Je repose mon journal édition du matin et vide ma tasse d'Earl Grey à l'orange. Encore une fois, je vois passer le nom de maître Adeane dans un des articles parlant d'un tonitruant procès en cours, et encore une fois, l'homme s'est illustré par son travail de recherches, la solidité de son dossier et la qualité de sa plaidoirie... J'imagine qu'à collectionner les succès, ou tout du moins les coups d'éclats comme celui-ci, sa réputation va continuer de grandir, et dépasser le cercle très fermé du monde judiciaire, pour gagner le grand public. Et se faire payer en conséquence, bien évidemment, surtout qu'il serait bête de ne pas le faire... Tout travail mérite salaire après tout. Je me lève, abandonnant la théière à moitié pleine pour descendre au sous-sol, où je fais glisser mon kimono en soie japonais sur le sol et entre dans ma piscine. Pendant une demi-heure j'enchaîne les longueurs, totalement nue, privilège d'avoir son bassin privé, et laisse mon esprit vagabonder sur les affaires en cours et les dossiers que j'ai à traiter. Et là, le nom de Adeane apparaît en même temps que le dossier Spencer... Je crois que c'est lui qui est aussi en charge de cette affaire et peut-être... peut-être que ça pourrait être intéressant de creuser dans cette direction. Mon exercice fini je remets mon kimono pour remonter prendre mon petit déjeuner et je pianote face à mon porridge. Bientôt un sourire satisfait naît sur mes lèvres alors que, telle Ariane, j'ai enfin réussi à saisir le bout de la pelote, et je n'ai plus qu'à la dérouler jusqu'à la sortie du labyrinthe.
Monsieur Adeane... Etudes brillantes, milieu modeste, travailleur, intègre, jamais touché par aucune affaire de corruption, telle une blanche colombe qui n'aurait jamais été éclaboussé par la boue d'un scandale... C'est beau, admirable même, mais j'aurais encore plus de facilité à croire à l'existence du Yéti ou du Monstre du Loch Ness plutôt qu'à celle d'une personne vraiment irréprochable et intègre. Tout le monde a des squelettes dans le placard, tout le monde a glissé des choses sous le tapis, tout le monde s'en veut, peut importe pour quoi, peu importe envers qui, et personne n'a une ardoise totalement blanche... Il n'y a pas de noir ou de blanc dans ce monde, juste un dégradé de gris en fonction du degré de salissure que vous arborez. Et lui, sous ses airs de gendre idéal, d'incarnation de la parfaite success story britannique comme on les aime tellement, doit se cacher quelque chose que je vais trouver. C'est mon métier, et c'est ce en quoi j'excelle. Mon déjeuner terminé je remonte dans ma chambre pour me préparer, avant de jeter un oeil à l'agenda de mes rendez-vous. La soirée est libre, parfait... il semblerait que je vais rendre une visite à ce cher monsieur Adeane finalement.
La journée s'écoule tranquillement, pareille aux autres jours, mais à l'heure de sortie des bureaux j'attrape mon sac contenant mon appareil photo, enfile mon manteau et un chapeau et monte dans ma Jaguar direction son cabinet. Je me poste à une terrasse de café qui fait face au bâtiment et j'attends qu'il sorte, puis monte en voiture, et m'arrête juste en bas de chez lui. Arun m'a déniché son adresse dans la matinée et j'observe son charmant petit immeuble à Croydon. Monsieur a les moyens... Et j'ai tiqué en voyant deux noms sur la sonnette... Aurait-il une petite amie? Je n'en avais jamais entendu parler pourtant... Intéressant... Je me poste donc à l'affût, dégainant mon objectif et scrute son intérieur depuis ma Jaguar. Typiquement l'appart du gay fortuné, plein d'oeuvres d'art, de meubles élégants, une déco raffinée... un vrai magazine de décoration.
Je me sers une tasse de thé avant de reprendre mon observation, et là, jackpot. Un autre très bel homme est ici. Un ami? Je les vois discuter et s'ouvrir une bouteille de vin. Sauf qu'au moment où Peter tend son verre à son interlocuteur, les deux échangent un long baiser que je m'empresse d'immortaliser, en prenant une bonne rafale. Je ne suis pas sortie pour rien on dirait... J'observe encore un peu leur intérieur mais rien d'extraordinaire, ils dinent ensemble en discutant, avant de passer dans une autre pièce que je ne vois pas. Et je n'ai pas fait assez de repérage pour savoir si le jardin à l'arrière est risqué ou non... Mais ce n'est pas grave, j'ai déjà un bon, très bon début. Je rentre donc chez moi, assez tôt pour me prendre un repas japonais à emporter, et le savoure devant un vieux film, un verre de vin à la main. Le lendemain, après une matinée banale, j'attrape l'enveloppe marron contenant les photos développées par mon cher assistant et monde dans ma Jaguar jusqu'au centre, près de son cabinet. En plus des photos, il m'a aussi fourni l'adresse du restaurant dans lequel il se rendait pour déjeuner, et je me gare non loin. Postée au coin de la rue, je l'observe, et attends qu'il soit attablé pour faire mon entrée, tanguant sur mes escarpins et je m'assieds sur le siège vide face à lui avec un grand sourire. Le serveur, qui m'avait guidée jusqu'à lui, se penche légèrement vers moi pour prendre ma commande.
Bonjour monsieur Adeane, quel plaisir de vous rencontrer enfin. Un verre de Bordeaux s'il vous plait.
Nous avons un très bon Vacqueyras madame.
Parfait, ça sera très bien, merci!
Je regarde le serveur s'éloigner et une fois hors de portée de ses oreilles, je reporte mon attention sur ma proie, d'un calme olympien face à moi.
Pardonnez mon intrusion, mais j'ai trouvé que c'était le moyen le plus simple pour nous croiser. Je n'en aurai pas pour longtemps. Je crois que vous savez qui je suis... et je viens vous proposer un partenariat. Un échange de bons procédés... vous me transmettez des informations sur vos affaires en cours, et en échange vous seriez très, très bien rémunéré... Qu'en dites-vous?
