Tout le monde prendrait donc du thé. Le comte allait donc mettre de l'eau à chauffer, préparant la théière, tranquillement, avec un petit sourire pour son épouse, qui lui disait son plaisir du repas. S'ils avaient tous appréciés, c'était bien qu'il avait réussi. Il revenait donc avec les tasses et le thé fumant, alors que la chienne de la famille poussait des aboiements presque inquiétants. Tout ça pour un chat. Il secoua légèrement la tête.
- Même les chiens essaient de se rendre intéressant. Elle se moque des chats en général. Pour tranquilliser tout le monde, laissant son épouse s'occuper du bébé, avec les deux jeunes parents, qui risquaient bien de faire une crise cardiaque à voir leur fille ainsi se faire traumatisée par un chien.
Chaque tasse retrouvait son propriétaire, pour ensuite laisser le thé prendre dans l'eau chaude. Un peu surpris par la demande de son épouse. Elle le mettait légèrement en porte à faux. Devoir parler de ses "aventures" en mer, n'était pas trop ce qu'il aimait faire. Pour le simple fait, qu'il avait intérêt à faire attention à ce qu'il pouvait raconter. Oui, les récits étaient travaillés, bien sûr, mais il n'aimait pas trop en parler.
- Mmmm...
Heureusement, Violet se laissait emballée par une de ses propres histoires. Il l'écoutait alors avec attention et un certains amusement. Elle savait raconter des histoires cette jeune femme. Autant dire que c'était un plaisir de l'écouter. Tout comme son épouse, la même pensée le traversa, alors que cette dernière s'excusait d'avoir pris la parole ainsi, sans qu'on lui en donne la permission.
- Ne vous excusez pas. C'était très intéressant et personne n'a besoin qu'on lui donne la permission, pour parler. Avec un petit clin d'œil, servant tranquillement le thé.
Sa comtesse proposait une sortie entre fille. Lui se doutait du pourquoi. Sa dame risquait bien de secouer un peu cette jeune femme. Non pas pour la mettre mal à l'aise, au contraire, pour la rendre plus confiante, pour qu'elle comprenne qu'elle avait les mêmes droits que les autres et que son éducation se devait d'être un peu cassée. Il jeta un regard à Prem.
- Nous n'avons rien prévu, nous préférons nous adapter à nos invités. Si Violet a émis quelques envies de visites, peut-être que vous, vous en avez aussi? Il y a des temples très beaux dans la région, le fort de Bellary, le bazar aussi. Et puis, les coins naturels. Tout dépend ce qui vous intéresse.
Posant le dessert sur la table. Du Kulfi, la glace indienne par excellence. Qu'il ne faisait pas lui-même. Mais il savait où s'en procurer une artisanale qui était à se rouler par terre. Bols posés finalement devant chacun, l'homme pouvait à nouveau s'assoir. Un nouveau sourire pour son épouse, posant doucement une main sur la sienne, pour embrasser le dos de sa main.
- Deux « parfait » en une soirée, je me surpasse.
Le regard que lui lançait son épouse, disait bien que même s'il tentait de détourner l'attention, il risquait pourtant de devoir raconter une histoire. Il prenait une gorgée de thé, lentement. Réfléchissant à ce qu'il pouvait bien raconter, une histoire drôle, un peu incongrue, ou qui pouvait faire rêver.
- Je ne pense pas que des histoires de marins militaires ne sont pas très intéressantes, mais je me souviens d'un jour, ou nous nous sommes retrouvés entouré d'un ban de dauphins, qui avaient décidés de nous accompagner sur une partie du trajet de la journée. Des animaux intrigants. Certains des soldats voulaient absolument aller nager avec eux. De vrais enfants. Amusé. Vous avez le pied marin, Prem?
Nous sursautions tous lorsque Mélusine se mit à grogner, Dalia plus que quiconque, et soupirions de soulagement en comprenant que l’animal n’avait vu qu’un chat. Je remarquais que Violet avait récupéré Dalia et l’avait mise sur ses genoux. Notre fleur se remis doucement de ses émotions, et était maintenant toute intriguée par le chien. Je flattais le flanc du chien pour lui montrer qu’elle n’avait rien à craindre. Je savais que Violet aimait les chiens, et qu’ils avaient fait parti de sa vie, et en soi, je n’avais rien contre en adopter un, un jour peut-être. Je dis seulement ceci : « Je préfère les chats ». Leur tempérament et leur indépendance, surtout. Je n’avais jamais eu la chance de posséder un chat cependant, mais chaque fois que j’allais chez Austen, elle qui les aimait tant, je me sentais à l’aise avec eux, plus qu’avec les chiens.
