Prem bailla, et s’étira de tout son long. Il adressa à Violet un sourire fatigué « Tu m’a épuisé ma chérie. Permets-tu à ton fiancé de dormir? S’il faut qu’on refasse ça demain, je veux être en forme ». Il regarda Violet, et lui décocha un clin d’oeil. Ce soir, il avait vu un nouveau visage de sa fiancée. Un nouveau visage qui ne lui déplaisait pas du tout. Il embrassa Violet une dernière fois, sur le front, avant de se glisser sous les draps. « Bonne nuit, ma Violet ».
Depuis combien de temps n’avait-il pas aussi bien dormi? Depuis leur arrivé au manoir, il dormait sans doute mieux qu’à la maison, mais ici, dans le silence complet de leur chambre d’hôtel, uniquement perturbé par la respiration de Violet, Prem avait atterri dans Morphée dès que sa tête avait touché son oreiller. Paradoxalement, ce fut ce silence qui le réveilla et l’inquiéta. Pourquoi Dalia ne s’était-elle pas réveillée cette nuit? Pourquoi ne l’entendait-il pas babiller? « Dalia? », lança-t-il, sa voix encore empâtée par le sommeil. Prem se frotta les yeux, et se redressa. Il mit une petite seconde à se souvenir d’où il se trouvait, comme cela lui arrivait souvent depuis le début de leurs vacances. Soudainement soulagé, Prem ne put toutefois chasser une certaine inquiétude. Comme c’était étrange, de se réveiller sans sa fille, de ne pas pouvoir la regarder s’éveiller et cligner des yeux, de ne pas la voir sourire.
Dalia lui manquait.
Prem résista à l’envie d’appeler les De Lascelle pour savoir si tout se passait bien. D’ailleurs, il ne trouvait pas son téléphone. En se redressant, il rougit en constatant le désordre de la chambre. Des morceaux de vêtements, des bottes d’équitation et des sous-vêtements étaient éparpillés sur le sol, témoins et victimes de leur empressement, à Violet et lui, hier soir. Prem glissa hors du lit pour enfiler le caleçon placé dans sa valise. En entendant Violet se réveiller, il la rejoignit.
« Bonjour », dit-il, en s’asseyant près d’elle. « Bien dormi? Je ne t’ai pas réveillé j’espère? ». Habitué à se lever tôt, il était sans doute le plus matinal des deux, même en vacances. Faire la grâce matinée n’était pas son genre. « Comment va ton dos?... ». Prem observa sa fiancée, soucieux de déceler sa douleur. Après l’équitation, et hier soir, il espérait qu’ils n’avaient pas été trop… zélés. « Veux-tu m’accompagner au yoga ce matin? »
-“ Depuis l’Ecosse… ” Me souvenais-je, alors que ma mémoire associait des images à ces quelques mots. Prem était venu sur place, pendant sa convalescence. Nous avions enfin passé plus de trois jours consécutifs ensemble. Cela avait été plaisant, un bonheur de tous les jours. Je trouvais très romantique l’idée qu’il ait pu attendre et conserver cette envie pendant des mois. Surtout lorsque l’on savait ce qui nous était arrivé. -“ Merci d’avoir rendu possible tout ce que je m’imaginais. ” C’était le résultat qu’il avait obtenu. Sa déclaration avait été la plus parfaite qui soit!
Je ne pouvais être plus heureuse que maintenant. Alors que je savais que Prem avait envie de passer sa vie avec nous. Tandis que nous partagions des plaisirs que seuls ceux qui s’aiment ont la chance de connaître. J’avais fantasmé beaucoup de choses autour de la sexualité. Cependant ce que je vivais avec mon journaliste était plus beau. J’étais heureuse d’arriver à me réapproprier des actes que je n’avais connus qu’avec Edward. Je crois bien que c’est la voie d’une guérison. Ne crois-tu pas ma chère Poppy ?
-“ Ce sont deux jours exceptionnels oui. ” Je devais bien reconnaître que je me sentais prise d’une langueur de plus en plus forte. A présent que la tension retombait. Certainement que le cumule de nos activités m'avait elles aussi fatigué. Je me tord le cou pour embrasser le front de mon beau fiancé. -“ Dormons… ” Ralentit, pris néanmons le temps de passer à la salle d’eau pour me rafraichir. Ensuite, je suivis Prem sous les draps pour me reposer. -“Bonne nuit mon chéri. ” Lui répondis-je, alors que je chuchotais en moi-même un “bonne nuit” à ma petite fleur. Je savais que notre Dalia était en sécurité avec mon parrain. Cela m'apporta une sorte de quiétude que je n’avais pas ressenti, depuis qu’elle était sortie de moi. C’était nouveau et c’était plaisant. Apaisée, je m'endormais étonnamment vite.
Je fus réveillée par un changement d’atmosphère. Je m’agitais, en cherchant la cause de mon désagrément. En cherchant Prem de ma main je ne le trouva pas. C’était donc ça. Il s’était écarté. -“ Prem ? ” L’appelais-je inquiète. Je ne savais pas me réveiller sans lui. C’était terrible d’ailleurs, parce que je savais plus profiter du repos s’il s’en allait du lit. Je m’asseyais dans le lit. Je pris ses mains dans les miennes. -“ Bonjour… ” Je le trouvais beau garçon et j’adorais l’air qu’il avait au petit matin. Je posais un baiser sur sa joue. En même temps que je sondais mon corps pour pouvoir lui répondre. Comment me sentais-je. La douleur lombaire était présente mais bien moins forte. -“ Je n’ai presque plus mal ce matin. ” Je posais ma main sur sa joue, remontant lentement vers sa blessure au crâne. -“ Comment vas-tu toi ? ” Lorsqu’il avait mal je me demandais toujours comment les choses allaient évoluer pour sa santé. Je ne voulais pas manquer les signes et agir vite.
Je lui souris. -“ Oui. ” Cela me ferait du bien de faire la séance avec lui. Nous avions le temps. Je repoussais mes cheveux dans mon dos et commençais à chercher mes habits. Ce fut ainsi que je remarquais dans quel état nous avions laissé la chambre. Je rosis de pudeur et de plaisir. J’essayais de ne pas me sentir gênée par la nudité en plein jour. Alors, je prenais sur moi pour me lever sans sourciller et aller chercher de quoi m’habiller dans la valisette.
