Dallas avait accepté de lui prêter son camping-car pour se rendre au site. Une [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]des années 60 encore en bon état. Derrière le volant de cette mini-maison sur roues, Desmond avait un peu l’impression d’être un hippie. Comme il y aurait plusieurs heures de routes à faire, et plusieurs bagages à traîner, c’était le véhicule parfait. À la radio, la météorologue annonçait du beau temps et du soleil tout le weekend. Au feu rouge, Desmond patientait en donnant des pichenettes à la petite figurine hawaïenne sur ressort collée au tableau de bord.

Le feu passa au vert, et Desmond emprunta la route qui menait chez Louisa. Puisque ce serait la première fois qu’elle quittait la ville, Desmond espérait que la liste de trucs à apporter dans ses valises lui avait servi. Il fallait qu’elle kiffe ce weekend avec lui. Après tout ce que lui avait dit Rix, c’était maintenant où jamais. La seule chose qui inquiétait Desmond était l’attitude de certains potes de Dallas. Louisa en avait certainement déjà croisé quelques-uns, lors de ses livraisons. La plupart étaient sympas, mais d’autres étaient bizarres. Comme Katty. Comme Seth. Desmond espérait seulement qu’ils ne feraient pas flipper Louisa.

Lorsque Desmond devait les croiser, il les tolérait, sans plus. Pour quelques heures ou quelques jours, il prenait sur lui, et au pire, faisait ses trucs de son côté, tranquille. Le jeune homme se demandait d’ailleurs comment Dallas arrivait à se lier d’amitié avec des gens si différents les uns des autres. Dallas était quelqu’un d’assez cool, qui s’entendait bien avec à peu près tout le monde.

Arrivé chez Louisa, Desmond lui envoya un sms pour lui dire qu’il l’attendait. Lorsqu’elle le rejoignit, il la salua d’un sourire, et descendit du camping-car. « Hey! Comment ça va? » demanda-t-il, en souhaitant qu’elle soit aussi enthousiaste que lui. Il écarta les bras pour désigner le véhicule « Trop cool hein? C’est Dallas qui me l’a prêté pour la route. Lui, est déjà là-bas. Mets tes valises à l’arrière et let’s go! »

Louisa le rejoignait, souriante, un sac sur l’épaule et sa guitare à la main. Desmond arrivait à peine à croire qu’ils passeraient le weekend ensemble. Louisa paraissait aussi enchantée que lui de partir. Une fois qu’elle fut montée côté passager, Desmond baissa le frein à main et reprit la route. « Alors on est parti! », lança-t-il, sourire aux lèvres. En tournant la manivelle à sa porte, sa fenêtre se baissa pour laisser entrer l’air de l’extérieur. Il aimait bien avoir le vent dans les cheveux, maintenant qu’il les avait laissés poussés. Il se trouvait plus séduisant, les cheveux longs. Il avait presque l’air sage, mais aujourd’hui, grâce aux enseignements de Rix, il savait davantage se battre que lorsqu’il avait la tête d’un skinhead. Il n’était pas du niveau de Louisa, mais il espérait y arriver un jour. Pour le voyage, il ne portait qu’une casquette, un t-shirt simple, des shorts et des baskets malmenés.

« C’est environ trois heures de route. On arrivera juste à temps pour le barbecue! ». Desmond pointa le système de radio du tableau de bord. « On peut pas brancher notre téléphone dessus. C’est un vieux truc qui ne prend que la radio et les CD. À tes pieds y’a une pochette avec tous les CD. Je sais pas trop ce qu’il y a dedans comme genre de musique, mais connaissant Dallas, ça ne doit être que de la musique américaine. Tu veux bien faire la DJ? Je te fais 100% confiance! Bon alors… elle est où cette autoroute déjà…».

Desmond se guidait selon sa mémoire. Sortir de Londres était un vrai casse-tête, surtout en cette période où les travaux de la route battaient leur plein. Tout de même, Desmond conduisait prudemment, comme toujours. Il n’y avait aucune presse. Le pire qui pouvait arriver serait de rester seul en compagnie de Louisa plus longtemps, et il ne s’en plaignait pas.

« Ah! Voilà », dit-il en embarquant finalement sur l’autoroute. Ils ne la quitteraient pas avant un long moment. « Alors, on écoute quoi? ». Desmond jeta un œil vers Louisa, qui avait le choix parmi une vaste collection de CD. Il faisait largement confiance à son goût musical.