Amélia pressa Zenon de raconter une anecdote vécue en mer, mais ce fut Violet qui répondit la première. J’écoutais, à la fois amusé et curieux, puisque je n’avais jamais fait de croisière moi même. Lorsque ma chérie s’excusa d’avoir “trop parlé”, je souris en coin. « Ne t’excuse pas! Il y a plein d’autres histoires comme celle-là que tu n’oses pas me raconter », dis-je pour la taquiner. « Je suis sûr que Zenon en a quelques-unes ». Mes parents ne se privaient pas pour déballer les histoires les plus embarrassantes de ma jeunesse à Violet. Elle aussi devait bien y passer, non?
Mis à part les jalebis, il y a peu de desserts que j’aime autant que le kulfi, à mon avis cent fois meilleur qu’une simple glace vanille. Avec une petite cuillère, je piochais un bout de mon kulfi pour le faire goûter à ma fille, tandis qu’Amélia proposa à Violet une sortie entre femmes. Toutes les deux étaient très différentes l’une de l’autre, mais comme Zenon l’avait fait pour moi, Amélia pourrait peut-être apporter à Violet un autre point de vue.
Cela m'allait bien, en fin de compte, que les De Lascelle nous laissent faire notre propre itinéraire de voyage. Je m’exclamais : « Les temples oui! Le Karnataka a les plus beaux temples de l’Inde selon moi! Nous devons absolument aller voir Hampi, et le temple de Mysuru, et de Mînâkshî. Il faut aussi que nous allions voir une pièce de théâtre Kathakali, c’est très impressionnant ».
Je restais un instant pensif à la question de Zenon, puis, j’avouais « Je ne sais pas. Je ne suis jamais monté sur un bateau! ». Dans mon entourage, je ne connaissais personne qui en possédait un d’ailleurs, et partir en croisière ne m’avais jamais tenté. Lorsque j’avais des vacances, j’allais rarement hors de Londres. Nous allions parfois à la plage, à Brighton, pour respirer l’air frais de la mer. « Par contre… je ne tolère pas très bien les montagnes russes ou les manèges. Je n’ai pas l’estomac fragile normalement, mais pour ça, oui. Je ne sais pas s’il en sera de même sur un bateau, il faudra que j’essaie ».
J’avais l’impression qu’il se passait quelque-chose, mais sans avoir les éléments en main, pour comprendre quoi. J’observais les uns et les autres. La malice qui se glissait dans leur sourire. Une situation qui m’arrivait très régulièrement lors des dîners, des bals. A une différence notable: ici je ne percevais aucune malveillance. Ils étaient tous et toutes attentionnés. J’étais en sécurité. Donc je ne m’en fait pas. Je saurais le moment venu. Je répondis vivement à Parrain. -“ Tout! ” J’avais repéré des sites incontournables. Il y avait des lieux que je voulais voir. -“ Tout ce que nous aurons le temps de faire… tout en nous reposant. ” Pour une fois, ce n’était pas une visite-marathon. Ainsi appelais-je ces séjours à l’étranger pour faire acte de figuration. C’était mon tout premier voyage sans obligation, aucune!
- En effet, vous avez raison. Il faut absolument voir l’une de ces pièces. Je vais contacter Miss Chauhan demain. C’est la directrice des affaires culturelles du comté. J’ignorais que les de Lascelle avaient établi des connexions avec les élus locaux. Parrain m’a donné l’impression d’être assez loin de ce monde du pouvoir. Mais, il est vrai que sa lady devait y être confrontée avec une entreprise à sa charge. Comment faisait-elle pour supporter la responsabilité et paraître aussi… posée ? - Nous avons toute la documentation touristique ici. Rappelez-moi de vous la donner avant le coucher. Je remercie la comtesse. Cette femme me faisait penser à maman par des côtés. Également à la mère de Prem pour d’autres aspects. A voir la façon dont Zenon lui fit un baisemain, je ressentis une petite bouffée d’affection. Tous les deux avaient l’air si liés. Si charmés. -N’est-ce pas ce que vous faites… dans tous les domaines ? La façon dont Amélia prononce ces mots me fait un drôle d’effet. Comme si un monde entier se cachait dans leur silence. Comme je les trouve romantiques!