Une petite montée de lait matinale me rappela physiquement l’absence de ma pimprenelle. Je m’interdisais pourtant de prendre mon téléphone. Nous la verrions bientôt… N’est-ce pas ? J’ouvrais les portes glissantes pour installer les coussins sur la terrasse. Je les oriente en fonction du soleil. Je m’échauffais comme Prem me l’avait appris. La séance que nous partagions fut d’une rare concentration pour moi. Je n’avais pas été aussi assidue depuis longtemps.
Sereine, j’échangeais un regard avec mon adorable journaliste. -“ Où veux-tu prendre le petit déjeuner ?” Tout en l’observant, je lui souris. Mes yeux tombèrent sur une marque de baiser que j’avais laissé sur son torse. Je souris de plus belle. -“ … et si on prenait une douche après ? ” L’eau chaude ferait du bien à mon dos. Mais surtout, le souvenir de la veille me donnait envie de retourner sous l’eau avec lui. J’entrais de nouveau dans la chambre. En ramassant nos affaires éparpillées, j’y associais des images. -“ … Vraiment, j’aimerai que l’on trouve un présent pour Zenon et Amélia. … Ils ont fait tellement pour nous. ” Proposais-je en repliant les pantalons d’équitation. Pour le moment c’était la faim qui me rappelait la priorité! Comme c’était un luxe de n’avoir que nous.
La grossesse avait été dure pour le dos de Violet. Prem avait espéré qu’après l’accouchement, ce mal s’estomperait et disparaîtrait, mais après des mois, il semblait vouloir persister malgré tout. Docteur Kay leur avait bien dit que le corps de la jeune maman mettrait un peu de temps à se remettre complètement. Il ne devait pas être inquiet, mais c’était plus fort que lui.
La main que Violet posa doucement sur son crâne lui rappela ce qui s’était passé en mai dernier. Il inspira pour empêcher les mauvais souvenirs d’affecter son humeur. Il s’était réveillé après avoir passé une semaine entière dans le coma. À vrai dire, réveiller n’était pas le bon mot. Après être sorti de son coma, il n’y avait eu que de brefs moments de conscience, et beaucoup de néant. Beaucoup de douleur aussi. Tragiquement, c’était seulement après que Violet fut partie vers l’Écosse qu’il avait commencé à reprendre réellement conscience.
« Ça va. Je n’avais pas si bien dormi depuis longtemps », assura-t-il avec un sourire. Mis à part la petite frousse de ce matin, il avait profité amplement de ce répit dépourvu des pleurs de leur fille pendant la nuit. Malgré tout, penser à sa petite fleur lui pinça le coeur. Pour le reste, les médecins ne doutaient pas de son bon état de santé.
À son tour, il s’habilla et rejoignit la terrasse pour exécuter sa routine, qui était d’ailleurs excellente pour le dos, lui qui avait eut l’habitude d’être assis durant de longues heures à écrire ses reportages. Il espérait seulement que cette routine lui permettrait de faire de vieux os.
Après un dernier étirement, Prem considéra un moment la question de sa fiancée. En la suivant dans la chambre, il regarda Violet, une moue presque boudeuse, quasiment digne de leur fille. Il entoura Violet par la taille. « Je n’ai pas envie de sortir, et de voir d’autres gens. Je ne veux être qu’avec toi. Puis, je n’ai pas le courage de m’apprêter », avoua-t-il. « Pourquoi on n’utiliserait pas le room service? On peut manger sur la terrasse, la vue est jolie ». Ça n’avait rien à voir avec le plateau de l’éléphant, mais c’était tout de même un beau paysage. Surtout, Prem ne voulait pour rien au monde briser leur bulle, ce merveilleux cercle parfait où il n’y avait qu’eux. « On prendra une douche après…»
Prem rangea avec Violet leurs vêtements semés aux quatre vents dans la chambre. Il retrouva presque tout, hormis une chaussette. « Un cadeau? C’est une excellente idée », approuva-t-il, en pliant les genoux pour regarder sous le lit. « Que penses-tu qu’ils aimeraient recevoir? J’ai l’impression qu’ils ont déjà tout ».
Après avoir retrouvé la chaussette solitaire, Prem saisit le menu du restaurant de l’hôtel, qui offrait plusieurs plats typiquement indiens, des spécialités locales, et bien sûr, un choix varié de plusieurs thés chauds ou froids. Peu difficile quand il s’agissait de cuisine, tout cela convenait parfaitement à Prem. En tendant le menu à Violet, il l’embrassa sur la joue. Il la regarda à nouveau, en faisant les yeux doux. «… Dis oui? ».
Je ris tendrement, de l’empressement de mon amant à préserver ce cocon. Il aimait passer du temps avec moi. Comme j’aimais être avec lui. J’espérais qu’il en serait toujours ainsi. Toujours. Aussi, Prem n’avait pas eu à faire beaucoup pour me convaincre de rester dans cette chambre d’hôtel. Cela faisait une éternité que je n’avais pas pu être seule avec lui. Moi non plus, je n’avais pas envie que le monde extérieur vienne entre nous. Je voulais savourer chaque seconde qui nous serait donnée. J’inclinais donc du chef, ravie.
-“ Ils ne manquent de rien. Mais, il doit bien y avoir quelque-chose qui leur fera plaisir ?” Puisqu’ils n’étaient pas dans le besoin, nous n’avions qu’à chercher une idée surprenante. J’étais certaine qu’à nous deux nous allions trouver. Il nous restait encore un peu de temps.
Je pris le menu. Je me sentais sourire à son baiser. Ses yeux doux m'attendrissent tout de suite. Cela marchait autant, si ce n’est plus, que quand c’était Dalia qui le faisait. Je ne savais pas dire non spontanément. J’en étais incapable avec eux deux. -“ Oui… ” Chuchotais-je. Je pris place dans un fauteuil pour parcourir le menu. Il y avait des plats que je ne connaissais pas. Mon manque de culture était saisissant. -“ Je vais prendre comme toi. ” J’aimais emprunter le même chemin que lui. C’était apaisant de se reposer sur l’expertise d’un autre. Surtout, cela me permettait de découvrir un peu plus ses goûts. Maintenant qu’il était mon fiancé!