Desmond se permit alors un minuscule écart de conduite, en tendant sa main, paume vers le haut, vers Louisa, pour qu’elle puisse y glisser la sienne. Il se retenu de détacher ses yeux de la route, mais il eut un sourire heureux. Pourquoi c’est plus facile de parler quand on a pas la personne en face? « Je suis content que tu sois là, Blondie ». Il referma sa main pour affectueusement compresser celle de Louisa dans la sienne. Tenir sa main à nouveau lui réchauffa le coeur. Vraiment, ce weekend devait bien se passer.

Cependant, il n’oubliait pas la promesse qu’il lui avait faite, lors de leur premier passage ensemble à la salle de boxe. Il n’y avait aucun bon moment pour aborder ce sujet, mais au moins, maintenant, ce serait derrière eux pour le reste du weekend. « Tu te souviens que j’avais une question à te poser, après l’entraînement avec Rix? », demanda-t-il, sur un ton prudent. « Déjà, si t’as pas envie de me répondre, je comprendrai, parce que c’est pas mes oignons. Alors sens-toi à l’aise, d’accord? ». Ce préambule terminé, Desmond inspira, et demande finalement : « La cicatrice sur ton cou… c’est arrivé comment? » Plus que tout, Desmond espérait que ça ne soit qu’un bête accident.

« Ouais, je connais le chemin par coeur. J’y suis allé plusieurs fois ». En tout cas, assez pour faire le trajet de mémoire. Il avait un bon sens de l’orientation aussi. Tout bon spéléologue amateur devait en avoir un pour ne pas se perdre dans les grottes. En comparaison, les routes étaient bien plus faciles. Des panneaux indicateurs dans les cavernes, ça, ça aurait bien été pratique!

Ici, pour les trois prochaines heures, il n’y avait que la route et eux. Desmond fut le plus heureux du monde les quelques instants qu’il tenu Louisa par la main. Son coeur si vite qu’il en manquait presque de souffle, mais il regretta ensuite que ce ne fut pas les mots qui lui manquèrent. Aussitôt que sa question fut posée, il sentit la chaleur de la main de Louisa quitter sa paume. Desmond jeta un coup d’oeil vers la blonde. Il remit sa main sur le volant, alors que la culpabilité lui rongeait la poitrine. « Non, je ne sais pas. Si je le savais, je ne te l’aurais pas demandé », assura-t-il. « C’est pour ça que t’es pas obligée de me répondre ».

De ça, Desmond voulait qu’elle soit sûre. Il n’avait absolument pas besoin de savoir. Louisa avait vécu plus de choses compliquées que lui. Des choses vraiment pas faciles. De vraies épreuves. Et elle n’avait que 21 ans. Beaucoup de gens ne vivent pas autant de choses qu’elle dans toute une vie. D’autant plus que s’ouvrir à quelqu’un n’était pas chose facile. Tout de même, à la grande surprise de Desmond, Louisa lui partagea toute l’histoire, petit à petit, à son rythme.

Elle lui avait vaguement parlé de sa période en foyer. Ce genre d’endroits devraient être des espaces sécurisants pour les jeunes et les enfants, le dernier endroit où on pouvait abuser d’eux. Pourtant, des merdes comme le chef du foyer dont faisait parti Louisa arrivait à faire de ses endroits un enfer. Il faisait partie du problème, comme les policiers ou les intervenants qui avaient fermé les yeux quand Louisa leur avait demandé de l’aide, pour retrouver son amie disparue. Mais un frisson traversa sa colonne, lorsqu’il apprit que JB était policier. Ce n’était donc pas pour rien que Desmond avait perçu l’aura particulière du père adoptif de Louisa.

Louisa poursuivie, mais la suite ne devenue que plus pénible à raconter. C’était difficile à entendre, mais cela avait dû être abominable à vivre. Imaginer l’horreur qu’avait ressenti Louisa lui tordait les tripes, tout comme la voir essuyer ses larmes maintenant, alors qu’elle était près de lui. Desmond n’aimait pas la police, mais ce JB avait sauvé la jeune femme, au péril de sa vie. Elle avait le père qu’elle méritait désormais. S’il n’avait pas été là, elle se serait retrouvée marchandise, à louer aux plus offrants.

