’ai bien été forcé de demander une ordonnance et de reprendre le traitement du début. Sans les inhibiteurs je pouvais dire adieux à mon poste, adieux au sommeil, en fait à tout. Ma chance, c’est que l’expérience aidant, je gère les effets secondaires beaucoup mieux aujourd’hui. Comme je ne suis pas homme à se laisser abattre, j’évite de trop m’isoler. Je vois du monde sur mon temps libre. J’ai lancé un appel aux potes. Voir qui était disponible pour aller boire un petit verre.

Eileen m’a répondu dans l’heure. C’est cool, parce que ça fait un moment qu’on n’a pas eu une opportunité de se croiser tous les deux. Y a parfois des regroupements sportifs, des pots de départs, ce genre de trucs. Mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Je lui ai donc proposé d’aller dans un de mes repères, le bien nommé “Red Corner”. A la différence des autres bars clandestins, il n’est pas sous la coupe de la Mafia. On peut se poser là-bas en toute tranquillité.

Je m’y pointe un petit peu en avance. Je n’ai rien d’autre à faire de toute façon. A part peut-être ranger ma piaule… Mais je ne suis pas avec une grande motivation pour le rangement. Je passe la porte. La soirée vient à peine de commencer. A part les piliers habituels, c’est plutôt vide. Je passe par le Bar pour faire une claque amicale à [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. On discute cinq minutes pour se donner des nouvelles. Je lui dis que je travaille sur une nouvelle chanson. Une chanson romantique. Ça le fait rire et moi aussi. Il faudra que je me donne assez de courage pour la terminer et l’envoyer à Nessa.

Je prend une des tables qui est à mi-distance de la scène. J’aime profiter de la musique. Je retire ma veste. Le daim commence à s’élimer. Mais je n’arrive pas à m’en débarrasser. Je remonte les manches de ma chemise au dessus des coudes. J’ouvre les deux premiers boutons. Je tape du pied sur le sol en cadence en attendant l'arrivée de la jeune femme.

_ EILEEN ! Je la vois qui tourne la tête dans ma direction. Je lui fait un signe et je lui souris. Je me penche au-dessus de la table pour pousser un peu la chaise face à moi, qu’elle puisse se poser direct. Je contourne la table pour l'accueillir et lui donner une accolade au lieu d'une bise, parce que je sais que c'est ce qui lui va le mieux. Cool d’être venue. Ça va ? Viens, qu’est-ce que tu prends ? Bière ? Je sais que la bière du mois est cool. Autant en profiter! Un peu de détente !

Je sens que son humeur n’est pas au beau fixe. Ca tient à un ou deux détails. Mais il y a des signes qui ne me trompe pas souvent. Andarsan et moi ne nous voyons pas souvent. Pas physiquement parlant, j’entend. Ceci dit on se connait d’abord par le biais du gaming. Soufflé-Girl ne sait pas pas connectée au serveur depuis quelques jours. Pas moyens de prendre des nouvelles de la miss. Mais, pas besoin d’aller chercher très loin les raisons. Chacun à notre façon au trinque quand Londres ne va pas bien.

_ Ouais voilà une bière. Je coupe court au moindre, début de soupçon, de protestation. Je sais bien qu’elle est l’Oie Blanche de Yard. Mais ce n’est pas une petite bière qui va l’amener à renier son âme. Je pourrais lui proposer un bon petit fue des caves de Rackman. Malheureusement, je sais bien qu’elle n’aura pas envie de tester la merveille. Crois-moi. On a bien mérité un petit plaisir. Dis-je en la scrutant. Est-ce que tu me fais confiance pour le choix ? Elle peut. Sans aller jusqu’à dire que je connais la carte par coeur… Je sais le panel offert.

Eileen ne prend jamais un chemin de traversse. J’admire ça chez elle. Ce n’est pas la seule chose que j’admire. Mais ça, c’est une vraie force de caractère. Dans la société actuelle c’est même une audace. Soufflé_Girl on la lui fait pas. Je ne me formalise pas avec elle. Elle ne peut pas me vexer. Je l’apprécie trop pour ça. Je reviendrais à l’attaque après.

_ Les news ? Boarf tu sais comme moi. C’est merde sur merde depuis le début de l’année. Sur le plan professionnel c’est la bérézina. On veut nous faire faire de l’or avec du plomb. Pierre Philosophale tout ça. Je lui adresse un regard entendu. Y a bien qu’avec elle que je peux citer la culture Potter sans passer pour un attardé. Ils me font rire les autres. En attendant JK a autant révolutionné notre culture que Lady D. J’en ai marre qu’on nous prenne pour des magiciens.