Je caressais ma bague. Je la contemplais. Moi qui ne pensais pas revenir un jour dans cette position. La vie n’avait pas fini de me faire des surprises. Prem encore moins… -“ J'aimerai qu’on danse à notre mariage… ” Je rêvais secrètement d'assister aux danses traditionnelles, dans ces costumes chatoyants. Je songeais à demander à Noor le nom d’un bon professeur de danse pour apprendre moi aussi.
Nous avions même la possibilité de jouer l’un pour l’autre. C’était des détails qui me faisaient rêvasser. Même si, ma dernière conversation avec Parrain était dans un coin de ma tête. Je m’étais dit que j’avais le temps pour en discuter avec Prem. Seulement sa demande en mariage bouleversait les plans. Comme chaque fois que je me retrouvais devant un sujet compliqué, j’eu envie de reculer. Nous étions parfaitement bien. Je n’avais pas envie de briser le moment. Mais, je ne pouvais pas non plus attendre que les choses se précisent.
Il n'y avait pas mille façons de faire. -“ Quand Zenon m’a emmené en balade nous avons discuté. ” Je tirais le fauteuil pour me rapprocher de mon chéri. Je m’avançais vers lui. Je plantais mes yeux dans les siens. -“ J’avais prévu de t’en parler plus tard. ” Je posais ma main sur la sienne pour avoir un contact avec lui. Je me sentais tout de même un peu nerveuse. Rien que l’idée de le contrarier me perturbait. Je n’y peux rien. Je ne fais pas exprès. -“ Mais avec les fiançailles ça change tout. ” Lui chuchotais-je complice.
Nous étions dans les meilleures condititions possibles. Nous avions avancé sur notre perception des choses. Je voulais croire que cela allait nous aider. -“ Il m’a proposé de reprendre son titre. Et aussi la propriété de Lechlade. ” Je fouillais ses iris noirs à la recherche de son ressenti. Sa posture concernant la monarchie était très claire. Il m’avait rencontré noble. Maintenant j’étais une répudiée. Parrain me proposait une renaissance tout à fait inattendue. Une partie de moi avait envie de lui dire oui. L’autre n’en était pas sûre. Je ne voulais pas que cela interfère dans la relation que nous avions avec Prem et moi. Mais, je ne pouvais pas ignorer qu’il y aurait des conséquences, quelle que soit la réponse que je donnerai. -“ Ce ne serait qu’au moment de son décès bien sûr. … En attendant, il propose que l’on s’installe là-bas pour faire vivre le lieu. ” J’aimais beaucoup notre petite maison. Elle était charmante. Rien ne manquait. Ceci dit à Lechlade il y avait la place, le terrain et les écuries. -“ Il pense que je serai à même de poursuivre… ” Bien que je ne comprenais toujours pas pourquoi son propre fils ne voulait pas s’en charger. Enfin, Zac de Lascelle avait l’air d’être un homme très autonome. Je ne le voyais pas à la coure, jamais. Il en était de même pour la soeur Joy. Ils étaient des fantômes.
-“ Je ne m’y attendais pas. Au début, je trouvais cela complètement fou. Maintenant, je me dis que l’on peut y réfléchir. ” Je ne ferais rien qui aille contre l’avis de Prem. Mais, je ne voulais pas repousser cette possibilité en bloc. J’aimais mon parrain. Je l’avais en haute estime. Il n’aurait pas fait la démarche s’il n’y avait pas longuement réfléchi. Je savais ce que cela voulait dire d’avoir peur de voir une lignée s’éteindre. -“ Me verrais-tu … comtesse d’Avon ? ” Je pressais sa main. Cette opportunité nous mettrait à l’abri des soucis financiers. Ce qui était important pour moi. Il y avait de quoi faire un haras sur le terrain. Ce pouvait être une bonne idée. -“ Dalia aurait de quoi être à l’abri.” Ce qui moi me réconfortait beaucoup. Je l’avais privée de son héritage venant des Hanovre. Mais Zenon lui donnait une seconde chance. Prem le verrait-il ainsi ? Je n'en étais pas certaine.
Prem choisit donc pour eux leur petit-déjeuner : un khir, accompagné de crêpes à base de riz et de noix de coco, et des fruits typiques de l’Inde, comme la carambole, la mangue et la papaye. Il n’oublia pas non plus le thé Darjeeling, tellement meilleur ici qu’en Angleterre. « Tout devrait être ici dans une demi-heure ou moins », dit-il en déposant le combiné, après avoir appelé le service aux chambres. Peu de gens parlaient le punjabi ici, mais il s’était débrouillé en hindi, que la plupart des Indiens comprenaient.
S’asseyant dans l’autre fauteuil, à côté de celui de Violet. Le coude appuyé sur le bras du fauteuil, le menton posé au creux de sa paume, Prem esquissa un sourire ravi, presque flatté, en regardant Violet admirer sa bague de fiançailles. « Bien sûr qu’on dansera. Jusqu’à ce qu’on ait mal aux pieds ». Un mariage indien n’en serait pas un s’il n’y avait pas de danse. Puis, il y avait toujours des musiciens. « Les mariages sont toujours de grandes fêtes. Bien sûr, la cérémonie est toujours plus solennelle, mais c’est la réception qui vole le spectacle ».
Bref, sans doute comme pour les mariages chrétiens, les mariages indiens avaient leur lot de traditions à respecter, surtout pour plaire aux parents et aux grands-parents. Le cœur du mariage était en vérité la célébration.
Brusquement, Violet changea de sujet. Pris au dépourvu, Prem se souvint en effet du moment où Zenon et Violet s’étaient baladés. Un moment entre un parrain et sa filleule. Prem n’en avait pas pensé davantage. Cependant, il se figea lorsque tout de Violet laissait présager une discussion délicate. La nervosité de Violet le contamina, et il se redressa dans son fauteuil quand elle posa sa main sur la sienne.
Les rôles étaient inversés. Lui qui prônait l’importance de la discussion, l’importance de pouvoir parler librement de sujets difficiles, se retrouvait maintenant coincé dans son propre piège. Prem n’avait aucune envie d’entrer sur un terrain potentiellement glissant. Pas aujourd’hui. Pas avec la journée parfaite qu’ils venaient d’avoir… Mais, il n’était pas hypocrite.