-“ J’ai lu quelque part que ce sont des animaux très intelligents. ” Confirme-je. Je n’étais pas une esthète, encore moins une intellectuelle. Mais, je connaissais un peu sur beaucoup de sujets. Ce que j’avais été amenée à préparer, baliser, pour pouvoir tenir des conversations avec les hauts-fonctionnaires, les dignitaires, en somme les personnalités que Papa recevait. Depuis que j'ai rencontré Prem mon manque de culture me met mal à l'aise. Maintenant que j’étais maman j’avais très envie de combler mes lacunes. Enfin, chaque chose en son temps, n’est-ce pas ? -“ Quel est l’animal le plus impressionnant que vous ayez rencontré ? Un tigre ? ” De même, c'était dans une revue que j’avais découvert qu’il y avait des tigres blancs qui étaient très rares.
Je caressais mon chéri des yeux, amusée de l’imaginer sur un navire, toutes voiles dehors. Je suis certaine qu’il serait aussi beau que le commandant de Lascelle. -“ Ce n’est pas tout à fait la même chose non. ” Sauf quand il y avait du mauvais temps. Mais ce n’était pas le plus courant. -“ Si tu n’as jamais fait, nous devons prévoir ça ! Ici ou même une fois rentrés. Être sur l’eau… c’est tellement… tellement apaisant. ” Voilà le mot, qui me venait tout de suite aux lèvres, pour lui décrire mon expérience. Je n’en trouvais pas de meilleur. -“ N’êtes-vous pas d’accord ? ” Demandais-je à nos hôtes ? J’étais certaine que le comte irait en mon sens, il avait tant parcouru les océans.
Je regardais l’un puis l’autre. Je m’attendais à ce que la comtesse rebondisse à son tour. Il n’en fut rien. Pourtant, Baltimore n’était pas si loin de la côte. -Je ne suis pas la mieux placée pour en témoigner. Je lui souris avec confusion. - Disons que je me sens bien sur le plancher des vaches. D’ailleurs, en parlant de vache. Je sais que c’est un animal important dans ce pays. Je me demande s’ils en ont. Je n’en ai pas vue dans l’enclos en revenant de la balade à cheval tout à l’heure. Mais qui sait, quels trésors se cachent encore dans Bellary. - La journée a été belle, je vous recommande de rester pour voir les étoiles. Nous sommes à la belle saison. A cette mention, je souriais à mon journaliste. J’adorais regarder les étoiles. Nous l’avions fait, quand il était venu me voir au centre équestre pendant son repos.
Voilà qui serait parfait pour terminer cette splendide journée. -“ Oh oui. C’est une belle idée. Je ne connais pas du tout les constellations, ni les légendes ici. ” Je me demandais si mon amoureux en avait eu vent par ses parents ? Je n’en avais pas parlé avec Aziz. Zenon saurait peut-être nous dire ? Je détectais alors le mouvement de sa compagne. Elle avait une manière, de poser sa main sur le bras du comte, qui me fit sourire. - Pour moi, il est temps de me retirer. C’est ainsi que je me suis souvenue que nous étions un soir de semaine. Je n’avais pas idée de l’heure. La sieste avec Dalia m’avait requinquée. Alors que notre petit ange avait l’air de plus en plus sage. Elle n’allait pas tarder à se rendormir. -“ Prem… peut-être faut-il lui mettre sa petite couverture maintenant que le soleil disparaît ?” Les contrastes de températures ne devaient pas être pris à la légère!
Je saluais la dame d’Avon. Elle m’intimidait un peu, encore. Je ne saurais dire pourquoi exactement. Elle avait été prévenante avec moi, avec nous. Enfin, j’étais nettement plus à mon aise avec son époux. -“ Parrain ? Vous, vous restez encore un peu, n’est-ce pas ? Parlez-moi des chevaux ici ? Est-ce qu’il y a des races particulières qui sont plébiscitées par les indiens ? ” Rien à voir avec ce que j’avais appris sur la culture des Amérindiens. C’était tout autre chose. J’étais curieuse, tant par passion, que par projection pour l’avenir.