Et c’était avec ce genre de gens là que Dallas et lui faisaient affaires.

Ce fut comme si son cœur s’était arrêté de battre. Le récit de Louisa était une révélation. Tout l’argent sale qu’ils acceptaient généreusement des mafias et des divers gangs de Londres venait peut-être d’histoires aussi tristes que celle-là. Peut-être encore plus. Ce n’était plus de la drogue, du meurtre, de l’alcool, mais du trafic d’être humain. Une fois qu’on a l’être humain assis près de nous, côté passager, c’était une toute autre perspective.

Putain… il lui fallait un autre job.

Pour la première fois, il l’appela par son prénom « Ce sont les gars qui t'ont fait ça qui me dégoute, Louisa. T’es la personne la plus forte que je connaisse. J’suis heureux d’être ton pote, même si honnêtement, je sais pas si je le mérite ». Il se dégoûtait lui-même, en vérité, de ne pas avoir bien saisi ce que ça impliquait de faire affaire avec le crime. Le vrai crime. Desmond soupira. « Je suis désolé de tout ce qui t’ai arrivé. Je suis content que tu m’en ait parlé, et que tu me fasses confiance. J’avais pas compris… » Sa voix mourut dans sa gorge, et il secoua la tête.

Comment elle faisait pour ne pas le détester?

Les yeux fixés sur la route, Desmond s’éclaircit la voix pour retrouver son sang-froid. Sans doute devrait-il remettre en question son boulot, mais pas maintenant. Il avait surtout besoin de parler à Louisa. « Excuse-moi. Hum… Maintenant que je suis au courant, je veux te prévenir de certaines choses, pour pas que tu aies de mauvaises surprises. Dallas a une collection de flingues là-bas. Il fait de la chasse et il y a des têtes d’animaux empaillées dans la baraque. Si tu veux, je nous mets loin de tout ça ». Avec le camping-car, au moins, ils pouvaient choisir l’endroit qui leur convenait.

« La plupart de ses amis sont cools, mais y’en a trois qui sont plus chiants, qui aiment pas les petits nouveaux. S’ils essaient de te tester, ou de te faire chier, t’as le droit de te défendre ». Autrement dit, de leur foutre une raclée. Personne, même Dallas, ne s’en formaliserait. « Mais surtout », dit Desmond, en pesant chacun de ses mots « Ne dis à personne que ton père est policier. Encore moins qu’il est de la Strike. On… enfin, ils détestent la police ».

Techniquement, lui aussi la détestait. Mais JB… il ne le pouvait pas. Pas après ce qu’il avait fait pour Louisa. Dans ce cas, pourquoi, après tout ce qu’elle avait vécu, Louisa continuait à fréquenter des gens comme lui, comme Dallas? Puis, après un instant de silence, Desmond demanda, l’air grave : « JB ne t’as pas demandé ce que tu faisais comme livraison? Tu lui mens? ». Elle mentait à celui qui l’avait sauvée? Vraiment? Desmond, soudainement, fut à nouveau pris de sentiment que quelque chose clochait. La même sensation que lors de leurs premières rencontres. Quelque chose n’allait pas, mais impossible de mettre le doigt dessus. Il en avait longuement parlé, avec Rix. Il voulait croire de toutes ses forces que son pressentiment n’était fondé sur rien. Que Louisa n’était pas en train de retourner et frire son cerveau comme une crêpe Suzette. Qu’il continuait de se mettre des barrières pour rien. Qu’il n’avait qu’à plonger… C’est pourtant tout ce qu’il demandait.

Parce qu’il l’aimait, putain.

Lorsque Louisa avoua que son père adoptif savait ce qu’elle faisait des livraisons pas tout à fait légales, Desmond lâcha : « Ah ouais… », d’un ton circonspect. Il demeura silencieux, les yeux rivés sur la route, pendant que Louisa justifiait son point de vue. Elle le faisait pour l’argent, disait-elle. C’était quand même fou que Jean-Baptiste, un policier, ferme les yeux sur ce qu’elle faisait. Si Dallas apprenait que Louisa avait parlé de tout ça à un policier… putain. Aux yeux de Desmond, c’était beaucoup plus grave que les problèmes d’argent qu’elle pouvait avoir en ce moment. Ce serait la première fois qu’il cachait quelque chose à Dallas, et même si ça le mettait dans une position délicate, il n’avait pas le choix.