Prem se tourna vers Violet, et pressa doucement sa main. « … Je t’écoute ».
Heureusement, Violet ne le laissa pas languir trop longtemps. Quand il sut de quoi il en retournait, la première pensée qui lui vint à l’esprit fut : « Merde ». Il dévisagea Violet, l’air interdit, les lèvres cousues.
Amélia lui avait dit que ni son fils ni sa fille n’avaient de bons rapports avec la noblesse, mais il ne s’était pas imaginé que le titre de Zenon ne les intéressait pas. Zenon, lui, avait été clair sur ce qu’il pensait des titres de noblesse : il n’était pas insensible à la tradition, mais surtout, à la transmission d’un héritage. Violet, qui n’avait plus de titre, mais qui restait tout de même sa filleule, était toute désignée pour reprendre le comté d’Avon, ainsi que le domaine. Zenon proposait même qu’ils s’y installent!
Secoué, Prem détourna les yeux, et prit sa tête entre ses mains, les coudes sur les genoux. Évidemment, si Violet lui parlait de tout ça, c’est qu’elle voulait accepter. Sinon, elle aurait refusé l’offre de son parrain, et il n’aurait jamais eu vent de tout ceci.
«… Je n’en sais rien, Violet. Je ne sais pas ce que ça représente, être comte ou comtesse ». Il ne l’avait jamais vu princesse, même lorsqu’elle l’était, telle qu'elle-même lui avait demandé. Il pouvait la voir en professeur d’équation, en cheffe d’entreprise, en danseuse, en musicienne, en artiste, mais en comtesse d’Avon? Qu’est-ce que ça voulait dire? C’était encore autre chose qu’il ne comprenait pas de l'aristocratie…
Prem se redressa finalement, le dos calé sur son fauteuil, après être demeuré silencieux, pensif, pendant un long moment, où il avait pris soin de choisir ses mots. « Je ne souhaite pas qu’on demeure à Lechlade. J’aime notre maison », commença-t-il, la voix posée. Hormis les jardins et les écuries, il avait trouvé le château beaucoup trop grand. « Et c’est à deux heures en voiture de Londres. Je ne peux pas faire ce trajet tous les jours pour me rendre au journal ». C’était une formule pour rentrer à la maison stressé et fatigué. Non seulement il n’aimait pas conduire, mais il conduisait lentement. Les 45 minutes qui le séparaient déjà de Dalia et de Violet chaque jour étaient le maximum qu’il acceptait de perdre dans les embouteillages.
Le regard qu’il lança à Violet était mêlé de contrition, d’acceptation, de lassitude. Il poussa un soupir. « Quant à Dalia, elle est déjà à l’abri. Même si tu n’avais pas de titre, elle ne manquerait de rien. Si tu acceptes l’offre de ton parrain, ne le fait pas pour elle, fait le pour toi ». Prem commençait à assez bien connaître Violet pour savoir qu’elle n’arrivait pas toujours à affirmer sa volonté. « Dalia ne voudra peut-être même pas devenir comtesse. Si c’est ce qu’elle souhaite plus tard, alors très bien, mais je ne veux pas qu’on l’élève dans ce seul but. Je veux qu’elle puisse choisir ce qu’elle aime ». Jamais il ne forcerait sa fille à entrer dans le moule qu’on forgeait les dames de la noblesse. Ce n’était donc pas dans ce but que Violet choisissait de reprendre le titre de comtesse. Pour qui d’autre pouvait-elle prétendre faire cela, sinon, pour elle, et elle seule?
Bien sûr qu’elle le voulait, ce titre. Ça crevait les yeux. C’était une deuxième chance de retrouver ce qu’elle avait toujours connue, ce qui lui était rassurant, mais où Prem se sentait complètement perdu. Pourtant, il aimait Violet, et il ne souhaitait que son bonheur. C’était ce qu’il avait toujours voulu pour elle. Prem reprit la main de Violet dans la sienne. « Si c’est ce que tu veux, si tu penses que ça te rendra heureuse, alors accepte… Même si ça m'angoisse », lui confia-t-il finalement. Prem attira la main de Violet près de son visage, pour la reposer contre sa joue. « Ça ne nous éloignera pas, n’est-ce pas?… », souffla-t-il, une lueur anxieuse dans ses yeux noirs.
Ce n’était que depuis la répudiation de Violet qu’ils avaient enfin réellement pu vivre ensemble. Qu’ils avaient pu s’aimer au quotidien. Qu’ils avaient pu se lever côte à côte tous les matins. La peur de perdre cela, à cause du nouveau titre qu’aurait Violet, lui nouait les tripes. Les choses seraient-elles comme maintenant? Seraient-elles pires? Penser à cela alors qu’ils venaient tout juste de se fiancer était horrible.
Prem me lâcha la main. Je redoutais beaucoup sa réaction. Un éloignement physique était le signe d’une contrariété. Je peux dire que j’étais surprise. J'espérais que ce ne serait pas la cause d’une friction. Je ne voulais pas que notre bulle implose. -“ Eh bien c’est un peu comme être Princesse d’Hanovre. Représenter un nom dans la société. Enfin, pas tout à fait, car Zenon et Amélia l'exercent différement...” Que pouvais-je lui dire pour qu’il appréhende notre rôle ? Je ne savais pas comment lui décrire les choses sans que cela crée une réaction négative. -“ Zenon est disponible pour toi. Pour répondre à des questions. Tu sais qu’il le fera avec plaisir. ”
Un long silence prit place entre nous. Je tenais ma langue. Je ne bougeais pas. C’était la façon de Prem de procéder. Je voulais lui laisser son espace de pensée. Même si ce silence me mettait mal à l’aise. Même s’il m’inquiétait aussi.
Je m’étais dit qu’il ne voudrait pas déménager. Je ne m’étais pas fait d’illusions. Il avait accepté d’habiter à la campagne pour moi. -“Oui. Je m’y attendais. Et je comprends. C’est vrai que cela serait compliqué pour toi. ” Les de Lascelle comprendraient. La priorité était notre vie de famille. Le confort de Prem et de Dalia était ce qui m’importait avant tout.