Cette famille avait toujours eu beaucoup d'animaux différents. Les chevaux et les chiens étaient les plus importants. Mais il y avait aussi des chats qui se baladaient sur et dans la propriété, ceux qui étaient acceptés par les deux malinois. Les vaches sacrées aussi, venaient paître sur leur terrain. Ils ne pouvaient rien faire d'autre que de les accepter et les laisser se déplacer. Des poules aussi se trouvaient là, des oies... il y avait une ménagerie digne d'une ferme. Héritage des années passées avec les enfants et l'envie d'Amélia d'être au plus proche de la Terre. Cela n'avait jamais dérangé le paternel, qui avait toujours eu du plaisir à se retrouver auprès de ces animaux, en rentrant de mission.
- Vous en verrez sans doute pendant votre séjour. Ils aiment venir dire bonjour, quand les chiens dorment. Avec un petit sourire.
Le comte connaissait des histoires concernant le jeune Violet, mais il n'était pas du genre à dévoiler les secrets de cette jeune femme, si elle ne lui donnait pas son accord. Il avait un petit sourire en coin pour Prem.
- Oh, je l'ai toujours connu très sage. D'un petit ton taquin.
Le couple avait donc déjà une bonne idée de tout ce qu'il voudrait visiter. Autant dire que leur séjour ne serait pas de tout repos. De Lascelle en était amusé, autant dire qu'il faudrait déjà préparer une nouvelle visite, pour voir tout ce qui était sur la liste. Amélia mettrait ses contacts en mouvement, pour leur permettre de voir certaines choses, comme elle le proposait déjà. Le couple s'était dit qu'il faudrait mettre leurs invités à l'aise, ainsi que leur faire oublier leurs soucis, au moins le temps du séjour sous leur toit.
- Je vois que vous avez déjà une très bonne idée de tout ce que vous voudrez voir. Les laissant alors échangé, tout en mangeant tranquillement son dessert. Il eut un petit sourire pour sa belle. La perfection? Vous savez bien que je fais de mon mieux. Ce n'était qu'une boutade, même si c'était quelque chose que les enfants leur avaient reprochés pendant très longtemps et c'était une sorte de traumatisme qui restait encore chez eux, quand le ton montait.
- Très intelligent même. Marquant un temps, avant de rire légèrement. Non jamais de tigre, ils savent rester loin des regards. Je crois que j'ai vu des dragons de Komodo de près, rien qui donne envie de les avoir en animal de compagnie, croyez-moi. Avec un petit sourire, avant de revenir sur Prem. Oui c'est quelque chose que nous pourrions voir à faire. Comme le dit Violet, ce n'est pas la même chose que des montagnes russes. Même si le bateau était plutôt au Paradis. Plus pour le plaisir de l'homme que de sa femme, qui n'était pas la plus grande amoureuse de l'eau, comme elle le faisait comprendre à Violet. Le mari posait un bras sur le dossier de la chaise de sa compagne. Oui, Amélia et l'eau, ce n'est pas une grande histoire d'amour.
Le ciel de nuit était incomparable, sur ce bout de terre. En tous les cas, aux yeux de l'Anglais. Peut-être bien parce que Bellary était sa terre d'accueil. Là où les souvenirs étaient souvent les plus doux. Il sentait la pression sur son bras, signe que son épouse prenait congé. Elle était fatiguée, il le savait, sans compter qu'elle avait du travail encore. Il eut un petit mouvement de la tête, pour caresser ses doigts, lui prendre un petit baiser. Avec un sourire fin.