_ Hey Ludo. Alors pour elle et moi une bière du moi. Avec ça une carafe d’eau. J’veux bien aussi que tu nous mettes une planche pour deux. Je détourne mes yeux du chef de salle. Je regarde la flic. Je sais, je ne l’ai pas prévenue. Elle ne va pas forcément aimer cette impro. Mais, j’ai faim. J’ai les crocs. Je ne me rappelle pas de la dernière fois que j’ai mangé un truc. Plus y a de bouffe sur la table et plus les gens s’installent. Donc au moins comme ça on est bien. Posés. Pèpères.

Ludovic prend note. Il se retourne ensuite vers ma camarade de game. Il a ce sourire de bon gars qui est prêt à rendre tous les services de la terre. En vrai ce n’est pas le commerçant c’est lui. Une fois qu’il est reparti je reprends le fil de ma MAJ avec Soufflé. Je me frotte la barbe du menton en l’observant. Je sens mon humeur moins grise rien qu’à avoir un peu de compagnie humaine.

_ J’voudrais qu’on nous prenne au sérieux. J’ai relâché la lutte interne ces derniers mois. J’en ai marre de causer des heures avec les patrons pour ensuite me faire prendre par derrière. Mais, merde. Je suis un soldat. Un soldat quand il rencontre un problème bah il cherche les solution. Comme le joueur qui veut avancer dans sa partie. Sauf que là, je suis au point mort, pour tout.

Hey ! Elle me donne sa confiance pour un verre ! C’est un début ! Bien ! Ca veut dire qu’elle est open à se détendre. Parfait, parce qu’en vrai c’est ce dont j’ai besoin moi aussi. Ce qui est quand même un rien plus fastoche avec un peu de bière dans le sang. On me dira ce qu’on voudra!

_ Ca c’est parce que tu n’en as jamais goûté une bonne ! Fois de Mulligan. Y pas un Irlandais sur cette Terre qui lui dira autre chose. Je suis sûre de moi et je sais pourquoi. La bière c’est autant un art que le champagne de la haute. Il y a les petits et les grands crus. Mais pour le savoir faut avoir la culture qui va avec. Eileen a de la chance parce que moi je l’ai eu. Merci aux oncles! Je vais t’aider à faire ton éducation gustative. Pourquoi pas, faire de l’oenologie mais avec de la bière. Il y a sûrement un mot pour ça. C’est juste que je ne le connais pas. Je chercherais tiens.

_ Quand c’est comme ça. Tu sais quoi ? Je laisserais bien tout tomber ! Wep ! Quoi ? Je peux bien le dire. De toute façon ce n’est pas un secret. Ca fait un moment que je me pose des questions. Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Me casser le dos à porter des brancards et avoir trois sous quand je ne pourrais plus porter les petites vieilles au fémur cassé ? C’est quand même pas reluisant. Surtout quand je me voyais finir sur le champ d’honneur avec les Frère et les Soeurs. M’enfin !

_ Aux “JDM” ouais. T’as raison ! Un peu plus et je lui balance son pseudo. Je sais que ce n’est pas forcément aussi décomplexé pour les autres. D’avoir une identité sur la grande Toile. Pour moi c’est plutôt l’inverse. Post opératoir j’ai bien failli devenir un vrai No Life. Je sais que la tendance est toujours là. La seule chose qui me tient c’est que j’ai encore un minimum de discipline. Y a quand même des jours… comme celui-ci par exemple, où c’est sacrément tentant. Alala Eileen je te jure. On serait mieux à se dorer la pilule quelque part sur une île déserte. Personne pour nous faire C**** . Je prend une seconde bonne lampée. La fraîcheur du liquide me fait du bien. Je joue de mes épaules pour qu’elles se décontractent un peu plus. Je continue avec la nuque, le cou. Ca fait du bien ! Pas vrai ! T’en penses quoi de celle-ci ? Je prend la carafe pour servir nos verres en haut à côté. Y a pas de piège à cette table. Même si ça m’amuserait pas mal de voir la miss désinhibée.

Je prend un bout de pain et un peu de jambon avec un morceau de fromage. Il en faut peu pour être moins malheureux. Pas vrai !

_ Et alors ? Dis moi ? Quoi de neuf de ton côté ? Ca va ? J’enfourne ma bouchée. Mmm. Le porc est pas mal. Ca ne m’étonne pas. Ludo a toujours des bons produits ici. Je prépare un second morceau tout en attendant la réponse de ma chère camarade de tablée.