Nous abordions des questions complexes entre nous. Je m'abstiens d’avoir une réaction. Même si ce que je lisais sur son visage m’attrista. J’étais triste de le sentir triste. Mon empathie était à son maximum avec lui. Je l’aime alors être celle qui provoque sa peine me met chaque fois au supplice. Il était loin, très loin de se réjouir. Je voyais qu’il prenait sur lui. Il aurait préféré que Parrain ne dise rien. Mais j’étais sincère quand je pensais à la sécurité financière de notre ange. Pour moi c’était un réconfort. Je préférais savoir qu’il y avait
-“ Bien sûr… ” Lui répondis-je confuse. Je me demandais surtout ce qu’il pensait. S’il s’imaginait que je pourrais forcer notre fille à faire quoi que ce soit ? A influencer sa vie ? -“ Je ne lui imposerais jamais rien Prem. Jamais. Ni à elle. Ni à toi. ” J’étais née et j’avais appris à obéir. J’avais appris à suivre l’exemple. Je faisais ce que l’on attendait de moi. Prem était la première personne à m’avoir ouvert les yeux sur ce qu’était la liberté de choix. Sur ce que cela voulait dire de vouloir vraiment quelque-chose. -“Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire. ”
Je fus un rien rassurée qu’il fasse un geste vers moi. Je m’accrochais à sa main. J’avais soudain peur. Je ne savais pas exactement peur de quoi. Mais une peur irrationnelle que je ne ressentais que quand cela le concernait lui. -“ T’angoisser ? … Mais… pourquoi ? ” M’alarmais-je. Je ne comprenais pas. C’était différent. Je n’étais pas une baronne obligée. Je n’étais pas une princesse désavouée par sa famille. Cette fois c’était mon parrain qui me témoignait le plus beau signe de confiance. C’était aux antipodes de ce que nous avions traversé. Enfin, c’était ce qui me semblait. Me trompais-je une fois de plus ? Voyait-il un danger dont j’étais aveugle ?
-“ Quoi ?! ” Je relevais mes yeux pour croiser les siens. Oh, mais Prem n’était pas en colère, il était nerveux. -“ Non. Non… Prem. Non. ” Je secouais négativement de la tête. Il n’y avait rien qui ne nous séparerait plus. Je l’avais juré au Seigneur quand Prem était dans le coma. Je n’avais pas su échapper à mon Père seule, c’est vrai. Mais je me préparais à lui échapper. Parce que Dalia et Prem étaient les soleils de mes jours. Les étoiles de mes nuits. -“ Je ne peux pas vivre loin de toi. ” N’avait-il pas senti tout mon malheur lorsque j’étais loin de lui. Avait-il oublié nos lettres ? L’attente de son sourire pendant ces semaines de tortures ? -“ Rien ne peut plus m’éloigner de toi, de vous, Dalia et toi. Rien. ” Je ne m’étais pas dressée devant l’aristocratie par caprice.
-“ Ce que propose Zenon… ça n’a rien à voir avec ce que tu as vu avec Edward. Zenon n’a pas besoin que son titre soit exposé. Je n’aurais pas à faire acte de présence. ” Zenon et Amélia avaient su se libérer du diktat. Ils avaient imposé leur propre code. Je comptais bien respecter cette force. -“ Mais porter ce titre ce sera y faire honneur. Il me permettra aussi d’aider à la fondation… de nous faire entendre. ” Je caressais ses joues barbues. Consciente de la source de ses craintes, je me sentais moins angoissée. Il avait peur pour nous. Comme moi j’avais toujours peur pour nous. Pour notre amour si controversé. -“ Ce sera un plus. Mais ça ne prendra pas plus de place qu’il n’en faut. … Je ne suis plus la même que quand on s’est rencontrés ce soir-là. Prem. ” Bien entendu que tomber amoureuse de cet homme m’avait bouleversée et changée. Je n’aurais pas été capable de faire la moitié des choses que j’avais faites depuis qu’il m’avait donné son premier baiser. -“ Avant mon monde était la noblesse. Maintenant mon monde c’est vous. L'aristocratie en est une petite partie. ” Une partie qui avait pris une autre place. Mais une partie tout de même.
Je vérifiais s'il prenait en compte tout ce que je lui disais. -“ Je ne veux pas que tu aies peur. J’ai porté notre fille. J’ai défié mon père. … Je veux porter ton nom et vivre cette vie. ” Je posais un baiser sur sa joue. -“ Comme toi tu es heureux de renouer avec ton père et vos traditions. Je suis soulagée de ne pas perdre toutes les miennes… Tu comprends ? ” Je ne voyais pas comment le lui expliquer autrement. Mais, je ne doutais pas qu’il saurait formuler ses questions. -“ S'il te plaît... Ne doutes pas de moi... ” Lui demandais-je doucement. C'était trop dur. Surtout, aujourd'hui, alors que j'avais pris tous les risques, accepté tous les coups, uniquement pour notre histoire.
Représenter un nom dans la société… Prem voulait entendre Violet sans être cynique, mais il n’y arrivait pas tout à fait, si ce n’est qu’en fermant la bouche pour cacher le fond de sa pensée. Pourquoi ne pourrait-elle pas représenter son propre nom, son nom à elle? Pourquoi prendre le nom de quelqu’un, ce si n’est pour son titre? Prem soupira « C’est gentil de sa part, mais je préférerai que les réponses viennent de toi plutôt que de ton parrain ». Le journaliste savait Violet apte et capable de répondre à ses questions. Elle lui devait bien ça, non? Il s’agissait de leur avenir… Se servir de Zenon comme bouclier ne servirait à rien. Selon Prem, ils devaient régler cela entre eux.
La question d’un possible déménagement à Lechlade fut vite réglée, tout comme celle de Dalia, dont Violet n’attendait quoi que ce soit de sa part. Elle n’en ferait pas son héritière, si leur fille s’avérerait indifférente à la reprise du titre qu’aurait sa mère. « Bien », dit-il, quelque peu soulagé. Il n’aurait pas voulu que Violet accepte uniquement le titre pour «protéger» Dalia, ou pour lui transmettre quelque chose. Il voulait être certain que si Violet devenait comtesse, elle le ferait d’abord pour elle-même.
Même s’il avait du mal à comprendre pourquoi elle le souhaitait autant.