Dallas avait tellement fait pour lui, mais il devenait de plus en plus secret. Peut-être arriverait-il à le raisonner, lorsqu’ils seraient tous de retour en ville. Mettre les feux aux poudres maintenant était la pire idée.

Desmond se mit à respirer de nouveau en entendant que Louisa comptait lâcher les livraisons. Il se sentait déjà plus léger de la savoir loin de tout ça bientôt. « Je comprends. Tu passeras venir me voir à la boutique de temps en temps, n’est-ce pas? »

——

Les grattes-ciels et les bâtiments de béton furent petit à petit remplacés par les quartiers résidentiels et autres bourgs périphériques à la ville. Puis, ceux-ci disparurent à leur tour, laissant leur place à de larges terres agricoles, parsemées de petits villages nichés dans leur vallon. Enfin, après plusieurs heures de routes, les collines de Shropshire accueillirent Desmond et Louisa dans toute leur splendeur. Peu d’espaces en Angleterre étaient aussi parfaitement conservés que celui-ci. Les routes sinueuses s’enfonçaient dans la forêt, dense et verte. Ils croisèrent peu de voitures sur leur chemin jusqu’au camp de chasse de Dallas.

« On y est! » annonça Desmond en garant le camping-car entre les arbres. Non loin se trouvait le cottage en bois, qui faisait face au lac, en contrebas d’une clairière pentueuse. « C’est joli non? Viens, je vais te présenter tout le monde »

Ils étaient tous là, attablés près du barbecue où Dallas s’occupait des grillades. La bande à Dallas. Hétéroclites mais tous sympas, ou presque. « Mais oui, Louisa! Je te reconnais, t’es venue livrer des trucs chez moi! Venez, on vous a gardé une place! » lança Ruby, une brune aux yeux bleus. Pas de chance, ils étaient en face de Seth. Le mec était beau comme un dieu, mais profondément égoïste, et franchement sadique. Contrairement à Desmond, qui n’aimait pas chasser, Seth y prenait plaisir. Plutôt, il prenait plaisir à tuer. Sans doute avait-il un certain charisme pour que les autres le supporte, mais avec Desmond, ça n’avait jamais fonctionné, et il espérait qu’il en serait de même pour Louisa.

« Louisa, c’est ça? Je te reconnais aussi, je t’ai vu chanter dans un bar, y’a quelque temps. Très bon choix, la p’tite robe rouge », dit Seth, la voix pleine de sous-entendues. Desmond mordit dans son kebab pour ravaler le venin créé par la remarque de Seth. Ce fils de pute… Desmond savait exactement à quelle robe Seth faisait allusion. C’est vrai, Louisa avait été canon dans cette robe, et visiblement, au grand dam de Desmond, Seth ne l’avait pas oublié non plus.

Ce que Seth avait certainement oublié, c’était la présence de Desmond. À nouveau, il s’adressa directement à Louisa : « Viens je t'emmènes chasser ».

« Là on avait déjà un truc à faire, Seth », intervenu Desmond, ses yeux fixés sur son rival.

« Ah oui, quoi? »

Bonne question.

Louisa rattrapa la balle au bond. Explorer les cavernes, pourquoi pas. Tout le matériel était à l’arrière du camping-car, et il y avait du surplus pour Louisa. « Exactement » renchérit Desmond, pas peu fier que la jeune femme le propose. « Ça ne se trouve pas facilement alors ça risque de prendre un peu de temps oui ».

L’expression de Seth laissait deviner ce qu’il pensait. Insulté que la petite nouvelle dans le groupe préfère passer du temps avec Desmond plutôt qu’avec lui, il feignit, bien mal, la nonchalance en haussant les épaules. « Ok ok. Quand tu voudras faire un vrai sport plutôt que de chasser des cailloux, viens me voir ». Un vrai sport avec un vrai mec. Desmond comprit parfaitement le sous entendu. Seth avait toujours pris son passe-temps de haut, mais c’était parce qu’il ne savait pas de quoi il parlait. Desmond aurait bien aimé voir Seth se débrouiller seul dans une grotte tiens… Ruby intervenue à son tour, elle qui savait le mieux mettre les gens à l’aise « Alors comme ça tu chantes Louisa? Tu poussera la chansonnette autour du feu de camp ce soir, ça te dirait? »