- Je ferai attention à ne pas vous réveiller. Enfin... il savait qu'elle sentait sa présence dès qu'il arrivait dans le lit. Son regard suivit encore un instant sa belle. Avant de le reporter sur sa filleule et son compagnon. Bien sûr, je ne vais pas vous abandonner tout de suite. Je vais vous préparer de quoi pouvoir profiter un moment du ciel et des étoiles, à trois. A moins que vous ne vouliez aller la coucher? Marquant un temps. Les chevaux en Indes sont beaucoup moins importants que les vaches. Il y a quelques races propres à ce pays, comme les Marwari ou les Kathiawari, mais ce n'est pas non plus un monde qui est le plus intéressant, trop cher pour beaucoup. Vous aurez plus de succès à vous intéresser au cricket. Quoique... les castes supérieures s'en moquent un peu...Avec un petit sourire. Enfin, qui sait, peut-être que les mentalités à ce sujet, peuvent changer. Ce pays est toujours en évolution. Mais je ne sais pas si vous êtes intéressé tous les deux, à venir y vivre?
Ça me rassurait énormément de savoir que Zenon n’avait jamais vu de tigres, car il y en a dans ce pays, et il est autant craint que vénéré. Heureusement, Bellary était loin des jungles.
« Vaut mieux laisser les dragons de Komodo tranquilles, en effet », approuvais-je en riant. « Je ne sais pas si vous vous souvenez de cette nouvelle il y quelques mois dans le New Herald, cet été je crois, où les employés de rénovations engagés par l’Université avaient trouvé un python dans les égouts de Londres en effectuant leur travaux. J’avais interviewé l’expert herpétologue et hormis pour la recherche, leur domestication est interdite. D’ailleurs, le python n’a jamais été retrouvé ». Ce qui était inquiétant pour les éboueurs. Je me souvenais qu’aucun de mes collègues n’avaient voulus se rendre sur place, de peur de croiser le python, ce qui n’avait pas été mon cas.
Anciens collègues maintenant…
J’avais moi-même quitté le New Herald, mais ce n’avait pas été de gaieté de coeur. Ce journal m’avait donné ma première chance, et j’y avais travaillé pendant 8 ans. Une sensation de brûlure me traversa le torse en repensant à ce que m’avait dit mon éditeur en chef : comment les lecteurs pourraient prendre au sérieux les positions du journal sur la monarchie si l’un de ses reporters était en couple avec une princesse, même déchue? J’avais été furieux qu’il mette en doute ma crédibilité et mon intégrité. Je m’étais dis que si c’était réellement ce que l’administration pensait de moi, après tout le travail que j’avais produit, eh ben, je n’avais peut-être plus ma place. « ...Eh bien, ce sera l’Independent qui aura le scoop, si on retrouve ce python », dis-je simplement, en cachant mon amertume d’une gorgée de thé.
Je ne refuserais pas l’invitation d’être passager à bord de l’embarcation de Zenon. C’était un marin expérimenté après tout. De plus, l'enthousiasme de ma chérie me fit comprendre qu’elle tenait beaucoup à ce que je participe. Néanmoins, l’idée d’être entouré d’eau ne me rassurait pas, ce qui, sans doute, est ironique pour un Anglais. Décidément, Violet et Zenon étaient de meilleurs Anglais que moi!
De son côté, Amélia assumait clairement sa préférence pour la terre ferme. Sur ce point, les deux époux De Lascelle se différenciaient vivement, ce qui me fit m’interroger sur ce que moi et Violet nous différenciaient. Il ne fallait pas toujours aimer les mêmes choses pour s’aimer, mais finalement, je partageais beaucoup de mes intérêts avec Violet. La lecture, les soirées, l’équitation, la musique, la cuisine, le travail bien fait… et maintenant les voyages.
Lorsque Amélia suggéra que nous restions pour regarder les étoiles, je levais les yeux vers le ciel. Certaines étoiles, les plus brillantes, apparaissaient déjà. « Oui! Quelle bonne idée! J’ai quelques légendes qui iront parfaitement… Ça endormira Dalia », ajoutais-je, en baissant les yeux sur notre petite fleur, confortablement allongée dans les bras de sa mère. Je me rappelais les paroles de Zenon à notre arrivée, soit de bien profiter de notre fille à cet âge, car les enfants ne restent pas longtemps aussi sage qu’elle l’était maintenant. « Donne-la moi? Je vais lui mettre son pyjama ». Je reprenais Dalia, et entrait avec Amélia dans la maison. « Bonne nuit Amélia, à demain ».