La caresse des doigts de Violet sur sa joue rappela à Prem le soir où il avait déposé pour la première fois un baiser sur sa peau, au creux de sa paume. Il se souvenait de l’angoisse, tapie au fond de son ventre, qu’il avait ressenti, et qu’il ressentait de nouveau maintenant. Cette simple caresse avait jadis détruit toutes ses inquiétudes. Dès ce moment, il savait que tout ne serait pas simple, mais que Violet en valait la peine. C’était toujours ce qu’il pensait aujourd’hui, même si la douce main contre sa joue n’apaisait pas tout à fait ses nombreuses craintes, cette fois. Ni le baiser qu’elle déposa sur sa joue. Ce fut cependant assez pour l’écouter.
Bien sûr, ce titre la liait de nouveau de façon concrète à ses traditions, desquelles elle avait été sauvagement écartée. Cela, il pouvait le comprendre. « Bien sûr… », acquiesça-t-il à voix basse. Il saisissait parfaitement ce qu’on ressent quand on nous renie une appartenance. Même si son père ne lui avait plus adressé la parole, Prem avait continué de fréquenter le temple. Cela faisait partie de lui, tout comme les traditions de Violet faisaient partie d’elle. Prem planta ses yeux dans les siens. « Je ne doute pas de toi Violet, je - ».
On toqua à la porte. Le petit déjeuner. Il l’avait presque oublié.
« J’y vais ». Prem se leva rapidement pour recevoir l’employé de l’hôtel. Lorsque les crêpes, le thé, les fruits et le yaourt furent déposés sur la table à l’extérieur, Prem le remercia en hindi, et referma la porte. La discussion avec Violet lui avait presque fait oublier qu’il mourrait de faim. Reprenant sa place près de Violet, entreprit de déchirer l'une de ses crêpes. Juste assez sucrée, elle allait parfaitement avec le yaourt et les fruits.
Interrompu au milieu de sa phrase, Prem n’avait pourtant aucune envie de continuer la discussion. Malgré tout, il le fallait, et c’est en prenant une gorgée de thé qu’il poursuivit. « Je ne doute pas de toi, ma chérie. Même si tu m’avais annoncé tout cela hier soir, je t’aurais tout de même demandé de m’épouser ». Pour lui, ça ne faisait aucun doute. C’était avec elle qu’il voulait passer le reste de ses jours, comtesse ou pas. « Ce que je voulais dire, c’est que j’ai peur que ton monde ne nous accepte jamais, Dalia et moi, et que tu en devienne malheureuse ». Violet savait de quoi il parlait. Zenon et Amélia étaient un couple de gens exceptionnels, mais ils étaient, justement, l’exception. « Tu ne crains pas qu’en étant à nouveau une figure publique, les gens te critiquerons? Que le Times se permettra d’écrire n’importe quoi pour nous salir? » Il connaissait maintenant bien l’opinion des journaux pro-monarchistes pour savoir que leur relation n’était rien de moins qu’une aberration, mais Prem frissonnait de rage à l’idée que l’un d’eux se permettent le moindre commentaire sur Dalia. Ils avaient eu la paix pendant quelque temps, après la répudiation de Violet, mais si cela recommençait?
Prem inspira. Il savait qu’elle n’aimait pas lorsqu’il jouait son journaliste, mais il avait beaucoup de questions dont elle seule avait la réponse. Il regarda Violet, l’air sérieux, mais curieux. Il voulait surtout en savoir plus, et savoir à quoi s’attendre. « Représenter un nom, faire honneur à un titre… c’est trop flou pour moi. Je ne sais pas ce que ça implique réellement. Je voudrais savoir ce que tu comptes faire concrètement avec ce titre. Des galas pour la fondation? Mais quoi d’autre? Des voyages à l’étranger pour une cause quelconque? Qui souhaites-tu faire entendre? ». Son ton n’était ni confrontant, ni inquisiteur, mais simplement avide de réponses. Il ne pourrait se le figurer que si elle lui donnait des exemples. « Voudras-tu que j'y sois présent?». Comme Amélia l'avait fait pour Zenon, pendant le gala, et sans doute aussi les soirées mondaines. Songeant qu'il se serait sans doute prêté au jeu, ne serait-ce que pour soutenir Violet, Prem eut un rire jaune, en réalisant qu'il divaguait. Comment pourrait-il être reçu autrement qu'avec hostilité? « Ou peut-être pas. Je ne voudrais pas que ma présence complique les choses pour toi ».
-“ Bien...” Mimais-je alors Prem, tant pour ponctuer mes pensées que pour m’assurer, que nous avions un accord commun, concernant les premiers points de la discussion. Nous nous sommes mis à parler doucement. Parce qu’il s’agissait d’un sujet important pour lui et moi, et pour Dalia. Aussi, parce que nous savions tous les deux que nous nous trouvions à cette intersection où notre différence pouvait nous faire du mal. Seigneur en soit témoin. Je voulais tout sauf faire du mal à cet homme. Le père de ma fille, mon compagnon, celui avec qui je voulais vivre ma vie.
Je levais les yeux sur la porte de la suite. Cette interruption m’avait fait manquer un battement de cœur. J’avais oublié le monde extérieur… -“D’accord. ” Pendant l’interlude, je m’enfonçais dans l’assise. Je posais mes mains à plat sur mes cuisses. Je refusais de goûter à la nourriture maintenant. Les choses étaient sérieuses. Je ne pouvais pas me concentrer sur autre chose pour l’instant. J’observais Prem boire le thé et attendre qu’il reprenne.
Bien entendu, il avait un argument. C’était un argument de taille. Quand lord de Lascelle s'était ouvert sur cette proposition, je n’y avais pas songé tout de suite. Je n’avais vu que le soulagement. Je n’avais vu que la reconnaissance. Les questions et les doutes sont apparus bien plus tard. En fait, après un rêve où j’avais imaginer l’annonce à mes parents. -“ Si, ils le feront, c’est certain. ” Il n’y aurait pas de clémence. Personne n’allait être de notre côté. Nous mettre en pleine lumière c’était assumer la critique et la vindict. -“ Mais comme je suis fière d’avoir mis au monde notre enfant, je veux pouvoir être fière de qui je suis, entièrement. Je ne veux pas être guidée par… la peur ou la colère. Je veux seulement… seulement être moi. ” Je n’étais pas sûre de réussir à faire comprendre à mon amoureux ce que cela voulait dire. Je n’y étais pas encore parvenue. D’ailleurs, avais-je seulement la réponse ? -“ Ce n’est pas parce que les autres ne sont pas habitués à “nous” que cela doit rester ainsi. N’est-ce pas ? ” Mon chéri était un progressiste. Il pouvait entendre cela.