Après le barbecue, chacun vaquait à ses occupations. De retour au camping-car, Desmond sortit un sac de la valise. Dans le sac se trouvait tout le nécessaire à l’exploration des grottes : des bottes, des pioches, des cordes, des lampes torches, des torches frontales, etc. Bref, il avait pensé à tout. Il explorait ces cavernes depuis déjà quelques années. Il était bien préparé « C’est de l’autre côté du lac, alors faut y aller avec le bateau de pêche, mais t’inquiète. Je vais être prudent et y’a des vestes de sauvetage », dit-il, conscient que Louisa n’aimait pas l’eau.

Le petit bateau à moteur deux places mouillait tranquillement attaché au quai. Desmond embarqua le premier et aida Louisa à prendre place en lui tendant la main. Une fois installé, Desmond à la proue, et alluma le moteur. Le bateau traçait une ligne blanche dans les eaux du lac, s’éloigna toujours plus du camp de Dallas, qui rétrécissait à l’horizon. De l’autre côté du lac, au milieu des arbres, un petit sentier menait jusqu’à l’entrée de la grotte.

Desmond ammara le bateau au tronc d’un arbre. Un arc naturel en pierre soutenait l’entrée de la caverne, assez haute pour s’y tenir debout, et assez large pour avancer côte à côte. Comme le reste du terrain, elle descendait en pente, et s’enfonçait dans la terre. Une fois leurs bottes et leurs lampes torches enfilés, Desmond se tourna vers Louisa. « Okay, suis-moi, mais surtout hésite pas à me le dire si jamais t’es pas à l’aise. C’est pas pour tout le monde, alors je comprendrais. Tant que t’as pas peur du noir, et que t’es pas claustrophobe, ça devrait aller ».

Remarque, ce n’était qu’en venant ici que les claustrophobes réalisaient qu’ils l’étaient. L’entrée de la grotte n’était pas particulièrement effrayant. Même s’il faisait sombre, le passage était encore large. Il y faisait plus frais, mais plus humide qu’à la surface. Une odeur de terre et de fer se dégageait des mousses qui couvraient partiellement les parois suintantes de la caverne. Soudainement, alors qu’on se serait cru arrivé au fond du passage, celui-ci s’ouvrait sur une mince crevasse dans les parois de la grotte. Trop étroite pour passer de face, il fallait y entrer de côté.

« Je sais que ça à l’air…compliqué, mais c’est sécuritaire, je te le promets. Je te montre ». Desmond l’avait déjà fait des centaines de fois. Le jeune homme glissa son corps contre la crevasse. Son bras, sa jambe, puis son torse, sa tête, et son autre jambe se firent avaler entre les deux lèvres de pierre de la caverne. Son nez effleurait presque les parois de la crevasse. Passé ce point, plus rien ne touchait la lumière du soleil. Seul le bras de Desmond, tendu vers Louisa pour l’aider à entrer, était encore dans le clair-obscur. Desmond, lui était déjà dans le noir, derrière la crevasse, dans une plus grande extension de la caverne. « Prends ma main? »

Sur l’embarcation, Desmond répondit à Louisa. « C’est pas mon pote. Ce mec là, je m’en approche pas moi-même, il est vraiment bizarre. Je préférerai encore te laisser seule avec un loup plutôt qu’avec lui ». Même si cela devait arriver Desmond était persuadé que Louisa traiterait avec lui comme elle avait traité avec tous les autres mecs qui tentaient de l’intimider : avec la méthode Rix.

Mais ils étaient maintenant loin de tout ça, dans cette grotte. Desmond perçu l’hésitation dans la voix de Louisa, lorsqu’elle dû le rejoindre dans la caverne. « Si c’était dangereux, je ne t'emmènerai pas avec moi », lui dit-il pour la rassurer. « Je connais cette grotte comme le fond de ma poche ». Il explorait cette caverne depuis des années. Il s’était toujours dit qu’il devrait s’essayer à en faire une carte, mais il préférait explorer, plutôt que documenter. Heureusement, Desmond avait bonne mémoire.