Je m’éclipsais dans notre chambre pour changer Dalia et lui enfiler le premier pyjama qui me tombait sous la main, et bien sûr, les petits chaussons que sa grand-mère tricoté pour elle. Je pris sa petite couverture, et rejoignis parrain et filleule à l’extérieur, qui discutaient races de chevaux indiens, puis de cricket. « J’aimerais beaucoup aller voir une partie », dis-je en m’avançant vers eux. Il s’agissait du sport national après tout, ce serait dommage de rater ça.
La question de Zenon me fit sursauter. Je regardais Violet du coin de l’oeil. En ce qui me concernait, la réponse était sans appel. « Comme vous le dites, l’Inde est en pleine évolution, mais je ne crois pas que je voudrais y vivre. Mes parents commencent à se faire plus vieux. S’ils ont besoin de moi, au moins, je serais tout près ». D’ailleurs, je devais rattraper le temps que la fâcherie de mon père nous avait arraché. Puis, j’étais toujours très proche de ma mère. Noor et Aziz adoraient tous les deux Violet et leur petite-fille. Je voulais que Dalia les connaissent et les aime, ce qui serait plus compliqué si nous habitions en Inde. « Puis, les journalistes indiens ne sont pas aussi bien payés que les journalistes anglais ». Et sans doute, la profession était plus dangereuse.
J’attendais de voir ce que Violet répondrait. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle en penserait, ni qu’elles étaient ses opinions à ce sujet. Pour moi, vivre ailleurs qu’en Angleterre était impensable, en tout cas, tant que mes parents seraient en vie.
Je ne savais pas à quoi pouvait ressembler un dragon de Komodo. Je ne voulais pas passer pour une idiote en temps normal. Je ne le voulais pas du tout devant Parrain et Prem. Je me contentai de sourire, me jurant d’aller chercher une photo dans une encyclopédie, plus tard. Je me tournais pour écouter l’histoire de mon journaliste. La rancœur qui transparaît dans son récit me pinça le cœur. Je savais que ce journal lui manquait. J’en éprouvais un double sentiment d’injustice et de culpabilité. Mon père avait-il idée que son attaque aurait autant de conséquences sur nous ? Je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir trahie… responsable. -“ L’Independent est chanceux de t’avoir Prem. ” Lui murmurais-je. Il avait une très belle plume. Il était engagé dans son action. Sa qualité serait reconnue! Je ne pouvais pas croire autrement. -“ Les autres s'en rendent compte quand ils te verront avec le Albert-Londres! ” Je souris alors au comte d’Avon. -“ Prem a beaucoup de talent.”
J'encourage alors notre idée de faire un tour en mer. J’appréciais la navigation. J’aimais le calme de la nature. Cela nous ferait du bien. J'espère que nous aurons le temps de profiter des montagnes également. J’adressais un sourire à la Maîtresse de maison qui prenait congé. -“ … la couverture rose est dans la sacoche. ” Une fois que le soleil est couché, les températures peuvent vite descendre, n’est-ce pas. La meilleure façon pour attraper un rhume. Je confiais donc la petite à son père et les regardais partir dans la maison.
J’écoutais ce que Zenon pouvait me dire concernant le commerce équestre de ce pays. Il confirma ce que j’avais pu lire sur le sujet dans la presse spécialisée. Ce n’était pas ici que je pourrais poursuivre ma recherche de poulain. Il faudrait que je revois Lord Blackemore. Pour l’instant, je n’avais pas osé le contacter. Je ne me sentais pas à l’aise. Je savais qu’il était proche de Papa. Qu’Iris n’avait pas besoin davantage de mauvaise presse. C’était un peu compliqué. Il fallait que je réfléchisse. Je remercie notre hôte pour tout ceci. -“Oh, cela fait longtemps que je n’ai plus joué. Mais cela me ferait plaisir aussi. ” Lui dis-je spontanément.
Par contre, je ne m’attendais pas à ce qu’il parle si ouvertement d’un changement de continent. Je vis Prem tressauter. Visiblement, cette idée ne le rassurait pas du tout. J’écoutais attentivement ce qu’il avait à en dire. J’étais curieuse car nous n’en avions jamais parlé. Cela n’avait jamais été plus qu’une idée lancée au cours d’une conversation. Je comprenais ses réticences. -“ Oui. Pour le moment, je crois que notre vie est en Angleterre… ” Je ne voulais pas que Aziz et Noor soient privés de leur fils. Je voulais que Dalia ait des grand-parents. -“ Peut-être pour nos vieux jours… Comme vous parrain! Ce serait charmant! ” Je ne voyais pas d’autres mots pour décrire mon premier sentiment.