Je posais mon regard sur lui. J’écoutais ses questions. Il ne me sembla pas en entendre d’aussi précis dans sa bouche. Pas, depuis ce jour où il était venu faire l’article sur le gala de bienfaisance. Comment cela se faisait-il ? Que je ne lui ai pas parlé de mon monde avant. Je sentais qu’une partie de moi était soulagée. Soulager de voir que la curiosité de Prem Hadid touche aussi mon monde. -“ Il y a une cause que je veux défendre oui. Celle des femmes battues. ” Lui répondis-je plus abruptement que je ne le voulais. C’était cette bataille qui a du sens à mes yeux. Si je pouvais aider à ce que les femmes anglais, les femmes du monde, se sente plus en sécurité, alors, je devrais le faire. -“C’est ça que je veux faire Prem. ” Lui avouais-je, en combattant ma pudeur. -“ Je voudrais aider à ce que notre fille grandisse dans un monde qui la protège. Un monde où elle n’aura pas peur de la force des hommes. ” Je posais ma main sur la sienne. La pierre précieuse brilla dans le clair-obscur.
-“ Cela commence par là où je pourrais agir… parmi ma classe. ” J’inspirais lentement. -“ On nous enseigne à accepter Prem. Tu le sais. Si je ne t’avais pas rencontré… Je serai restée sous le pouvoir d’Edward, des hommes. J’aurai obéis… et souffert. ” Je pressais doucement sa main. -“ Avec le nom de Zenon. Les conseils d’Amélia. Le soutien de Rose. Je peux aider à ce que les choses évoluent dans la bonne direction. Je sens que je dois rendre la chance qui m’a été donnée. ” Je souris timidement. -“ Tout ça c’est grâce à toi mon amour chéri.” Je ne m’étais jamais sentit absolument féministe. J'ai admiré des grandes femmes, des grands noms, pendant mon éducation. J’enviais les femmes comme Amélia, Rose, Noor. Mais, je ne me sentais pas l’une d’entre elles. Mais, maintenant, il y avait Dalia. Dalia était ma fille, mon soleil, ma responsabilité. Je voulais pour elle un monde dont elle se sente fière. -“ Je comprends maintenant. Je peux faire quelque-chose.” Non. Je ne me voyais pas révolutionnaire. Mais je ne voulais pas regarder le monde continuer à dérailler. Parrain m'offrait un moyen d'action. Quelque-chose que je n'aurais pas été capable d'accepter avant.
Je comprenais pourquoi Prem s’auto-censurait. Mais, la question du racisme était tout aussi importante. Le Royaume-Uni ne pouvait demeurer ainsi. Il était temps que ce royaume soit à la hauteur de cette société. Je ne pense pas que nous verrions le résultat. Mais, nous pouvions participer au changement. -“ Je veux que tu sois là. A chaque pas. Je veux être là pour toi à chaque pas. ... Si tu le veux toi aussi ? ” Je m’avançais sur mon siège. Je posais un baiser sur la barbe de mon amoureux. -“ Jamais. Tu entends. Jamais tu ne me compliquerais la vie. Je ne veux rien faire dont tu ne puisses faire partie. ” Le séjour ici m’avait ouvert les yeux. Nous n’avions pas à avoir honte de ce que nous étions. Nous n’avions pas à nous plier à une règle injuste. C’était la règle qui devait plier.
-“ Et puis… tu m’as promis que nous irions danser... Je veux danser à ton bras. ” Le taquinais-je tendrement. Cette fois c’était à moi de détendre l’atmosphère. La comtesse d’Avon avait raison. Ma vie avait autant de valeur que celle des autres. Je n’avais pas à m’excuser d’être qui je suis, d’aimer qui j’aime, d’avoir une petite fille magnifique… un merveilleux fiancé. -“ Nous pourrons voyager et aider les femmes en difficulté. … Peut-être que tu pourras faire des articles sur elles ? Pour qu’elles soient entendues. ” Personne d’autre ne leur donnerait une voix dans les médias.
Il y avait d’ailleurs… une idée sourde qui revenait de plus en plus souvent me confronter. L’année dernière je l’avais fuit. Je l’avais enterrée. Loin profondément. Aujourd’hui, c’était différent. J’étais différente. -“ Peut-être aussi qu'un jour… tu pourrais m’aider à écrire ? Pour que ce qui m’est arrivé aide les jeunes filles qui subissent la même chose ? ” La Justice n’avait pas voulu entendre. Mais j’étais en vie et en sécurité. Je voulais faire honneur à cela.
Violet entendait ses questionnements, et ne les niait pas, au contraire, mais elle abordait le problème avec plus de confiance que Prem s’y attendait. « C’est vrai. Autant que je souhaite protéger Dalia, je voudrais encore moins qu’elle pense que… nous ne sommes pas fiers de l’avoir. Ou qu’elle pense qu’on la cache, simplement pour satisfaire les vieilles mentalités ». L’arrivée de Dalia dans leur vie n’était pas prévue, mais elle n’était pas une erreur. Il ne pouvait être plus fier de sa fille, ni plus fier de Violet, qui lui avait offert la chance d’être père.
Il ne savait ni à quel moment, ni pourquoi la vision de Violet sur l’avenir, ainsi que ses projets, avaient changés. Était-ce uniquement grâce à l’opportunité que lui offrait Zenon? Était-ce leur voyage ici? Quoi qu’il en soit, ses réponses étaient aussi concrètes, et même plus, que ce qu’il espérait. Il lui semblait que c’était la première fois depuis toujours que Violet détaillait aussi clairement ce qu’elle souhaitait de son avenir. Être une voix pour les femmes battues.