Louisa prit sa main, et Desmond ne la lâcha pas jusqu’à ce qu’elle fut avec lui, de l’autre côté de la crevasse. Il lui sourit, et lui laissa le temps qu’il lui fallait pour s’habituer. « C’est en cherchant des gemmes que j’ai trouvé cet endroit. Par hasard. Je n’ai pas vraiment plus réfléchi que ça », avoua-t-il en riant. « Puis comme tu dis, je suis sûr d’avoir la paix ici ». D’ailleurs, cette caverne ne semblait pas être répertoriée sur Google, ou sur aucune autre carte. Peut-être parce que son entrée n’était pas bien apparente. Quoi qu’il en soit, Desmond aimait l’idée d’avoir ce petit bout de roche rien que pour lui.

Sans la lumière de leur lampe, Louisa n’aurait pas vu Desmond rougir, quand elle glissa ses doigts entre les siens. « Allons-y », souffla-t-il, en l’entrainant avec lui plus profondément encore dans la caverne. La première salle, celle où il se trouvait, était un cliché géologique propre aux grottes : stalactites. Suspendus au plafond, ceux-ci étaient telles de jolies décoration, ou des lustres, translucides et effilés. Ils donnaient à la salle une atmosphère aussi grandiose que ténébreuse, où le silence de la terre n’était interrompu que par le bruit des gouttelettes d’eau qui tombaient du bout de leurs pics. « Les plus gros on mit des milliers d’années à se former, peut-être même plus », dit Desmond, en pointant un stalactite, épais comme une poutre, qui touchait presque le sol de la caverne. Au travers de ce dédale de pierre, Desmond marchait d’un pas assuré.

En progressant plus loin dans la grotte, la salle de stalactites fit place à une autre, où se trouvait un petit ruisseau intérieur, dont l’eau était d’une clarté absolue. Le faible courant s’enfonçait toujours plus profondément dans la grotte, mais ici, Desmond fit signe à Louisa de s’arrêter « J’ai un truc à te montrer, mais faut fermer les lampes », dit-il, sur un ton volontairement mystérieux. Il voulait lui laisser la surprise.

Plutôt que d’être plongés dans le noir complet, Desmond et Louisa furent tapissés d’une faible lumière bleue, car au plafond de la grotte brillait un ciel étoilé. De longs [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], qui ressemblaient à des colliers de perles suspendus, étaient suspendus au-dessus de leur tête, et luisaient d’une lumière bleue. « On oublie presque qu’on est dans une grotte, quand on regarde ça », murmura Desmond, toujours soufflé par la beauté de l’endroit.

Le jeune homme zyeuta Louisa, pour guetter sa réaction. C’était l’endroit le plus romantique qu’il connaissait, si on ignore que les petites lumières étaient produites par des vers bioluminescents. «… Ça te plait? C’est quand même mieux qu’une partie de chasse, pas vrai? Et moins ringard qu’une vieille sortie au restau, ou une balade au bord de la mer ». Après tout, ils étaient un peu en rencart, non? Enfin, peut-être pas. Quand il s’agissait de Louisa, rien n’était clair dans sa tête. Desmond sembla vouloir dire quelque chose, et sembla également se raviser.

Puis, parler de tout ça maintenant n’était peut-être pas une bonne idée. Avouer tout ce qu’il pensait dans une caverne, loin des yeux de tous, hormis ceux des vers… de quoi il aurait l’air? D’un mec qui ne peut qu'exprimer ses sentiments qu’au fond d’un trou? « Prête à continuer? T’as des questions? »

Desmond sourit, heureux qu’elle apprécie autant que lui le spectacle bizarre, mais magnifique, des lucioles suspendues au plafond, sous la terre. Il n’était pas vraiment quelqu’un de romantique, et il pouvait difficilement faire mieux que ça. Même, à la base, il n’avait voulu que lui montrer les quelques veines d’améthystes, plus loin, dans la caverne. Ce petit arrêt devant les lucioles, il devait l’avouer, faisait son petit effet. Plus qu’il ne l’avait pensé. D’ailleurs, ils restèrent un moment silencieux, enveloppés dans la contemplation des centaines de petites étoiles bleues.

Lorsque Louisa détourna les yeux des lucioles pour les poser sur lui, Desmond sentit son coeur bondir dans sa poitrine. Elle prononça son nom, et il lui répondit avec le sien. « Louisa… ? » Il retenu son souffle. L’agitation de Louisa lui fit d’abord peur, croyant alors qu’elle avait le mal des cavernes, mais elle posa finalement sa question, et Desmond la regarda, saisit de surprise.