Je me proposais pour aider Zenon à récupérer les couvertures extérieures. Ainsi, nous saurions où aller les chercher et les ranger. Je sentais un peu de fatigue alourdir mes jambes. La marche me fait du bien. Une fois de retour dans le jardin, je posais tout. Cet endroit était vraiment accueillant. Prem nous faisait un beau cadeau. Prise par un soudain élan de tendresse, j’allais enlacer mon cher Parrain. -“ Merci.” Un doux baiser sur sa joue, avant d’aller installer une couverture et d’y attirer mes deux amours. Je levais la tête vers le ciel. Il était limpide. Brillant. C’était magnifique. -“ Prem… ? Raconte-nous …” Je tenais les menottes de Dalia au creux des miennes. La chaleur de sa peau était un trésor inédit. Nous avions beaucoup de chance d’avoir ce refuge. Je sentais que cette terre nous ferait du bien.
Zenon ressentait le ressentiment que pouvait avoir Prem pour ses collègues. Il comprenait que c'était frustrant, même rageant, de se faire tourner le dos. Qu'on se fasse abandonner par des choix personnels. Mais Prem avait l'air de savoir retomber sur ses pattes, comme un chat. Il eut un petit sourire pour les deux, alors que Violet soutenait son compagnon.
- J'avais entendu parler de cette histoire, oui. J'espère que vous nous ferez lire ce scoop en avant-première. Montrant qu'il soutenait ce journaliste et ses écrits.
La discussion était posée, tranquille. Zenon comprenait que sa filleule posait des questions avec une idée en tête, même si elle ne l'exposait pas clairement. Mais il répondait docilement, sans aucun problème. Terminant de fumer lentement sa pipe, qui s'éteignait petit à petit. Tout en allant chercher les couvertures, pour que le couple et leur bébé puisse être installés confortablement, afin de voir les étoiles.
- Il y a des matchs souvent, je pense que vous aurez l'occasion de pouvoir aller en voir un, si cela vous intéresse. Avec un petit air amusé pour sa filleule. Et même y joué. Lui n'était pas très doué à ce jeu.
Le comte remarquait que sa question semblait surprendre les amants. Pourtant il n'y avait aucun piège dans ce qu'il demandait. C'était plus de la curiosité, puisqu'ils semblaient montrer un certain entrain pour ce pays. Peut-être y avaient-ils pensé.
- Je ne vous mets pas le couteau sous la gorge Prem, ne vous inquiétez pas. C'était une question ouverte. Vous avez parfaitement le droit de préférer rester en Angleterre. Ce n'est pas quelque chose que je vais juger. Je pense que vous avez même bien raison de le faire. En effet, il y aura sans aucun doute plus d'opportunités pour tous les deux, qu'en venant ici.
Même avec tout ce qu'ils avaient vécus, ils auraient des moyens de s'en sortir. Sentant la fatigue tapé petit à petit chez lui. Il décidait de laisser les jeunes parents, pour qu'ils puissent apprécier cette fin de soirée ensemble.
- Vous pouvez rentrer les couvertures une fois terminé. Je vais vous abandonner pour ce soir. Profitez bien. Les saluant chaleureusement, avant de rentrer, pour rejoindre tranquillement son épouse dans leur chambre, les chiens sur les talons. Ils dormaient près de la chambre des maîtres en général.
De Lascelle profitait de passer par la salle de bain pour prendre une douche, avant de rejoindre sa dame dans le lit conjugal, plus frais et habillé léger, venant se coller à elle tranquillement, déposant un baiser sur son épaule, pour lui souhaiter une bonne nuit. Vu comment était son souffle, elle s'était endormie et il préférait lui laisser sa nuit. Ils discuteraient de leurs impressions au petit-déjeuner, quand la maison serait encore assoupie. Pour le moment, il faisait comme Amélia et rejoignait Morphée, l'esprit plus léger de savoir sa filleule chez eux.