Prem sentit son coeur se serrer dans sa poitrine. Ses yeux noirs se posèrent sur Violet, assombri par la tristesse et l’inquiétude. Ces semaines de procès contre son ex-mari la bouleversaient, l'exténuaient. C’était à peine si elle lui parlait de son traumatisme, à lui, alors qu’il ne demandait qu’à l’aider. Et maintenant, elle voulait en faire sa cause. Prem serra sa main dans la sienne. « … Si tu te sens prête à le faire, alors très bien. C’est un projet magnifique, ma chérie. Je veux seulement que tu ne t’oublies pas ». Défendre les violences faites aux femmes dans son milieu impliquerait d’évoquer ce qu’elle-même avait vécu. Au delà de sa cause noble, Prem s’inquiétait pour la femme qu’il aimait. « Tant que tu auras le courage de le faire — et je sais que tu l’as — je suis sûr que tu pourras faire changer les choses… Et je comprends pourquoi être comtesse fait toute la différence, dans ce cas-là. Pour ça, je peux l’entendre », dit-il, sourire en coin. « Je t’aiderai, compte sur moi. Je serai là pour tout ce que tu veux. Les soirées, les galas de charité, peu importe. Personne ne devrait vivre ce que tu as vécu Violet, et je ferais tout pour t’aider à ce que cela change… Peut-être que tu finiras par me croire, quand je te dis que tu es la femme la plus courageuse au monde ».
Comme tous les projets qu’elle avait eu jusqu’à présent, le haras, le stage, Prem voulait la voir aller jusqu’au bout. Cette cause méritait qu’on se batte pour la défendre, même si en parler n’était pas chose facile. Violet savait qu’il la soutiendrait toujours pour les idées qui l’enflammait. Prem borda le visage de Violet entre ses mains, et le regarda avec des yeux rayonnants détermination. « Accepte l’offre de Zenon », souffla-t-il, avant de l’embrasser. Avec ce titre, elle ferait de grandes choses. « Je me fous de l’argent ou des manoirs qui viendront avec. Si le titre te permet de vraiment faire changer les choses, et aider les femmes qui en ont besoin, c’est tout ce qui compte. Mais avant cela, goûte à ces crêpes s’il te plait. Je suis sûr que tu as faim ».
Ce serait dommage de perdre un tel petit déjeuner. Ils avaient encore leur chambre jusqu’à midi. « Au fait, est-ce que cela veut dire que je serais comte, si tu es comtesse? Ou ça ne fonctionne pas comme ça? » Prem ne connaissait pas encore toutes les subtilités de la noblesse. Quand elle hériterait du titre, ils seraient déjà mariés, depuis longtemps espérait-il. « Est-ce que je devrais me faire appeler Lord Hadid? », demanda-t-il, l’air hilare. Ça sonnait assez mal tout ça. « Si c’est le cas, je ne pourrais pas m’empêcher de rire je crois ».
Enfin, je sentis que nous nous retrouvions côte à côte. Notre dialogue s’apaisa. J’en étais la plus heureuse. Je voulais être en harmonie avec lui. C’était d’une importance capitale. -“ Non. Mais, maintenant, tu es là. Je sais que tu me diras quand j’oublierai. ” Ce que je n’avais pas pu trouver avec mon ex époux. Eh bien Prem l’avait apporté avec lui. Il était un vrai compagnon de vie pour moi. Je sais, au plus profond de moi, qu’il est là et qu’il sera là pour me rappeler mes propres limites. C’est vraiment cela le bonheur d’être à deux. Il me semble. C’est savoir que l’autre est à côté et qu’il saura réagir s’il y a besoin. -“ Ouf… Je t’avoues que je suis soulagée que tu comprennes ”
-“ Merci. ” Le soutien de mon amant est indispensable en tout. Et dans ce domaine là il avait encore plus de sens. C’était notre condition sociale qui avait bien failli nous séparer lui et moi. Nous avions tout intérêt à tenir un front commun. Maintenant, j’avais un vrai espoir que ce qui nous arrive en aide d’autres. -“ La passation se fait au moment du décès du porteur. Nous avons encore beaucoup de temps devant nous pour voir les choses venir. ” J'inspire pour libérer le petit nœud dans mon ventre, une bonne fois pour toute. -“ Je ne vais pas attendre la mort de Parrain pour travailler sur le sujet. Il existe des associations dans lesquelles je pourrais déjà agir. Il faut que je me renseigne. ”
Je posa mes mains sur les siennes. Je lui souriais avec les yeux. Voilà qu’il était totalement partant. Quel soulagement ! Je n’aurai pas parié dessus au départ. Mais, j’avais peut être trouvé l’angle qui rendait possible notre entente ? -“ Je n’aurai qu’une partie de son héritage. Ce dont je t’ai parlé. Le reste des biens ira à sa descendance. C’est très bien comme ça. ” La propriété anglais était bien assez pour assurer une sécurité financière. Je ne voulais pas être riche. Je voulais seulement me sentir en sécurité. Je baissais les yeux sur les crêpes. Elles avaient l’air appétissantes.
J’en pris une dans le creux de ma main pour suivre son conseil. J’y goûta. Le sucre et les saveurs passaient sur mes papilles. C’était bon. -“ Je… ne sais pas trop. Je ne crois pas ? ” Je n’avais pas pensé à poser la question à Parrain le jour de notre discussion. Je sentais en moi-même que rien n’était certain concernant mon fiancé. -“ Je demanderai à l’avocat. ” Il saurait sans aucun doute nous éclairer sur ce sujet. Il traitait les divorces mais pas uniquement. Voilà qui était une discussion fructueuse. J’étais bien contente qu’elle soit faite.
En plus, il nous restait du temps avant de rendre la chambre. J’eu l’intention de nous faire passer à autre chose. Je terminais ma crêpe tout en le regardant. Il avait du charme dans cette lumière. Ce séjour ensoleillé avait changé sa carence de peau. Cela le rendait encore plus beau garçon selon moi… -“ On peut célébrer cette nouvelle décision. ” C’était un faux prétexte. Je voulais le retrouver charnellement avec ou sans “excuse”. Mes yeux se perdirent dans les siens. irrémédiablement. -“... retournons m’initier… ” Je n’avais pas l’intention d’oublier le repas. Mais, il pouvait être fait en deux temps…
Tranquille, je sortais du fauteuil pour aller sur notre lit. Je quittais tranquillement les habits de yoga. Il faisait bon dans ce pays. J’aurai pu vivre comme Eve au beau milieu de son jardin, sans jamais attraper froid. -“ Qu’est-ce que tu pensais me montrer ce matin ? ” Il avait eu des idées, je le sais, et je voulais les connaître et les expérimenter.