« Ah… Je ne m’attendais pas à ça, comme question, mais, oui… », murmura-t-il, puis se taisant finalement, lorsqu’il l’embrassa, les yeux clos. Cette joie brûlante qu’il s’était interdit si longtemps, par peur d’être blessé, inonda ses veines aussi violemment que les vagues brisent les barrages. Le brasier ardent qui enflammait son coeur lui monta jusqu’aux joues. Le temps que dura leur baiser, rien d’autre n’existait hors de cette caverne, pas même le temps, qui semblait s’être arrêté.

Rix avait donc eu raison. Tous ses doutes n’étaient rien en comparaison de l’amour, car il avait beau être sous terre, il avait l’impression que tout son corps lévitait, léger comme une plume. Il ne s’écarta de Louisa que pour mieux la conserver tout contre lui, et en la serrant avec passion sur sa poitrine, puis l’embrasser encore. Desmond n’avait plus peur.

« Je t’aime… Louisa ».

Il lui souriait amoureusement, transi de bonheur. « Ça fait tellement longtemps que je voulais te le dire, en plus. Chaque fois j’avais peur de faire une connerie, d’être trop brusque, ou je m’inventais une excuse stupide pour ne pas le faire, ou qu’on finirait par se faire mal, mais je m’en fous. J’en ai marre de jamais faire confiance aux autres. Je veux juste t’aimer ».

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple, après tout?

Desmond la garda enlacer dans ses bras un très long moment, trop heureux qu’elle partage ses sentiments. Il avait bien fait de prendre son temps, en fin de compte. Là, il pouvait au moins être sûr de ne pas s’être trompé, ou de ne pas y avoir mit tout son coeur. Louisa importait trop pour lui. Avec elle, il ne voulait pas faire les choses à moitié. Cette fois, son coeur y était à fond, et il ne voulait rien de plus que ce petit moment rien qu’à eux; ils reviendraient bien assez vite au campement en compagnie des autres. Desmond encadra de ses mains le visage de Louisa, pour lui donner un dernier baiser. « On continue? », demanda-t-il en souriant.

Le jeune homme se leva, et tendit sa main à Louisa pour l’aider à se relever. « On est plus très loin de ce que je voulais vraiment te montrer », dit-il en commençant à marcher. « L’année dernière j’ai trouvé plusieurs géodes d’améthystes. Je n’en ai pas parlé à Dallas, parce que je savais qu’il me demanderait d’en ramener le plus possible pour les vendre ». Desmond n’avait rien contre les bijoutiers et les collectionneurs, mais il préférait les gemmes à leur état naturel. « Une améthyste naturelle ne vaut pas grand-chose, sauf qu’une améthyste taillée et parée dans un collier ou une bague, ça peut se vendre cher. Mais je ne fais pas ça pour l’argent ».

Une grande cavité s’ouvrait alors devant eux. Des signes des explorations passées de Desmond s’y trouvaient toujours. Les parois de la cavité étaient marquées de lignes blanchâtres, résultat des coups de pioche pour entailler la pierre.

« Nous y voilà », déclara-t-il en ouvrant les bras, fier de lui présenter son petit sanctuaire. La lampe à huile qu’il utilisait pour s’éclairer se trouvait toujours là, accrochée au mur, tel qu’il y avait laissé, un an plus tôt. De son sac à dos, il sortit l’huile et son briquet, et une flamme imprégna la cavité de sa lumière.

Il désigna à Louisa l’endroit où il avait l’habitude de creuser. « Prends ce côté, et je prendrais l’autre ». Alors, Desmond eut un sourire en coin. « Et si on se lançait un défi? », demanda-t-il, l’air joueur « Si je trouve quelque chose d’intéressant avant toi, je voudrais… que tu m’appelles «chaton» pour le reste de la journée. Même en public ». Il aimait bien le surtout de face de chat, mais chaton… ça serait de la musique à ses oreilles. Les autres pourraient bien se moquer, il n’aurait pas honte.

Moqueur, Desmond poursuivi, en croisant les bras. « Si tu trouves quelque chose avant moi, qu’est-ce que tu veux? ».